Vu la requête, enregistrée le 23 mai 2011, présentée pour le syndicat intercommunal pour les transports urbains de la région de Valenciennes (SITURV), dont le siège est zone industrielle n° 4 BP 12 à Saint-Saulve (59880), par Me Bertrand Meignié ; le SITURV demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0705745 du 22 mars 2011 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la compagnie AXA Corporate Solutions Assurances à lui verser une somme de 1 533 883,80 euros, avec intérêts à compter du règlement des factures, ainsi qu'une somme de 250 000 euros à titre de dommages et intérêts et a laissé à sa charge les frais d'expertise ;
2°) à titre principal, de condamner la compagnie AXA Corporate Solutions Assurances à lui verser la somme de 1 137 830,46 euros (hors taxes), augmentée des intérêts à compter du règlement des factures, ainsi qu'une somme de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
3°) à titre subsidiaire, de condamner la compagnie AXA Corporate Solutions Assurances à lui verser la somme de 845 318 euros, assortie des intérêts légaux ;
4°) de mettre à la charge de la compagnie AXA Corporate Solutions Assurances les dépens ainsi que la somme de 30 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des assurances ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Perrine Hamon, premier conseiller,
- les conclusions de M. Vladan Marjanovic, rapporteur public,
- les observations de Me Bertrand Meignié, avocat du SITURV, de Me Hugo Cadena, avocat des sociétés Bouygues TP régions France, Norpac et Eiffage TP et de Me Anne-Claire Garnier, avocate de la compagnie AXA Corporate Solutions Assurances ;
1. Considérant que le syndicat intercommunal pour les transports urbains de la région de Valenciennes (SITURV), en sa qualité de maître d'ouvrage, a souscrit en 2004, auprès de la compagnie d'assurances AXA Corporate Solutions Assurances, un contrat d'assurances " tous risques chantiers " n° 415 150 756 20 aux fins de garantir les éventuels sinistres affectant le chantier de construction de la première ligne de tramway de l'agglomération valenciennoise ; que, par un courrier du 20 février 2006, la compagnie AXA Corporate Solutions Assurances a refusé l'indemnisation d'un sinistre survenu sur ce chantier à la suite de l'affaissement du sol reconstitué sous le giratoire reliant le boulevard Pompidou à l'ouvrage d'art " Sainte Catherine " ; que le SITURV relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la compagnie AXA Corporate Solutions Assurances à l'indemniser des conséquences de ce sinistre en application du contrat souscrit ;
Sur la recevabilité de la requête :
2. Considérant que, par une délibération du 2 juin 2008, le président du SITURV a été autorisé par son comité syndical à " mener toutes les actions précontentieuses et contentieuses administratives et civiles, en défense et en demande, nécessaires à la sauvegarde des droits et intérêts du SITURV " ; que, dès lors, la fin de non-recevoir opposée par la compagnie AXA Corporate Solutions Assurances et tirée du défaut de qualité à agir du président du SITURV doit être écartée ;
Sur l'intervention des sociétés Bouygues TP régions France, Norpac et Eiffage TP :
3. Considérant que la circonstance que la cession à la société VSL France, devenue la société Bouygues TP régions France, de la branche d'activité " ouvrages d'art " de la société Norpac, intervenue postérieurement à la fin de l'exécution des travaux, n'ait pas donné lieu à un avenant de transfert conclu entre le SITURV et la société Bouygues TP régions France n'a pas pour effet, alors que le SITURV ne s'est jamais opposé à cette cession, de priver la société Bouygues TP régions France de qualité à agir dans le présent litige, mais seulement de priver la société Norpac d'une telle qualité ;
4. Considérant que l'article 1. 2. des conditions générales du contrat en litige mentionne, au nombre des assurés, l'ensemble des entreprises " participant à l'acte de construire sur le site " ; qu'il est constant que les sociétés Bouygues TP régions France et Quillery, aux droits de laquelle vient la société Eiffage TP, ont, en leur qualité de titulaires du lot " ouvrages d'art ", participé à l'acte de construire sur le chantier en cause et sont, par suite, assurées par le contrat en litige ; que, de ce fait, elles justifient d'un intérêt à agir propre et distinct du SITURV et sont, dès lors, recevables à intervenir au soutien des intérêts de ce dernier ;
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
5. Considérant qu'à la date de l'enregistrement au greffe du tribunal administratif de Lille, le 30 août 2007, de la demande présentée pour le SITURV par son président, celui-ci disposait d'une délégation, régulièrement accordée pour la durée de son mandat, par une délibération du comité syndical en date du 29 juin 2001 ; que, dès lors, la fin de non-recevoir opposée par la compagnie AXA Corporate Solutions Assurances et tirée du défaut de qualité à agir du président du SITURV devant le tribunal administratif doit être écartée ;
Sur la validité du contrat d'assurance :
6. Considérant que, lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat ; que, toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel ; qu'ainsi, lorsque le juge est saisi d'un litige relatif à l'exécution d'un contrat, les parties à ce contrat ne peuvent invoquer un manquement aux règles de passation, ni le juge le relever d'office, aux fins d'écarter le contrat pour le règlement du litige ; que, par exception, il en va autrement lorsque, eu égard, d'une part, à la gravité de l'illégalité et, d'autre part, aux circonstances dans lesquelles elle a été commise, le litige ne peut être réglé sur le fondement de ce contrat ;
7. Considérant qu'aux termes de l'article 79 du code des marchés publics, applicable au marché en litige : " Les marchés publics doivent être notifiés avant tout commencement d'exécution. / La notification consiste en un envoi du marché signé au titulaire par tout moyen permettant de donner date certaine. La date de notification est la date de réception du marché par le titulaire. / Le marché prend effet à cette date " ;
8. Considérant qu'il résulte de l'instruction, qu'en méconnaissance des dispositions précitées de l'article 79 du code des marchés publics, le contrat en litige contient, dans ses " conditions particulières ", qui prévalent sur les conditions générales, une date de prise d'effet fixée au 12 mai 2004 et, de ce fait, antérieure tant à la date de signature de ce marché, le 6 juillet 2004, qu'à sa date de notification ; que, toutefois, cette rétroactivité dans la date de prise d'effet du marché, applicable aux seules parties au contrat, n'est pas de nature à entacher le contrat d'illicéité ; qu'en outre, cette irrégularité n'a eu aucune incidence sur les conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement ; qu'enfin, la compagnie AXA Corporate Solutions Assurances ne peut utilement invoquer, au demeurant sans les établir, divers manquements aux règles de passation de ce marché ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le SITURV est fondé, d'une part, à soutenir que c'est à tort que, pour rejeter ses conclusions indemnitaires, les premiers juges ont relevé que le contrat était entaché d'illicéité et, d'autre part, à demander que le litige soit réglé sur le terrain du contrat ;
Sur la prescription biennale :
10. Considérant que le sinistre faisant l'objet du litige est survenu en janvier 2006, a été déclaré par le SITURV auprès de la compagnie AXA Corporate Solutions Assurances le 17 janvier 2006 et a fait l'objet d'un refus de garantie le 20 février 2006 ; qu'il résulte de ce qui a été dit au point 5 que la demande indemnitaire du SITURV, enregistrée le 30 août 2007 au greffe du tribunal administratif de Lille, a valablement interrompu le délai de deux ans à compter de la connaissance du sinistre au terme duquel, en application des dispositions de l'article L. 114-1 du code des assurances, toute action fondée sur un contrat d'assurance est prescrite ;
Sur le droit à indemnité du SITURV :
11. Considérant que l'article 1.5. des conditions générales applicables au contrat prévoit que " pour l'application du présent contrat, il faut entendre par (...) sinistres : toute perte ou dommage matériel survenant de manière fortuite et soudaine, qui résulte d'un même fait générateur et qui atteint simultanément les biens assurés " ;
12. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du constat d'urgence établi le 7 juin 2006 par l'expert désigné en référé par le président du tribunal administratif de Lille à la demande du SITURV, que le tassement excessif du sous-sol du giratoire du boulevard Pompidou a été révélé aux divers constructeurs au cours du mois de novembre 2005, lors de l'intervention de l'entreprise chargée de la pose des rails, qui ont présenté un différentiel d'altimétrie de 14 centimètres ; que, si la compagnie AXA Corporate Solutions Assurances fait valoir que ce phénomène de tassement a été enregistré dès le mois de juillet 2005 lors des mesures régulièrement effectuées sur le chantier, il est constant, ainsi que l'ont relevé l'expert et son sapiteur dans le cadre de l'expertise également ordonnée par le tribunal administratif de Lille, qu'un tassement des remblais de cette nature est, dans une limite d'environ 4 centimètres, normal ; que, dans ces conditions, le sinistre déclaré le 17 janvier 2006 par le SITURV constitue, malgré son caractère évolutif, un dommage matériel survenant de manière soudaine, en ce qu'il a excédé le tassement normal attendu d'un tel ouvrage ;
13. Considérant, en outre, que, pour soutenir que le dommage ne présenterait pas de caractère fortuit, la compagnie AXA Corporate Solutions Assurances ne peut utilement faire valoir que le SITURV aurait commis une faute à l'origine du sinistre en retenant une solution technique économique, le contrat " tous risques chantier " en litige prévoyant, dans ses conditions particulières, l'indemnisation des sinistres quelle que soit leur origine, y compris lorsqu'ils résultent d'un défaut de conception ;
14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le SITURV est fondé à demander que la compagnie AXA Corporate Solutions Assurances soit condamnée à indemniser les conséquences du sinistre déclaré le 17 janvier 2006 en application du contrat d'assurance " tous risques chantier " n° 415 150 756 20 ;
Sur le montant de l'indemnité due par la compagnie AXA Corporate Solutions Assurances :
15. Considérant que l'article 7.1. des conditions générales du contrat prévoit que l'indemnité due par l'assureur en cas de sinistre " s'apprécie au coût réel de la réparation au moment où celle-ci est exécutée " ; que les diverses pièces produites par le SITURV ne permettent pas de tenir pour établi que les dépenses dont il fait état concernent exclusivement la réparation du sinistre en litige ; qu'en outre l'expert désigné par le président du tribunal administratif de Lille aux fins de déterminer, entre autres, les mesures propres à remédier au sinistre a rendu, le 16 août 2007, un rapport sous forme de " constat de carence " et n'a, dès lors, pas procédé à l'évaluation du coût réel de la réparation du sinistre ; qu'enfin, si dans une deuxième expertise, ordonnée à la suite d'un nouveau sinistre survenu en 2009, l'expert a examiné le coût des travaux de réparation du premier sinistre, cette évaluation ne permet pas à la Cour de déterminer le montant de l'indemnité due en application des seules stipulations de l'article 7.1. précité du contrat d'assurance en litige ; que, dans ces conditions, il y a lieu de désigner, avant de statuer sur les conclusions indemnitaires du SITURV, un expert aux fins de déterminer le coût de ces travaux ;
DÉCIDE :
Article 1er : L'intervention des sociétés Bouygues TP régions France et Eiffage TP est admise.
Article 2 : L'intervention de la société Norpac n'est pas admise.
Article 3 : Le jugement n° 0705745 du 22 mars 2011 du tribunal administratif de Lille est annulé.
Article 4 : Il sera, avant de statuer sur la requête du SITURV, procédé par un expert, désigné par le président de la cour administrative d'appel de Douai, à une expertise avec mission :
- de prendre connaissance des pièces du marché d'assurance " tous risques chantier " n° 415 150 756 20, des marchés relatifs à la réalisation du giratoire du boulevard Pompidou ainsi que de tous les éléments des expertises ordonnées par le président du tribunal administratif de Lille ;
- de déterminer la nature et le coût, exprimés en valeur 2006, des travaux propres à remédier au sinistre déclaré le 17 janvier 2006 et à permettre à l'ouvrage de redevenir conforme à sa destination. Cette évaluation sera réalisée indépendamment de la nature et du coût des travaux qui auront pu être effectivement réalisés, avant la présente expertise, à la demande du maître d'ouvrage pour remédier à ce sinistre.
Article 5 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au syndicat intercommunal pour les transports urbains de la région de Valenciennes (SITURV), à la compagnie AXA Corporate Solutions Assurances, à la société Bouygues TP régions France, à la société Norpac et à la société Eiffage TP.
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N°11DA00802