Vu la requête, enregistrée le 7 août 2006 par télécopie et régularisée par l'envoi de l'original le 10 août 2006 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée par le PREFET DE LA SEINE-MARITIME ; le préfet demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0601662 du 29 juin 2006 par lequel le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté en date du 27 juin 2006 décidant la reconduite à la frontière de M. Miloud X, la décision du même jour fixant le pays de destination et lui a enjoint de délivrer à l'intéressé une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation ;
2°) de rejeter la demande de M. Miloud X ;
Il soutient que M. X, titulaire d'une carte d'identité d'étranger délivrée par la Belgique en 1996, ne pouvait justifier pour la même période avoir résidé en France ; que certains documents attestant sa présence en France sont contestables pour la période allant de 1998 à 2003 ; qu'il ne démontre pas être présent depuis 1985 sur le territoire français, où son seul lien familial est son frère qui a acquis la nationalité française ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu l'ordonnance en date du 14 août 2006 fixant la clôture de l'instruction au 30 septembre 2006 ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 28 septembre 2006, présenté pour M. X, par Me Rouly ; M. X demande à la Cour de rejeter la requête et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; il soutient que l'arrêté de reconduite à la frontière est fondé sur une décision de refus de séjour illégale, qu'en effet, cette décision est entachée d'erreur de droit dans la mesure où le préfet n'a pas examiné les pièces produites pour justifier de sa présence habituelle sur le territoire français ; que la délivrance d'une carte de séjour belge valable cinq ans ne permet pas de déduire sa présence en Belgique pendant cette période ; qu'il pouvait obtenir la délivrance d'un titre de séjour en raison de sa résidence habituelle en France depuis plus de dix ans ; que l'arrêté de reconduite à la frontière porte une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale compte tenu de ses liens personnels et familiaux, en particulier de la présence en France de son frère, de son neveu et de sa soeur et l'absence de famille dans son pays d'origine ; que le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation de sa situation au regard de sa maîtrise du français, de ses perspectives professionnelles, de son engagement au sein du collectif des sans papiers et des soutiens dont il bénéficie ;
Vu l'ordonnance en date du 2 octobre 2006 rouvrant l'instruction ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience,
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 28 novembre 2006 à laquelle siégeaient Mme Câm Vân Helmholtz, président de chambre, Mme Brigitte Phémolant, président-assesseur et M. Manuel Delamarre, premier conseiller :
- le rapport de Mme Câm Vân Helmholtz, président de chambre ;
- les observations de Me Falacho, pour M. X ;
- et les conclusions de M. Olivier Mesmin d'Estienne, commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : « L'autorité administrative compétente peut, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : (…) 3º Si l'étranger auquel la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé, ou dont le titre de séjour a été retiré, s'est maintenu sur le territoire au-delà du délai d'un mois à compter de la date de notification du refus ou du retrait (…) » ; qu'il ressort des pièces du dossier que M. Miloud X, de nationalité marocaine, s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après la notification de l'arrêté du PREFET DE LA SEINE-MARITIME du 29 septembre 2005 lui refusant la délivrance d'un titre de séjour et l'invitant à quitter le territoire ; qu'il entrait ainsi dans le champ d'application de la disposition précitée ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : « Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention «vie privée et familiale» est délivrée de plein droit : (…) 3° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans ou plus de quinze ans si, au cours de cette période, il a séjourné en qualité d'étudiant. Les années durant lesquelles l'étranger s'est prévalu de documents d'identité falsifiés ou d'une identité usurpée ne sont pas prises en compte » ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. X a sollicité la délivrance d'une carte de séjour temporaire sur le fondement du 3° de l'article L. 313-11 précité ; qu'à l'appui de sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté ordonnant sa reconduite à la frontière, il a invoqué, par la voie de l'exception, l'illégalité de la décision du 29 septembre 2005 lui refusant la délivrance d'un titre de séjour ;
Considérant que si M. X s'est vu délivrer une carte d'identité d'étranger par les autorités belges valable du 12 avril 1996 au 11 avril 2001, le préfet ne pouvait légalement refuser la délivrance du titre de séjour sollicité en se fondant exclusivement sur le motif que l'intéressé avait bénéficié d'une carte d'identité d'étranger en Belgique et en omettant d'examiner s'il remplissait les conditions de délivrance d'une carte de séjour temporaire en application de l'article L. 313-11 3° précité, sans commettre une erreur de droit ;
Considérant néanmoins que pour établir la légalité du refus de séjour du 29 septembre 2005, le PREFET DE LA SEINE-MARITIME invoque un autre motif tiré de ce que M. X ne justifiait pas lors de sa demande en septembre 2005 d'une résidence en France de plus de dix ans, n'établissant ni la réalité de son entrée en France en 1985 ainsi qu'il le prétend, ni sa présence habituelle et continue depuis cette date sur le territoire français, en particulier s'agissant des années 1998 à 2000 pour lesquelles les seules attestations produites ne suffisent pas à prouver sa résidence en France ; qu'il y a lieu dès lors de procéder à la substitution de motifs demandée par le PREFET DE LA SEINE-MARITIME qui n'a pas pour effet de priver l'intéressé de garanties ; que dès lors, c'est à tort que, pour annuler l'arrêté attaqué, le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Rouen s'est fondé sur ce que la décision préfectorale du 29 septembre 2005 était entachée d'erreur de droit et, par voie de conséquence, a annulé l'arrêté du 27 juin 2006 reconduisant à la frontière M. X ;
Considérant, toutefois, qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. X devant le Tribunal administratif de Rouen et devant la Cour ;
Considérant qu'à l'appui de ses conclusions dirigées contre l'arrêté ordonnant sa reconduite à la frontière, M. X excipe de l'illégalité de la décision du 29 septembre 2005 lui refusant la délivrance d'un titre de séjour ; qu'il n'est pas contesté qu'il s'est pourvu dans le délai de recours contentieux contre cette dernière décision qui n'était ainsi pas devenue définitive à la date à laquelle il a saisi le tribunal administratif ; que, dès lors, l'exception d'illégalité est recevable ;
Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, M. X ne justifiait pas, à la date de l'arrêté ordonnant sa reconduite à la frontière, d'une durée de résidence habituelle en France de plus de dix ans ; qu'ainsi, il ne peut prétendre à un titre de séjour sur le fondement du 3° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que dès lors le préfet n'était pas tenu de saisir la commission du titre de séjour en application de l'article L. 512-2 du même code ;
Considérant que l'arrêté attaqué énonce les considérations de droit et de fait sur lesquelles il se fonde ; qu'il est, par suite, suffisamment motivé ; que par ailleurs, la circonstance qu'il n'aurait pas précisé l'ensemble des éléments de fait spécifiques à la situation de l'intéressé afin d'estimer qu'il n'était pas porté une atteinte disproportionnée à sa vie familiale n'est pas constitutif d'une erreur de fait ;
Considérant que M. X fait valoir qu'il est orphelin de père et de mère, que ses liens familiaux se trouvent en France où résident son frère et son neveu, de nationalité française, et sa soeur, titulaire d'une carte de séjour temporaire d'un an, et qu'il serait isolé en cas de retour au Maroc ; qu'il ressort toutefois des pièces du dossier que M. X, âgé de 40 ans, est séparé de son épouse et ne justifie pas avoir des charges de famille en France ; que par ailleurs, s'il se prévaut de liens particulièrement forts qu'il entretiendrait avec son frère compte tenu de son histoire familiale difficile, il n'apporte aucun élément particulier de nature à l'établir ; qu'ainsi, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce et eu égard aux effets d'une mesure de reconduite à la frontière, l'arrêté attaqué n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels cet arrêté a été pris ; qu'il n'a, par suite, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Considérant que M. X soutient qu'outre ses liens familiaux, il a tissé en France des liens forts, notamment du fait de ses activités associatives, qu'il maîtrise la langue française et bénéficie de perspectives d'intégration professionnelle, qu'il dispose d'un casier judiciaire vierge, qu'enfin certains de ses ascendants auraient combattu dans l'armée française ; que, toutefois, ces circonstances ne sont pas de nature en l'espèce à établir qu'en décidant sa reconduite à la frontière, le PREFET DE LA SEINE-MARITIME a commis une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le PREFET DE LA SEINE-MARITIME est fondé à demander l'annulation du jugement du 29 juin 2006 par lequel le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 27 juin 2006 décidant la reconduite à la frontière de M. X, la décision du même jour fixant le pays de destination et lui a enjoint de délivrer à l'intéressé une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que demande M. X au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 29 juin 2006 du magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Rouen est annulé.
Article 2 : La demande présentée devant le Tribunal administratif de Rouen par M. X et ses conclusions présentées devant la Cour tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au PREFET DE LA SEINE-MARITIME, à M. Miloud X et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.
N°06DA001067 2