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20/09/2016 | FRANCE | N°16DA00319

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre - formation à 3 (quater), 20 septembre 2016, 16DA00319


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...E...a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 26 novembre 2015 par lequel la préfète du Pas-de-Calais l'a obligé à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et a prononcé son placement en rétention administrative.

Par un jugement n° 1503861 du 28 janvier 2016, le tribunal administratif de Rouen a annulé, par son article 1er, la décision fixant le pays de destination ainsi que celle prononçant la rétention

administrative de l'intéressé et a rejeté, par son article 2, le surplus de sa demande...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...E...a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 26 novembre 2015 par lequel la préfète du Pas-de-Calais l'a obligé à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et a prononcé son placement en rétention administrative.

Par un jugement n° 1503861 du 28 janvier 2016, le tribunal administratif de Rouen a annulé, par son article 1er, la décision fixant le pays de destination ainsi que celle prononçant la rétention administrative de l'intéressé et a rejeté, par son article 2, le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 15 février 2016, la préfète du Pas-de-Calais demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant que, par son article 1er, il a annulé la décision fixant le pays de destination et celle prononçant le placement en rétention administrative de l'étranger ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. E...devant le tribunal administratif de Rouen dans cette mesure.

Elle soutient que :

- c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen a estimé que M. E...était exposé à des mauvais traitements ou persécutions prohibés par les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'intéressé, qui n'établit pas être de nationalité afghane, ni être originaire de la province de Nangarhâr et n'a au demeurant pas déposé de demande d'asile, ne démontre pas qu'il encourrait des menaces réelles et personnelles en cas de retour en Afghanistan ;

- la décision de placement en rétention était légalement justifiée.

La requête a été communiquée à M. E...qui n'a pas présenté de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Muriel Milard, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

1. Considérant qu'à la suite de son interpellation le 26 novembre 2015 par les services de la police nationale dans la zone d'accès restreint du site d'Eurotunnel à Calais, M.E..., qui se déclare ressortissant afghan, né le 1er janvier 1997 à Jalalabad, a fait l'objet d'un arrêté de la préfète du Pas-de-Calais pris le même jour lui faisant obligation de quitter sans délai le territoire français, fixant le pays de destination et ordonnant son placement en rétention administrative ; que la préfète du Pas-de-Calais relève appel du jugement du 28 janvier 2016 par lequel le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté en tant, d'une part, qu'il fixe l'Afghanistan comme pays de destination et, d'autre part, qu'il prononce la rétention administrative de l'intéressé ;

Sur les deux motifs d'annulation retenus par le tribunal :

2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 " ; que selon les termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et de sauvegarde des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " ; que la Cour européenne des droits de l'Homme a rappelé qu'il appartenait en principe au ressortissant étranger de produire les éléments susceptibles de démontrer qu'il serait exposé à un risque de traitement contraire aux stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, à charge ensuite pour les autorités administratives " de dissiper les doutes éventuels " au sujet de ces éléments (28 février 2008, Saadi c. Italie, n° 37201/06, paragraphes 129-131 et 15 janvier 2015, AA. C. France, n° 18039/11) ;

3. Considérant que, si M. E...fait valoir qu'il a fait l'objet de menaces de la part de talibans du fait des activités de chauffeur de camion qu'il aurait exercées dans le courant de l'année 2012 au profit des troupes américaines, il ressort toutefois des pièces du dossier notamment des déclarations spontanées faites par l'intéressé lors de son audition par les services de police, d'une part, qu'il n'a exercé aucune profession, n'étant au demeurant âgé que de quinze ans à l'époque des événements dont il se prévaut, d'autre part qu'il n'a fait état d'aucune crainte en cas de retour dans son pays d'origine alors qu'il lui en avait été laissé la faculté ; qu'en outre, si l'intéressé fait valoir qu'il était originaire du district d'Hiserak, qui constitue effectivement une des vingt-deux subdivisions de la province de Nangarhâr dont la situation sécuritaire est fortement dégradée, il avait toutefois indiqué lors de ses premières déclarations et dans ses premières écritures devant les premiers juges qu'il était né à Jalalabad, capitale de cette province ; que contrairement à ce que prétend l'intéressé, le district dont il se dit originaire, qui est limitrophe de la province de Kaboul, ne se situe pas à proximité de Jalalabad dont il est séparé par les districts de Sherzad et Surkhrod ; qu'enfin, l'intéressé a été entendu en langue farsi qui n'est pas la langue habituellement pratiquée dans le district en cause voire même la province de Nangarhâr dans laquelle résident presque exclusivement des habitants d'origine pashtoune ; que dans ces conditions, M.E..., dont les déclarations sont approximatives, peu crédibles et divergentes, n'établit pas qu'il serait effectivement originaire de zones dans lesquelles le degré de violence généralisée serait tel qu'un civil renvoyé dans la région concernée encourrait un risque réel de subir une menace grave du seul fait de sa présence sur ce territoire ; que, par suite, la préfète du Pas-de-Calais est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen a retenu, pour annuler la décision fixant le pays de destination, le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

4. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article L. 554-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L'administration doit exercer toute diligence à cet effet " ;

5. Considérant qu'il ressort des pièces versées en cause d'appel par la préfète du Pas-de-Calais que l'autorité administrative a accompli le 26 novembre 2015 des diligences auprès des autorités consulaires afghanes afin de procéder à l'éloignement de l'intéressé ; que, par suite, c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen a retenu le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 554-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pour annuler la mesure de rétention administrative dont l'étranger faisait l'objet ;

6. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. E...devant le tribunal administratif de Rouen à l'encontre des décisions en litige ;

En ce qui concerne les moyens communs aux décisions en litige :

7. Considérant que, par un arrêté n° 2015-10-54 du 16 février 2015, publié le même jour au recueil spécial n° 16 des actes administratifs de la préfecture, la préfète du Pas-de-Calais a donné délégation à M. D...C..., chef de la section éloignement, à l'effet de signer, notamment les décisions fixant le pays de destination et de placement en rétention dans les locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire pour une durée de cinq jours ; que, dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur des décisions attaquées manque en fait et doit être écarté ;

8. Considérant que l'arrêté du 26 novembre 2015 énonce les considérations de droit et de fait qui constituent le fondement des décisions d'éloignement sans délai, fixant le pays de destination de cette mesure et de placement en rétention administrative prises par l'autorité administrative ; que, par suite, le moyen tiré du défaut de motivation des décisions attaquées doit être écarté ;

Sur la décision fixant le pays de destination :

9. Considérant que, si M. E...se prévaut de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français dont il a fait l'objet à l'encontre de la décision fixant le pays à destination duquel il sera éloigné, ce moyen ne peut qu'être écarté dès lors que le tribunal administratif de Rouen a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de cette mesure d'éloignement ;

10. Considérant que pour les mêmes motifs que ceux retenus au point 3, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés ;

Sur la décision de placement en rétention administrative :

11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. E...n'est pas fondé à exciper, à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision de placement en rétention administrative, de l'illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai et de celle fixant le pays de destination ;

12. Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article L. 551-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A moins qu'il ne soit assigné à résidence en application de l'article L. 561-2, l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français peut être placé en rétention par l'autorité administrative dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire, pour une durée de cinq jours, lorsque cet étranger : / (...) / 6°) Fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français prise moins d'un an auparavant et pour laquelle le délai pour quitter le territoire est expiré ou n'a pas été accordé ; / (...) " ; qu'aux termes de l'article L.561-2 du même code : " Dans les cas prévus à l'article L. 551-1, l'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger pour lequel l'exécution de l'obligation de quitter le territoire demeure une perspective raisonnable et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque, mentionné au II de l'article L. 511-1, qu'il se soustraie à cette obligation. (...) " ; qu'aux termes des paragraphes 16 et 17 du préambule de la directive 2008/115/CE : " Le recours à la rétention aux fins d'éloignement devrait être limité et subordonné au respect du principe de proportionnalité en ce qui concerne les moyens utilisés et les objectifs poursuivis. La rétention n'est justifiée que pour préparer le retour ou procéder à l'éloignement et si l'application de mesures moins coercitives ne suffirait pas. Les ressortissants de pays tiers placés en rétention devraient être traités humainement et dignement dans le respect de leurs droits fondamentaux et conformément aux dispositions du droit national et du droit international. Sans préjudice de l'arrestation initiale opérée par les autorités chargées de l'application de la loi, régie par la législation nationale, la rétention devrait s'effectuer en règle générale dans des centres de rétention spécialisés. " ;

13. Considérant qu'en vertu des dispositions précitées de l'article 15 de la directive du 16 décembre 2008, le placement en rétention d'un étranger qui fait l'objet d'une procédure de retour ne paraît justifié, en l'absence de départ volontaire, que si son assignation à résidence n'est pas suffisante pour éviter le risque qu'il se soustraie à l'exécution de la décision de retour dont il fait l'objet ; qu'en vertu de l'article L. 551-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la rétention administrative de l'étranger ayant fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français prise moins d'un an auparavant n'est possible que lorsque le délai pour quitter le territoire français qui lui avait été accordé est expiré ou, si ce délai n'a pas été accordé, à la condition qu'il ne puisse quitter immédiatement le territoire français, à moins qu'il ne fasse l'objet d'une décision d'assignation à résidence en application de l'article L. 561-2 de ce code ; qu'une telle décision d'assignation est prise lorsque l'étranger pour lequel l'exécution de l'obligation de quitter le territoire demeure une perspective raisonnable présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque qu'il se soustraie à l'obligation de quitter le territoire français ; que l'autorité administrative est tenue d'effectuer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, un examen de la situation de chaque étranger afin de vérifier notamment si les conditions légales permettant son placement en rétention sont réunies et si l'étranger bénéficie de garanties de représentation effectives ; que, dans ces conditions, les dispositions précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne sont pas exagérément restrictives au regard de l'objectif de proportionnalité reconnu par la directive du 16 décembre 2008 et ne méconnaissent pas les objectifs de cette directive ;

14. Considérant que M. E...ne peut utilement invoquer directement devant le juge national les stipulations des articles 8 et 15 de la directive 2008/115/CE dès lors qu'elles ont été transposées en droit français par la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité ;

15. Considérant que pour les mêmes motifs que ceux retenus au point 5, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 554-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté ;

16. Considérant qu'aux termes de l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales (...) / " ; que les dispositions des articles L. 551-1, L. 561-1 et L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile définissent de façon suffisamment précise les cas dans lesquels un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement et qui ne peut quitter immédiatement le territoire français peut être soit placé en rétention, soit assigné à résidence par l'autorité administrative ; que M. E...n'ayant pas été placé en rétention dans un but autre que celui destiné à permettre son éloignement, le moyen tiré de ce que la décision en litige aurait méconnu les stipulations précitées du paragraphe 1 de l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté ;

17. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la préfète du Pas-de-Calais est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé sa décision fixant le pays de destination et celle prononçant le placement de M. E...en rétention administrative ;

DÉCIDE :

Article 1er : L'article 1er du jugement n° 1503861 du tribunal administratif de Rouen du 28 janvier 2016 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. E...devant le tribunal administratif de Rouen et tendant à l'annulation des décisions fixant le pays de destination et prononçant son placement en rétention administrative est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A...E....

Copie sera adressée à la préfète du Pas-de-Calais.

Délibéré après l'audience publique du 6 septembre 2016 à laquelle siégeaient :

- Mme Odile Desticourt, présidente de chambre,

- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,

- Mme Muriel Milard, premier conseiller.

Lu en audience publique le 20 septembre 2016.

Le rapporteur,

Signé : M. B...La présidente de chambre,

Signé : O. DESTICOURT

Le greffier,

Signé : M.T. LEVEQUE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

Le greffier,

Marie-Thérèse Lévèque

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre - formation à 3 (quater)
Numéro d'arrêt : 16DA00319
Date de la décision : 20/09/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme Desticourt
Rapporteur ?: Mme Muriel Milard
Rapporteur public ?: M. Guyau

Origine de la décision
Date de l'import : 28/09/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2016-09-20;16da00319 ?
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