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18/10/2012 | FRANCE | N°11DA01074

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3e chambre - formation à 3, 18 octobre 2012, 11DA01074


Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Douai par télécopie le 7 juillet 2011 et régularisée par la production de l'original le 8 juillet 2011, présentée pour Mme Marie-Christine C veuve A, demeurant ..., M. Stéphane A, demeurant ..., M. Laurent A, demeurant ... et Mme Romy A, demeurant ..., par Me Margulès, avocat ; les consorts A demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0901940 du 5 mai 2011 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté leur demande tendant, d'une part, à la condamnation du centre hospitalier de Saint

-Quentin à leur verser la somme de 150 000 euros en réparation du pr...

Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Douai par télécopie le 7 juillet 2011 et régularisée par la production de l'original le 8 juillet 2011, présentée pour Mme Marie-Christine C veuve A, demeurant ..., M. Stéphane A, demeurant ..., M. Laurent A, demeurant ... et Mme Romy A, demeurant ..., par Me Margulès, avocat ; les consorts A demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0901940 du 5 mai 2011 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté leur demande tendant, d'une part, à la condamnation du centre hospitalier de Saint-Quentin à leur verser la somme de 150 000 euros en réparation du préjudice personnel subi par leur époux et père, M. Daniel A, décédé le 6 août 2007 et, à chacun, Mme Marie-Christine A, M. Stéphane A, M. Laurent A, agissant en son nom propre et en qualité de représentant légal de son fils, Tristan, et Mme Romy A, agissant en son nom propre et en qualité de représentant légal de son fils, Louis, la somme de 100 000 euros en réparation de leur préjudice moral, d'autre part, à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier de Saint-Quentin les entiers dépens de l'instance, dont la somme de 800 euros correspondant aux frais d'expertise, enfin à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier de Saint-Quentin la somme de 4 000 euros, soit 1 000 euros à chacun des requérants, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Saint-Quentin à leur verser en réparation des préjudices subis la somme de 50 000 euros ainsi qu'à chacun des requérants la somme de 30 000 euros ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Saint-Quentin la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens en ceux compris l'ensemble des frais d'expertise ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Muriel Milard, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Corinne Baes Honoré, rapporteur public,

- les observations de Me C. Gravier, avocat, substituant Me Margulès, pour les consorts A, et de Me C. Aubourg, avocat, pour le centre hospitalier de Saint-Quentin ;

Considérant qu'après que fût diagnostiquée au centre hospitalier de Saint-Quentin la présence d'une tumeur cancéreuse dont était atteint M. Daniel D, un protocole thérapeutique de radiothérapie et de chimiothérapie fut mis en place dans cet établissement que M. D décida de poursuivre dans un établissement privé de santé ; que celui-ci est décédé le 6 août 2007 à l'âge de cinquante-huit ans ; que Mme Marie-Christine A, son épouse, et Mme Romy A, MM. Stéphane et Laurent A, ses enfants, relèvent appel du jugement par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté leur demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de Saint-Quentin à réparer leur préjudice moral subi à raison de ce décès ;

Sur la responsabilité du centre hospitalier de Saint-Quentin :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute / (...) " ; que dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ;

Considérant, en premier lieu, qu'il est constant qu'alors que le scanner thoracique pratiqué le 20 juillet 2006 faisait clairement apparaître une lésion oesophagienne médiastinale de 35 mm de grand axe refoulant la trachée, infiltrant l'espace trachéo-oesophagien et rétrécissant la lumière oesophagienne, cette formation tumorale n'a pas été signalée dans le compte-rendu de cet examen rédigé par le radiologue ; que l'existence de cette tumeur n'a été diagnostiquée qu'à la suite du scanner réalisé le 27 septembre 2006, la lésion ayant à cette date progressé et mesurant alors 70 mm dans son plus grand diamètre ; que cette erreur de diagnostic de la tumeur le 20 juillet 2006 a constitué une faute médicale ;

Considérant, toutefois, qu'il résulte de l'instruction que, dès le 20 juillet 2006, la tumeur de l'oesophage dont était affecté M. D était insusceptible d'exérèse chirurgicale ; qu'entre le 20 juillet et le 27 septembre 2006 et malgré l'évolution de la taille de la tumeur, les possibilités thérapeutiques, par radiothérapie et chimiothérapie ainsi que, le cas échéant, l'association de ces deux méthodes de traitement, n'étaient pas modifiées, aucun autre élément clinique ou paraclinique ne démontrant une évolution défavorable de la situation carcinologique de M. D entre juillet et septembre 2006 ; que le pronostic des tumeurs du tiers supérieur de l'oesophage non opérables et non métastatiques avec, comme en l'espèce, envahissement de l'espace trachéo-oesophagien, est généralement très défavorable, les chances de survie du patient étant, dans 90 % des cas, inférieure à 12 mois à compter de la date du diagnostic ; que M. D est décédé près de treize mois après la réalisation du scanner du 20 juillet 2006 et un peu plus de dix mois après celle du scanner du 27 septembre 2006 ; que le cancérologue consulté dans le cadre de l'expertise amiable initialement diligentée a estimé que le délai de deux mois avant la mise en oeuvre du traitement n'a pas eu de répercussion objectivement chiffrable sur la survie de M. D ; que, compte tenu de l'ensemble de ces éléments, la faute commise par le centre hospitalier de Saint-Quentin le 20 juillet 2006, à l'origine d'un retard de deux mois à poser le diagnostic de la tumeur affectant M. D, pour regrettable qu'elle soit, ne lui a pas fait perdre une chance de survie de quelques mois au-delà de la date de son décès ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'instruction que le protocole thérapeutique appliqué à M. D a été celui d'une radiothérapie première à dose faible, à raison de cinq séances par semaine de 1,5 grays jusqu'à une dose totale de 22,5 grays, avant une évaluation de la réponse tumorale pour décider d'une éventuelle poursuite du traitement par association de radiothérapie et de chimiothérapie dans l'hypothèse où l'extension trachéo-bronchique aurait disparu ; que ce choix thérapeutique, fixé à l'issue de la concertation du comité de cancérologie le 10 octobre 2006, correspond au référentiel proposé dans le thésaurus national de cancérologie digestive par, notamment, la fédération française de cancérologie digestive en cas de cancer inopérable de l'oesophage non métastatique avec envahissement trachéo-bronchique sans fistule ; que ce référentiel propose en effet dans un tel cas une " chimiothérapie première ou radiothérapie faible dose première (1,5 gray par fraction pendant 15 fractions), évaluation puis radio-chimiothérapie à discuter en cas de disparition de l'envahissement trachéo-bronchique " ;

Considérant que l'expert désigné par le président du tribunal administratif d'Amiens estime que le traitement ainsi retenu n'était pas approprié à l'état de M. D et qu'aurait dû lui être préféré un protocole de traitement d'une plus grande efficacité antitumorale associant radiothérapie, délivrant 45 grays en 25 fractions et 35 jours, et chimiothérapie ; qu'un protocole de traitement de cette nature avait été envisagé le 5 octobre 2006 par un médecin du service de radiothérapie et d'oncologie du centre hospitalier d'Amiens qui, lors de la concertation du comité de cancérologie du 10 octobre 2006, a toutefois proposé le protocole de traitement susmentionné et qui a été appliqué, en raison de l'existence d'une infiltration de la basse trachée et d'une compression extrinsèque de la haute trachée ; qu'il résulte de l'instruction que le protocole de traitement privilégié par l'expert est préconisé en l'absence d'envahissement trachéo-bronchique alors que celui qui a été retenu est proposé dans le cas d'un tel envahissement sans fistule ; que le compte-rendu de la fibroscopie pratiquée le 29 septembre 2006 met en évidence un envahissement de l'arbre trachéo-bronchique sans fistule ; que si le document du service de radiothérapie-oncologie rendant compte du choix initialement fait le 5 octobre 2006 montre que le praticien de ce service n'avait pas à cette date pris connaissance du résultat de la fibroscopie du 29 septembre 2006, cela n'était pas le cas lors de la réunion du comité de cancérologie du 10 octobre suivant dont le compte-rendu fait apparaître expressément que le protocole choisi l'a été par référence à un envahissement trachéo-bronchique ; que, dans ces conditions, le centre hospitalier de Saint-Quentin n'a pas commis une faute en appliquant à M. D un protocole de traitement qui aurait été inapproprié à son état ;

Considérant, en troisième lieu, que dans le cadre de la mise en oeuvre du protocole de traitement retenu le 10 octobre 2006 et qu'était en cours la phase initiale de radiothérapie, débutée le 24 octobre 2006 et devant s'achever le 14 novembre suivant, M. D a toutefois subi, les 2 et 3 novembre 2006, une cure de chimiothérapie dont la réalisation avait été prescrite par un médecin du service d'hépato-gastroentérologie, sans que le médecin responsable du service de radiothérapie-oncologie en ait été avisé et alors que le protocole de traitement retenu ne prévoyait le recours à la chimiothérapie qu'à l'issue et après évaluation de la phase initiale de radiothérapie ; que si l'intervention de cette cure de chimiothérapie s'explique par une mauvaise information du service d'hépato-gastroentérologie sur le calendrier de cette phase initiale, il résulte toutefois de l'instruction que la réalisation de cette cure est demeurée sans effet sur l'efficacité de la prise en charge thérapeutique, en particulier, en l'absence de fistule oesotrachéale, dont elle n'a pas favorisé la survenance et qui n'a été constatée qu'en 2007 par l'établissement de santé privé auquel s'est ensuite adressé M. D, après que cet établissement lui ait administré plusieurs cures de chimiothérapie ; qu'elle n'a également pas fait obstacle à la poursuite du traitement par radiothérapie jusqu'au 14 novembre 2006 et, après évaluation par fibroscopie du 21 novembre 2006 révélant la persistance d'un envahissement trachéo-bronchique et une absence d'amélioration de l'état du patient, à la réitération de cette radiothérapie entre les 4 et 22 décembre 2006 ; que la faute ainsi commise dans l'organisation du service public hospitalier n'a, par suite, pas fait perdre à M. D une chance de bénéficier d'une prolongation de sa durée de vie ;

Considérant, en dernier lieu, que la perte de confiance dans la capacité du service public hospitalier en raison d'erreurs dans l'organisation du traitement et les informations incomplètes ou incohérentes sur le protocole thérapeutique mis en place qui auraient été données à M. D et à ses proches ne sont pas constitutives d'une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service public hospitalier de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Saint-Quentin ;

Sur la charge des frais d'expertise :

Considérant qu'aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. / L'Etat peut être condamné aux dépens " ;

Considérant que, dans les circonstances particulières de l'espèce, les premiers juges n'ont pas fait une appréciation erronée en mettant les frais et honoraires d'expertise à la charge définitive du centre hospitalier de Saint-Quentin ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme A et autres ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que par le jugement du 5 mai 2011, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté leur demande ; que doivent être rejetées, par voie de conséquence, leurs conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que, toutefois, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées au titre du même article par le centre hospitalier de Saint-Quentin ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête des consorts A est rejetée.

Article 2 : Les conclusions du centre hospitalier de Saint-Quentin présentées au titre des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Marie-Christine C veuve A, M. Stéphane A, M. Laurent A, à Mme Romy A, au centre hospitalier de Saint-Quentin, à la caisse primaire d'assurance maladie de Saint-Quentin, à MFP Services, section départementale de l'Aisne, et au ministre des affaires sociales et de la santé.

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N°11DA01074


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3e chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 11DA01074
Date de la décision : 18/10/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-02-01-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation. Responsabilité pour faute médicale : actes médicaux. Existence d'une faute médicale de nature à engager la responsabilité du service public. Erreur de diagnostic.


Composition du Tribunal
Président : M. Nowak
Rapporteur ?: Mme Muriel Milard
Rapporteur public ?: Mme Baes Honoré
Avocat(s) : PATRICK MARGULES

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2012-10-18;11da01074 ?
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