Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B...A...a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner le centre hospitalier de Doullens à lui verser une somme de 10 161,21 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subi à l'occasion de sa prise en charge et de mettre à la charge du centre hospitalier de Doullens une somme de 2 450 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La caisse primaire d'assurance maladie de la Somme a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner le centre hospitalier de Doullens à lui verser la somme de 7 545,70 euros au titre de ses débours et la somme de 1 015 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Par un jugement n° 1301772 du 13 mai 2015, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté les demandes de M. A...et de la caisse primaire d'assurance maladie de la Somme.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 16 juillet 2015, M.A..., représenté par la SCP Crepin-Fontaine, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 13 mai 2015 du tribunal administratif d'Amiens ;
2°) de condamner le centre hospitalier de Doullens à lui verser une somme de 17 705,91 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis à l'occasion de sa prise en charge ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Doullens une somme de 3 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rodolphe Féral, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Jean-Marc Guyau, rapporteur public.
1. Considérant que le 19 février 2011, M. B...A...a été pris en charge au service des urgences du centre hospitalier de Doullens en raison d'une blessure de l'avant bras droit causée par des bris de verre ; que les plaies ont été suturées et l'ablation des fils programmée sept jours plus tard ; que devant la persistance de douleurs, une échographie réalisée le 7 mars 2011 au centre hospitalier de Doullens a mis en évidence la présence d'un morceau de verre à la face antérieure du poignet ; que l'exérèse de ce morceau de verre a été réalisée le 8 mars 2011 à la polyclinique de Picardie à Amiens ; qu'une nouvelle opération a été réalisée le 16 mai 2011 dans le service de chirurgie de la main et du pied de la clinique Lille-Sud de Lesquin à l'effet de retirer d'autres fragments de verre ; qu'estimant que le centre hospitalier de Doullens avait commis des fautes médicales à l'occasion de sa prise en charge, M. A...a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner le centre hospitalier de Doullens à lui verser une somme de 10 160,21 euros en réparation des préjudices subis ; que M. A...relève appel du jugement du 13 mai 2015 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande ;
Sur la responsabilité du centre hospitalier de Doullens :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) " ;
3. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert désigné par le tribunal administratif d'Amiens que la réalisation d'un bilan radiographique lors de la prise en charge de M. A...au service des urgences le 19 février 2011 n'était pas indispensable ; que l'expert indique en outre que rien ne permet d'affirmer que la réalisation d'un tel bilan aurait conduit le praticien à effectuer une reprise chirurgicale dans un contexte inflammatoire post-traumatique et que l'ablation des corps étrangers dans leur totalité n'est pas systématique ; que, dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont pu estimer qu'aucune faute ne pouvait être reprochée au centre hospitalier de Doullens pour ne pas avoir pratiqué un bilan radiographique le 19 février 2011 ;
4. Considérant que l'expert désigné par le tribunal administratif d'Amiens indique que les recommandations en usage dans la profession prévoient qu'en présence d'une plaie par bris de verre, une exploration sous hématose préventive par garrot per-opératoire doit être réalisée en vue de rechercher des éventuels fragments de verre ; que les premiers juges, pour considérer qu'un garrot per-opératoire avait été réalisé lors de la prise en charge de M. A...le 19 février 2011, ont relevé que ce dernier avait déclaré, lors des opérations d'expertise, se souvenir de la pose d'un tel garrot ; que, toutefois, l'expert indique seulement dans son rapport que M. A..." semble se souvenir " et " semble laisser entendre " qu'un garrot per-opératoire aurait été réalisé ; que M.A..., qui n'est pas un professionnel de la santé, contestait d'ailleurs dans ses écritures de première instance la réalisation de ce garrot et indiquait qu'il avait seulement fait référence, lors des opérations d'expertise, à un geste destiné à bloquer l'hémorragie ; que la fiche d'intervention du service des urgences, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, ne porte aucune mention de la réalisation d'une hémostase préventive par garrot per-opératoire ; qu'ainsi, en l'absence de mention de la réalisation de cet acte dans la fiche d'intervention et alors qu'aucun autre élément au dossier ne permet de l'établir, M.A..., contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, doit être regardé comme apportant la preuve de ce que les soins qui lui ont été prodigués le 19 février 2011 n'étaient pas conformes aux recommandations en usage dans la profession ; que, dans ces conditions, le centre hospitalier de Doullens a commis une faute médicale en ne procédant pas à une exploration sous hématose préventive par garrot per-opératoire en vue de rechercher des éventuels fragments de verre ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté sa demande ; qu'il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. A...et la caisse primaire d'assurance maladie de la Somme devant le tribunal administratif d'Amiens et devant la cour ;
6. Considérant que dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ;
7. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expert désigné par le tribunal qu'en l'absence de réalisation d'un garrot per-opératoire, le risque " de passer à côté des corps étrangers était plus important " ; que, toutefois, l'expert indique également que même avec une exploration soigneuse et l'ablation de certains corps étrangers dès le 19 février 2011, rien ne permet d'affirmer qu'une seconde intervention n'aurait pas été nécessaire dès lors que l'opération du 16 mai 2011 a permis l'exérèse " de tissus cicatriciels autour des tendons et de quelques petits fragments durs, sans plus de précisions " ; qu'en outre, l'échographie réalisée le 1er mars 2011 n'a pas mis en évidence la présence de corps étrangers qui n'apparaîtront que sur l'échographie du 7 mars suivant ; qu'ainsi, l'absence de réalisation d'un garrot per-opératoire est à l'origine directe et certaine d'une perte de chance d'éviter une reprise chirurgicale de 80 % représentant la part du dommage devant être mise à la charge du centre hospitalier de Doullens ; qu'en conséquence, le centre hospitalier de Doullens doit indemniser M. A...et la caisse primaire d'assurance maladie de la somme à hauteur de 80 % de leurs préjudices découlant de la faute médicale retenue ;
Sur l'évaluation des préjudices :
8. Considérant qu'en application des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi du 21 décembre 2006 relative au financement de la sécurité sociale, le juge saisi d'un recours de la victime d'un dommage corporel et du recours subrogatoire d'un organisme de sécurité sociale doit, pour chacun des postes de préjudice, déterminer le montant du préjudice en précisant la part qui a été réparée par des prestations de sécurité sociale et celle qui est demeurée à la charge de la victime ; qu'il lui appartient ensuite de fixer l'indemnité mise à la charge de l'auteur du dommage au titre du poste de préjudice en tenant compte, s'il a été décidé, du partage de responsabilité avec la victime ou du fait que celle-ci n'a subi que la perte d'une chance d'éviter le dommage corporel ; que le juge doit allouer cette indemnité à la victime dans la limite de la part du poste de préjudice qui n'a pas été réparée par des prestations, le solde, s'il existe, étant alloué à l'organisme de sécurité sociale ;
Sur les dépenses de santé actuelles :
9. Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie de la Somme justifie avoir exposé des frais de santé du 21 février 2011 au 31 mai 2011, en lien avec la faute retenue, pour un montant total de 2 963,75 euros ; que, M.A..., pour le compte de qui la caisse primaire d'assurance maladie a exposé ces frais et qu'il n'a donc pas lui-même supportés, ne peut demander que ce montant lui soit versé ; que, compte tenu de la part de responsabilité du centre hospitalier de Doullens retenue, et aucune dépense de santé n'étant restée à la charge de M. A..., la caisse primaire d'assurance maladie de la Somme a droit à un montant de 2 371 euros au titre des dépenses de santé actuelles ;
Sur la perte de gains professionnels :
10. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. A...qui exerce la profession de journaliste a bénéficié d'arrêts de travail entre le 21 février et le 12 juin 2011 ; que si le centre hospitalier de Doullens fait valoir que l'expert désigné par le tribunal mentionne dans son rapport que, même en l'absence de faute, le type de lésion que présentait M. A...cicatrise en un mois environ, il ressort cependant du rapport de l'expert que la période d'arrêt de travail entre le 21 février et le 12 juin 2011 est en lien direct avec la faute qui a été commise par le centre hospitalier de Doullens ; qu'en outre, aucune pièce du dossier n'établit qu'en l'absence de faute du centre hospitalier, M. A...aurait été dans l'impossibilité de reprendre immédiatement son emploi ; que, dans ces conditions, il n'y a pas lieu de limiter la période d'indemnisation de la perte de gains professionnels qui s'étend donc entre le 21 février et le 12 juin 2011 ;
11. Considérant qu'il résulte de l'instruction que pour la période du 21 février au 12 juin 2011, M. A...produit une attestation de son employeur indiquant qu'il a subi, sur la période du 21 février au 12 juin 2011, une perte de salaire de 2 460,21 euros ; qu'en conséquence, le montant du préjudice sur la période considérée doit être fixé, compte tenu de la fraction du dommage dont le centre hospitalier de Doullens doit assurer la réparation, à la somme de 1 968,17 euros ; qu'il résulte de l'instruction qu'au cours de la période du 21 février au 12 juin 2011, M. A...a perçu de la caisse primaire d'assurance maladie des indemnités journalières pour un montant de 4 581,95 euros qui excède donc le montant de sa perte de revenus ; qu'ainsi, aucune perte de revenus n'étant restée à la charge de M.A..., l'indemnité due par le centre hospitalier de Doullens au titre de ce poste de préjudice, pour un montant de 1 968,17 euros, doit être allouée à la caisse primaire d'assurance maladie de la Somme ; que la caisse primaire d'assurance maladie n'est pas fondée à demander le remboursement des indemnités journalières qu'elle a versées au-delà de cette somme, dès lors que celles-ci ne peuvent s'imputer sur le montant de la perte de revenus qu'elles excèdent ;
Sur les frais de transport :
12. Considérant que si M. A...fait valoir qu'il a dû être transporté par son épouse dès lors qu'il était dans l'impossibilité de conduire et demande à ce titre une indemnité de 1 000 euros, il ne produit aucune pièce justificative à l'appui de ses allégations permettant d'établir la réalité et la nature des trajets qu'il aurait dû effectuer, leur nombre, la distance parcourue ou encore la méthode d'évaluation retenue pour déterminer le montant demandé ; que, dans ces conditions, la demande présentée au titre de ce chef de préjudice doit être rejetée ;
Sur la souffrance endurée :
13. Considérant que l'expert désigné par le tribunal a chiffré la souffrance endurée par M. A...à 2,5/7 en raison de la présence de morceaux de verre restés dans la plaie ; qu'il résulte de l'instruction que les derniers corps étrangers présents dans la plaie ont été retirés lors de l'opération du 16 mai 2011 ; qu'il y a ainsi lieu de limiter la période d'indemnisation de ce chef de préjudice à la période allant du 19 février 2011 au 16 mai 2011, soit une période de trois mois ; qu'il sera fait une juste appréciation de ces souffrances en les indemnisant à hauteur de 600 euros, compte tenu du taux de perte de chance et de la part du centre hospitalier de Doullens retenus ;
Sur le préjudice esthétique temporaire :
14. Considérant que l'expert désigné par le tribunal a estimé que M. A...n'avait souffert d'aucun préjudice esthétique temporaire ; que si M. A...demande au titre de ce chef de préjudice une somme de 1 000 euros en raison d'un pansement inesthétique et volumineux qu'il a dû porter, il n'établit pas la réalité de ce chef de préjudice ;
Sur le préjudice d'agrément :
15. Considérant que M. A...fait valoir qu'il est un motard assidu et qu'il n'a pu exercer cette activité pendant plusieurs mois et qu'il a également été dans l'impossibilité de jardiner, activité qui n'est pas seulement un loisir mais constituait un complément de revenus familiaux dès lors que cette activité permettait à sa famille de s'approvisionner en primeurs ; qu'il sera fait une juste appréciation de ce préjudice d'agrément en l'indemnisant à hauteur de 600 euros compte tenu du taux de perte de chance et de la part du centre hospitalier de Doullens retenus ;
Sur l'indemnité forfaitaire de gestion :
16. Considérant qu'aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " (...) En contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement mentionné au troisième alinéa ci-dessus, la caisse d'assurance maladie à laquelle est affilié l'assuré social victime de l'accident recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l'organisme national d'assurance maladie. Le montant de cette indemnité est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un montant maximum de 910 euros et d'un montant minimum de 91 euros. A compter du 1er janvier 2007, les montants mentionnés au présent alinéa sont révisés chaque année, par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget (...) " ; que la caisse primaire d'assurance maladie de la Somme a droit à l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par lesdites dispositions ; que le centre hospitalier de Doullens lui versera à ce titre la somme de 1 055 euros telle que prévue par les dispositions de l'arrêté susvisé du 26 décembre 2016 ;
Sur les frais d'expertise :
17. Considérant que les frais et honoraires d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 1 223,84 euros par ordonnance du vice-président du tribunal administratif d'Amiens du 20 août 2012, sont mis à la charge du centre hospitalier de Doullens ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
18. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Doullens le versement à M. A...de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1301772 du tribunal administratif d'Amiens du 13 mai 2015 est annulé.
Article 2 : Le centre hospitalier de Doullens versera à M. A...une somme de 1 200 euros.
Article 3 : Le centre hospitalier de Doullens versera à la caisse primaire d'assurance maladie de la Somme une somme de 5 394,17 euros.
Article 4 : Les frais et honoraires d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 1 223,84 euros par ordonnance du vice-président du tribunal administratif d'Amiens du 20 août 2012 sont mis à la charge du centre hospitalier de Doullens.
Article 5 : Le centre hospitalier de Doullens versera à M. A...la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...A..., au centre hospitalier de Doullens et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Somme.
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N°15DA01185