Vu la requête, enregistrée le 11 février 2000 au greffe de la cour administrative d'appel de Douai, présentée par M. Lucien X, demeurant ...; M. Lucien X demande à la Cour:
1°) d'annuler le jugement n° 9803992 du 17 décembre 1999 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet du Pas-de-Calais en date du 26 juin 1998 décidant l'envoi en possession provisoire des nouvelles parcelles définies dans le cadre du remembrement opéré sur le territoire des communes de Lépine, Nempont-Saint-Firmin et Wailly-Beaucamp, ainsi qu'à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 2 500 francs au titre des frais irrépétibles ;
2°) d'annuler ledit arrêté préfectoral en date du 26 juin 1998 ;
3°) d'ordonner toute mesure jugée indispensable à l'exécution de la décision à intervenir ;
4°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 6 000 francs au titre de l'article
L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Il soutient, après avoir rappelé les faits et la procédure, que l'arrêté contesté lui fait grief ; qu'un tel arrêté est pris sur avis de la commission départementale d'aménagement foncier, cet avis n'étant pas susceptible de recours mais les vices l'entachant pouvant être valablement invoqués à l'appui d'une contestation de l'arrêté préfectoral pris sur son fondement ; qu'en l'espèce, l'avis rendu par la commission lors de sa séance du 23 juin 1998 est irrégulier ; qu'en outre, cet avis n'a pas été rendu par la commission avant qu'elle statue sur les réclamations qui lui étaient soumises, en méconnaissance des dispositions du code rural ;
Vu le jugement et la décision attaqués ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 18 novembre 2002, présenté par le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales ; il conclut au rejet de la requête, à la confirmation du jugement attaqué, ainsi qu'à la condamnation de M. Lucien X à lui verser une somme de 610 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; il soutient, après avoir rappelé les faits et la procédure, que la demande présentée par M. Lucien X devant les premiers juges était irrecevable comme tardive, l'intéressé étant réputé avoir eu connaissance acquise de l'arrêté attaqué au plus tard le 26 août 1998, date à laquelle il a présenté un recours gracieux auprès du préfet ; qu'ainsi qu'il a été jugé, les dispositions de l'arrêté qui omettent de prescrire une des mesures de publicités prévues par le code rural sont sans incidence sur sa légalité ; que M. Lucien X invoque, en outre, deux nouveaux moyens sans contester le jugement ; que, quand bien même la composition de la commission départementale d'aménagement foncier aurait été irrégulière, ce qui est formellement contesté, cette circonstance, puisqu'elle ne fait que proposer au préfet de prendre un arrêté d'envoi en possession provisoire, ne saurait entacher d'illégalité ledit arrêté ; qu'en tout état de cause, la requête de M. Lucien X est irrecevable puisque devenue sans objet ; qu'en effet, par arrêté préfectoral en date du 8 décembre 1998 ordonnant le dépôt du plan de remembrement en mairie, le transfert de propriété des parcelles est intervenu le 11 janvier 1999 ; que, la prise de possession étant ainsi devenue définitive, l'arrêté contesté est devenu caduc ; que M. Lucien X ne rapporte pas la preuve que la commission départementale d'aménagement foncier ait statué sur les réclamations faites sur le projet de remembrement avant de proposer l'envoi en possession provisoire au préfet ; que les mesures d'exécution sollicitées ne pourront qu'être rejetées ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 15 novembre 2002, présenté par M. Lucien X ; il conclut aux mêmes fins que sa requête ; il soutient que, contrairement à ce qui est soutenu, il y a toujours lieu de statuer sur sa requête ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 12 décembre 2002, présenté par M. Lucien X ; il conclut aux mêmes fins que précédemment, par les mêmes moyens ; il soutient, en outre, qu'il n'a pas reçu notification de l'arrêté contesté, de sorte que les voies et délais de recours ouverts contre celui-ci n'ont pas été portés à sa connaissance ; qu'un recours gracieux ne peut, à lui seul, enclencher un délai de recours à l'encontre d'une décision qui n'a pas été notifiée ; qu'en tout état de cause, il n'a pas formé de recours gracieux contre ledit arrêté mais uniquement sollicité qu'il soit sursis à son exécution, une telle demande n'ayant pas d'effet sur un éventuel délai de recours ; que sa requête est recevable, la caducité de l'arrêté attaqué ne pouvant pas, par ailleurs, valablement lui être opposée ; qu'il a été jugé par le tribunal administratif de Lille le 6 janvier 2000, par jugements devenus définitifs, que la commission départementale d'aménagement foncier s'est réunie dans une composition irrégulière lorsque, le 23 juin 1998, elle a examiné le remembrement de Lépine ; qu'une telle irrégularité vicie l'arrêté attaqué ; que le ministre ne prouve pas que l'avis de la commission départementale d'aménagement foncier a été pris antérieurement à la décision rendue par celle-ci sur le parcellaire ; qu'il ne présente pas de moyen nouveau en appel, contrairement à ce qui est soutenu ; qu'il entre dans la mission du ministre de gérer le contentieux, celui-ci n'établissant avoir engagé aucun frais spécifique à l'occasion du présent recours ;
Vu le mémoire, enregistré le 20 novembre 2003, présenté par le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales ; il conclut aux mêmes fins que précédemment, les conclusions présentées au titre des frais irrépétibles étant toutefois portées à la somme de 699 euros, par les mêmes moyens ; il soutient, en outre, que le requérant doit être regardé comme ayant expressément renoncé à l'invocation du moyen fondé sur le caractère défectueux de la publication de l'arrêté ; que, de même, M. X s'est borné à fonder son mémoire en appel sur le moyen tiré de l'influence des vices de l'avis de la commission départementale et non plus de ses décisions sur les réclamations des propriétaires sur l'arrêté préfectoral d'envoi en possession provisoire ; que, dans ces conditions, il ne pourra qu'être jugé qu'il a implicitement acquiescé aux motifs du jugement ; que la caducité de l'arrêté préfectoral d'envoi en possession provisoire implique qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la présente requête ou, à tout le moins, l'irrecevabilité de celle-ci ; que le moyen tiré des vices entachant l'avis de la commission départementale sur l'envoi en possession provisoire n'est pas assorti de précisions suffisantes ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code rural ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience,
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 25 novembre 2003 où siégeaient M. Gipoulon, président de chambre, M. Nowak, premier-conseiller et Mme Eliot, conseiller :
- le rapport de M. Gipoulon, président de chambre,
- les observations de M. Lucien X, requérant,
- et les conclusions de M. Paganel, commissaire du gouvernement ;
Considérant que M. Lucien X forme appel du jugement en date du 17 décembre 1999 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande dirigée contre l'arrêté du préfet de Pas-de-Calais en date du 26 juin 1998 décidant l'envoi en possession provisoire des parcelles définies dans le cadre de la procédure de remembrement engagée sur le territoire des communes de Lépine, Nempont-Saint-Firmin et Wailly-Beaucamp ;
Sur les fins de non-recevoir opposées par le ministre :
Considérant que si la formation d'un recours administratif contre une décision établit que l'auteur de ce recours a eu connaissance de la décision qu'il a contestée au plus tard à la date à laquelle il a formé ce recours, une telle circonstance est, par elle-même, sans incidence sur l'application des dispositions alors applicables de l'article R. 104 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, selon lesquelles : « Les délais de recours contre une décision déférée au tribunal ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. » ; qu'il est constant que M. Lucien X n'a pas reçu, en méconnaissance des dispositions de l'article
L. 123-10 du code rural, notification de l'arrêté attaqué ; que, dès lors, aucun délai de recours contentieux n'ayant commencé à courir à son égard, la demande présentée par M. Lucien X le 19 novembre 1998 n'était pas tardive, nonobstant la circonstance que l'intéressé avait formé un recours gracieux auprès du préfet le 26 août 1998 ; que, par ailleurs, contrairement à ce que soutient le ministre, l'intervention, le 8 décembre 1998, postérieurement à l'introduction de la demande de M. Lucien X devant le tribunal administratif de Lille, de l'arrêté de clôture du remembrement n'a eu pour effet de rendre ni irrecevable ni sans objet ladite demande ; que, par suite, les fins de non recevoir opposées par le ministre ne peuvent qu'être rejetées ;
Sur la légalité de l'arrêté attaqué :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 123-10 du code rural dans sa rédaction applicable au présent litige : « La commission départementale peut, à la demande de la commission communale ou intercommunale, proposer l'envoi en possession provisoire des nouvelles parcelles avant l'intervention de sa décision sur les réclamations. Cet envoi en possession fait l'objet d'une décision préfectorale qui doit être publiée à la mairie et notifiée aux intéressés. » ; qu'il ressort des termes de la requête d'appel de M. Lucien X ainsi que de ses écritures de première instance que celui-ci a entendu contester la légalité de l'arrêté préfectoral attaqué du 26 juin 1998 non pas, comme l'ont estimé à tort les premiers juges, par le moyen tiré de l'illégalité de la décision de la commission départementale d'aménagement foncier en date du 23 juin 1998 par laquelle celle-ci a statué sur les réclamations qui lui étaient présentées, mais par le moyen, notamment, que la délibération en date du 23 juin 1998 par laquelle la commission départementale d'aménagement foncier a, en application des dispositions précitées, proposé au préfet l'envoi en possession provisoire des nouvelles parcelles serait intervenue au terme d'une procédure irrégulière ; qu'il produit, à l'appui de son argumentation, une attestation rédigée par l'un des membres de la commission faisant connaître que le géomètre et son adjoint ont participé à l'ensemble des délibérations, qu'il n'a été procédé à aucun vote au cours de la séance et que le quorum requis n'était plus atteint à la fin de la séance ; qu'il se prévaut, en outre, de ce que, par jugement en date du 6 janvier 2000 devenu définitif, le tribunal administratif de Lille a estimé : « …que la commission départementale d'aménagement foncier du Pas-de-Calais ne comportait pas, lors de sa séance du 23 juin 1998, de représentant des exploitants preneurs ; que, dès lors, la commission n'(a) pu dans ces conditions valablement délibérer,… » ; que le ministre ne conteste pas utilement ces éléments et ne produit ni le procès-verbal de ladite réunion, ni tout autre document permettant de réfuter les commencements de preuve ainsi avancés ; qu'il suit de là que la délibération par laquelle la commission départementale d'aménagement foncier, siégeant dans la même composition lors de cette même séance, a proposé au préfet l'envoi en possession provisoire des parcelles définies dans le projet de remembrement ne peut être regardée que comme irrégulière ; que, par suite, l'arrêté préfectoral attaqué, en date du 26 juin 1998, décidant l'envoi en possession provisoire desdites parcelles s'avère, contrairement à ce que soutient le ministre, illégal comme ayant été pris sur une procédure irrégulière ; qu'il doit être annulé ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. Lucien X est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
Considérant que si M. Lucien X demande à la Cour de décider toute mesure indispensable à l'exécution de l'arrêt à intervenir, il n'apporte, à l'appui de telles conclusions, aucune précision permettant à la Cour d'en apprécier utilement la portée ; qu'en tout état de cause, la présente décision, qui prononce l'annulation du jugement attaqué en date du 17 décembre 1999, ensemble l'arrêté préfectoral contesté en date du 26 juin 1998, n'implique, par elle-même, aucune mesure d'exécution particulière ; que, par suite, les conclusions aux fins d'injonction présentées par M. Lucien X ne peuvent qu'être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que l'article L. 761-1 du code de justice administrative dispose que : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation.» ;
Considérant que les dispositions précitées s'opposent à ce que M. Lucien X, qui n'est pas, en la présente instance, la partie perdante, soit condamné à verser à l'Etat, qui, au demeurant et en tout état de cause, ne saurait y prétendre, la somme demandée en son nom par le ministre au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat à verser à M. Lucien X une somme de 400 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement susvisé du tribunal administratif de Lille en date du 17 décembre 1999 est annulé.
Article 2 : L'arrêté du préfet du Pas-de-Calais en date du 26 juin 1998 décidant l'envoi en possession provisoire des nouvelles parcelles issues des opérations de remembrement des communes de Lépine, Nempont-Saint-Firmin et Wailly-Beaucamp est annulé.
Article 3 : L'Etat est condamné à payer à M. Lucien X une somme de 400 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. Lucien X et les conclusions présentées au nom de l'Etat par le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales sont rejetés.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Lucien X et au ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.
Copie sera transmise au préfet du Pas-de-Calais.
Délibéré à l'issue de l'audience publique du 25 novembre 2003 dans la même composition que celle visée ci-dessus.
Prononcé en audience publique le 9 décembre 2003.
L'assesseur le plus ancien
Signé : E. Nowak
Le président de chambre
Signé : J.F. Gipoulon
Le greffier
Signé : G. Vandenberghe
La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
Le greffier
Guillaume Vandenberghe
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00DA00206
Code C Classement CNIJ : 03-04-01-01