Vu la requête, enregistrée le 17 juin 2005, présentée pour la COMMUNE D'EMERCHICOURT, représentée par son maire en exercice, présentée par Me X... ; la COMMUNE D'EMERCHICOURT demande à la Cour :
11) d'annuler l'ordonnance n° 0501291 en date du 18 avril 2005 par laquelle la présidente de la 2ème chambre du Tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté en date du 7 octobre 2004 de son maire interdisant les coupures d'énergie électrique et de gaz sur le territoire de la commune ;
2°) de rejeter le déféré présenté devant le Tribunal administratif de Lille par le préfet du Nord ;
3°) de condamner l'Etat au versement de la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que l'arrêté en litige ne s'inscrivait pas uniquement dans la perspective d'apporter une aide d'urgence aux familles en difficulté, mais aussi dans le souci de prévenir les risques d'atteinte à l'ordre public, à la sécurité des personnes et des biens et à la salubrité publique, générés par des coupures d'électricité et justifiant la mise en oeuvre des pouvoirs de police générale que confère au maire l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales ; que compte tenu de l'urgence et de l'insuffisance des moyens alternatifs de règlement des difficultés auxquelles se trouve confronté un nombre croissant de familles, l'intervention du maire est apparue nécessaire, en conformité avec les principes posés à l'article 25 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi qu'avec les objectifs à valeur constitutionnelle du droit à un logement décent et de dignité de la personne humaine et dans le souci des intérêts des enfants tels qu'ils sont reconnus et protégés par la convention des Nations-Unies du 20 novembre 1989 ; qu'il s'agissait aussi de ne pas priver de sa portée l'interdiction des expulsions de logement au titre de la période du 1er novembre au 15 mars ; que le maire dispose de pouvoirs lui permettant de veiller au respect de la mesure prise au titre de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales et peut, dans ce cadre, intervenir dans les rapports existant entre EDF-GDF et leurs clients dès lors que la mission de ces sociétés est une mission de service public excédant le seul cadre contractuel ;
Vu l'ordonnance attaquée ;
Vu l'ordonnance du président de la 1ère chambre de la Cour, en date du 29 juin 2005, portant clôture de l'instruction au 31 octobre 2005 ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 2 septembre 2005, présenté par le préfet du Nord, qui conclut au rejet de la requête ; le préfet soutient que ni l'arrêté du 7 octobre 2004, ni la requête en appel de la commune, n'établissent que le trouble ou la menace de trouble à l'ordre public présentait un caractère de gravité tel que l'intervention du maire était nécessaire et que ce dernier ne pouvait maintenir l'ordre public qu'en interdisant les coupures d'énergie électrique et de gaz sur le territoire de sa commune ; que le maire a pris une mesure d'interdiction générale et non limitée dans le temps ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 7 octobre 2005, présenté pour la COMMUNE D'EMERCHICOURT, concluant aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens ; la commune fait valoir, en outre, que la menace de trouble à l'ordre public est parfaitement établie ; que, par ailleurs, la mesure prise était la seule adéquate et proportionnée à l'objectif à atteindre ;
Vu le mémoire, enregistré le 31 octobre 2005, présenté par le préfet du Nord, précisant que le dossier n'appelle pas de nouvelles observations de sa part ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution du 4 octobre 1958, ensemble le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu la convention des Nations-Unies relative aux droits de l'enfant signée à New York le
26 janvier 1990 ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code de l'action sociale et des familles ;
Vu la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 ;
Vu le décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience,
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 15 décembre 2005 à laquelle siégeaient Mme Tricot, président de chambre, M. Dupouy, président-assesseur et M. Stephan, premier conseiller :
- le rapport de M. Dupouy, président-assesseur ;
- les observations de Me Y..., pour la COMMUNE D'EMERCHICOURT ;
- et les conclusions de M. Lepers, commissaire du gouvernement ;
Considérant que, par arrêté en date du 7 octobre 2004, le maire de la COMMUNE D'EMERCHICOURT a interdit les coupures d'énergie électrique et de gaz sur le territoire de la commune ; que la commune relève appel de l'ordonnance du 18 avril 2005 par laquelle la présidente de la 2ème chambre du Tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales : « Le maire est chargé ( ... ) de la police municipale ( ... ) » ; et qu'aux termes de l'article L. 2212-2 du même code : « La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques » ;
Considérant, en premier lieu, que les menaces à l'ordre public, à la sécurité et à la salubrité publiques que constitueraient, selon la COMMUNE D'EMERCHICOURT, les coupures d'électricité et de gaz, pour les familles qui en font l'objet et leur voisinage ne sont pas, de par leur imprécision et leur éventualité, de nature à justifier le recours par le maire aux pouvoirs qu'il tient des dispositions précitées pour interdire ces coupures sur le territoire de la commune ; que, par suite, et alors même qu'aucune disposition n'interdit expressément au maire d'intervenir dans cette matière et que la mesure d'interdiction n'aurait qu'un caractère subsidiaire par rapport à l'application des mesures législatives et réglementaires destinées à permettre la fourniture d'électricité et de gaz aux personnes en difficulté, lesdites dispositions ne pouvaient servir de fondement légal à l'arrêté en date du
7 octobre 2004 ;
Considérant, en second lieu, que, contrairement à ce que soutient la COMMUNE D'EMERCHICOURT, ni les dispositions du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 selon lesquelles, d'une part, la nation assure à l'individu et à la famille des conditions nécessaires à leur développement et, d'autre part, tout être humain qui se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence, ni les règles et principes de valeur constitutionnelle que constituent la sauvegarde de la dignité de la personne humaine, la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent ou la promotion du logement des personnes défavorisées, n'ont pu par eux-mêmes donner un fondement légal suffisant à l'arrêté litigieux, et ce alors même que leur respect s'impose aux autorités publiques ; qu'il en est de même de l'atteinte que porteraient les coupures d'électricité et de gaz aux principes du droit à un niveau de vie suffisant et du droit à une vie familiale normale affirmés respectivement par l'article 25 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi qu'aux intérêts protégés par la convention des Nations-Unies relative aux droits de l'enfant ; que, pas davantage, eu égard à la généralité de leurs termes et à l'existence d'un dispositif réglementaire spécifique destiné à permettre, selon certaines modalités, le maintien de la fourniture de l'électricité aux personnes en situation de précarité, les dispositions de la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service de l'électricité, selon lesquelles, notamment, le service public d'électricité « concourt à la cohésion sociale, en assurant le droit à l'électricité pour tous, et à la lutte contre les exclusions » et celles de l'article 1er de la loi du 29 juillet 1998, codifiées à l'article L. 115-2 du code de l'action sociale et des familles, qui font de la lutte contre les exclusions « un impératif national fondé sur le respect d'égale dignité de tous les êtres humains et une priorité de l'ensemble des politiques publiques de la nation » et disposent en outre que les collectivités territoriales « poursuivent une politique destinée à connaître, à prévenir et à supprimer toutes les situations pouvant engendrer des exclusions » ne sont, par elles-mêmes ou combinées entre elles et avec l'ensemble des règles ou principes susmentionnés, de nature à donner une base légale suffisante à l'arrêté attaqué ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la COMMUNE D'EMERCHICOURT n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, la présidente de la 2ème chambre du Tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté en date du 7 octobre 2004 ; que doivent être rejetées, par voie de conséquence, les conclusions de la commune tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la COMMUNE D'EMERCHICOURT est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la COMMUNE D'EMERCHICOURT, au préfet du Nord ainsi qu'au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.
N°05DA00727 2