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03/07/2018 | FRANCE | N°16DA02192

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre - formation à 3, 03 juillet 2018, 16DA02192


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... C...épouse A...a demandé au tribunal administratif d'Amiens de mettre à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) l'indemnisation des préjudices qu'elle a subis du fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C.

Par un jugement n° 1200645 du 27 mars 2014, le tribunal administratif d'Amiens a partiellement fait droit à sa demande.

Par un arrêt n° 14DA00917 du 22 septembre 2015, la co

ur administrative d'appel de Douai a annulé ce jugement et rejeté la demande de premi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... C...épouse A...a demandé au tribunal administratif d'Amiens de mettre à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) l'indemnisation des préjudices qu'elle a subis du fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C.

Par un jugement n° 1200645 du 27 mars 2014, le tribunal administratif d'Amiens a partiellement fait droit à sa demande.

Par un arrêt n° 14DA00917 du 22 septembre 2015, la cour administrative d'appel de Douai a annulé ce jugement et rejeté la demande de première instance de Mme A....

Par une décision n° 394736 du 16 novembre 2016, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai et renvoyé l'affaire à la cour.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 30 mai et 12 septembre 2014 et le 2 septembre 2015, et un mémoire, enregistré après renvoi, le 28 février 2017, l'ONIAM, représenté par Me D...B..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de réformer le jugement du 27 mars 2014 du tribunal administratif d'Amiens ;

2°) de réduire à de plus justes proportions et, en toute hypothèse, à une somme ne pouvant excéder 4 426 euros le montant de l'indemnité accordée à Mme A... ;

3°) de rejeter totalement ou, à défaut, partiellement, les conclusions présentées par Mme A... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de la mutualité ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Dominique Bureau, première conseillère,

- et les conclusions de M. Jean-Michel Riou, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. MmeA..., née le 4 décembre 1970, a été diagnostiquée porteuse du virus de l'hépatite C le 5 mars 1992. Le 10 juin 2011, elle a saisi l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) d'une demande d'indemnisation des préjudices résultant de sa contamination par ce virus, qu'elle impute à des transfusions de produits sanguins réalisées en 1979, lors d'hospitalisations au centre hospitalier de Compiègne et à l'hôpital Saint-Louis de Paris. L'ONIAM, qui ne conteste pas plus en appel qu'en première instance que les préjudices résultant de cette contamination entrent dans le champ du dispositif d'indemnisation au titre de la solidarité nationale prévu par les dispositions de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique, relève appel du jugement du 27 mars 2014 par lequel le tribunal administratif d'Amiens l'a condamné à verser à Mme A... la somme de 20 000 euros. Il demande, dans le dernier état de ses écritures, que cette indemnité soit réduite à de plus justes proportions et, en toute hypothèse, à une somme n'excédant pas 4 426 euros. Mme A... demande à la cour, par la voie de l'appel incident, de porter à 207 210,75 euros le montant de cette indemnité ou, à défaut, de prescrire une expertise sur les préjudices subis.

Sur les conclusions tendant à ce que l'arrêt soit déclaré commun à la CPAM de l'Aisne et à la MNH :

2. Il résulte des dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale que les recours des caisses d'assurance maladie, subrogées en vertu de cet article dans les droits d'une victime d'un dommage, s'exercent à l'encontre des auteurs responsables de l'accident survenu à la victime. La demande de Mme A..., présentée sur le fondement des dispositions de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique tend, quant à elle, à obtenir de l'ONIAM la réparation qui lui incombe au titre de la solidarité nationale des préjudices résultant de sa contamination par le virus de l'hépatite C. Par suite, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de Mme A... tendant, en application du huitième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, à ce que le présent arrêt soit déclaré commun à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Aisne.

3. Il n'y a pas davantage lieu de déclarer cet arrêt commun à la Mutuelle nationale des hospitaliers, aux droits de laquelle le présent arrêt n'est pas susceptible de préjudicier dès lors que la subrogation d'une mutuelle dans les droits de la victime s'exerce, en vertu des dispositions de l'article L. 224-9 du code de la mutualité, à l'encontre des tiers responsables.

Sur l'exception de prescription :

4. L'ONIAM opposait initialement à Mme A..., tant en appel qu'en première instance, la prescription quadriennale prévue par la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'État, les départements, les communes et les établissements publics. Par sa décision du 16 novembre 2016, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt de cette cour admettant l'exception de prescription, au motif que les dispositions de l'article L. 1142-28 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant du I de l'article 188 de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, étendent l'application de la prescription décennale aux demandes présentées devant l'ONIAM en vertu de l'article L. 1221-14 du même code. Dans son mémoire enregistré au greffe de la cour le 28 février 2017, après le renvoi de l'affaire, l'ONIAM, qui ne conclut plus qu'à la réformation du jugement et à la réduction à de plus justes proportions de l'indemnité accordée à Mme A... en première instance, cite comme applicable au litige, sans s'en prévaloir pour opposer la prescription décennale, les dispositions de l'article L. 1142-28 modifié. Dans ces conditions, l'ONIAM doit être regardé comme ayant expressément renoncé à opposer à la demande de Mme A..., dans le dernier état de ses écritures, toute exception de prescription.

Sur l'évaluation des préjudices de Mme A... :

En ce qui concerne les préjudices à caractère patrimonial :

5. Il résulte de l'instruction que, du fait de sa contamination, Mme A... a souffert d'asthénie, rapportée le 27 juillet 1993 par un médecin du service d'hépatologie de l'hôpital Beaujon à Clichy, alors même que l'activité virale modérée n'avait pas entraîné de modification de l'architecture hépatique, ainsi que dans le compte-rendu d'hospitalisation rédigé à l'occasion de la ponction lombaire du 3 juillet 1995. Par ailleurs, un certificat médical établi le 21 mars 2000, lors du second traitement reçu par Mme A..., indique que ce traitement était bien supporté, malgré une légère fatigue de la patiente. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que cette asthénie et cette fatigue auraient, par leur intensité, imposé le recours à une aide humaine pour les activités domestiques quotidiennes. En revanche, si l'hépatologue qui a assuré le suivi de Mme A... a relevé, le 12 avril 1994, une " tolérance correcte " au premier traitement, administré dans le cadre d'une étude de février à juillet 2014, il ressort du courrier rédigé le 3 mars 1994 par le médecin du travail que ce premier traitement s'est révélé " très éprouvant ", conduisant à envisager une demande de congé de longue maladie. Dans ces conditions, le besoin d'assistance par une tierce personne à raison d'une heure quotidienne dont elle fait état, et que ses proches attestent lui avoir apportée, peut être regardé comme établi durant la période de trois mois d'arrêt de travail dont Mme A... a bénéficié durant ce traitement. Il y a lieu de lui accorder à ce titre une indemnisation sur la base d'un taux horaire de 10 euros déterminé en tenant compte du salaire minimum alors en vigueur, augmenté des charges sociales, soit la somme de 900 euros.

En ce qui concerne les préjudices à caractère extrapatrimonial :

6. Il résulte du dossier médical de Mme A...que le virus de l'hépatite C est devenu indétectable dans son organisme à l'issue du second traitement, administré alors qu'elle avait atteint le stade de fibrose F1. L'éradication du virus a été confirmée, pour la première fois au-delà d'une période de six mois, le 28 août 2001. Il y a lieu de fixer à cette date la consolidation de l'état de santé de l'intéressée, alors même que sa guérison a été confirmée par un hépatologue, à l'issue d'examens ultérieurs, le 28 novembre 2002.

7. En premier lieu, il résulte de l'instruction que, pour la prise en charge de sa pathologie diagnostiquée le 5 mars 1992, Mme A... a dû se plier à un suivi médical régulier, incluant quatre biopsies hépatiques, et que l'une d'entre elles, à l'origine d'un malaise, a nécessité une journée supplémentaire d'hospitalisation. Elle a subi durant près de six mois, de février à juillet 1994, un premier traitement, par monothérapie, qui s'est soldé par une absence de réponse virale et à l'issue duquel elle est demeurée atteinte d'une fibrose modérée. A la suite d'une augmentation de l'activité du virus, se traduisant par un passage du score Métavir A1F1 au score Métavir A2F1, elle a reçu durant onze mois, de septembre 1999 à août 2000, un second traitement, par bithérapie, qui a permis sa guérison. Chacun de ces traitements comprenait trois injections hebdomadaires d'antiviral. Comme il a été dit au point 5, le premier d'entre eux a été rapporté par le médecin du travail comme particulièrement éprouvant et a nécessité un arrêt de travail de trois mois. En outre, du fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C, Mme A... a souffert d'asthénie, médicalement attestée en 1993 et en 1995. En revanche, l'efficacité du second traitement, lui-même à l'origine de fatigue, s'est manifestée par un retour à un niveau normal des transaminases dès le mois de décembre 1999 et une réaction en chaîne de la polymérase (PCR) négative à l'arrêt du traitement. Ni le préjudice d'agrément, ni le préjudice sexuel évoqués par Mme A..., ne sont par ailleurs établis. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation des troubles de toute nature subis par Mme A... dans ses conditions d'existence jusqu'à la consolidation de son état, incluant le déficit fonctionnel imputable à la contamination et, en outre, les répercussions de la maladie sur sa vie sociale et familiale, en les évaluant à la somme de 4 000 euros.

8. En second lieu, Mme A... peut être regardée comme ayant éprouvé des souffrances physiologiques de faibles à modérées, d'ailleurs admises par l'ONIAM, du fait de la prise en charge de sa pathologie et en particulier des biopsies et des injections d'antiviraux. Doivent également être prises en compte les souffrances morales qu'elle a éprouvées du fait de sa contamination, en raison de la crainte légitime d'une évolution défavorable de sa maladie et d'exposition de son enfant au virus de l'hépatite C lors de la réalisation de son projet de grossesse. Il sera fait une juste appréciation de ces préjudices en allouant à Mme A... la somme globale de 16 000 euros.

9. En revanche, Mme A... ne fait état d'aucun élément circonstancié pour justifier du préjudice moral qu'elle affirme continuer à éprouver après la consolidation de son état de santé, résultant selon elle du risque accru auquel elle serait soumise de contracter ultérieurement une pathologie hépatique grave. Un tel préjudice, dépourvu de caractère certain, ne saurait lui ouvrir droit à indemnisation.

10. Il résulte de ce qui a été dit aux trois points précédents, que le tribunal a procédé à une indemnisation adéquate des préjudices à caractère extrapatrimonial de Mme A... par l'octroi d'une somme de 20 000 euros.

11. Il résulte de tout ce qui précède que l'ONIAM n'est pas fondé à demander la réduction de l'indemnité accordée à Mme A... en première instance. Celle-ci est seulement fondée, sans qu'il soit besoin de recourir à une mesure d'expertise, ni d'examiner la recevabilité de ses conclusions indemnitaires en appel en tant qu'elles excèdent le montant de sa demande de première instance, à demander que la somme de 20 000 euros que l'ONIAM a été condamné à lui verser par le tribunal administratif d'Amiens soit portée à 20 900 euros. Elle a, en outre, droit aux intérêts au taux légal sur cette somme à compter du 1er mars 2012, date de réception de sa requête par le tribunal administratif.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Il y a lieu de mettre à la charge de l'ONIAM, partie perdante dans la présente instance, une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme A... et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : L'indemnité de 20 000 euros que l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales a été condamné par le tribunal administratif d'Amiens à verser à Mme A... sur le fondement des dispositions de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique est portée à 20 900 euros. Cette somme est assortie des intérêts au taux légal à compter de 1er mars 2012.

Article 2 : Le jugement n° 1200645 du 27 mars 2014 du tribunal administratif d'Amiens est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales versera à Mme A... une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à Mme E... C...épouseA....

Copie sera adressée à la mutuelle nationale des hospitaliers (MNH) et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aisne.

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N°16DA02192


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16DA02192
Date de la décision : 03/07/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-04-03 Responsabilité de la puissance publique. Réparation. Évaluation du préjudice.


Composition du Tribunal
Président : Mme Desticourt
Rapporteur ?: Mme Dominique Bureau
Rapporteur public ?: M. Riou
Avocat(s) : CABINET BJMR

Origine de la décision
Date de l'import : 31/07/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2018-07-03;16da02192 ?
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