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18/09/2018 | FRANCE | N°18DA00565

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre - formation à 3, 18 septembre 2018, 18DA00565


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...D...a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler les décisions contenues dans l'arrêté pris à son encontre le 17 janvier 2018 par le préfet du Pas-de-Calais l'obligeant à quitter sans délai le territoire français, fixant le pays de renvoi et prononçant à son encontre une interdiction de retour d'une durée d'un an.

Par un jugement n° 1800513 du 24 janvier 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet

du Pas-de-Calais de délivrer à M. D... une autorisation provisoire de séjour et de réex...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...D...a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler les décisions contenues dans l'arrêté pris à son encontre le 17 janvier 2018 par le préfet du Pas-de-Calais l'obligeant à quitter sans délai le territoire français, fixant le pays de renvoi et prononçant à son encontre une interdiction de retour d'une durée d'un an.

Par un jugement n° 1800513 du 24 janvier 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet du Pas-de-Calais de délivrer à M. D... une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement et rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 14 mars 2018, le préfet du Pas-de-Calais demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il prononce l'annulation de son arrêté du 17 janvier 2018 et prononce à son égard une injonction de réexamen ;

2°) de rejeter dans cette mesure la demande de première instance.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Convention de Genève ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (CE) n°1987/2006 du 20 décembre 2006 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Dominique Bureau, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Interpellé par les services de police à Calais, alors qu'en possession de documents d'identité ne lui appartenant pas, il tentait de se rendre en Angleterre, M.D..., ressortissant camerounais né le 8 août 1987, a fait l'objet le 17 janvier 2018 d'un arrêté du préfet du Pas-de-Calais l'obligeant à quitter sans délai le territoire français, fixant le pays de renvoi et prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. Le préfet du Pas-de-Calais relève appel du jugement du 24 janvier 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé ces décisions.

Sur le moyen d'annulation retenu par le magistrat désigné :

2. Ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a jugé dans ses arrêts C-166/13 et C-249/13 des 5 novembre et 11 décembre 2014, le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Il n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement.

3. Il ressort des pièces du dossier, notamment du procès-verbal d'audition signé par M. D... dans le cadre de la procédure de retenue instituée par les dispositions de l'article L. 611-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qu'il a été entendu le 17 janvier 2018 par les services de police. Au cours de cet entretien, il a, en particulier, été interrogé sur son âge, sa nationalité, sa situation de famille, ses attaches dans son pays d'origine et en France, les raisons et les conditions de son départ de son pays d'origine et de son séjour sur le territoire français, ainsi que sur l'éventualité d'une mesure d'éloignement, avant d'être invité à formuler toute remarque complémentaire. Le requérant a eu ainsi la possibilité de faire valoir utilement les éléments pertinents susceptibles d'influencer la décision du préfet du Pas-de-Calais sur son éloignement, alors même qu'il n'a pas été invité à présenter ses observations écrites. Il n'est dès lors pas fondé à soutenir que l'obligation de quitter le territoire français a été prise à son encontre en violation du droit de toute personne d'être entendue préalablement à l'adoption d'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement, principe général du droit de l'Union européenne. Par suite, c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille s'est fondé sur ce motif pour annuler les décisions contestées.

4. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur l'ensemble des moyens présentés par M.D....

Sur les autres moyens soulevés par M.D... :

En ce qui concerne la compétence du signataire de l'arrêté contesté :

5. Par un arrêté du 18 décembre 2017, publié le même jour au recueil des actes administratifs de la préfecture, le préfet du Pas-de-Calais a donné à M. B...A..., chef du bureau de l'éloignement de la préfecture, délégation à l'effet de signer, en particulier, les décisions contenues dans cet arrêté. Ainsi, le signataire de l'arrêté contesté était compétent à cet effet.

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

6. L'arrêté contesté précise les conditions de l'entrée en France de M.D..., ainsi que les raisons pour lesquelles le préfet du Pas-de-Calais a estimé que celles-ci étaient irrégulières et indique que l'intéressé, entrant dans le cas prévu par le 1° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pouvait faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français. L'obligation de quitter le territoire français est ainsi suffisamment motivée.

7. Lors de son audition par les services de police, M. D... a déclaré qu'il envisageait de déposer une demande d'asile en Grande-Bretagne, croyant qu'une telle démarche n'était pas possible en France. Dans ces conditions, il ne ressort ni de la fiche le désignant comme demandeur d'asile, dépourvue de toute indication permettant d'identifier son auteur et la date de son émission, ni du courriel dans lequel un membre d'une association d'aide aux étrangers retenus confirme avoir déposé la demande d'asile de l'intéressé au greffe du centre de rétention de Coquelles, le 22 janvier 2018, que M. D... aurait tenté de demander l'asile en France ou manifesté cette intention avant l'intervention de l'arrêté du 17 janvier 2018. Le moyen tiré de la méconnaissance par l'obligation de quitter le territoire français du droit constitutionnel de l'asile doit donc être écarté.

8. Le moyen tiré de la méconnaissance du principe de non-refoulement énoncé à l'article 33 de la Convention de Genève est inopérant à l'encontre de cette obligation, qui n'a ni pour objet, ni pour effet de contraindre M. D...à retourner dan son pays d'origine.

9. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que, dans les circonstances de l'espèce, l'obligation de quitter le territoire français serait entachée d'une erreur manifeste commise par le préfet du Pas-de-Calais dans l'appréciation des conséquences de cette mesure sur la situation personnelle de M. D....

Sur la décision de ne pas accorder de délai de départ volontaire :

10. Il résulte de ce qui a été dit aux points précédents, que les moyens tirés, par voie d'exception, de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français doivent être écartés.

11. Il est constant que M. D...ne justifiait pas d'une entrée régulière en France, et n'y a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour. Il ressort, en outre, des pièces du dossier qu'en possession d'un document d'identité d'emprunt, il était dépourvu de titre de voyage en cours de validité et n'avait pas déclaré le lieu de sa résidence effective en France, de sorte qu'il ne présentait pas de garanties de représentation suffisantes. Il se trouvait, ainsi, dans les cas prévus par les dispositions du a) et du f) du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, où le préfet peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire à l'étranger qu'il oblige à quitter le territoire français. La circonstance que M. D... n'a pas tenté de se soustraire à une précédente mesure d'éloignement, puisque c'est la première fois qu'il fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, ne permet pas d'estimer qu'il n'existe pas de risque qu'il se soustraie à l'exécution de la mesure d'éloignement prise à son encontre. Le requérant n'est, dans ces conditions, pas fondé à soutenir qu'en refusant de lui accorder un délai de départ volontaire, le préfet du Pas-de-Calais aurait fait une inexacte application des dispositions du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Sur la décision fixant le pays de renvoi :

12. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 9, que les moyens tirés, par voie d'exception, de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français doivent être écartés.

13. M. D... n'assortit d'aucun élément probant ses allégations selon lesquelles, appartenant à la communauté francophone du Bamenda, il s'y trouverait exposé à des risques personnels et actuels de violence de la part des membres de la communauté anglophone. Dans ces conditions, la décision fixant le pays de renvoi n'a méconnu ni les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Sur l'interdiction de retour :

14. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) III. - L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger (...). / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. / (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée au premier alinéa du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".

15. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au préfet, lorsqu'il fait obligation à un étranger de quitter sans délai le territoire français, de prendre à l'encontre de l'intéressé une interdiction de retour, sauf dans le cas où des circonstances humanitaires justifient qu'une telle mesure ne soit pas prononcée. Pour déterminer la durée de cette interdiction, dans la limite de la durée de trois ans, il lui incombe de tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux.

16. L'arrêté du 17 janvier 2018 se réfère au III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et précise que M. D...ne bénéficie pas d'un délai de départ volontaire, indiquant ainsi dans quel cas d'édiction d'une interdiction de retour sur le territoire français se trouve l'intéressé. Tout en relevant que la présence de M. D... en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public et qu'il n'a pas fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement, l'arrêté renvoie aux conditions de son entrée en sur le territoire français, mentionne qu'il n'y est présent que depuis septembre 2017 et relève qu'il n'a pas en France de liens privés ou familiaux, attestant de la prise en compte de l'ensemble des critères de détermination de la durée de l'interdiction de retour prévus par la loi. Enfin, la seule circonstance que M. D... a fait état lors de son audition des risques auxquels il se dit exposé au Cameroun ne permet pas de le regarder comme s'étant prévalu de circonstances humanitaires au sens des dispositions du III de l'article L. 511-1, de sorte que le préfet du Pas-de-Calais n'était pas tenu de se prononcer expressément sur ce point. Le préfet du Pas-de-Calais n'avait pas davantage à mentionner dans son arrêté les effets emportés par le signalement de l'intéressé aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen sur les possibilités d'accès ultérieures de l'intéressé au territoire des Etats de l'Union européenne. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de l'interdiction de retour manque en fait.

17. Il résulte de ce qui a été dit aux points précédents, que les moyens tirés, par voie d'exception, de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français et de la décision de ne pas l'assortir d'un délai de départ volontaire doivent être écartés.

18. Si M. D...soutient qu'il n'a pas été destinataire de l'information prévue par l'article 42 du règlement du 20 décembre 2006 sur l'établissement, le fonctionnement et l'utilisation du système d'information Schengen de deuxième génération, conformément aux exigences de la directive du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, cette circonstance est sans incidence sur la légalité de la décision de retour sur le territoire français.

19. Les affirmations non étayées de M. D..., sur les risques auxquels il affirme être exposé dans son pays, ne sont pas de nature à établir que le préfet du Pas-de-Calais aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant, au regard des dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qu'aucune circonstance humanitaire ne justifiait qu'il ne fasse pas l'objet d'une interdiction de retour.

20. Il résulte de tout ce qui précède que préfet du Pas-de-Calais est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté du 17 janvier 2018 et lui a enjoint de délivrer à M. D... une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1800513 du 24 janvier 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille est annulé en tant qu'il prononce l'annulation de l'arrêté pris à l'encontre de M. D...le 17 janvier 2018 par le préfet du Pas-de-Calais et enjoint à ce préfet de délivrer à M. D... une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement.

Article 2 : La demande présentée par M. D...devant le tribunal administratif de Lille est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. C...D....

Copie en sera adressée au préfet du Pas-de-Calais.

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N°18DA00565


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18DA00565
Date de la décision : 18/09/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. Sorin
Rapporteur ?: Mme Dominique Bureau
Rapporteur public ?: Mme Leguin

Origine de la décision
Date de l'import : 25/09/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2018-09-18;18da00565 ?
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