Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai le 16 février 2009, présentée pour M. Jean-Luc et Mme Solange A, demeurant ..., par la SCP Gillet ; M. et Mme A demandent à la Cour :
1°) d'annuler les jugements n° 0503144 du 20 décembre 2007 et du 22 décembre 2008 par lesquels le Tribunal administratif d'Amiens a respectivement rejeté les conclusions de leur demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de Senlis en raison des fautes commises lors de l'accouchement de Mme A le 6 mars 2003 et tirées de l'absence de consultation pré-anesthésique et du défaut d'information des risques d'un accouchement par voie basse sans péridurale et ordonné une expertise médicale, et a rejeté leur demande tendant à la condamnation dudit centre hospitalier à verser à Mme A et à M. A respectivement les sommes de 671 770,46 euros et 15 000 euros en réparation de leurs préjudices, et a mis à leur charge les frais d'expertise s'élevant à 3 960 euros ;
2°) de faire droit à leurs demandes indemnitaires présentées en première instance assorties des intérêts de droit à compter du dépôt de la requête introductive d'instance ;
3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une nouvelle expertise ;
4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Senlis les frais d'expertise taxés à 3 960 euros ;
5°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Senlis une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Guillaume Mulsant, président de chambre, les conclusions de M. Xavier Larue, rapporteur public et les parties présentes ou représentées ayant été invitées à présenter leurs observations, Me Simon-Gillet, pour M. et Mme A ;
Considérant que Mme Solange A, admise le 6 mars 2003 au centre hospitalier de Senlis afin d'accoucher de son premier enfant a été victime à cette occasion d'une déchirure périnéale et sphinctérienne, qui a été immédiatement réparée sous anesthésie locale ; que M. et Mme A ont alors saisi le Tribunal administratif d'Amiens, d'une part, d'une demande tendant à ce que le centre hospitalier de Senlis soit déclaré responsable de leurs préjudices en raison de diverses fautes commises par le personnel de cet établissement et soit condamné à les réparer respectivement à hauteur de 671 770,46 euros et 15 000 euros, d'autre part, d'une demande tendant à la nomination d'un expert par le juge des référés ; qu'au vu du rapport, par un jugement en date du 20 décembre 2007, le Tribunal a estimé que la responsabilité de l'établissement n'était pas engagée du fait de l'absence de consultation pré-anesthésique et en raison du défaut d'information des risques d'un accouchement par voie basse sans péridurale et a ordonné une seconde expertise médicale portant sur l'intervention consécutive à l'accouchement ; que, par un jugement en date du 22 décembre 2008, le même Tribunal a estimé que le personnel du centre hospitalier de Senlis n'avait commis aucune faute de nature à engager la responsabilité de cet établissement à l'occasion de cette intervention et a donc rejeté l'ensemble des demandes qui lui étaient soumises tout en laissant les frais d'expertise à la charge de M. et Mme A ; que M. et Mme A relèvent appel de ces jugements ;
Sur la régularité des jugements :
Considérant que le Tribunal administratif d'Amiens, saisi du moyen relatif au défaut d'information du patient sur les risques de l'accouchement, a relevé que l'existence d'une obligation de consultation de pré-anesthésie n'était pas établie par le conseil des requérants, et que la faute tirée de l'absence d'anesthésie générale lors de l'opération de réfection du sphincter, à la considérer comme établie, était sans lien avec le préjudice allégué ; que dès lors, M. et Mme A ne sont pas fondés à soutenir que les jugements attaqués sont entachés d'une insuffisance de motivation ;
Considérant toutefois que, par un jugement avant dire droit du 20 décembre 2007, le Tribunal administratif d'Amiens a ordonné un complément d'expertise médicale ; que l'expert a déposé son rapport le 5 novembre 2008 ; que M. et Mme A ont adressé un premier mémoire au Tribunal, enregistré au greffe le 1er décembre 2008 ; que le mémoire produit par le centre hospitalier de Senlis le 5 décembre 2008 leur ayant été communiqué, ils y ont répondu le 9 décembre 2008, la clôture de l'instruction étant intervenue trois jours francs avant l'audience du 11 décembre 2008, soit le 8 décembre 2008 ; que, d'une part, M. et Mme A n'ont ainsi pas disposé d'un temps suffisant pour répondre utilement à ce mémoire et, d'autre part, la minute du jugement ne fait pas mention des deux mémoires produits par les requérants ; que le jugement du 22 décembre 2008 est ainsi entaché d'irrégularité ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions de la demande restant en litige suite au jugement avant dire droit du 20 décembre 2007, et de statuer, par la voie de l'effet dévolutif de l'appel, sur le surplus de la demande ;
Sur la responsabilité du centre hospitalier de Senlis :
Considérant que Mme A, primipare à l'âge de 40 ans, était professeur d'éducation physique et sportive et pratiquait de manière régulière l'équitation ; que l'enfant à naître présentait un périmètre crânien, supérieur à la moyenne, de 37 centimètres ; que, lors de son suivi de grossesse au centre hospitalier de Senlis, Mme A a manifesté de manière constante sa volonté de ne pas recourir à l'analgésie péridurale ; qu'en conséquence, aucune consultation de pré-anesthésie n'a été organisée par le centre hospitalier ; que, lors de son admission le 6 mars 2003, Mme A a de nouveau confirmé son souhait de ne pas recourir à cette anesthésie ; que, toutefois, l'équipe obstétricale a réalisé les examens biologiques nécessaires à la pratique d'une telle anesthésie pour prévenir tout risque ; que, pour aider la délivrance de l'enfant, une épisiotomie a été réalisée, et la sage-femme a pratiqué une expression utérine ; qu'il en est résulté pour la parturiente une déchirure périnéale avec rupture du sphincter anal ; que la réparation de ce périnée complet non compliquée a été effectuée par le médecin de garde sous anesthésie locale à la xylocaïne ; que la suture sur le sphincter ayant lâché, Mme A a dû subir ultérieurement une seconde intervention, pratiquée par un chirurgien de Créteil, qui n'a que partiellement réussi ;
Considérant qu'il résulte de la première expertise que le recours à la péridurale aurait pu être envisagé, compte tenu des particularités physiques de la mère et de l'enfant à naître ; que l'expert relève également que l'agitation de Mme A lors de l'opération de réfection de son sphincter aurait dû conduire le praticien à envisager de recourir à une anesthésie générale ;
Considérant qu'il résulte du second rapport d'expertise que le confort de Mme A aurait été meilleur en cas de recours à une analgésie péridurale ; que cette anesthésie aurait permis aux tissus de se détendre plus lentement et ainsi de diminuer le risque de déchirure compte tenu des particularités physiques de la mère et de l'enfant ; que l'expert relève toutefois que, même avec une anesthésie, le risque de déchirure ne pouvait pas être écarté ; qu'il retient par ailleurs dans son rapport qu'une anesthésie locale par xylocaïne est nécessaire si la péridurale est absente ;
Considérant que M. et Mme A se prévalent de l'existence de fautes médicales en soutenant que le centre hospitalier aurait dû organiser une consultation de pré-anesthésie, qu'ils n'ont pas été informés des risques d'un accouchement par voie basse sans péridurale, et que la réparation du périnée non compliquée, ainsi que du sphincter réalisée à la suite de l'accouchement, n'a pas été effectuée dans les règles de l'art ; que l'état du dossier ne permet pas à la Cour de statuer sur la demande d'indemnisation de M. et Mme A sur ces fondements ; qu'il y a lieu, dès lors, d'ordonner une expertise aux fins précisées ci-après ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif d'Amiens du 22 décembre 2008 est annulé.
Article 2 : Il sera, avant dire droit, désigné un expert avec pour mission :
- de prendre connaissance du dossier médical constitué au centre hospitalier de Senlis au nom de Mme A et de tous autres documents médicaux la concernant ; examiner et entendre celle-ci en présence de l'ensemble des parties ;
- de préciser l'état actuel de Mme A et se prononcer sur l'origine de cet état ;
- de préciser la nature des traitements dont Mme A a fait l'objet au cours de son séjour dans le centre hospitalier de Senlis et sur les raisons du choix de la méthode d'accouchement retenue, en indiquant si un accouchement par césarienne n'aurait pas dû être envisagé compte tenu de son âge, du fait qu'elle était primipare avec un col tonique, alors que l'enfant à naître présentait un périmètre crânien de 37 centimètres ;
- d'indiquer à la Cour, si la réparation du sphincter et du périnée n'aurait pas dû se faire sous anesthésie générale ;
- de déterminer le taux de chance de Mme A de ne pas voir son canal sphinctérien se rompre lors de l'accouchement, après réalisation d'une analgésie péridurale ainsi que le taux de chance que le nerf pudental n'ait pas été allongé au cours de l'accouchement ;
- de déterminer si les chances que les sutures du sphincter ne cèdent pas auraient été augmentées si elles avaient été pratiquées sous anesthésie générale ; de préciser quel aurait été l'état de la requérante si les sutures n'avaient pas lâché ou tout du moins ses chances de récupération ;
- d'une manière générale, réunir tous les éléments devant permettre de déterminer si :
- les traitements administrés à Mme A avant, pendant, et après son accouchement ont été les plus appropriés à son état, compte tenu de l'état de la science médicale et si le centre hospitalier ne devait pas apporter d'autres soins à Mme A pour éviter la persistance des séquelles que présente encore celle-ci ;
- des fautes médicales, de soins, dans l'organisation ou le fonctionnement du service ont été commises avant ou lors de l'hospitalisation de l'intéressée, et le cas échéant, dans quelle mesure ces fautes ont concouru à la survenance du dommage ;
- même si aucune faute n'est retenue ou aucun lien de causalité entre les fautes retenues et les préjudices subis, déterminer la date de consolidation de l'état physique de Mme A, le taux d' incapacité temporaire partielle dont elle a pu être atteinte, le taux de l' incapacité partielle permanente dont elle demeure atteinte, le cas échéant l' importance de son pretium doloris, de son préjudice esthétique, des troubles dans les conditions d'existence et de son préjudice d'agrément en dégageant, si besoin est, dans ces conséquences, ce qui peut être considéré, d'une part, comme relevant de l'accouchement et, d'autre part, comme consécutif au lâchage des sutures du sphincter ;
- même si aucune faute n'est retenue ou aucun lien de causalité entre les fautes retenues et les préjudices subis, évaluer les préjudices par poste : dépenses de santé, frais liés au handicap, perte de revenus, incidence professionnelle du dommage corporel, autre dépense liée au dommage corporel, et tout autre pouvant résulter d'une part de l'accouchement, d'autre part de l'opération de réfection en indiquant dans les soins supportés par la caisse primaire d'assurance maladie ceux qui aurait incombé en tout état de cause à celle-ci en raison de l'accouchement ;
- de manière générale, donner toutes précisions et informations utiles permettant à la Cour de se prononcer sur les responsabilités et l'importance du préjudice, ainsi que toute information utile à la solution du litige ;
Article 3 : L'expert, pour l'accomplissement de sa mission, se fera communiquer tous documents relatifs à l'état de santé de Mme A et notamment tous documents relatifs aux examens, soins et interventions pratiqués sur l'intéressée au cours de son hospitalisation. Il pourra entendre toute personne du service hospitalier ayant donné des soins à Mme A.
Article 4 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. Jean-Luc et Mme Solange A, au centre hospitalier de Senlis, à la Caisse primaire d'assurance maladie de Creil et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
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N°09DA00238