Vu la requête, reçue par fax et enregistrée le 18 février 2004 et son original en date du 19 février 2005 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée pour la société ACE EUROPE, dont le siège est Le Colisée, ..., par la SCP d'avocats Gatineau ; la société demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 01-5018 en date du 27 novembre 2003 par lequel le Tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 6 219 291 francs en remboursement de l'indemnité qu'elle a versée à la SCI « Les Deux Tilleul », son assurée, pour la réparation du préjudice subi par cette dernière en raison de l'incendie qui a été déclenché dans la nuit du 17 avril 2000 dans les locaux de l'immeuble lui appartenant ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 150 488 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 29 mai 2000, date de sa première demande, et d'ordonner la capitalisation des dits intérêts ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 3 050 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que le jugement attaqué est entaché de vices de forme et de procédure dès lors qu'il ne vise pas les différents mémoires produits par les parties en première instance ; qu'en particulier le mémoire qu'elle a produit le 5 septembre 2003 en réponse à un moyen susceptible d'être relevé d'office par la juridiction et communiqué aux parties n'a pas été visé ; qu'il est constant que les événement survenus dans les nuits du 16 au 17 et du 17 au 18 avril 2000 sont le fait d'une manifestation d'un très grand nombre de personnes révoltées par la mort accidentelle d'un jeune lors d'un contrôle de police et sont ainsi constitutifs d'une manifestation ou attroupement au sens de la loi du 7 janvier 1983 ; que pendant ces deux nuits, des infractions pénales de nature délictuelle ou criminelle ont été commises par les manifestants au sens de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales ; qu'il est constant que l'incendie déclenché le 17 avril 2000 est le résultat immédiat et certain d'une dérive violente de la manifestation du même jour ; que dans ces conditions, le tribunal administratif a commis une erreur manifeste d'appréciation en considérant que les faits de l'espèce ne relevaient pas du champ d'application de la loi du 7 janvier 1983 ; qu'à titre subsidiaire, la responsabilité pour faute de l'Etat aurait dû être retenue compte tenu de l'absence de mesure préventive prise par les autorités de police lors des manifestations en cause ; que s'agissant de la responsabilité sans faute, il est inopérant de constater que les autorités auraient pris les mesures nécessaires pour assurer le maintien de l'ordre dès lors que seul doit être démontré le caractère spécial et anormal du préjudice subi ; qu'en l'espèce, il est constant que la société a subi un préjudice anormal compte tenu de son ampleur ; qu'ainsi , elle est fondée à demander la réparation intégrale du préjudice subi composé d'un montant de 948 125 euros qu'elle a remboursé à la SCI « Les Deux Tilleuls » et d'un montant de 202 362,81 euros pour lequel le groupe Azur qui assurait aussi la SCI recherche sa garantie ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 21 juin 2004, présenté par le préfet de défense Nord , qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que l'indemnisation de la société appelante ne peut être fondée sur l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales dès lors qu'aucun lien direct de causalité entre la marche qui s'est déroulée l'après-midi du 17 avril en hommage au jeune défunt et les évènements survenus dans la nuit ne peut être établi ; que le dommage subi ne peut être regardé comme étant directement imputable à l'autorité en charge du maintien de l'ordre ; que s'agissant de la responsabilité de l'Etat sur le fondement de la rupture de l'égalité devant les charges publiques, il est constant que l'autorité de police n'a pas refusé de prêter son concours au rétablissement de l'ordre tel que l'attestent les nombreuses interpellations réalisées lors des évènements en cause ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 20 octobre 2005 à laquelle siégeaient M. Tricot, président de chambre, M. Dupouy, président-assesseur et Mme Eliot, conseiller :
- le rapport de Mme Eliot, conseiller ;
- et les conclusions de M. Lepers, commissaire du gouvernement ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant qu'il ne ressort d'aucune pièce du dossier de première instance transmis à la Cour que le jugement attaqué en date du 27 novembre 2003 ait comporté l'analyse des conclusions et de tous les mémoires présentés par les parties comme l'exige l'article R. 741-2 du code de justice administrative ; que, par suite, la société requérante est fondée à soutenir que ledit jugement est entaché d'une irrégularité de nature à en entraîner l'annulation ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société A.C.E. Europe devant le tribunal administratif de Lille ;
Sur les conclusions tendant à la réparation du préjudice subi par la société :
Sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de la requête de première instance :
Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 92 de la loi du 7 janvier 1983, devenu l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales : « L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens... » ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'après qu'un jeune homme ait été accidentellement tué par les forces de l'ordre dans le quartier de Lille-Sud au cours de la nuit du 15 au 16 avril 2000, des troubles se sont produits et des dégradations ont été commises à partir du 16 avril au soir et pendant les quarante-huit heures qui ont suivi ; que les dommages indemnisés par la société requérante résultent d'exactions commises dans la nuit du 17 au 18 avril 2000 contre les locaux, dont la SCI « Les Deux Tilleuls » est propriétaire, qui ont été incendiés, ainsi que deux voitures garées dans la cour de l'immeuble, à la suite de « cocktails molotof » lancés par des individus qui n'ont pu être identifiés ; que la circonstance qu'un rassemblement spontané de nature pacifique ait été organisé le 17 avril dans l'après-midi, en réaction à l'accident survenu la veille, ne saurait avoir pour effet d'établir la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales, dès lors qu'il n'est pas sérieusement contesté que les actes de vandalisme ont eu lieu plusieurs heures après la dispersion de la manifestation et qu'il ne résulte pas de l'instruction que les faits litigieux auraient été perpétrés par les manifestants en cause ;
Considérant, en deuxième lieu, que contrairement à ce que soutient la société requérante, il ne ressort pas de l'instruction que les forces de police aient commis une faute en omettant de prendre les mesures de prévention et de répression nécessaires au maintien de l'ordre public ; qu'il ne résulte pas davantage de l'instruction que le préjudice dont se prévaut la société requérante aurait un lien direct avec l'action, alors même qu'elle n'aurait pas été fautive, qu'auraient menée les forces de police lors des troubles qui se sont produits dans la nuit du 17 avril 2000 ; que, par suite, la responsabilité de l'Etat ne peut être recherchée ni sur le terrain de la faute ni sur celui de la rupture d'égalité devant les charges publiques ;
Sur les conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que l'Etat n'étant pas, dans la présente instance, partie perdante, il ne saurait être condamné à verser à la société ACE EUROPE la somme qu'elle demande au titre des frais engagés par elle et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement en date du 27 novembre 2003 du Tribunal administratif de Lille est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la société ACE EUROPE devant le Tribunal administratif de Lille et le surplus des conclusions de la requête sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société ACE EUROPE, préfet de la région Nord/Pas-de-Calais et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire et des libertés locales
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N°04DA00164