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23/02/2017 | FRANCE | N°15DA01117

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre - formation à 3, 23 février 2017, 15DA01117


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Vitse a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler le marché conclu entre la commune de Ronchin et la SAS Renard pour la réalisation d'une butte paysagère et, d'autre part, de condamner la commune de Ronchin à lui verser la somme de 131 000 euros HT, soit 156 676 euros TTC.

Par un jugement n° 1104889 du 12 mai 2015, le tribunal administratif de Lille a annulé ce marché mais a rejeté les conclusions indemnitaires présentées par la société Vitse.

Procéd

ure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 10 juillet 2015 et 3...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Vitse a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler le marché conclu entre la commune de Ronchin et la SAS Renard pour la réalisation d'une butte paysagère et, d'autre part, de condamner la commune de Ronchin à lui verser la somme de 131 000 euros HT, soit 156 676 euros TTC.

Par un jugement n° 1104889 du 12 mai 2015, le tribunal administratif de Lille a annulé ce marché mais a rejeté les conclusions indemnitaires présentées par la société Vitse.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 10 juillet 2015 et 30 mars 2016, la société Vitse, représentée par Me D...A..., demande à la cour :

1°) de condamner la commune de Ronchin à lui verser la somme de 98 211,80 euros hors taxe au titre du préjudice subi du fait de son éviction irrégulière ;

2°) d'annuler l'article 3 du jugement du tribunal administratif de Lille ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Ronchin la somme de 3 000 euros au titre de L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la preuve de la compétence du signataire du marché n'est pas apportée tant au titre des dispositions de l'article L. 2122-17 du code général des collectivités territoriales que de celles de l'article L. 2122-18 du même code ;

- la commune n'a pas respecté le règlement de la consultation qu'elle avait elle-même défini et a écarté son offre en se fondant sur un critère non annoncé et imprévisible, qui ne figurait dans le dossier de consultation des entreprises ;

- la procédure de passation a porté atteinte au principe d'égalité des candidats dès lors, d'une part, qu'elle laissait les candidats négocier l'accès à la butte avec les propriétaires privés et, d'autre part, que seule la société réalisant la butte sur les parcelles voisines, qui a d'ailleurs été attributaire, avait la possibilité de justifier de cet accès ;

- le critère, non initialement prévu, mais finalement retenu par la commune, a empêché toute concurrence puisque seule une entreprise pouvait, en réalité, accéder à la butte ;

- le délai de remise des offres était trop court pour permettre de négocier, en période estivale de surcroît, avec les riverains l'octroi d'un accès, alors même que ces derniers n'étaient pas identifiés ;

- elle était en tout état de cause incapable de réunir les autorisations d'accès nécessaires dans le délai de cinq jours que lui avait fixé la commune ;

- si la commune de Ronchin n'avait pas commis ces différentes irrégularités, elle aurait eu une chance sérieuse d'emporter le marché dès lors que seules deux sociétés avaient répondu à la procédure et elle doit, dès lors, être indemnisée du préjudice qu'elle a subi du fait de son éviction irrégulière ;

- elle justifie que son préjudice total en raison de son éviction infondée s'élève à 98 211,80 euros hors taxe.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 janvier 2016, la commune de Ronchin, représentée par la SCP Toulet, Delbar, Bondue, Juvené et Fischer, demande à la cour :

1°) à titre principal, de rejeter la requête ;

2°) à titre subsidiaire, de limiter l'indemnisation en ne retenant que des sommes hors taxe et en retenant uniquement une perte de chance ;

3°) de mettre à la charge de la société Vitse la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- à titre principal, la société appelante produit différentes factures mais ne justifie d'aucun élément comptable ni d'aucun lien de causalité entre le préjudice qu'elle invoque et la perte éventuelle du marché ;

- à titre subsidiaire, l'indemnisation sollicitée ne peut être réalisée que par rapport à une perte hors taxe sur la valeur ajoutée ;

- la société, en tout état de cause, n'a subi qu'une perte de chance d'emporter le marché.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Xavier Fabre, premier conseiller,

- les conclusions de M. Jean-Michel Riou, rapporteur public,

- et les observations de Me C...B...représentant la société Vitse.

1. Considérant que la commune de Ronchin a lancé une procédure adaptée portant sur la réalisation d'une butte paysagère ; que les sociétés Renard et Vitse ont déposé leur candidature ; que le 9 août 2011, la commune a adressé notification de l'attribution de ce marché à la société Renard, qui l'a reçu et signé le 11 août 2011 ; que par une requête, enregistrée le 25 août 2011, la société Vitse a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler ce marché et, d'autre part, de condamner la commune de Ronchin à lui verser la somme de 131 000 euros hors taxe, soit 156 676 euros TTC ; que par un jugement du 12 mai 2015, le tribunal administratif de Lille a annulé ce marché mais a rejeté les conclusions indemnitaires présentées par la société Vitse ; que cette société relève appel de ce jugement en tant qu'il rejette, par l'article 3 de son dispositif, sa demande indemnitaire et demande la condamnation de la commune de Ronchin à lui verser la somme de 98 211,80 euros hors taxe au titre des préjudices subis du fait de son éviction irrégulière ;

2. Considérant que la commune de Ronchin ne présentant pas d'appel incident à fin de contestation de l'annulation de ce marché, l'article 1er du jugement du 12 mai 2015, prononçant cette annulation, faute d'avoir été contesté dans les délais de recours, est devenu définitif et l'autorité de chose jugée s'attache non seulement à cet article du dispositif du jugement mais également à ceux de ses motifs qui en constituent le support nécessaire ;

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne la chance sérieuse de remporter le marché :

3. Considérant que lorsqu'une entreprise candidate à l'attribution d'un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce marché, il appartient au juge de vérifier d'abord si l'entreprise était dépourvue de toute chance de remporter le marché ; que, dans l'affirmative, l'entreprise n'a droit à aucune indemnité ; que, dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre ; que, dans le cas où l'entreprise avait des chances sérieuses d'emporter le marché, elle a droit à l'indemnisation de l'intégralité du manque à gagner qu'elle a subi ;

4. Considérant que seules deux entreprises, les sociétés Vitse et Renard, ont candidaté à l'attribution du marché litigieux ; que, par courrier recommandé en date du 8 juillet 2011, la commune de Ronchin a sollicité de la société Vitse, sous cinq jours, la justification des autorisations nécessaires permettant à cette société d'accéder au terrain concerné ; que par lettre du 26 juillet 2011, la commune de Ronchin a informé la société Vitse que son offre n'avait pas été retenue ; que par courrier du 12 août 2011, la commune de Ronchin, en réponse à la demande d'éclaircissement qui lui avait été adressée, a répondu à la société Vitse que sa candidature n'avait pu être retenue du fait de l'absence de réponse à son courrier du 8 juillet 2011 ;

5. Considérant que la commune de Ronchin a fixé, dans son règlement de consultation les critères de sélection des offres à savoir, d'une part, qualité 70 %, se décomposant en qualité technique de l'offre 35 % et note méthodologique de déroulement des travaux 35 % et, d'autre part, délai de réalisation 30 % ; qu'il ressort du tableau d'analyse des offres produit par la commune en première instance que, d'une part, la société Vitse a obtenu, concernant le critère des délais de réalisation et de réactivité la note maximale de 3 points alors que l'attributaire n'a obtenu que 1, 5 points, l'offre de la société appelante étant nettement meilleure pour chacun de ces deux délais ; que, d'autre part, concernant le critère qualité, il ressort de l'analyse de ce critère que les deux sociétés ont obtenu les mêmes appréciations (proposition conforme au descriptif, prestation de qualité, nombreuses références) et que la minoration de la note de la société Vitse a pour seule origine l'absence d'autorisation d'accès aux terrains privés, qui ne figurait pas au règlement de consultation ; que, par suite, la société appelante avait une chance sérieuse de remporter le marché définitivement annulé par jugement du tribunal administratif de Lille ;

En ce qui concerne le manque à gagner :

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société a droit à l'indemnisation de l'intégralité du manque à gagner en résultant pour elle, incluant nécessairement, en l'absence de stipulation contraire du contrat, les frais de présentation de l'offre intégrés dans ses charges, mais excluant le remboursement des frais généraux de l'entreprise qui seraient affectés à ce marché ; que ce manque à gagner doit être déterminé non en fonction du taux de marge brute constaté dans son activité mais en fonction du bénéfice net que lui aurait procuré le marché si elle l'avait obtenu ;

7. Considérant que le marché en cause ne prévoyait pas de rémunération de la société attributaire par la commune, la société se rémunérant par les économies qu'elle réalisait par ailleurs du fait de la réalisation de cette butte ; qu'il résulte de l'instruction que les économies escomptées par la société du fait de ce marché étaient de deux ordres : les économies sur les frais de mise en décharge des déblais d'une part, les économies sur les déplacements de semi-remorques pour le transport des déblais d'autre part ;

8. Considérant que la société Vitse justifie suffisamment, par ses écritures et les documents qu'elle produit, de ce que, par l'obtention de ce marché, elle aurait pu déverser gratuitement sur site 20 000 tonnes de déblais, représentant une économie de 3,40 euros hors taxe par tonne de déblais et qu'elle aurait donc économisé une somme de 68 000 euros hors taxe au titre des frais de mise en décharge de ces déblais ; que, par ailleurs, si la société soutient qu'elle aurait pu également économiser une somme de 63 800 euros hors taxe en réalisant, avec ses semi-remorques, des trajets de moindre longueur, en vue des déchargements de remblais, elle n'apporte pas, par les documents produits, d'éléments probants de nature à en justifier ;

9. Considérant par ailleurs que par les documents produits, en particulier son mémoire technique et des factures produites à hauteur d'appel, la société Vitse justifie suffisamment des coûts de matériel et de main d'oeuvre qu'elle aurait supportés en cas d'obtention du marché pour un montant total de 42 588,20 euros hors taxe ; que, toutefois, un tel calcul n'inclut aucun montant au titre des frais généraux de l'entreprise et ne permet donc pas, par lui-même, de déterminer la marge nette ;

10. Considérant qu'au vu des éléments rappelés aux points 8 et 9, il sera fait une juste appréciation du manque à gagner subi par la société Vitse en l'évaluant à la somme de 20 000 euros, incluant les frais de présentation de l'offre ;

En ce qui concerne les autres chefs de préjudice :

11. Considérant que si la société appelante demande la prise en compte des frais de suivi des procédures par le dirigeant de l'entreprise ainsi que des frais d'avocat engagés, ces demandes ne sont pas justifiées et doivent donc, en tout état de cause, être écartées ;

12. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la société appelante est fondée à demander l'annulation de l'article 3 du jugement du 12 mai 2015 du tribunal administratif de Lille et la condamnation de la commune de Ronchin à lui verser la somme de 20 000 euros au titre du manque à gagner résultant de son éviction irrégulière du marché de réalisation d'une butte paysagère ;

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Considérant que si la commune de Ronchin demande à la cour de mettre à la charge de la société Vitse la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, cette demande doit être rejetée dès lors que cette société n'est pas partie perdante dans la présente instance ;

14. Considérant par ailleurs qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Ronchin la somme de 2 000 euros à verser à la société Vitse au titre des frais exposés par cette dernière et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : L'article 3 du jugement n° 1104889 du 12 mai 2015 du tribunal administratif de Lille est annulé.

Article 2 : La commune de Ronchin versera à la société Vitse la somme de 20 000 euros.

Article 3 : La commune de Ronchin versera à la société Vitse la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté .

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Vitse et à la commune de Ronchin.

Délibéré après l'audience publique du 31 janvier 2017 à laquelle siégeaient :

- M. Etienne Quencez, président de la cour,

- M. Christian Bernier, président-assesseur,

- M. Xavier Fabre, premier conseiller.

Lu en audience publique le 23 février 2017.

Le rapporteur

Signé : X. FABRELe président de la cour,

Signé : E. QUENCEZ

Le greffier,

Signé : C. SIRE

La République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Le greffier en chef,

Par délégation,

Le greffier,

Christine Sire

2

N° 15DA01117


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15DA01117
Date de la décision : 23/02/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-05 Marchés et contrats administratifs. Exécution financière du contrat.


Composition du Tribunal
Président : M. Quencez
Rapporteur ?: M. Xavier Fabre
Rapporteur public ?: M. Riou
Avocat(s) : SOCIETE D'AVOCATS FIDAL

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2017-02-23;15da01117 ?
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