Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SARL Canyther a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner l'Etat à lui payer une somme de 284 610 euros en réparation du préjudice résultant du refus illégal du préfet de l'Oise d'autoriser le travail dominical de ses salariés dans le magasin Point Dog à Beauvais durant 84 dimanches entre le 8 janvier 2003 et le 23 septembre 2004.
Par un arrêt n° 09DA00323 du 8 juillet 2010 la cour administrative d'appel de Douai a rejeté la requête de la SARL Canyther tendant à l'annulation du jugement n° 0601826 du 22 décembre 2008 du tribunal administratif d'Amiens en tant qu'il a limité à 10 000 euros le montant de l'indemnisation réclamée.
Par une décision n° 343263 du 13 février 2012, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai et lui a renvoyé l'affaire.
Procédure devant la cour :
Par deux arrêts avant dire-droit des 21 février 2013 et 31 décembre 2014, la cour avant de statuer sur la requête de la SARL Canyther, tendant à l'annulation du jugement n° 0601826 du 22 décembre 2008 du tribunal administratif d'Amiens, en tant qu'il a limité à 10 000 euros le montant de l'indemnisation réclamée, a ordonné une expertise afin d'apprécier la réalité et le montant du préjudice invoqué par la société requérante.
Par des mémoires, enregistrés après expertise les 1er août 2014, 29 août 2014 et 23 juin 2015, la SARL Canyther demande à la cour :
1°) de condamner l'Etat à lui verser, en dernier lieu, la somme de 120 000 euros, assortie des intérêts au taux légal et leur capitalisation à compter du 29 mars 2006 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme, en dernier lieu, de 9 372 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le rapport d'expertise permet d'établir la réalité de son préjudice et d'en déterminer le montant ;
- les frais d'expertise ne doivent pas rester à sa charge.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 août 2014, le ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social, conclut aux mêmes fins que ses précédentes écritures.
Il soutient que :
- l'expert n'a pas été en mesure d'évaluer de façon certaine et précise le préjudice de la société requérante dans la mesure où cette dernière a refusé de lui transmettre certains documents ;
- compte tenu des évaluations successives et erronées de son préjudice par la société requérante qui ont conduit la cour à ordonner une expertise, les frais et honoraires de l'expert, doivent être mis à la charge de celle-ci.
Par ordonnance du 6 août 2015, la clôture d'instruction a été fixée au 1er octobre 2015.
Vu :
- le rapport d'expertise enregistré le 2 juin 2014 et complété le 21 mai 2015,
- les ordonnances de taxation des 12 juin 2014 et 15 décembre 2015,
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Olivier Nizet, président-assesseur,
- les conclusions de Mme Maryse Pestka, rapporteur public,
- et les observations de Me D...C..., représentant la SARL Canyther.
1. Considérant que, par un jugement du 19 février 2004, devenu définitif, le tribunal administratif d'Amiens a annulé l'arrêté du 8 janvier 2003 du préfet de l'Oise refusant à la SARL Canyther l'autorisation de travail dominical de ses salariés pour son magasin " Point Dog " exploité à Beauvais ; que la société requérante a demandé l'indemnisation du préjudice qu'elle a subi en raison de ce refus illégal d'autorisation du travail dominical durant 84 dimanches entre le 8 janvier 2003 et le 24 septembre 2004 ; que, par un jugement du 22 décembre 2008 du tribunal administratif d'Amiens, confirmé par un arrêt du 8 juillet 2010 de la cour administrative d'appel de Douai, une indemnité de 10 000 euros lui a été accordée ; que, par une décision du 13 février 2012, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt au motif que la cour ne l'avait pas suffisamment motivé et lui a renvoyé l'affaire pour y statuer de nouveau ; que, par deux arrêts avant dire-droit des 21 février 2013 et 31 décembre 2014, la cour avant de statuer sur la requête de la SARL Canyther, a ordonné une expertise ;
Sur la responsabilité :
2. Considérant que, par le jugement cité au point précédent, le tribunal administratif d'Amiens s'est fondé sur une inexacte appréciation des circonstances de l'espèce pour prononcer l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du préfet de l'Oise du 8 janvier 2003 qui avait refusé le travail dominical des salariés du magasin " Point Dog " exploité par la SARL Canyther à Beauvais ; que l'illégalité entachant cet arrêté constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
Sur les conclusions indemnitaires :
3. Considérant que la SARL Canyther demande la réparation du préjudice résultant du manque à gagner correspondant, aux termes de ses dernières écritures, aux 84 dimanches pendant lesquels, entre le 8 janvier 2003, date de l'arrêté préfectoral annulé, et le 24 septembre 2004, date à laquelle le préfet de l'Oise a finalement accordé l'autorisation sollicitée, le magasin " Point Dog " n'a pu ouvrir au public ;
4. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise du 2 juin 2014 complété le 21 mai 2015, que l'activité de la SARL Canyther a été nécessairement réduite du fait de l'impossibilité d'ouvrir son magasin au public au cours de la période considérée ; que l'expert, qui a disposé des éléments comptables nécessaires, s'agissant des statistiques mensuelles de ventes par article pour les années 2003 à 2006, ainsi que les statistiques de ventes journalières des dimanches de chaque semaine des années 2004 à 2006, a pu évaluer la perte de marge brute pendant la période en litige à la somme de 176 315 euros hors taxes, en tenant compte du taux de marge moyen de l'établissement fixé à 43,48 % ; qu'en prenant en considération les charges supplémentaires qu'il y a lieu de déduire de cette somme, constituées par une augmentation du coût du personnel en raison des majorations applicables au travail le dimanche, qui auraient nécessairement été exposées si l'ouverture du magasin avait été autorisée pour l'ensemble des dimanches en litige, il sera fait une juste appréciation du préjudice économique subi par la société requérante en condamnant l'Etat à lui verser une indemnité d'un montant de 120 000 euros ;
5. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SARL Canyther est fondée à demander que l'indemnité que le tribunal administratif d'Amiens a condamné l'Etat à lui verser soit portée à la somme de 120 000 euros ;
Sur les intérêts et leur capitalisation :
6. Considérant que la SARL Canyther a droit aux intérêts de la somme de 120 000 euros à compter du 31 mars 2006, date de la réception par le préfet de l'Oise de sa demande indemnitaire préalable ;
7. Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée le 1er août 2014 ; qu'à cette date, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 1er août 2014, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
Sur les dépens :
8. Considérant qu'aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise (...) / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. / L'Etat peut être condamné aux dépens " ;
9. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment de l'arrêt avant dire-droit rendu le 31 décembre 2014 que le complément d'expertise ordonné par cet arrêt a été rendu nécessaire faute pour la société Canyther d'avoir remis à l'expert les documents économiques et comptables qu'il lui avait demandés ; que, dans ces circonstances particulières, il y a lieu de mettre les frais de l'expertise, ordonnée par les arrêts des 21 février 2013 et 31 décembre 2014, pour moitié à la charge de l'Etat et pour moitié à la charge de la SARL Canyther ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par la société Canyther et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 10 000 euros, que l'Etat a été condamné à verser à la SARL Canyther par jugement du 22 décembre 2008, est portée à la somme de 120 000 euros. Cette somme est assortie des intérêts au taux légal à compter du 31 mars 2006. Les intérêts échus à la date du 1er août 2014 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Le jugement du 22 décembre 2008 du tribunal administratif d'Amiens est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Les frais d'expertise d'un montant de 20 066,54 euros sont mis pour moitié à la charge de l'Etat et pour moitié à la charge de la SARL Canyther.
Article 4 : L'Etat versera à la SARL Canyther une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Canyther et au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
Copie sera adressée à Monsieur B...A...'homme, expert.
Délibéré après l'audience publique du 14 janvier 2016 à laquelle siégeaient :
- M. Paul-Louis Albertini, président de chambre,
- M. Olivier Nizet, président-assesseur,
- M. Jean-Jacques Gauthé, premier conseiller.
Lu en audience publique le 28 janvier 2016.
Le rapporteur,
Signé : O. NIZETLe président de chambre,
Signé : P.-L. ALBERTINI
Le greffier,
Signé : B. LEFORT
La République mande et ordonne au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Le greffier
Béatrice Lefort
2
N°12DA00268