Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société de distribution de Menneval a demandé au tribunal administratif de Rouen la décharge de la contribution pour une pêche durable à laquelle elle avait été assujettie pour la période du 1er janvier 2008 au 30 septembre 2009.
Par un jugement nos 1201952-1300623 du 19 février 2015, le tribunal administratif de Rouen a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 24 avril 2015, la société de distribution de Menneval, représentée par Me B...A..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rouen du 19 février 2015 ;
2°) de prononcer la décharge de la contribution contestée ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la proposition de rectification est insuffisamment motivée en ce qu'elle se borne à faire référence aux éléments contenus dans un CD-Rom joint à celle-ci ;
- les annexes de la proposition de rectification ne mentionnent pas si les produits alimentaires concernés comportent plus de 30 % de produits de la mer ;
- les dispositions de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales ont été ainsi méconnues ;
- la taxe n'est due en tout état de cause que pour la période postérieure à la publication au Journal officiel de l'arrêté du 16 janvier 2008 ;
- les dispositions de l'article 302 bis KF du code général des impôts, instituées par l'article 60 de la loi de finances rectificative pour 2007 du 25 décembre 2007, instaurant la contribution pour une pêche durable, ont été édictées en méconnaissance de l'obligation prévue par l'article 88 paragraphe 3 du traité instituant la Communauté européenne (CE) ;
- ce régime aurait dû être préalablement notifié à la Commission européenne ; le recours à cet artifice budgétaire contrevient directement au principe de coopération loyale prévu à l'article 10 du traité CE ;
- la contribution pour une pêche durable est incompatible avec l'article 110 du traité CE, constituant une imposition intérieure discriminatoire dès lors qu'elle est majoritairement assise sur des produits provenant d'autres Etats membres ou d'Etats tiers, alors que ses recettes bénéficient exclusivement aux producteurs nationaux ;
- les dispositions de l'article 302 bis KF du code général des impôts qui n'assujettissent à la contribution qu'un seul secteur d'activité peuvent relever d'une question prioritaire de constitutionnalité.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 août 2015, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le traité instituant la Communauté européenne ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- l'ordonnance portant loi organique du 7 novembre 1958 ;
- la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 modifiée ;
- la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Michel Hoffmann, président de chambre,
- et les conclusions de M. Jean-Marc Guyau, rapporteur public.
Sur la procédure d'imposition :
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales : " Lorsque la comptabilité est tenue au moyen de systèmes informatisés, les agents de l'administration fiscale peuvent effectuer la vérification sur le matériel utilisé par le contribuable. Celui-ci peut demander à effectuer lui-même tout ou partie des traitements informatiques nécessaires à la vérification. Dans ce cas, l'administration précise par écrit au contribuable, ou à un mandataire désigné à cet effet, les travaux à réaliser ainsi que le délai accordé pour les effectuer. Le contribuable peut également demander que le contrôle ne soit pas effectué sur le matériel de l'entreprise. Il met alors à la disposition de l'administration les copies des documents, données et traitements soumis à contrôle. Ces copies seront produites sur un support informatique fourni par l'entreprise, répondant à des normes fixées par arrêté. Le contribuable est informé des noms et adresses administratives des agents par qui ou sous le contrôle desquels les opérations sont réalisées. Les copies des documents transmis à l'administration ne doivent pas être reproduites par cette dernière et doivent être restituées au contribuable avant la mise en recouvrement " ; qu'aux termes de l'article L. 57 du même livre : " L'administration adresse au contribuable une notification de redressement qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. En cas d'application des dispositions de l'article L. 47 A, l'administration précise au contribuable la nature des traitements effectués " ;
2. Considérant, d'une part, qu'il résulte des termes mêmes de la proposition de rectification qui a été adressée à la société requérante le 29 mars 2010, que cette société avait opté pour la réalisation par ses propres moyens des traitements informatiques sollicités par l'administration et qui avait été remis le 10 février 2010 au vérificateur ; que celui-ci a ensuite mentionné dans la proposition de rectification qu'était joint à ce document un CD-Rom dont le type et le numéro de série étaient spécifiés ; que le vérificateur précisait à la société de distribution de Menneval que ce support comportait trois fichiers mentionnant la sélection par famille des produits éligibles à la contribution pour une pêche durable et qui avaient été utilisés pour la détermination du chiffre d'affaires éligible à cette contribution dont le détail figurait en outre par période concernée sur les tableaux numérotés de 1 à 3 établis sur support papier et annexés à la proposition de rectification ; que dans ces conditions, et dès lors que le service se référait expressément à des documents et support informatique dont une copie était jointe à la proposition de rectification du 29 mars 2010, la société requérante, qui n'établit ni même n'allègue qu'elle était dépourvue des moyens techniques lui permettant de prendre connaissance des éléments chiffrés synthétisés par le service sur le support CD-Rom et qui ne peut utilement se prévaloir d'une doctrine relative à la procédure d'imposition, n'est pas fondée à soutenir que cette dernière aurait été irrégulière au motif que les rectifications proposées n'avaient pas été notifiées " sous forme écrite " ;
3. Considérant, d'autre part, que la circonstance que l'administration n'a pas précisé, s'agissant des produits composés, si ces derniers comportaient plus ou moins 30 % de produits de la mer, n'a pas été de nature à priver l'intéressée de faire valoir utilement ses observations sur la base d'imposition retenue par l'administration pour l'assujettissement à la contribution contestée ; que les dispositions précitées de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales n'ont donc pas été méconnues ;
Sur le bien-fondé de l'imposition :
4. Considérant qu'aux termes du paragraphe 1 de l'article 87 du traité instituant la Communauté européenne, alors applicable, devenu l'article 107 du traité sur le Fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) : " Sauf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions " ; qu'aux termes de l'article 88 du même traité, alors applicable, devenu l'article 108 TFUE : " 1. La Commission procède avec les Etats membres à l'examen permanent des régimes d'aides existant dans ces Etats. (...) / 2. Si (...) la Commission constate qu'une aide accordée par un Etat ou au moyen de ressources d'Etat n'est pas compatible avec le marché commun aux termes de l'article 87 (...) elle décide que l'Etat intéressé doit la supprimer ou la modifier (...) / 3. La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché commun, aux termes de l'article 87, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'Etat membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale. " ; qu'il résulte de ces stipulations que, s'il relève de la compétence exclusive de la Commission de décider, sous le contrôle de la Cour de justice de l'Union européenne, si une aide de la nature de celles visées par l'article 87 du traité est ou non, compte tenu des dérogations prévues par le traité, compatible avec le marché commun, il incombe, en revanche, aux juridictions nationales de sanctionner, le cas échéant, l'invalidité des dispositions de droit national qui auraient institué ou modifié une telle aide en méconnaissance de l'obligation d'en notifier à la Commission, préalablement à toute mise à exécution, le projet ;
5. Considérant qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, d'une part, que les taxes n'entrent pas dans le champ d'application des stipulations précitées du traité concernant les aides d'Etat, à moins qu'elles ne constituent le mode de financement d'une mesure d'aide, de sorte qu'elles font partie intégrante de cette mesure, d'autre part, que, pour que l'on puisse juger qu'une taxe, ou une partie d'une taxe, fait partie intégrante d'une mesure d'aide, il doit exister un lien d'affectation contraignant entre la taxe et l'aide en vertu de la réglementation nationale pertinente, en ce sens que le produit de la taxe est nécessairement affecté au financement de l'aide ;
6. Considérant qu'aux termes de l'article 302 bis KF du code général des impôts, applicable du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2011, instituant une contribution pour une pêche durable : " Les ventes en France métropolitaine à des personnes autres que des personnes assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée agissant en tant que telles, de poissons, crustacés, mollusques et autres invertébrés marins, ainsi que de produits alimentaires dont le poids comporte pour plus de 30 % de tels produits de la mer sont soumises à une taxe. / La taxe ne s'applique pas aux huîtres et aux moules. / La liste des poissons, crustacés, mollusques ou invertébrés marins visés au premier alinéa est fixée par arrêté. / La taxe est calculée au taux de 2 % sur le montant hors taxe des ventes des produits visés au premier alinéa. / La taxe est due par les personnes dont le chiffre d'affaires de l'année précédente a excédé le premier des seuils mentionnés au I de l'article 302 septies A. / Le fait générateur et l'exigibilité de la taxe interviennent dans les mêmes conditions que celles applicables en matière de taxe sur la valeur ajoutée. La taxe est constatée, liquidée, recouvrée et contrôlée selon les mêmes procédures et sous les mêmes sanctions, garanties, sûretés et privilèges. Les réclamations sont présentées, instruites et jugées selon les règles applicables à cette même taxe. " / II. - Le I entre en vigueur le 1er janvier 2008 " ;
7. Considérant qu'en vertu du principe à valeur constitutionnelle d'universalité budgétaire résultant des dispositions de l'article 2 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, les recettes et les dépenses doivent figurer au budget de l'Etat pour leur montant brut, sans être contractées, et l'affectation d'une recette déterminée à la couverture d'une dépense déterminée est interdite, sous réserve des exceptions prévues par le deuxième alinéa de l'article 2 et le quatrième alinéa de l'article 6 ;
8. Considérant qu'eu égard à ce principe et aux dispositions précitées de l'article 302 bis KF du code général des impôts, il n'existait aucun lien d'affectation contraignant entre cette contribution et le plan d'action en quinze mesures pour une pêche durable et responsable ou une mesure de ce plan ; que cette contribution constituait une recette du budget général dépourvue de tout lien avec le budget du ministère en charge de la pêche et la dotation inscrite à son budget servant à financer le plan d'action pour une pêche durable ; qu'il résulte de l'instruction qu'il n'existait aucun rapport entre le produit de la contribution et le montant des financements publics consacrés à ce plan ; qu'ainsi, la contribution pour une pêche durable n'entrait pas dans le champ d'application des stipulations précitées du paragraphe 1 de l'article 87 du traité instituant la Communauté européenne concernant les aides d'Etat ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance, par les autorités françaises, des obligations prévues par la première et la dernière phrases précitées du paragraphe 3 de l'article 88 du traité instituant la Communauté européenne doit être écarté ;
9. Considérant qu'aux termes de l'article 90 du traité instituant la Communauté européenne, devenu l'article 110 du TFUE : " Aucun État membre ne frappe directement ou indirectement les produits des autres États membres d'impositions intérieures, de quelque nature qu'elles soient, supérieures à celles qui frappent directement ou indirectement les produits nationaux similaires. En outre, aucun État membre ne frappe les produits des autres États membres d'impositions intérieures de nature à protéger indirectement d'autres productions " ; que, pour qu'une taxe puisse être qualifiée d'imposition intérieure discriminatoire interdite par ces dispositions, les recettes procurées par cette taxe doivent être affectées au profit de produits nationaux similaires ou d'autres productions nationales ; que la contribution pour une pêche durable ayant été, ainsi qu'il a été exposé précédemment, affectée au budget général de l'Etat, compte tenu du principe d'universalité budgétaire, le moyen tiré de ce qu'elle constituerait une imposition intérieure discriminatoire au motif qu'elle aurait eu pour objet de favoriser un secteur d'activité spécifique ne peut qu'être écarté ;
10. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat (...), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 771-13 du code de justice administrative : " L'irrecevabilité tirée du défaut de présentation, dans un mémoire distinct et motivé, du moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être opposée sans qu'il soit fait application des articles R. 611-7 et R. 612-1 " ; que la société requérante n'a pas présenté dans un mémoire distinct le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article 302 Bis KF du code général des impôts porteraient atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution ; que ce moyen n'est, par suite, pas recevable et ne peut qu'être écarté ;
11. Considérant que la société requérante reprend en appel le moyen qu'elle avait invoqué en première instance tiré de ce que la contribution en litige ne serait due en tout état de cause qu'à compter du 19 janvier 2008, soit le jour suivant la date de publication au Journal officiel de l'arrêté du 16 janvier 2008 fixant la liste des produits de la mer concernés ; qu'il y a lieu de rejeter ce moyen par adoption des motifs retenus à bon droit par le tribunal administratif de Rouen ;
12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, que la société de distribution de Menneval n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande ; que les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par voie de conséquence, qu'être rejetées ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société de distribution de Menneval est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société de distribution de Menneval et au ministre des finances et des comptes publics.
Copie en sera adressée à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.
Délibéré après l'audience publique du 21 juin 2016 à laquelle siégeaient :
- M. Michel Hoffmann, président de chambre,
- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,
- M. Laurent Domingo, premier conseiller.
Lu en audience publique le 5 juillet 2016.
L'assesseur le plus ancien,
Signé : M. D...Le président de chambre,
Signé : M. C...
Le greffier,
Signé : M.T. LEVEQUE
La République mande et ordonne au ministre des finances et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Le greffier,
Marie-Thérèse Lévèque
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N°15DA00682