Vu la requête, enregistrée le 28 mars 2006 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée pour M. Denis Y, demeurant ..., par la SCP Prudhomme ; M. Y demande à la Cour :
11) d'annuler le jugement n° 0302609 du 19 janvier 2006 par lequel le Tribunal administratif d'Amiens a annulé, à la demande de Mme Christine X, l'arrêté du 10 octobre 2003 par lequel le préfet de l'Aisne lui a accordé l'autorisation d'exploiter une superficie de 8 hectares de terres sur le territoire de la commune de Vigneux-Hocquet ;
22) de rejeter la demande présentée par Mme X devant le Tribunal administratif d'Amiens ;
3°) de condamner Mme X à lui verser une somme de 1 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;
Il soutient que c'est à tort que les premiers juges ont estimé, pour annuler la décision d'autorisation d'exploiter, que l'opération de reprise des terres n'était pas conforme aux orientations du schéma directeur départemental des structures agricoles de l'Aisne dès lors que l'une des orientations du schéma visant à éviter le démembrement des exploitations au-delà de 10 % était respectée ; que le préfet de l'Aisne, en prenant la décision en litige, a procédé à une comparaison de la situation du demandeur et du preneur en place et n'a pas fait une appréciation erronée de celles-ci ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu l'ordonnance du 7 avril 2006 portant clôture d'instruction au 7 juillet 2006 ;
Vu les observations, enregistrées le 5 juillet 2006, présentées par le ministre de l'agriculture et de la pêche, suite à la communication de la requête ; il conclut à l'annulation du jugement, au rejet de la demande présentée par Mme X devant le Tribunal administratif d'Amiens et à la condamnation de celle-ci à verser à l'Etat une somme de 713 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; il soutient que, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, l'opération envisagée par M. Y répondait à l'une des orientations du schéma directeur départemental des structures agricoles qui est de conforter par des agrandissements les exploitations d'une superficie comprise entre 1,5 et 3 unités de référence (UR) ; que la reprise, qui portait sur une superficie de 8 ha de terres et représentait 6,8 % de la surface mise en valeur par Mme X, respectait également l'orientation du schéma qui vise à prohiber les démembrements d'exploitations supérieurs à 10 % ; que la circonstance que le préfet a privilégié une des orientations du schéma au détriment d'une autre est insuffisante pour entacher sa décision d'illégalité dès lors que les autres conditions fixées sont fondées en fait et en droit ; que, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, les dispositions du schéma directeur départemental des structures de l'Aisne n'interdisent pas les reprises de terres dans l'hypothèse où l'exploitation du preneur en place serait inférieure au seuil de 1,5 UR ; que contrairement à ce que soutient Mme X, l'arrêté en litige est suffisamment motivé ; que l'arrêté du préfet de l'Aisne en date du 29 mars 2002 portant révision du schéma directeur des structures agricoles et celui en date du 10 mars 2003 portant nomination des membres de la commission départementale d'orientation de l'agriculture ont été régulièrement publiés ; que le procès-verbal de ladite commission du 10 octobre 2003 qui mentionne les membres présents a été versé aux débats en première instance ; que si Mme X allègue que le projet de reprise remet en cause l'emploi d'un salarié sur son exploitation, elle ne l'étaye d'aucun élément probant ; que si le seuil de 3 120 fois le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) horaire constitue effectivement une condition permettant de soumettre l'exploitation de parcelles à autorisation, la nature des revenus peut être retenue au titre de la prise en compte des situations personnelles et professionnelles visées à l'article L. 331-3-4° du code rural ;
Vu l'ordonnance du 6 juillet 2006 portant report de la clôture d'instruction au 7 août 2006 ;
Vu l'examen des pièces desquelles il résulte que la requête a été communiquée à
Mme X qui n'a pas produit de mémoire en défense ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code rural ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience,
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 11 octobre 2006 à laquelle siégeaient M. Jean-Claude Stortz, président de chambre, M. Alain Dupouy, président-assesseur et M. Alain de Pontonx, premier conseiller :
- le rapport de M. Alain Dupouy, président-assesseur,
- les observations de Me Stalin pour M. Y,
- et les conclusions de M. Pierre Le Garzic, commissaire du gouvernement ;
Sans qu'il soit besoin de statuer sur l'autre moyen présenté en appel par M. Y :
Considérant que, par un arrêté du 10 octobre 2003, le préfet de l'Aisne a accordé à
M. Y l'autorisation d'exploiter une superficie de 8 hectares de terres sur le territoire de la commune de Vigneux-Hocquet ; que M. Y relève régulièrement appel du jugement du 19 janvier 2006 par lequel le Tribunal administratif d'Amiens a annulé cet arrêté ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 331-3 du code rural : « L'autorité administrative, après avis de la commission départementale d'orientation de l'agriculture, se prononce sur la demande d'autorisation en se conformant aux orientations définies par le schéma directeur départemental des structures agricoles applicable dans le département dans lequel se situe le fonds faisant l'objet de la demande. Elle doit notamment : 1° observer l'ordre des priorités établi par le schéma départemental entre l'installation des jeunes agriculteurs et l'agrandissement des exploitations agricoles, en tenant compte de l'intérêt économique et social du maintien de l'autonomie de l'exploitation faisant l'objet de sa demande ; 2° S'assurer, en cas d'agrandissement ou de réunion d'exploitations, que toutes les possibilités d'installation sur une exploitation viable ont été considérées ; 3° Prendre en compte les références de production ou droits à aide dont disposent déjà le ou les demandeurs ainsi que ceux attachés aux biens objets de la demande en appréciant les conséquences économiques de la reprise envisagée ; 4° Prendre en compte la situation personnelle du ou des demandeurs, notamment, en ce qui concerne l'âge et la situation familiale ou professionnelle et, le cas échéant, celle du preneur en place ; 5° Prendre en compte la participation du demandeur ou, lorsque le demandeur est une personne morale, de ses associés à l'exploitation directe des biens objets de la demande dans les conditions prévues à l'article L. 411-59 ; 6° Tenir compte du nombre d'emplois non salariés et salariés permanents ou saisonniers sur les exploitations concernées ;
7° Prendre en compte la structure parcellaire des exploitations concernées, soit par rapport au siège de l'exploitation, soit pour éviter que des mutations en jouissance ne remettent en cause des aménagements réalisés à l'aide de fonds publics ; 8° Prendre en compte la poursuite d'une activité agricole bénéficiant de la certification du mode de production biologique … » ; et qu'aux termes de l'article L. 331-2 du même code : « Sont soumises à autorisation préalable les opérations suivantes : … 3° Quelle que soit la superficie en cause, les installations, les agrandissements ou les réunions d'exploitations agricoles au bénéfice d'une exploitation agricole : … b) Ne comportant pas de membre ayant la qualité d'exploitant. Il en est de même pour les exploitants pluriactifs remplissant les conditions de capacité ou d'expérience professionnelle dont les revenus extra-agricoles du foyer fiscal excèdent 3 120 fois le montant horaire du salaire minimum de croissance » ;
Considérant que les dispositions précitées de l'article L. 331-3 du code rural ne prescrivent pas d'établir une hiérarchie entre les orientations définies par les schémas directeurs ; que si le schéma directeur départemental des structures agricoles de l'Aisne a, notamment, comme objectif d'éviter le démembrement au-delà de 10 % pour les exploitations inférieures à 3 unités de référence (UR) ainsi que la disparition d'exploitations d'une superficie au moins égale à 0,5 UR, il a également comme autre objectif de conforter par des agrandissements l'exploitation à responsabilité personnelle afin de constituer des exploitations d'une superficie comprise entre 1,5 et 3 unités de référence ; que la décision en litige, qui avait pour but de conforter par un agrandissement l'exploitation de
M. Y d'une superficie comprise entre 1,5 et 3 UR et n'entraînait, ni un démembrement de plus de 10 % de l'exploitation de Mme X, ni la diminution de la superficie de son exploitation en deçà de 0,5 UR, n'était ainsi, pas contraire aux orientations définies par ce schéma ; que, par suite, c'est à tort que, pour annuler l'arrêté du 10 octobre 2003 en litige, le Tribunal administratif d'Amiens s'est fondé sur ce que le projet de reprise n'était pas conforme aux orientations générales du schéma en ce qu'il conduisait à réduire la superficie exploitée par
Mme X à moins de 1,5 unité de référence ;
Considérant, toutefois, qu'il appartient à la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur les moyens soulevés par Mme X en première instance ;
Considérant, en premier lieu, que le préfet de l'Aisne a donné toutes précisions sur la composition de la commission d'orientation de l'agriculture et sur l'état des membres présents lors de la réunion du 10 octobre 2003 en produisant l'arrêté du 10 mars 2003 portant nomination des membres de ladite commission ainsi que le procès-verbal de la réunion du 10 octobre 2003 ; que l'arrêté du 10 mars 2003 susmentionné et celui du 29 mars 2002 modifié portant révision du schéma directeur départemental des structures agricoles de l'Aisne ont régulièrement fait l'objet d'une publication au recueil des actes administratifs de la préfecture de l'Aisne, respectivement en mars 2003 et en avril 2002 ;
Considérant, en deuxième lieu, que l'arrêté du 10 octobre 2003, accordant à
M. Y l'autorisation d'exploiter les terres que Mme X mettait jusqu'alors en valeur, précise que le projet de reprise est conforme aux orientations du schéma directeur départemental des structures agricoles de l'Aisne, que la demande de reprise présentée par
M. Y sur 8 ha représente 6,8 % de la surface mise en valeur par le cédant, soit un pourcentage inférieur au seuil de démembrement fixé à 10 % par le schéma directeur, que
Mme X, qui occupe, par ailleurs, un emploi de comptable, conserverait après reprise
110 hectares 19 ares, soit 1,45 unité de référence et que les revenus de son foyer fiscal sont, selon ses déclarations, supérieurs à 3 120 fois le SMIC horaire et que si M. Y exploite de son côté 215 hectares 54 ares, il ne tire ses revenus que de son activité agricole ; que cette motivation, qui procède à une comparaison de la situation des intéressés, tant au regard des critères mentionnés à l'article L. 331-3 du code rural que des orientations du schéma directeur départemental des structures agricoles, est conforme aux exigences des articles L. 331-3 et R. 331-6 du code rural ;
Considérant, en troisième lieu, que comme cela a été indiqué précédemment, l'opération envisagée par M. Y n'était pas contraire aux orientations du schéma directeur départemental des structures agricoles, lesquelles, notamment, fixent le seuil de démembrement à
0,5 UR et n'interdisent pas les reprises de terres ayant pour effet de réduire l'exploitation du preneur en place à une superficie inférieure à 1,5 unité de référence, seulement considérée comme « seuil plancher d'optimisation foncière » ;
Considérant, en quatrième lieu, que le préfet n'est tenu d'observer l'ordre des priorités établi par le schéma directeur départemental des structures agricoles que dans le cas où il est saisi de demandes concurrentes ; qu'en l'espèce, il ressort des pièces du dossier qu'à la date de l'arrêté en litige, les terres concernées par l'opération n'avaient fait l'objet d'aucune demande d'autorisation d'exploiter autre que celle présentée par M. Y ; qu'ainsi, les dispositions du schéma relatives à l'ordre des priorités n'étaient pas applicables ;
Considérant, en cinquième lieu, que si Mme X soutient que la reprise des terres remettrait en cause l'emploi du salarié présent sur son exploitation, elle ne l'établit pas par ses seules allégations au soutien desquelles elle n'apporte aucun élément ;
Considérant, enfin, que si le dépassement du seuil de 3 120 fois le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) horaire par les exploitants pluriactifs, en ce qui concerne leurs revenus extra-agricoles, a pour effet de soumettre à autorisation, quelle que soit la superficie demandée, les opérations qu'ils projettent, l'article L. 331-3 du code rural dispose que le préfet est tenu de procéder à une comparaison des situations personnelle et professionnelle du demandeur et du preneur en place ; qu'ainsi, le préfet de l'Aisne, après avoir examiné la situation de
M. Y et celle de Mme X dans leur ensemble, a pu légalement prendre en considération le fait que M. Y, qui exploitait 215 hectares 54 ares de terre, ne tirait ses revenus que de son activité agricole alors que Mme X n'exerçait la profession d'agriculteur qu'à titre secondaire et occupait parallèlement un emploi de comptable qui lui procurait des revenus extra-agricoles supérieurs au seuil fixé par le code rural ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. Y est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif d'Amiens a annulé l'arrêté du 10 octobre 2003 en litige ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant, d'une part, qu'il y a lieu de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de Mme X, partie perdante dans la présente instance, le paiement à
M. Y de la somme de 1 000 euros qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Considérant, d'autre part, que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de Mme X le paiement à l'Etat de la somme demandée par le ministre de l'agriculture et de la pêche au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, dès lors que ce dernier, qui n'a pas usé de la faculté de faire appel et n'a été appelé en la cause que pour produire des observations, n'est pas partie à la présente instance ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement nnn0302609 du 19 janvier 2006 du Tribunal administratif d'Amiens est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme X devant le Tribunal administratif d'Amiens est rejetée.
Article 3 : Mme X versera à M. Y une somme de 1 000 euros.
Article 4 : Les conclusions du ministre de l'agriculture et de la pêche tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. Denis Y, au ministre de l'agriculture et de la pêche et à Mme Christine X.
Copie sera transmise au préfet de l'Aisne.
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N°06DA00441