Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Douai par télécopie le 21 décembre 2011 et confirmée par l'original le 23 décembre 2011, présentée pour le DEPARTEMENT DE L'EURE, dont le siège est 2 boulevard Georges Chauvin à Evreux (27021) cedex, pris en la personne du président du conseil général en exercice, par Me B. Violette, avocat ; le DEPARTEMENT DE L'EURE demande à la cour :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 1102112 du 5 décembre 2011 par laquelle le vice-président du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande de provision à l'encontre de la société Cobeima, de la Sarl Victor et Julien et de la société Socotec au titre des malfaçons affectant le collège Marcel Pagnol à Gravigny ;
2°) de condamner la société Cobeima à lui verser des provisions de 32 916 euros TTC au titre de la reprise de l'ossature et des voussures de la façade Nord du collège, 41 771,95 euros TTC au titre du changement des vis des autres façades et 72 575 euros TTC au titre du maintien des filets de protection ;
3°) de condamner in solidum le cabinet d'architectes Victor et Julien et la société Socotec à lui verser des provisions de 10 972 euros TTC, 16 590,65 euros TTC et 24 191,66 euros TTC au titre, respectivement, des mêmes désordres ;
4°) de mettre à la charge solidaire des défendeurs la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
..........................................................................................................
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Xavier Larue, premier conseiller,
- les conclusions de M. David Moreau, rapporteur public,
- et les observations de Me B. Violette, avocat du DEPARTEMENT DE L'EURE, et de Me B. Lanfry, avocat de la société Cobeima ;
Considérant que le DEPARTEMENT DE L'EURE a lancé, en 1997, une opération d'extension et de reconfiguration du collège Marcel Pagnol à Gravigny ; que la maîtrise d'oeuvre de l'opération a été confiée au cabinet d'architectes Victor et Julien et la mission de contrôle technique à la société Socotec ; que la réalisation du lot n° 6 relatif au revêtement des façades des bâtiments externat et demi-pension a été confiée à la société Cobeima ; que les travaux du lot n° 6 ont été réceptionnés le 15 mai 2000 avec effet à la date du 22 décembre 1999 ; que, durant l'été 2007, neuf panneaux du revêtement de la façade Nord du bâtiment externat se sont décrochés ; que, saisi par la société Cobeima, le président du tribunal administratif de Rouen a désigné M. A en qualité d'expert afin de constater les désordres ; que celui-ci a remis son rapport le 30 septembre 2008 ; que, saisi d'une demande du DEPARTEMENT DE L'EURE, le président du tribunal administratif de Rouen a désigné, par ordonnance du 25 septembre 2008, M. A en qualité d'expert aux fins, notamment, de déterminer la cause des désordres et d'en chiffrer la réparation ; que celui-ci a remis son rapport le 30 juin 2009 ; que, par une demande enregistrée le 26 juillet 2011, le DEPARTEMENT DE L'EURE a saisi le tribunal administratif de Rouen d'une demande en référé provision afin d'obtenir la condamnation de la société Cobeima à lui verser une somme totale de 147 262,95 euros TTC et la condamnation in solidum des sociétés Victor et Julien et Socotec à lui verser une somme totale de 51 754,31 euros TTC, sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs ; que, par ordonnance du 5 décembre 2011, le juge des référés du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande au motif que les désordres affectant les façades ne rendaient pas l'ouvrage impropre à sa destination ; que le DEPARTEMENT DE L'EURE relève appel de cette ordonnance et présente les mêmes conclusions indemnitaires qu'en première instance ; que, par la voie de l'appel provoqué, la société Socotec demande la garantie intégrale des sociétés Cobeima et Victor et Julien et la société Victor et Julien demande la garantie intégrale des sociétés Cobeima et Socotec ;
Considérant qu'aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie " ; qu'aux termes de l'article R. 541-4 du même code : " Si le créancier n'a pas introduit de demande au fond dans les conditions de droit commun, la personne condamnée au paiement d'une provision peut saisir le juge du fond d'une requête tendant à la fixation définitive du montant de sa dette, dans un délai de deux mois à partir de la notification de la décision de provision rendue en première instance ou en appel " ; que les pouvoirs ainsi confiés au président de la cour ou au magistrat qu'il désigne peuvent être exercés par une formation de jugement statuant après audience publique ;
Sur la nature des désordres :
En ce qui concerne les chutes de plaques :
Considérant que l'engagement de la responsabilité décennale des constructeurs n'est pas subordonné au caractère général et permanent des désordres ; qu'il résulte du rapport de constat établi à l'intérieur du délai d'épreuve de dix ans suivant la réception des travaux, que treize dalles situées au niveau de certains linteaux de la façade Nord du bâtiment externat étaient instables et que quatre d'entre elles ont effectivement chuté ; que si la société Cobeima fait valoir que la pelouse située en contrebas de cette façade n'était pas accessible aux élèves de l'établissement, il résulte de l'instruction que cette pelouse, qui n'est pas clôturée, est accessible à tout usager du bâtiment et qu'elle se situe, en outre, à proximité immédiate d'une aire de jeux ouverte aux élèves ; que la circonstance que les chutes aient eu lieu pendant les vacances d'été est sans incidence sur la réalité du risque pour la sécurité des personnes qu'a constituée l'instabilité des plaques ; qu'il résulte ainsi de l'instruction que les désordres affectant les treize plaques qui ont chuté ou ont été déposées à la demande de l'expert étant de nature à rendre l'immeuble impropre à sa destination et, dès lors, susceptibles d'engager la responsabilité des constructeurs auxquels ils sont imputables sur le fondement des principes dont s'inspirent les articles 1792 et suivants du code civil, le DEPARTEMENT DE L'EURE est fondé à soutenir que la responsabilité décennale des constructeurs n'est pas, pour ce désordre, sérieusement contestable ;
Considérant, en revanche, qu'il résulte du rapport d'expertise que les autres dalles de la façade Nord du bâtiment externat n'ont présenté dans le délai d'épreuve de dix ans aucun signe d'instabilité ; que les désordres ayant affecté les treize dalles mentionnées précédemment sont principalement dus à l'absence d'équerres de renfort entre les lisses verticales et horizontales de l'ossature en bois, et que ce défaut n'a été constaté qu'au niveau de ces dalles ; que, par suite, il ne résulte pas de l'instruction que l'instabilité constatée pour treize dalles sur linteaux soit de nature à s'étendre dans un avenir prévisible aux autres dalles de la façade Nord, et notamment aux dalles situées en parties courantes ; que la responsabilité des constructeurs ne pouvant, dès lors, être recherchée sur le fondement des principes dont s'inspirent les articles 1792 et suivants du code civil pour l'ensemble de la façade Nord, l'existence de l'obligation des constructeurs est ainsi, pour les autres dalles en façade Nord du bâtiment externat, sérieusement contestable ;
En ce qui concerne les visseries :
Considérant qu'il résulte des principes dont s'inspirent les articles 1792 et suivants du code civil, que des dommages apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent la responsabilité des constructeurs sur le fondement de la garantie décennale, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans ;
Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que la non-conformité des vis de fixation des dalles " Vetisol Cristo " apposées sur l'ensemble des façades du bâtiment externat serait de nature à entraîner un risque de chute des plaques, et ainsi, à rendre l'ouvrage impropre à sa destination, dans un délai suffisamment prévisible ; que, par suite, les malfaçons affectant les visseries du revêtement de l'ensemble des façades du bâtiment n'étant pas de nature à engager la responsabilité des constructeurs sur le fondement des principes dont s'inspirent les articles 1792 et suivants du code civil, l'existence de l'obligation des constructeurs est ainsi, pour ce désordre, sérieusement contestable ;
Sur l'imputabilité des désordres susceptibles d'engager la responsabilité décennale des constructeurs :
Considérant que la responsabilité des constructeurs peut être engagée sur le fondement des principes dont s'inspirent les articles 1792 et suivants du code civil du seul fait de leur participation à la réalisation des ouvrages affectés de désordres ;
Considérant qu'en l'espèce, il n'est pas sérieusement contestable que les désordres affectant les treize dalles instables de la façade Nord du bâtiment externat sont de nature à engager la responsabilité décennale de la société Cobeima, qui en a exécuté la pose, de la société Victor et Julien, qui a assuré la surveillance de ces travaux ; qu'il en va de même, eu égard à sa mission qui comportait la prévention des risques pour la sécurité des personnes, pour la société Socotec, contrôleur technique, sans qu'elle puisse utilement se prévaloir, à l'encontre du maître d'ouvrage sur le terrain de la garantie décennale, de ce qu'elle n'aurait commis aucune faute dans l'exercice de cette mission ;
Considérant que le DEPARTEMENT DE L'EURE demande, à titre provisionnel, d'une part, la condamnation individuelle de la société Cobeima et, d'autre part, la condamnation in solidum de l'architecte, la société Victor et Julien, et du contrôleur technique, le bureau d'études techniques Socotec ; qu'il résulte du rapport d'expertise et il n'est pas sérieusement contesté que l'instabilité ayant affecté treize dalles de la façade Nord a pour cause principale un défaut d'exécution consistant en l'absence de pose d'équerres de renfort entre les lisses verticales et horizontales de l'ossature en bois supportant le revêtement alors que la pose de ces équerres était prévue par les prescriptions du cahier des clauses techniques particulières ; qu'accessoirement, il n'est pas sérieusement contesté que ces désordres ont pour cause un défaut de surveillance de ces travaux ; que, dès lors et à titre provisionnel et dans la limite des montants sollicités, la société Cobeima devra supporter 90 % de la responsabilité des constructeurs tandis que le maître d'oeuvre et le contrôleur technique supporteront in solidum 10 % de cette responsabilité ;
Sur le quantum du préjudice :
Considérant, en premier lieu, qu'au vu du devis réalisé par l'expert pour une reprise de l'ensemble de la façade Nord, il sera fait une juste appréciation du montant de la réparation des treize dalles instables en le fixant à 20 300 euros hors taxes (HT) ;
Considérant, en second lieu, que si le DEPARTEMENT DE L'EURE demande également l'indemnisation du coût des filets de protection, il résulte du rapport d'expertise que ces filets ont été posés après que les treize dalles instables avaient chuté ou avaient été déposées ; qu'ainsi qu'il a été dit précédemment, il n'apparaît pas, de manière non sérieusement contestable, que les autres dalles de la façade Nord présentent des risques d'instabilité dans un avenir prévisible ; que, par suite, il ne résulte pas de l'instruction que les filets de protection dont le département demande l'indemnisation présentaient, de manière non sérieusement contestable, à la date où ils ont été installés et dans le délai d'épreuve de la garantie décennale, une utilité pour la sécurité des personnes ; que la demande du DEPARTEMENT DE L'EURE présentée à ce titre, qui revêt un caractère sérieusement contestable, doit être, par suite, rejetée ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le DEPARTEMENT DE L'EURE se prévaut d'une obligation non sérieusement contestable d'un montant de 18 270 euros HT à la charge de la société Cobeima et de 2 030 euros HT à la charge solidaire des sociétés Victor et Julien et Socotec ; qu'il est, par suite, fondé à soutenir, dans cette mesure, que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Rouen, dont il y a lieu de réformer l'ordonnance sur ce point, a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge solidaire des sociétés Cobeima, Victor et Julien et Socotec une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par le DEPARTEMENT DE L'EURE, tant en première instance qu'en appel, et non compris dans les dépens ;
Considérant qu'en revanche, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge du DEPARTEMENT DE L'EURE, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, au titre des frais de même nature exposés par les sociétés Cobeima, Victor et Julien et Socotec ;
Considérant, enfin, qu'il ne paraît pas inéquitable, dans les circonstances de l'espèce, de laisser la société Socotec supporter les frais qu'elle a dû exposer pour les besoins de sa défense contre la société Cobeima et la société Victor et Julien ;
Sur les appels en garantie :
Considérant, en premier lieu, que le montant de la condamnation mise à la charge solidaire des sociétés Victor et Julien et Socotec au titre de la réparation des désordres tient déjà compte des fautes imputables à la société Cobeima ; que, par suite, les appels en garantie formés par ces deux sociétés à l'encontre de la société Cobeima au titre de la réparation des désordres sont sérieusement contestables et doivent, dès lors, être rejetés ;
Considérant, en deuxième lieu et en revanche, que la somme à verser au DEPARTEMENT DE L'EURE au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative est mise à la charge solidaire de l'ensemble des intimés ; que, par suite, les conclusions d'appels en garantie de la société Cobeima présentées par la société Victor et Julien et le bureau d'études Socotec, ne sont pas, à ce titre, sérieusement contestables ; qu'ils sont, dès lors, fondés à demander la garantie de la société Cobeima à hauteur de 90 % de cette somme ;
Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte de l'instruction de manière non sérieusement contestable qu'eu égard au caractère localisé des malfaçons constatées dans la réalisation de l'ossature bois qui sont à l'origine des désordres, seul le maître d'oeuvre pouvait, au titre de sa mission de surveillance régulière des travaux, les déceler, alors qu'elles ont pu être totalement dissimulées au contrôleur technique ; qu'en effet, en application de l'article 12 du cahier des clauses techniques générales relatif aux missions de contrôle technique approuvé par le décret n° 92-1186 du 30 octobre 1992, auquel renvoie le marché conclu avec la société Socotec, celle-ci ne devait participer qu'aux réunions de chantier où étaient prises les principales options ; que, dans ces circonstances, la société Socotec a droit, de manière non sérieusement contestable, à être garantie intégralement par la société Victor et Julien de la condamnation mise à leur charge solidaire au titre de la réparation des désordres, et à hauteur de 10 % de la somme mise à la charge solidaire de l'ensemble des intimés au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DÉCIDE :
Article 1er : La société Cobeima est condamnée à verser au DEPARTEMENT DE L'EURE une provision d'un montant de 18 270 euros HT au titre de la réparation des désordres affectant la façade Nord du bâtiment externat du collège de Gravigny.
Article 2 : Les sociétés Victor et Julien et Socotec sont condamnées in solidum à verser au DEPARTEMENT DE L'EURE une provision d'un montant de 2 030 euros HT au titre des mêmes désordres.
Article 3 : La société Victor et Julien garantira la société Socotec de l'intégralité de la somme mise à leur charge solidaire au titre de la réparation des désordres.
Article 4 : Une somme de 3 000 euros à verser au DEPARTEMENT DE L'EURE est mise à la charge solidaire des sociétés Cobeima, Victor et Julien et Socotec au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La société Cobeima garantira les sociétés Victor et Julien et Socotec à hauteur de 90 % de la somme mise à la charge solidaire des intimés au profit du DEPARTEMENT DE L'EURE au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : La société Victor et Julien garantira la société Socotec de l'intégralité de la somme restant à leur charge solidaire au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 7 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 8 : L'ordonnance du 5 décembre 2011 du tribunal administratif de Rouen est réformée en ce qu'elle a de contraire au présent arrêt.
Article 9 : Le présent arrêt sera notifié au DEPARTEMENT DE L'EURE, à la société Cobeima, à la société Victor et Julien et à la société Socotec.
Copie sera transmise pour information au préfet de l'Eure.
''
''
''
''
2
N°11DA01968