Vu la requête, enregistrée le 7 août 2001, présentée pour M. Mohamed Y, élisant domicile à ..., M. Jean-Luc Z, élisant domicile ..., Mme Marie-Madeline A, élisant domicile ..., M. M'Barek B, élisant domicile ..., M. Bernard C, élisant domicile à ..., M. Oumar D, élisant domicile ..., M. Serge E, élisant domicile ..., M. M'Hamed F, élisant domicile ..., M. El Mostafa N, élisant domicile à ..., M. Baboye H, élisant domicile ..., M. Hassan I, élisant domicile à ..., M. Abdelhakim J, élisant domicile ..., M. Olivier K, élisant domicile ..., M. Bouabib L, élisant domicile ... et M. Eric M, élisant domicile à ...par la SCP Baudeu-de la Potterie, avocat ; M. Y et autres demandent à la Cour :
1') d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Rouen en date 28 mai 2001 qui a rejeté leur demande tendant à l'annulation des décisions du 24 janvier 2000 par lesquelles l'inspecteur du travail de l'Eure a autorisé leur licenciement pour motif économique de la SA Fonderie de Vernon ;
2°) d'annuler les décisions du 24 janvier 2000 ;
3°) de condamner l'Etat à verser à chacun d'entre eux la somme de 5 000 F en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Ils soutiennent que les décisions attaquées méconnaissent l'obligation qui s'impose en cas de licenciement économique de rechercher un reclassement interne ou externe pour chacun des salariés protégés ; que cette recherche devait en l'espèce être conduite au niveau du groupe American Bailley auquel la société Fonderie de Vernon appartient et qui dispose aux Etats-Unis d'emplois équivalents à ceux supprimés en France ; qu'une telle recherche n'a pas été satisfaite à ce niveau par l'inspecteur du travail ; que le jugement attaqué ne pouvait se fonder pour écarter le moyen tiré d'une méconnaissance de l'obligation de reclassement ni sur une simple hypothèse non vérifiée et non corroborée par les pièces du dossier ni sur une conception trop restrictive de la notion de groupe quant à la portée géographique ; qu'en ce qui concerne le reclassement externe, il n'incombait pas aux demandeurs d'apporter la preuve de l'existence de possibilités de reclassement ; que cette recherche devant s'accomplir avant l'engagement de la procédure de licenciement selon la recommandation n° 143 de l'Organisation internationale du travail, l'enquête diligentée par l'administration s'est révélée tardive ;
Vu le jugement et les décisions attaqués ;
Vu les avis de mise en demeure en date du 22 janvier 2004 adressés au ministre de l'emploi et de la solidarité et à Me Diesbiecq, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SA Fonderie de Vernon en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative et les avis de réception postale de ces mises en demeure ;
Vu le mémoire, enregistré le 12 octobre 2004, présenté pour M. Y et autres qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens et fait valoir, en outre, que M. Hassan I étant récemment décédé, l'instance est aujourd'hui reprise par son épouse et leurs enfants mineures ; que la chambre sociale de la cour d'appel de Rouen, statuant sur la situation des salariés non protégés, a confirmé la possibilité de reclassement au sein des filiales du groupe en France et qu'il existait une usine américaine au sein de laquelle la permutation des emplois était envisageable ; que la recherche de reclassement n'a pas été effective ; que cette juridiction a sursis à statuer dans l'attente de l'arrêt à intervenir de la Cour administrative d'appel de Douai sur le sort d'un salarié protégé, M. O ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du travail ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 21 octobre 2004 à laquelle siégeaient M. Merloz, président, M. Dupouy et M. Yeznikian, président-assesseurs :
- le rapport de M. Yeznikian, rapporteur ;
- et les conclusions de M. Lepers, commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'en vertu des dispositions des articles L. 425-1 et L. 436-1 du code du travail le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives comme délégué du personnel, délégué syndical ou membre du comité d'entreprise, qui bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail ; que lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; que, dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ;
Considérant que pour apprécier les possibilités de reclassement, l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement pour motif économique par une société appartenant à un groupe, ne peut se borner à prendre en considération la seule situation de la société où se trouve l'emploi du salarié protégé concerné par le licenciement ; qu'elle est tenue, dans le cas où cette dernière relève d'un groupe, et pour ceux des salariés qui ont manifesté à sa demande leur intérêt de principe pour un reclassement à l'étranger, de faire porter son examen sur les possibilités de reclassement pouvant exister dans les sociétés du groupe, y compris celles ayant leur siège à l'étranger, dont les activités ou l'organisation offrent à l'intéressé, compte tenu de ses compétences et de la législation du pays d'accueil, la possibilité d'exercer des fonctions comparables ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que n'ont été examinées par l'inspecteur du travail de l'Eure, pour juger du caractère sérieux des offres de reclassement proposées aux requérants, qui, comme salariés de la SA Fonderie de Vernon étaient investis de mandats de représentation syndicale, de délégués du personnel ou de membres élus du comité d'entreprise, que les seules possibilités de reclassement en France où ces derniers travaillaient ; que, par suite, les décisions de l'inspecteur du travail en date du 24 janvier 2000 sont intervenues en méconnaissance des principes mentionnés ci-dessus ; que M. Y et autres sont, dès lors, fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande tendant à l'annulation de ces décisions ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 500 euros par requérant sur les 5 000 francs (762,25 euros) que chacun des requérants réclame au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Rouen en date du 28 mai 2001 et les décisions de l'inspecteur du travail de l'Eure en date du 24 janvier 2000 sont annulés.
Article 2 : l'Etat versera à chacun des requérants, à savoir M. Y, M. Z, Mme A, M. B, M. C, M. D, M. E, M. F, M. N, M. H, aux ayants-droit de M. I pris ensemble, M. J, M. K, M. L, M. M, la somme de 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. Mohamed Y, M. Jean-Luc Z, Mme Marie-Madeline A, M. M'Barek B, M. Bernard C, M. Oumar D, M. Serge E, M. M'Hamed F, M. El Mostafa N, M. Baboye H, Mme P veuve de M. Hassan I, en son nom et aux noms des enfants mineures, Mlles Rajaa I et Amalle I, héritières de M. Hassan I, M. Abdelhakim J, M. Olivier K, M. Bouabib L, M. Eric M, à Me Diesbiecq, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SA Fonderie de Vernon et au ministre de l'emploi et de la solidarité.
Délibéré après l'audience du 21 octobre 2004, où siégeaient :
- M. Merloz, président de chambre,
- M. Dupouy, président-assesseur,
- M. Yeznikian, président-assesseur,
Lu en audience publique, le 4 novembre 2004.
Le rapporteur,
Signé : O. YEZNIKIAN
Le président de chambre,
Signé : G. MERLOZ
Le greffier,
Signé : B. ROBERT
La République mande et ordonne au ministre de l'emploi et de la solidarité en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Le Greffier
B. ROBERT
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N°01DA00826