Vu la requête, reçue par fax et enregistrée le 3 mai 2002 et son original daté du 6 mai 2002, ainsi que le mémoire ampliatif, enregistré le 28 juin 2002, présentés pour la société GREENFOREST dont le siège social est avenue de la Gironde à Petite-Synthe (59640), par Me Simon ; elle demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement en date du 26 février 2002 par lequel le Tribunal administratif de Lille a rejeté sa requête tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle le ministre de l'emploi et de la solidarité a refusé de lui verser une indemnité de 141 944 francs correspondant au montant d'un redressement auquel elle a été assujetti en matière de charges sociales ;
2°) d'annuler la décision implicite de rejet du 23 janvier 1998 ;
3°) de condamner l'Etat à lui payer la somme de 141 944 francs (21 639,22 euros), sauf à parfaire, majorée des intérêts légaux , en réparation du préjudice subi ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que le jugement attaqué n'a pas tiré les conséquences de la reconnaissance par l'Etat dans ses écritures produites devant le tribunal de la faute qui avait été commise en son nom par l'ANPE ; que l'agence locale de Dunkerque a en effet illégalement refusé, par une décision implicite, de signer la convention de retour à l'emploi en faveur d'un de ses salariés ; que cette illégalité fautive engage indéniablement la responsabilité de l'Etat, toutes les conditions de fond pour une signature étant en l'espèce remplies ; que le préjudice financier subi par la société, équivalent au montant des charges sociales normalement exonérées en vertu de la convention de retour à l'emploi qu'elle a dû rembourser, procède de manière directe et certaine de la faute ainsi commise ; que c'est à tort que le jugement attaqué a cru pouvoir retenir une faute déterminante de la part de la société qui avait procédé aux exonérations de charges sociales sans contrat signé de la part de l'agence locale pour l'emploi ; que la société a respecté les informations communiquées par cette agence ; que les lacunes de cette information ne lui sont pas imputables ; qu'une régularisation n'a pu être envisagée du fait de la disparition par la suite des contrats de retour à l'emploi ; que les éventuelles négligences de la société ne constituent pas la cause déterminante du préjudice qu'elle a subi ; qu'à titre subsidiaire, elle entend se prévaloir de la notion de perte de chance ; qu'elle demande également à la cour de tenir compte de la situation financière délicate dans laquelle elle se trouve actuellement, dans l'appréciation des responsabilités respectives des parties ;
Vu le jugement et la décision attaqués ;
Vu le mémoire, enregistré le 14 août 2002, présenté par l'Agence nationale pour l'emploi, dont le siège social est 4 rue Galilée à Noisy-le-Grand Cedex (93198) ; elle demande à la Cour de rejeter la requête et de confirmer le jugement attaqué ; elle fait valoir qu'elle n'a commis aucune faute et que la société n'a subi aucun préjudice ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 11 septembre 2002, présenté par le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité qui demande à la cour de rejeter la requête de la société GREENFOREST et de confirmer le jugement attaqué ; il fait valoir qu'il s'en rapporte aux observations et conclusions formulées par l'Agence nationale pour l'emploi ;
Vu le mémoire en réponse, enregistré le 26 septembre 2002, présenté pour la société GREENFOREST qui conclut aux mêmes fins que sa requête et par les mêmes moyens ;
Vu le mémoire, enregistré le 16 octobre 2002, présenté par l'Agence nationale pour l'emploi qui conclut aux mêmes fins que ses précédentes écritures par les mêmes moyens ;
Vu le mémoire, enregistré le 18 novembre 2002, présenté pour la société GREENFOREST qui conclut aux mêmes fins que ses précédentes écritures par les mêmes moyens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du travail ;
Vu la loi n° 95-881 du 4 août 1995 ;
Vu le décret n° 90-106 du 30 janvier 1990 relatif aux contrats de retour à l'emploi ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 21 octobre 2004, à laquelle siégeaient M. Merloz, président, M. Dupouy et M. Yeznikian, présidents-assesseurs :
- le rapport de M. Yeznikian, rapporteur ;
- et les conclusions de M. Lepers, commissaire du gouvernement ;
Considérant que l'article 1er du décret n° 90-106 du 30 janvier 1990 susvisé fixe en application de l'article L. 322-4-2 du code du travail dans sa rédaction en vigueur jusqu'au 30 juin 1995, en vertu de la loi n° 95-881 du 4 août 1995, les catégories de personnes pouvant bénéficier d'un contrat de retour à l'emploi au nombre desquelles figurent : 1° Les personnes qui ont été inscrites comme demandeurs d'emploi pendant au moins douze mois durant les dix-huit mois qui ont précédé la date d'embauche ; que l'article 8 du même décret précise que : Pour l'application des 1° et 2° de l'article L.322-4-6 du code du travail, les personnes de plus de cinquante ans (...) doivent avoir été inscrits comme demandeurs d'emploi pendant au moins douze mois durant les dix-huit mois qui ont précédé l'embauche ; que le contrat de retour à l'emploi concerne aussi bien les contrats à durée déterminée, d'une durée maximum de dix-huit mois en vertu de l'article 2 du décret, que les contrats à durée indéterminée ; qu'aux termes de l'article 3 du décret : La demande de convention de retour à l'emploi doit être présentée auprès des services locaux de l'Agence nationale pour l'emploi avant l'embauche ou dans un délai maximum d'un mois après celle-ci. / Aucune convention ne peut être conclue pour une embauche bénéficiant d'une autre aide à l'emploi ; que la convention ainsi conclue l'est au nom de l'Etat en vertu de l'article 4 du même décret ; que, selon l'article 5 du décret, l'Etat attribue à l'employeur une aide forfaitaire variable en fonction de la durée du travail en deux temps : cinquante pour cent à la date de prise d'effet de la convention et le solde à la fin du sixième mois suivant l'embauche ; que l'article 7 prévoit les hypothèses de reversement total ou partiel des sommes perçues au titre de l'aide ; qu'en vertu de l'article L. 322-4-6 du code du travail alors en vigueur, l'employeur bénéficie également d'une exonération des cotisations patronales ;
Considérant que, par un contrat à durée indéterminée signé le 7 mars 1994, M. X, alors âgé de plus de cinquante ans et au chômage depuis plus de dix-huit mois, a été recruté par la société GREENFOREST en qualité de directeur général, avec notamment pour mission le suivi de la gestion administrative et comptable de la société ; que, sur la proposition de l'agence locale de Dunkerque de l'Agence nationale pour l'emploi, la société GREENFOREST a renseigné, le 7 mars 1994, le formulaire de convention d'un contrat de retour à l'emploi pour M. X, et l'a retourné dans le délai d'un mois suivant l'embauche, pour signature au représentant de cette agence locale conformément aux instructions qui accompagnaient le document ; qu'il est constant que l'agence locale de Dunkerque s'est abstenue de signer la convention et d'en avertir la société ; que, contrairement à ce qui est soutenu en défense devant la Cour, il ne résulte pas de l'instruction que la société GREENFOREST aurait adressé une convention incomplète ou erronée ; qu'il résulte de l'instruction, et notamment des écritures du ministre du travail en première instance, que le motif expliquant le refus de signer la convention par le représentant de l'agence locale de l'emploi de Dunkerque reposait sur l'existence d'une période d'essai de six mois dans le contrat de M. X ; qu'un tel motif ne pouvait légalement fonder la décision implicite de rejet opposée par l'agence locale de Dunkerque à la société GREENFOREST ; qu'aucun autre motif n'était de nature à justifier un tel refus ; que la société GREENFOREST, qui a conservé son salarié, a ainsi été privée du droit d'obtenir le bénéfice de l'aide de l'Etat prévue en cas de contrat de retour à l'emploi des personnes de plus de cinquante ans ; que, par suite, l'Etat a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;
Considérant toutefois que la société GREENFOREST, qui a d'ailleurs spontanément reconnu dans un courrier du 6 mai 1996 certains cafouillages de sa part dans la gestion du dossier, a commis de son côté diverses fautes ou négligences fautives ; qu'il résulte en effet de l'instruction que ce n'est qu'en mars 1996, dans le cadre d'un contrôle effectué par l'Union pour le recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales(URSSAF) et alors que la société avait pris d'elle-même l'initiative depuis deux ans de déduire les cotisations patronales concernant son salarié, qu'elle a sollicité de l'agence locale de Dunkerque la production de la convention signée afin de justifier les exonérations effectuées ; que, jusque-là, elle ne s'était jamais inquiétée de ne recevoir ni la convention dûment signée, ni l'aide forfaitaire d'un montant de 20 000 francs qui aurait dû normalement lui être versée en deux temps, en partie dès signature de la convention et en partie six mois après cette signature, ainsi que le prévoyait l'article 5 du décret précité ; que le nouveau directeur général qui avait, comme il a été précisé, comme mission le suivi administratif et comptable de la société, aurait dû être particulièrement vigilant tant en raison de ses fonctions que de sa qualité de salarié intéressé dans la mesure où un exemplaire du formulaire de la convention devait lui être retourné à titre personnel par l'agence locale après signature selon les instructions en vigueur ; qu'il est également soutenu par le ministre, sans que cela soit démenti par la société, qu'à la même époque, cette dernière avait bénéficié de la signature en bonne et due forme d'une autre convention pour un contrat de retour à l'emploi à l'occasion de l'embauche d'un second salarié ; qu'enfin, elle ne pouvait pas, en tout état de cause, procéder à la déduction des cotisations patronales sans s'être assurée de la signature de la convention ; que, dans les circonstances de l'espèce, les négligences fautives de la société GREENFOREST sont, prises ensemble, de nature à exonérer totalement l'Etat de sa responsabilité, que celle-ci soit recherchée sur le terrain de l'obligation incombant à la société de rembourser l'intégralité du montant des cotisations déduites à tort faute de convention ou sur celui de la perte de chance pour la société de percevoir les aides prévues dans le cadre du régime des contrats de retour à l'emploi ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans que puissent être retenues les considérations d'équité avancées qui résulteraient de la situation financièrement délicate dans laquelle la société se trouverait actuellement, que la société GREENFOREST n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que la société GREENFOREST demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société GREENFOREST est rejetée.
Article : Le présent arrêt sera notifié à la société GREENFOREST, à l'Agence nationale pour l'emploi et au ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale.
Copie sera transmise au préfet de la région Nord-Pas-de-Calais, préfet du Nord.
Délibéré après l'audience du 21 octobre 2004, à laquelle siégeaient :
- M. Merloz, président de chambre,
- M. Dupouy, président-assesseur,
- M. Yeznikian, président-assesseur,
Lu en audience publique, le 4 novembre 2004.
Le rapporteur,
Signé : O. YEZNIKIAN
Le président de chambre,
Signé : G. MERLOZ
Le greffier,
Signé : B. ROBERT
La République mande et ordonne au ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Le Greffier
B. ROBERT
2
N°02DA00382