Vu, I, sous le n° 03DA01132, la requête enregistrée le 20 octobre 2003, présentée pour
M. Michel X, demeurant ...,
M. Thierry Y, demeurant ...,
Mlle Isabelle Y, demeurant ... et
Mlle Maryline Y, demeurant ..., par Me Julia ; ils demandent à la Cour :
1') de réformer le jugement n° 98-2221 en date du 16 juillet 2003 par lequel le Tribunal administratif de Rouen a condamné le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE REGIONAL DE ROUEN à leur verser, en qualité d'ayants droit de Mme Jacqueline X une indemnité qu'ils jugent insuffisante, en réparation du préjudice subi par leur épouse et mère, victime d'un défaut de soins destinés à traiter la maladie goutteuse dont elle était atteinte ;
2°) de condamner l'établissement hospitalier à leur verser la somme de 70 000 euros en réparation des préjudices économiques et personnels qu'ils on subis, augmentée des intérêts capitalisés à compter du 16 décembre 1998 ;
3°) de condamner l'établissement hospitalier à leur verser la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Ils soutiennent que la responsabilité du CENTRE HOSPITALIER apparaît incontestable même si la conséquence d'absence de traitement n'est qu'à l'origine d'une perte de chance pour Mme X d'avoir pu éviter les aggravations constatées de son état de santé ; que cependant le Tribunal a commis une erreur manifeste d'appréciation en reconnaissant que l'établissement doit réparer la moitié des préjudices subis par Mme X du fait de la perte de chance estimée à 50 %, tout en condamnant ledit établissement à régler aux ayants droit le cinquième de la moitié desdits préjudices ; que Mme X a présenté une incapacité partielle permanente qui peut être évaluée au moins à 20 % et être indemnisée à hauteur de 40 000 euros ; que le préjudice personnel peut être évalué à 13 000 euros ; que le pretium doloris de Mme X s'élève à 5/7 ; qu'elle a subi des préjudices d'ordre esthétique, sexuel et d'agrément ; que la réparation du préjudice économique de Mme X doit être fixée à un montant de 40 000 euros et que celle de son préjudice personnel au montant de 100 000 euros ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 24 décembre 2003, présenté pour le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE ROUEN qui conclut, à titre principal, au rejet de la requête, et par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il l'a déclaré responsable de la perte de chance subie par Mme X de voir son état de santé s'améliorer, à titre subsidiaire, à ce que soit limitée l'indemnité qu'il a été condamnée à verser à la somme de 997,78 euros, représentant un cinquième du montant des frais hospitaliers réglés par Mme X, et à titre, infiniment subsidiaire de limiter le montant de la réparation du préjudice personnel subi par Mme X à un cinquième du montant retenu pour le pretium doloris et le préjudice esthétique, et en tant que de besoin, de désigner un expert ; il soutient que Mme X souffrait depuis son jeune âge d'une maladie lupique dont le traitement admis par corticoïdes accroît le risque d'ostéonécrose et de maladie goutteuse ; que dans le cas de Mme X, les conséquences de sa maladie lupique ont été lourdes et nombreuses, l'intéressée devenant notamment grabataire bien avant 1992 ; que ni l'expert, ni les requérants n'ont démontré que, compte tenu de l'état initial de Mme X, l'arrêt du Zyloric entre 1992 et 1994 aurait empêché l'évolution de la maladie goutteuse et qu'ainsi la perte de chance dont Mme X aurait été victime n'est pas établie ; qu'aucune analyse de l'aspect radiologique des articulations de la victime n'a été faite, de sorte que l'origine exacte des lésions constatées n'est pas déterminée ; que s'il est reproché une faute au CENTRE HOSPITALIER qui a interrompu le traitement par le Zyloric, cet arrêt relevait, en réalité d'un choix thérapeutique justifié par l'état de santé de Mme X ; que le CENTRE HOSPITALIER n'a donc commis aucune faute ; que s'agissant du montant de la réparation des préjudices allégués par les requérants, ceux-ci ne contestent pas le rejet par le Tribunal de leur demande d'indemnisation de leur préjudice moral ; qu'aucun justificatif n'est produit pour établir l'existence d'un préjudice relatif à une perte de revenus ; que l'état grabataire de Mme X est antérieur à la période de 1992 à 1994, pendant laquelle la victime n'a pas bénéficié des soins suffisants ; que, dès lors, le préjudice économique de celle-ci a été, à bon droit, limité aux frais exposés au titre du forfait journalier lors des hospitalisations de Mme X ; que l'évaluation du Tribunal est toutefois sur ce point erronée car lesdits frais s'élèvent à la somme de 997,78 euros ; que le Tribunal a par ailleurs jugé ultra-petita en accordant aux requérants une indemnisation au titre du préjudice personnel de Mme X alors qu'ils s'étaient désistés sur ce point ; qu'en tout état de cause, la réalité et l'importance de ce préjudice personnel ne sont pas établies et l'indemnisation fixée à ce titre par le Tribunal est excessive ; qu'il y a lieu de confirmer le Tribunal en ce qu'il a retenu à hauteur d'un cinquième la fraction des préjudices que le CENTRE HOSPITALIER doit être condamné à réparer ; que les insuffisances du rapport commis par les premiers juges sont manifestes car le risque lié au lupus n'est pas pris en compte, il n'y a pas d'analyse de l'aspect radiologique des articulations et aucun chiffrage ne permet de tenir pour établies l'hyperucémie et l'hyperuraturie évoquées par l'expert ;
Vu, II, sous le n° 03DA01177, la requête et le mémoire complémentaire enregistrés les
5 novembre et 22 décembre 2003, présentés par le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE ROUEN, dont le siège est 1 rue de Germont à Rouen (76000), représentée par son directeur en exercice, par Me Campergue ; le CENTRE HOSPITALIER demande à la Cour :
1°) à titre principal, d'annuler le jugement n° 98-2221 en date du 16 juillet 2003 qui l'a déclaré responsable de la perte de chance subie par Mme Jacqueline X et l'a condamné à réparer les préjudices qu'elle a subis ;
2°) de rejeter les demandes présentées par les ayants droit de Mme X devant le tribunal administratif ;
3°) à titre subsidiaire, de limiter l'indemnité qu'il a été condamnée à verser, à la somme de 997,78 euros, représentant un cinquième du montant des frais hospitaliers réglés par Mme X ;
4°) à titre infiniment subsidiaire, de limiter le montant de la réparation du préjudice personnel subi par Mme X à un cinquième du montant retenu pour le pretium doloris et le préjudice esthétique, et en tant que de besoin, de désigner un expert ;
Il soutient que Mme X souffrait depuis son jeune âge d'une maladie lupique dont le traitement admis par corticoïdes accroît le risque d'ostéonécrose et de maladie goutteuse ; que dans le cas de Mme X, les conséquences de sa maladie lupique ont été lourdes et nombreuses, l'intéressée devenant notamment grabataire bien avant 1992 ; que ni l'expert, ni les requérants n'ont démontré que, compte tenu de l'état initial de Mme X, l'arrêt du Zyloric entre 1992 et 1994 aurait empêcher l'évolution de la maladie goutteuse et qu'ainsi la perte de chance dont
Mme X aurait été victime n'est pas établie ; qu'aucune analyse de l'aspect radiologique des articulations de la victime n'a été faite, de sorte que l'origine exacte des lésions constatées n'est pas déterminée ; que s'il est reproché une faute au CENTRE HOSPITALIER qui a interrompu le traitement par le Zyloric, cet arrêt relevait, en réalité d'un choix thérapeutique justifié par l'état de santé de Mme X ; que le CENTRE HOSPITALIER n'a donc commis aucune faute ; que s'agissant du montant de la réparation des préjudices allégués par les requérants, ceux-ci ne contestent pas le rejet par le Tribunal de leur demande d'indemnisation de leur préjudice moral ; qu'aucun justificatif n'est produit pour établir l'existence d'un préjudice relatif à une perte de revenus ; que l'état grabataire de Mme X est antérieur à la période de 1992 à 1994, pendant laquelle la victime n'a pas bénéficié des soins suffisants ; que, dès lors, le préjudice économique de celle-ci a été, à bon droit, limité aux frais exposés au titre du forfait journalier lors des hospitalisations de Mme X ; que l'évaluation du Tribunal est toutefois sur ce point erronée car lesdits frais s'élèvent à la somme de 997,78 euros que le Tribunal a par ailleurs jugé ultra-petita en accordant aux requérants une indemnisation au titre du préjudice personnel de Mme X alors qu'ils s'étaient désistés sur ce point ; qu'en tout état de cause, la réalité et l'importance de ce préjudice personnel ne sont pas établies et l'indemnisation fixée à ce titre par le Tribunal est excessive ; qu'il y a lieu de confirmer le Tribunal en ce qu'il a retenu à hauteur d'un cinquième la fraction des préjudices que le CENTRE HOSPITALIER doit être condamné à réparer ; que les insuffisances du rapport commis par les premiers juges sont manifestes car le risque lié au lupus n'est pas pris en compte, il n'y a pas d'analyse de l'aspect radiologique des articulations et aucun chiffrage ne permet de tenir pour établies l'hyperucémie et l'hyperuraturie évoquées par l'expert ;
Vu le mémoire, enregistré le 20 décembre 2004, présenté pour MM. X et Y et Mlles Y, qui concluent au rejet de la requête, à la condamnation du CENTRE HOSPITALIER DE ROUEN à leur verser les sommes fixées dans leur mémoire du
20 octobre 2003 et à leur verser la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; ils soutiennent qu'ils s'opposent à la demande de contre-expertise faite par le CENTRE HOSPITALIER dès lors que le rapport du docteur Z est circonstancié ; que le tribunal administratif n'est pas allé au bout de son raisonnement en considérant que l'état grabataire et dépressif de Mme X ne pouvaient pas être en relation directe et certaine avec l'absence de traitement en litige ;
Vu le mémoire, enregistré le 25 janvier 2005, présenté pour la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure, qui conclut à ce que soient réservés ses droits à remboursement ; elle soutient que sa créance ne peut être encore fixée ;
Vu le mémoire, enregistré le 28 janvier 2005, présenté pour le CENTRE HOSPITALIER DE ROUEN, qui conclut à l'irrecevabilité de la demande en appel de la caisse primaire d'assurance maladie ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 1er février 2005 à laquelle siégeaient M. Gipoulon, président de chambre, Mme Signerin-Icre, président-assesseur et Mme Eliot, conseiller :
- le rapport de Mme Eliot, conseiller ;
- et les conclusions de M. Paganel, commissaire du gouvernement ;
Sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement et la fin de non-recevoir opposée par le CENTRE HOSPITALIER DE ROUEN :
Considérant que par jugement en date du 16 juillet 2003, le Tribunal administratif de Rouen a condamné le CENTRE HOSPITALIER DE ROUEN à réparer, à hauteur de 50 %, les conséquences dommageables résultant de la perte de chance pour Mme X de voir régresser la maladie goutteuse dont elle était atteinte, et plus particulièrement d'enrayer l'apparition et l'extension des dépôts tophacés liés à cette maladie ; que par une première requête, les ayants droit de
Mme X, décédée au cours de la première instance, font appel de ce jugement en tant que le Tribunal a condamné le CENTRE HOSPITALIER à leur verser, en réparation des préjudices subis, une indemnité qu'ils jugent insuffisante ; que par une seconde requête, le CENTRE HOSPITALIER DE ROUEN conteste sa responsabilité et demande, en ce sens, l'annulation du même jugement ; qu'il y a lieu de joindre ces deux requêtes pour y statuer par un même arrêt ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert commis par les premiers juges, que malgré l'arthropathie goutteuse tophacée sévère avec poussées douloureuses aiguës que présentait Mme X en 1992, cette dernière n'a pas bénéficié, entre le mois
d'octobre 1992 et le mois de mai 1994, du traitement de fond de sa maladie, alors qu'il n'est pas établi que pendant toute cette période, il n'existait aucun produit de remplacement au Zyloric, médicament vis-à-vis duquel la patiente avait développé précédemment une allergie ou hypersensibilité ; que cette absence de traitement constitue une faute susceptible d'engager la responsabilité du CENTRE HOSPITALIER DE ROUEN, qui avait pris en charge Mme X ;
Considérant toutefois qu'il résulte de l'instruction, que la disparition ou régression des tophus, symptôme aigu de la maladie goutteuse peut demander, même avec un traitement approprié, des mois ou des années ; que s'agissant des dépôts tophacés dont a souffert Mme X, certains d'entre eux sont apparus et se sont fistulisés entre 1991 et 1992 ou après 1994, périodes pendant lesquelles l'intéressée a pourtant bénéficié d'un traitement de fond de sa maladie au Zyloric ou au Thiopurinol, médicament de remplacement ; que par ailleurs, s'il est constant que la fistulisation de l'orteil du pied gauche de Mme X résulte de l'aggravation de la maladie goutteuse dont
celle-ci était atteinte, la nécessité de procéder à l'amputation de son orteil ne s'est imposée qu'à la suite de la survenue d'une surinfection à staphylocoque doré ; que dans ces conditions, la perte de chance d'éviter l'amputation de l'orteil gauche ainsi que l'extension des tophus, alors même que l'expert indique que le traitement hypouricémiant aurait pu permettre d'enrayer l'apparition et l'extension des tophus goutteux , ne peut être regardée comme réelle ; que, dès lors, le CENTRE HOSPITALIER est fondé à soutenir, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Rouen l'a déclaré responsable d'une perte de chance pour Mme X de constater une évolution favorable de sa maladie ; que par suite, la requête des ayants droit de Mme X ne peut être que rejetée ;
Sur les droits de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure :
Considérant qu'il résulte de ce qui vient d'être dit, que la demande de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure tendant au remboursement des débours qu'elle aurait exposés au profit de Mme X doit être, en tout état de cause, rejetée ;
Sur les frais d'expertise :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances particulières de l'espèce, de laisser à la charge du CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE ROUEN les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 1 598,28 euros ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code des tribunaux administratifs et de cours administratives d'appel : Dans les instances devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ;
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE ROUEN, qui n'est pas, dans les présentes instances, partie perdante, soit condamné à verser aux ayants droit de Mme X la somme qu'ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Les articles 2 et 3 du jugement n° 98-2221 du Tribunal administratif de Rouen du
16 juillet 2003 sont annulés.
Article 2 : La requête de M. X, de M. Y, de Mlles Y et les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. Michel X, à M. Thierry Y,
à Mlles Isabelle et Maryline Y, à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure, au CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE REGIONAL DE ROUEN et au ministre des solidarités, de la santé et de la famille.
Délibéré après l'audience du 1er février 2005 à laquelle siégeaient :
- M. Gipoulon, président de chambre,
- Mme Signerin-Icre, président-assesseur,
- Mme Eliot, conseiller,
Lu en audience publique le 22 février 2005.
Le rapporteur,
Signé : A. ELIOT
Le président de chambre,
Signé : J.F. GIPOULON
Le greffier,
Signé : G. VANDENBERGHE
La République mande et ordonne au ministre des solidarités, de la santé et de la famille en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Le Greffier
G. VANDENBERGHE
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N°03DA01132,03DA01177