Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai le
31 juillet 2003, présentée pour la société JEUMONT SA dont le siège est Tour Framatome
1 place de la Coupole à Courbevoie (92400), par Me Gatineau, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ; la société JEUMONT SA demande à la cour :
1') d'annuler le jugement n° 01-1343 du 24 avril 2003 par lequel le Tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail de Maubeuge, en date du 18 janvier 2001, refusant de lui accorder l'autorisation de licencier
M. Michel X ;
2') d'annuler ladite décision ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 3 050 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que le jugement est insuffisamment motivé ; qu'il ne ressort pas des éléments produits par la direction régionale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle que
M. Y, signataire de la décision attaquée, était compétent sur le secteur de Maubeuge pour statuer sur la demande d'autorisation de licenciement ; que l'inspecteur du travail a méconnu l'autorité de la chose jugée et commis une erreur manifeste d'appréciation en se fondant pour se prononcer sur la demande sur le seul comportement de M. X au cours des douze derniers mois précédant sa décision, ignorant ainsi les faits qui lui étaient initialement reprochés, et en estimant que ces faits, en raison de l'amélioration supposée du comportement de l'intéressé, n'avaient plus de caractère fautif ; que l'inspecteur du travail a également méconnu l'autorité de la chose jugée en relevant que le licenciement n'était pas sans lien avec l'exécution du mandat ; qu'en outre, c'est à tort qu'il a considéré que l'intérêt général justifiait le maintien de M. X dans l'entreprise ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire, enregistré le 28 juin 2004, présenté pour la société JEUMONT qui produit à l'appui de sa requête un arrêt rendu par la Cour administrative d'appel de Douai le 10 juin 2004 ;
Vu la mise en demeure du 20 octobre 2004 adressée au ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 20 décembre 2004, présenté pour M. X, par Me Rapp ; M. X conclut au rejet de la requête et demande, en outre, à la Cour de condamner la société JEUMONT à lui payer une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; il soutient que la décision du 18 janvier 2001, signée par une autorité compétente, a été prise à la suite d'une enquête contradictoire régulière ; que c'est à bon droit que l'inspecteur du travail, prenant en compte les éléments existant à la date de sa décision et constatant la nette diminution de ses absences, a estimé que les faits qui lui étaient reprochés n'avaient plus de caractère fautif ; que c'est également à juste titre que l'inspecteur du travail a relevé que son maintien dans l'entreprise, ne portant pas une atteinte excessive aux intérêts de l'employeur, était d'intérêt général, dès lors qu'il est le seul élu CGT du collège ouvrier au comité d'hygiène et de sécurité ; que l'attitude discriminatoire à son égard de la société JEUMONT est parfaitement établie ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 24 mars 2005, présenté pour la société JEUMONT SA ; la société JEUMONT SA conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens ; elle soutient, en outre, que le comportement de M. X n'a pas connu d'amélioration et demeure gravement fautif ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du travail ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience,
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 31 mars 2005 à laquelle siégeaient
M. Merloz, président de chambre, M. Dupouy, président-assesseur et M. Stéphan, premier conseiller :
- le rapport de M. Dupouy, président-assesseur ;
- les observations de Me Lancien, pour M. X ;
- et les conclusions de M. Lepers, commissaire du Gouvernement ;
Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête ;
Considérant qu'en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle, est subordonnée à une autorisation de l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement ; que, lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale ; que, dans le cas où la demande est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'autorité compétente de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables à son contrat de travail et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi ; qu'en outre, pour refuser l'autorisation sollicitée, l'autorité administrative a la faculté de retenir un motif d'intérêt général relevant de son pouvoir d'appréciation de l'opportunité, sous réserve qu'une atteinte excessive ne soit pas portée à l'un ou l'autre des intérêts en présence ;
Considérant que, par un jugement du 8 juillet 1998, le Tribunal administratif de Lille a annulé la décision de l'inspecteur du travail de Maubeuge en date du 29 septembre 1995 refusant à la société JEUMONT industrie l'autorisation de licencier pour faute M. X, salarié protégé, au motif que les faits reprochés à l'intéressé présentaient le caractère d'une faute suffisamment grave pour justifier son licenciement et que la demande d'autorisation présentée par l'employeur était sans lien avec son mandat représentatif ou son appartenance syndicale ; que la société JEUMONT industrie ayant, à la suite de ce jugement, confirmé sa demande d'autorisation en se fondant sur les mêmes faits, l'inspecteur du travail lui a à nouveau, par une décision en date du 28 septembre 1998, refusé l'autorisation de licencier M. X ; que, par jugement du 19 octobre 2000 confirmé par arrêt de la Cour administrative d'appel de Douai du 10 juin 2004, le Tribunal administratif de Lille a annulé cette décision au motif qu'elle méconnaissait l'autorité de la chose jugée ; que la société JEUMONT ayant renouvelé sa demande d'autorisation de licenciement de ce salarié, l'inspecteur du travail a, par décision du 18 janvier 2001, confirmé son refus ; que la société JEUMONT relève appel du jugement du 24 avril 2003 par lequel le Tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision ;
Considérant que, pour refuser à la société requérante l'autorisation de licencier M. X, sollicitée pour les mêmes faits que ceux qu'elle avait invoqués à l'appui de ses précédentes demandes, l'inspecteur du travail s'est fondé sur la triple circonstance que le comportement de l'intéressé, en raison d'une diminution de son absentéisme au cours des douze derniers mois précédant la décision, ne présentait plus de caractère fautif, que son maintien dans l'entreprise était d'intérêt général et que les faits qui lui étaient reprochés n'étaient pas sans lien avec l'exécution de son mandat syndical ;
Considérant, d'une part, que si l'inspecteur du travail doit réexaminer la demande en se plaçant à la date à laquelle il statue, à la lumière des circonstances de droit et de fait existant à cette date, il ne peut, sans méconnaître l'autorité qui s'attache à la chose jugée, remettre en cause la matérialité des faits et les qualifications de ces faits retenues par le juge ; qu'ainsi, l'inspecteur ne pouvait ni dénier aux faits reprochés à M. X le caractère de faute suffisamment grave, quel qu'ait pu être son comportement au cours de la période postérieure aux premières demandes de licenciement, ni estimer que ces demandes n'était pas dépourvues de lien avec ses fonctions représentatives ;
Considérant, d'autre part, que si l'administration doit s'assurer qu'un motif d'intérêt général ne fait pas obstacle à que l'autorisation sollicitée soit accordée, la circonstance, invoquée par l'inspecteur du travail à l'appui de sa décision, que le licenciement de M. X aurait pour conséquence l'absence de représentation du syndicat auquel il appartient au sein du comité d'hygiène et de sécurité de l'entreprise n'est pas au nombre des motifs d'intérêt général susceptibles d'être retenus par l'administration pour justifier légalement un refus d'autorisation ;
Considérant, enfin, que l'attitude discriminatoire de la société JEUMONT à l'égard de
M. X n'est pas établie ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société JEUMONT est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande d'annulation de la décision litigieuse du 18 janvier 2001 ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant, d'une part, que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la société JEUMONT, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamnée à verser à M. X la somme qu'il demande ou toute autre somme au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Considérant, d'autre part, qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1, de condamner l'Etat à verser à la société JEUMONT la somme qu'elle demande ou toute autre somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 01-1343 du tribunal administratif de Lille en date du
24 avril 2003 et la décision de l'inspecteur du travail de Maubeuge en date du 18 janvier 2001 sont annulés.
Article 2 : Les conclusions de la société JEUMONT SA et de M. X tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société JEUMONT SA, à M. Michel X et au ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale.
Copie sera transmise au préfet du Nord.
Délibéré après l'audience du 31 mars 2005, à laquelle siégeaient :
- M. Merloz, président de chambre,
- M. Dupouy, président-assesseur,
- M. Stéphan, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 28 avril 2005.
Le rapporteur,
Signé : A. DUPOUY
Le président de chambre,
Signé : G. MERLOZ
Le greffier,
Signé : B. ROBERT
La République mande et ordonne au ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Le Greffier
Bénédicte ROBERT
N°03DA00834 2