Vu la requête, enregistrée le 5 septembre 2007 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée pour la SAS SODIBE, dont le siège est situé Chemin blanc à Beautor (02800), par Me Lelièvre, avocat ; la SAS SODIBE demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0300508 du 29 juin 2007 par lequel le Tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant, d'une part, à la décharge du rappel de taxe sur les achats de viande auquel elle a été assujettie au titre du mois de janvier 2001 à hauteur de 11 097 euros et, d'autre part, à la condamnation de l'Etat à lui payer une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) de prononcer la décharge demandée ;
3°) de saisir la Cour de justice des communautés européennes d'une question préjudicielle en interprétation de l'article 87 du traité instituant la Communauté européenne ;
4°) de condamner l'Etat à lui payer la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que la taxe en vigueur au 1er janvier 2001 devait être analysée en une modification d'une aide d'Etat existante, qui aurait dû être notifiée en application du paragraphe 3 de l'article 88 du traité instituant la Communauté européenne ; que l'article 35 de la loi de finances rectificative pour 2000 du 30 décembre 2000 fait donc partie intégrante d'une aide d'Etat irrégulièrement instituée ; que l'affectation du produit de la taxe au budget général de l'Etat n'a pas fait disparaître le lien d'affectation contraignant entre le produit de la taxe et l'aide allouée au service public de l'équarrissage ; qu'il ressort des travaux parlementaires de cette loi que la budgétisation du produit de la taxe visait davantage à faire disparaître ce lien de manière formelle que réelle ; que le ministre du budget a déclaré le 17 octobre 2003 qu'il faut changer le système parce que la taxe sur les achats de viande est contraire au droit communautaire ; que le jugement ne justifie aucunement sa propre interprétation de l'intention du législateur ; que, dans sa décision du 14 décembre 2004, la Commission a constaté que les mesures prises en faveur des entreprises d'équarrissage, des éleveurs ou abattoirs, leur financement et leur modification ne lui ont pas été notifiées préalablement à leur exécution ; que la Commission ne peut apprécier l'éventuelle déconnexion entre l'aide et son mode de financement que si la modification de ce dernier est portée à sa connaissance ; que, dans de nombreux cas, l'administration a procédé à l'envoi d'avis de dégrèvement et souvent même au remboursement de la taxe versée au titre de la période 2001-2003, avant de revenir sur ces dégrèvements ou remboursements ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 17 janvier 2008, présenté par le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, qui conclut au rejet de la requête ; il fait valoir que, depuis le 1er janvier 2001, la taxe sur les achats de viande, ni ne constitue une aide d'Etat, ni ne fait partie intégrante d'un dispositif d'aide d'Etat ; que le moyen tiré de la méconnaissance des articles 87 et 88 du traité doit être écarté ; que les éléments contenus dans les déclarations, les réponses ministérielles et les rapports parlementaires sont dénués de toute portée normative et sans influence ;
Vu le mémoire, enregistré le 19 décembre 2008, présenté pour la SAS SODIBE, qui conclut aux mêmes fins que sa requête, par les mêmes moyens ; elle soutient, en outre, que la solution retenue dans les arrêts rendus en 2005 par la Cour de justice des communautés européennes et dont se prévaut le ministre ne peut être transposée à la présente affaire dès lors qu'elle portait sur des situations différentes ; qu'il en va de même de l'arrêt rendu par la Cour de justice le 27 octobre 2005 dans l'affaire Distribution Casino France ; que la décision de la Commission du 5 juillet 2005 n'a pas d'effets rétroactifs et ne peut éventuellement régulariser l'aide accordée pour l'avenir ; que, s'agissant du lien d'affectation contraignant, il n'y a pas à distinguer selon que le flux financier transite par un fonds ou par le budget de l'Etat ; que la condamnation de l'ensemble du système s'inscrit dans la jurisprudence traditionnelle de la Cour et que la loi de finances rectificative pour 2000 n'a porté que sur le droit budgétaire et non sur les flux réels ; que les textes doivent être interprétés à la lumière des débats parlementaires ; que le droit communautaire impose au juge national d'adopter une attitude active ; qu'il y a lieu d'enjoindre à l'administration de produire le bilan détaillé du coût du service public de l'équarrissage qui doit être établi chaque année en vertu de l'article L. 226-10 du code rural et de le comparer avec la comptabilité distincte du fonds qui devait être faite en vertu de l'article 1er B de la loi n° 96-1139 du 26 décembre 1996 ; qu'elle n'est pas opposée à une saisine du Conseil d'Etat pour avis ;
Vu les observations complémentaires, enregistrées le 14 octobre 2009, présentées pour la SAS SODIBE, qui conclut aux mêmes fins que sa requête, par les mêmes moyens ; elle soutient, en outre, qu'elle est fondée à se prévaloir d'un principe, dit d'estoppel, d'interdiction de se contredire au détriment d'autrui ; que, dans l'affaire portant sur la compatibilité du précompte mobilier avec le droit communautaire, le Conseil d'Etat n'a pas fermé la porte à une réception de l'estoppel en matière fiscale ; que, le 17 octobre 2003, le ministre délégué au budget a déclaré que la taxe sur les achats de viandes est contraire au droit communautaire ; que le ministre soutient au contentieux une thèse différente de celle invoquée devant les parlementaires ; que cette contradiction caractérise une violation de la règle de l'estoppel et ne peut être sanctionnée que par le dégrèvement de la taxe en cause ;
Vu les nouvelles observations, enregistrées le 1er juillet 2010, présentées par le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, qui maintient ses précédentes conclusions et, en outre, fait valoir que le moyen tiré d'une méconnaissance de la règle dite de l'estoppel doit être écarté, dès lors qu'elle n'est pas applicable en l'espèce, où l'administration ne s'est pas contredite au cours de la procédure contentieuse ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code rural ;
Vu l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 ;
Vu la loi n° 96-1139 du 26 décembre 1996 ;
Vu la loi n° 2000-1353 du 30 décembre 2000 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Antoine Durup de Baleine, premier conseiller, les conclusions de M. Alain de Pontonx, rapporteur public, aucune partie n'étant présente ni représentée ;
Considérant que, par une réclamation du 22 septembre 2002, la SAS SODIBE a demandé le dégrèvement de la taxe sur les achats de viande d'un montant de 11 096,31 euros qui, faute pour elle de l'avoir spontanément acquittée, a été mise à sa charge au titre du mois de janvier par un avis de mise en recouvrement du 28 février 2001 ; que cette réclamation a été rejetée par une décision du 20 janvier 2003 ; qu'elle relève appel du jugement par lequel le Tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande en décharge de cette imposition ;
Sur les conclusions en décharge de la taxe sur les achats de viande due au titre du mois de janvier 2001 :
Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du paragraphe 1 de l'article 87 du traité instituant la Communauté européenne, ensuite repris à l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : Sauf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ; qu'aux termes de l'article 88 du même traité, ensuite repris à l'article 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : 1. La Commission procède avec les Etats membres à l'examen permanent des régimes d'aides existant dans ces Etats. (...) / 2. Si (...) la Commission constate qu'une aide accordée par un Etat ou au moyen de ressources d'Etat n'est pas compatible avec le marché commun aux termes de l'article 87 (...), elle décide que l'Etat intéressé doit la supprimer ou la modifier (...). / 3. La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché commun, aux termes de l'article 87, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'Etat membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale ;
Considérant qu'il résulte de ces stipulations que, s'il ressortit à la compétence exclusive de la Commission européenne de décider, sous le contrôle de la Cour de justice de l'Union européenne, si une aide de la nature de celles mentionnées à l'article 87 du traité est ou non, compte tenu des dérogations prévues par ce traité, compatible avec le marché commun, il incombe, en revanche, aux juridictions nationales de sanctionner, le cas échéant, l'invalidité de dispositions de droit national qui auraient institué ou modifié une telle aide en méconnaissance de l'obligation, qu'impose aux Etats membres le paragraphe 3 de l'article 88 du traité, d'en notifier à la Commission, préalablement à toute mise à exécution, le projet ; que l'exercice de ce contrôle implique, notamment, de rechercher si les dispositions dont l'application est contestée instituent un régime d'aide, ou si une taxe fait partie intégrante d'une telle aide ;
Considérant qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, d'une part, que les taxes n'entrent pas dans le champ d'application des stipulations précitées du traité instituant la Communauté européenne concernant les aides d'Etat, à moins qu'elles constituent le mode de financement d'une mesure d'aide, de sorte qu'elles font partie intégrante de cette mesure, d'autre part, que, pour que l'on puisse juger qu'une taxe, ou une partie d'une taxe, fait partie intégrante d'une mesure d'aide, il doit exister un lien d'affectation contraignant entre la taxe et l'aide en vertu de la réglementation nationale pertinente, en ce sens que le produit de la taxe est nécessairement affecté au financement de l'aide ;
Considérant que l'article 1er de la loi du 26 décembre 1996 relative à la collecte et à l'élimination des cadavres d'animaux et des déchets d'abattoirs et modifiant le code rural a inséré dans le code général des impôts un article 302 bis ZD instituant, à compter du 1er janvier 1997, une taxe sur les achats de viande due par les personnes qui réalisent des ventes au détail de viande, dont le produit était affecté à un fonds faisant l'objet d'une comptabilité distincte, ayant pour objet de financer la collecte et l'élimination des cadavres d'animaux et des saisies d'abattoirs reconnus impropres à la consommation humaine et animale, activités correspondant au service public de l'équarrissage défini à l'article 264 du code rural en vigueur au cours des années d'imposition en litige ; que le II de l'article 35 de la loi du 30 décembre 2000 de finances rectificative pour 2000, entré en vigueur le 1er janvier 2001, a limité à la période du 1er janvier 1997 au 31 décembre 2000 l'affectation de la taxe sur les achats de viande au fonds mentionné ci-dessus ; qu'en conséquence, à compter du 1er janvier 2001, en l'absence de dispositions prévoyant l'affectation de cette taxe, celle-ci est devenue une recette du budget général de l'Etat ; qu'à compter de cette même date, le service public de l'équarrissage a été financé au moyen d'une dotation inscrite au budget général de l'Etat ;
Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 18 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, en vigueur au cours des années d'imposition en litige : Il est fait recette du montant intégral des produits, sans contraction entre les recettes et les dépenses. L'ensemble des recettes assurant l'exécution de l'ensemble des dépenses, toutes les recettes et toutes les dépenses sont imputées à un compte unique, intitulé budget général ; qu'en vertu du principe à valeur constitutionnelle d'universalité budgétaire résultant de ces dispositions, les recettes et les dépenses doivent figurer au budget de l'Etat pour leur montant brut, sans être contractées, et l'affectation d'une recette déterminée à la couverture d'une dépense déterminée est interdite, sous réserve des exceptions prévues au second alinéa de l'article 18 ; qu'en application de ce principe et de la législation nationale relative à la taxe sur les achats de viande, et sans qu'il soit besoin de se référer aux travaux parlementaires dont est issu l'article 35 de la loi du 30 décembre 2000, à compter du 1er janvier 2001, il n'existait juridiquement aucun lien d'affectation contraignant entre la taxe et le service public de l'équarrissage, et aucun rapport entre le produit de la taxe et le montant du financement public attribué à ce service ; qu'en exécution des règles ainsi applicables, à compter de cette même date, la taxe sur les achats de viande était une recette du budget général, dépourvue de tout lien avec le budget du ministère de l'agriculture et la dotation inscrite à ce budget servant à financer le service public de l'équarrissage ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'à compter du 1er janvier 2001, il n'existait aucun lien d'affectation contraignant entre la taxe sur les achats de viande et le service public de l'équarrissage ; que la taxe sur les achats de viande n'entrant pas, ainsi, à compter du 1er janvier 2001, dans le champ d'application des stipulations précitées du traité instituant la Communauté européenne concernant les aides d'Etat, la SAS SODIBE ne peut invoquer, au soutien de sa demande en restitution de l'imposition en litige, une éventuelle méconnaissance par les autorités françaises, à l'occasion de la modification du mode de financement du service public de l'équarrissage résultant des dispositions de l'article 35 de la loi du 30 décembre 2000, des obligations qu'imposent la première et la dernière phrases du paragraphe 3 de l'article 88 du traité instituant la Communauté européenne ;
Considérant, par ailleurs, que compte tenu de l'absence de lien d'affectation contraignant entre la taxe sur les achats de viande et le service public de l'équarrissage à compter du 1er janvier 2001, est inopérant au soutien d'une demande en restitution de la taxe sur les achats de viande acquittée au titre du mois de janvier 2001, le moyen tiré de ce que le régime d'aide constitué par le service public de l'équarrissage aurait dû être notifié à l'origine à la Commission européenne ;
Considérant, en second lieu, que les litiges fiscaux ont pour objet de déterminer le montant de l'impôt légalement dû, de trancher des contestations sur les procédures suivies par l'administration pour en assurer le recouvrement ou de statuer sur le bien-fondé de l'application des sanctions fiscales prévues par les textes législatifs ou réglementaires ; que les obligations des contribuables résultent des textes législatifs et réglementaires, à l'application desquels l'administration ne peut renoncer ;
Considérant que, sous réserve des garanties prévues pour le contribuable par les articles L. 80 A et L. 80 B du livre des procédures fiscales, la position ou le comportement de l'administration avant la procédure contentieuse, lors de l'instruction de la réclamation ou en cours d'instance devant le juge de l'impôt, quelles que soient leurs évolutions ou contradictions éventuelles, ne peuvent faire obstacle à l'application par le juge de l'impôt de la loi fiscale, dans le cadre des moyens soulevés par chacune des parties et de ceux qu'il est tenu de relever d'office ;
Considérant, en outre, que les comportements de l'administration qui pourraient être qualifiés de changement de position sont encadrés par des garanties au bénéfice du contribuable, dont le juge de l'impôt assure le respect ; qu'à ce titre, les articles L. 80 A et L. 80 B du livre des procédures fiscales permettent au contribuable, dans les conditions et limites qu'ils fixent, d'opposer à l'administration l'interprétation d'un texte fiscal qu'elle a formellement admise ou une prise de position formelle de sa part sur une situation de fait au regard du texte fiscal ; qu'en outre, lorsque l'administration a prononcé le dégrèvement d'une imposition, elle ne peut établir, sur les mêmes bases, une nouvelle imposition sans avoir, préalablement, informé le contribuable de la persistance de son intention de l'imposer ; qu'enfin, si l'administration peut, à tout moment de la procédure contentieuse, y compris pour la première fois en appel, invoquer tout nouveau fondement à une imposition contestée devant le juge de l'impôt, c'est à la condition qu'un débat contradictoire ait lieu sur ce point devant le juge et que le nouveau fondement invoqué ne prive pas le contribuable des garanties de procédure prévues par la loi ; que d'ailleurs et symétriquement, l'article L. 199 C du livre des procédures fiscales permet au contribuable de soulever tout moyen nouveau en cours de procédure, y compris pour la première fois en appel ;
Considérant, dès lors, que la société requérante ne peut utilement se prévaloir devant le juge administratif de l'impôt d'un principe dit de l'estoppel, selon lequel une partie ne saurait se prévaloir de prétentions contradictoires au détriment de ses adversaires ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède et sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne à titre préjudiciel, que la SAS SODIBE n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SAS SODIBE est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS SODIBE et au ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat.
Copie sera adressée au directeur de contrôle fiscal Nord.
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N°07DA01417 2