La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/11/2003 | FRANCE | N°02DA00492

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2eme chambre, 12 novembre 2003, 02DA00492


Vu la requête, enregistrée le 13 juin 2002 au greffe de la cour administrative d'appel de Douai, présentée pour M. et Mme Moktar X, agissant tant en leur nom personnel qu'au nom de leurs trois enfants mineurs, Abdelwahab, Nour et Nahla, demeurant ..., Mme Regaya Y, M. Amed Y et Mme Amida Z demeurant ..., par la S.C.P. Julia et Chabert, avocats à la cour d'appel de Rouen ; M. et Mme Moktar X et autres demandent à la Cour :

1') d'annuler le jugement n° 01-2120 du 12 avril 2002 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande tendant à ce que le centre hospitali

er universitaire de Rouen soit condamné à verser, outre les in...

Vu la requête, enregistrée le 13 juin 2002 au greffe de la cour administrative d'appel de Douai, présentée pour M. et Mme Moktar X, agissant tant en leur nom personnel qu'au nom de leurs trois enfants mineurs, Abdelwahab, Nour et Nahla, demeurant ..., Mme Regaya Y, M. Amed Y et Mme Amida Z demeurant ..., par la S.C.P. Julia et Chabert, avocats à la cour d'appel de Rouen ; M. et Mme Moktar X et autres demandent à la Cour :

1') d'annuler le jugement n° 01-2120 du 12 avril 2002 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande tendant à ce que le centre hospitalier universitaire de Rouen soit condamné à verser, outre les intérêts au taux légal, à M. et Mme X la somme globale de 47 999,03 euros, à Abdelwahab, Nour et Nahla X, chacun la somme de

22 867, 35 euros et à Mme Regaya Y, M. Amed Y et Mme Amida Z, la somme de 15 244, 90 euros pour les différents préjudices qu'ils ont subis en qualité de parents, de frères et soeurs et de grands-parents, suite au décès de la jeune Nihel X survenu le

29 décembre 1998 ;

2°) de condamner le défendeur à leur verser lesdites sommes augmentées des intérêts au taux légal, capitalisés à compter du 29 décembre 1998 ;

Code B Classement CNIJ : 60-02-01-01-01-01-01

3°) de condamner le défendeur à leur verser la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administratif ;

M. et Mme Moktar X et autres soutiennent que la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Rouen doit être engagée en raison du dysfonctionnement de son service et notamment de son incapacité à mettre en place un service d'urgence permettant au pédiatre de répondre à toutes les urgences ; que le diagnostic de syndrome grippal posé par le médecin interne de garde suite à l'examen de la jeune Nihel constitue une erreur fondamentale ; que l'intervention du pédiatre de garde aurait permis de diagnostiquer la méningite dont était atteinte l'enfant ; que le retard mis par le S.A.M.U. dans l'envoi d'une équipe de secours constitue une autre faute de fonctionnement du service qui est à l'origine d'une perte de chance de survie pour l'enfant ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire, enregistré le 12 juillet 2002, présenté par la caisse primaire d'assurance maladie par lequel elle déclare ne rien avoir à réclamer ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 11 août 2003, pour le centre hospitalier universitaire de Rouen, par Me Marie-Noëlle Campergue, avocat, membre de la S.C.P. Emo Hebert et associés, avocats ; le centre hospitalier universitaire de Rouen conclut, à titre principal, au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, à la limitation du montant d'éventuels dommages et intérêts à de plus justes proportions mis à sa charge ; le centre hospitalier universitaire de Rouen soutient que les conditions d'accueil de la jeune Nihel au service des urgences pédiatriques ont été normales et n'ont révélé aucun dysfonctionnement du service ; que la conduite thérapeutique du docteur A, interne en médecine générale, a été validée par trois experts, compte tenu des signes cliniques que présentait l'enfant au moment de son arrivée le 29 décembre 1998 à treize heures aux services d'urgence du centre hospitalier ; qu'aucun dysfonctionnement ne peut être imputé au S.A.M.U. dans la prise en charge de la jeune Nihel le 29 décembre au soir compte tenu des informations incomplètes données par M.X lors de son premier appel téléphonique ; qu'en tout état de cause, à supposer que le S.A.M.U. soit intervenu rapidement suite à l'appel de M. X, les chances de survie de l'enfant, qui a présenté la forme la plus sévère des purpuras infectieux avec évolution fulgurante et brutale, étaient nulles au moment dudit appel ;

Vu le mémoire, enregistré le 17 octobre 2003 pour les consorts X qui concluent aux mêmes fins que leur requête par les mêmes moyens ;

Vu le mémoire, enregistré le 24 octobre 2003 pour le centre hospitalier universitaire de Rouen qui conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire par les mêmes moyens ;

Vu la décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Douai, en date du 17 octobre 2002, admettant M. Moktar X au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience,

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 28 octobre 2003 où siégeaient M. Gipoulon, président de chambre, M. Nowak, premier conseiller et Mme Eliot, conseiller :

- le rapport de Mme Eliot, conseiller,

- les observations de Me Godefroy, avocat, pour M. et Mme Moktar X, Mme Regaya Y, Mme Amida Z, M. Amed Y, de Me Campergue, avocat, pour le centre hospitalier universitaire de Rouen, et de M. Moktar X, requérant,

- et les conclusions de M.Paganel, commissaire du gouvernement ;

Considérant que M. et Mme X et les membres de leur famille font appel du jugement en date du 12 avril 2002 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande tendant à la condamnation du centre hospitalier universitaire de Rouen à réparer les préjudices qu'ils ont subis du fait du décès, à la suite d'une méningite à méningocoque, de leur fille Nihel âgée de 5 ans, qu'ils imputent tant aux conditions de fonctionnement des urgences pédiatriques qu'à celles du S.A.M.U. (service d'aide médicale d'urgence) de l'établissement hospitalier ;

Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen déclare qu'elle n'envisage de réclamer aucune somme dans cette affaire au centre hospitalier universitaire de Rouen ;

Sur la responsabilité :

Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction, et notamment des rapports des experts produits en première instance, que la jeune victime, amenée par son père, en raison d'une forte fièvre et de vomissements, le 29 décembre 1998 à treize heures aux services d'urgences pédiatriques du centre hospitalier universitaire de Rouen, ne présentait ni raideur de la nuque ni éruption cutanée ; que, dans ces conditions, le diagnostic de syndrome grippal émis à son sujet par le résident de médecine générale placé sous la responsabilité d'un pédiatre du service des urgences et le traitement antipyrétique prescrit à cet effet ne paraissent pas anormaux ; que, dès lors, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Rouen a estimé que l'examen médical effectué sur la jeune victime aux urgences pédiatriques s'est déroulé dans des conditions habituelles et ne révèle pas un mauvais fonctionnement du service hospitalier en cause ;

Considérant, en second lieu, que, de retour à son domicile, la jeune Nihel a continué à présenter de la fièvre, des vomissements et des douleurs ; que, vers vingt et une heures trente cinq, ses parents ont constaté que des taches étaient apparues sur l'ensemble du corps de l'enfant et ont alors fait appel au S.A.M.U. vers vingt deux heures quinze ; que l'appel a été réceptionné par le médecin senior titulaire d'une des équipes d'intervention ; que ce dernier, après avoir noté que l'enfant présentait de la fièvre et une éruption cutanée, a interprété la gravité de son état de santé comme mineure et a décidé de faire intervenir le médecin généraliste de garde sur le secteur de Rouen ; qu'en raison de la transmission par M. X d'une adresse apparaissant incomplète, le médecin généraliste de garde n'a pu intervenir au domicile de l'enfant malade avant le second appel téléphonique du père de l'enfant intervenu vers vingt trois heures ; qu'à vingt trois heures quarante cinq, le médecin généraliste et une équipe de S.A.M.U., de nouveau appelée par une des voisines de la famille X alertée par l'aggravation de l'état de santé de l'enfant, se sont rendus au domicile de cette dernière ; qu'après des tentatives de réanimation, ils ont constaté le décès de la jeune Nihel ;

Considérant que, malgré les signes cliniques de la maladie dont était atteinte la jeune Nihel et qui avaient été communiqués au S.A.M.U. du centre hospitalier universitaire de Rouen par M. X, le service d'urgence n'a pas su évaluer correctement la gravité de l'état de l'enfant ; qu'il n'est pas sérieusement contesté que l'adresse communiquée par M. X correspondait en réalité au seul immeuble présent dans la rue indiquée et, qu'en tout état de cause, il appartenait aux équipes du S.A.M.U. de se faire préciser toute information nécessaire à leur intervention afin de se rendre dans les meilleurs délais au domicile de la famille X ; que, dans ces conditions, la mauvaise appréciation de l'état de santé de l'enfant et l'intervention défectueuse du S.A.M.U. ont, alors même qu'eu égard à l'extrême rapidité de la détérioration de l'état de la victime atteinte d'une des formes les plus virulentes de méningite, la jeune Nihel n'aurait eu que des chances, estimées entre 5 à 10 % selon les experts, d'éviter la mort si le fonctionnement des services d'urgence hospitaliers avait été satisfaisant, compromis les chances limitées mais réelles de rétablissement de l'enfant ouvrant droit à l'indemnisation intégrale du préjudice ; que par suite, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Rouen, la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Rouen doit être engagée ;

Sur le préjudice :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que les frais d'obsèques et de rapatriement de la jeune victime en Tunisie s'élèvent à la somme de 2 264, 33 euros ; que, dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par les requérants en allouant une somme de 22 000 euros ensemble à M. et Mme X, parents de Nihel, une somme de 6 000 euros à chacun de ses trois frères et soeurs , et une somme de 3 800 euros à chacun de ses trois grands-parents ;

Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :

Considérant, d'une part, que les intérêts des indemnités que le centre hospitalier universitaire de Rouen est condamné à payer sont dûs à compter de la date à laquelle la première demande d'indemnisation lui a été adressée par les requérants soit, en l'espèce, le 4 mai 2001 ; que ceux-ci ne sont donc pas fondés à demander les intérêts à compter du jour du décès de la jeune Nihel ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1154 du code civil : Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année ; que, pour l'application des dispositions précitées la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond ; que cette demande prend toutefois effet au plus tôt à la date à laquelle elle est enregistrée, et pourvu qu'à cette date il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ; que, le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure, sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande ; que les requérants ont demandé par un mémoire en date du 13 juin 2002, la capitalisation des intérêts ; qu'à cette date, les intérêts étaient dus pour au moins une année entière ; qu'il y a lieu dès lors de faire droit à cette demande tant à cette date que, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que celui ci n'a pas ensuite formulé de nouvelles demandes de capitalisation, à chaque échéance annuelle à compter du 13 juin 2002 ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de la loi du 10 juillet 1991 :

Considérant qu'aux termes de l'article L.761-1 du code de justice administrative : Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés ; que l'article 43 de la loi susvisée du 10 juillet 1991 autorise le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle à demander au juge de condamner, dans les conditions prévues de l'article 75, la partie perdante au paiement d'une somme au titre des frais qu'il a exposés ; que le deuxième alinéa de l'article 37 de la même loi dispose que (...) l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle peut demander au juge de condamner, dans les conditions prévues à l'article 75, la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, à une somme au titre des frais que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Il peut, en cas de condamnation, renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat et poursuivre le recouvrement à son profit de la somme allouée par le juge ;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle ne peut demander au juge de condamner à son profit la partie perdante qu'au paiement des seuls frais qu'il a personnellement exposés, à l'exclusion de la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle confiée à son avocat ; mais que l'avocat de ce bénéficiaire peut demander au juge de condamner la partie perdante à lui verser la somme correspondant à celle qu'il aurait réclamée à son client, si ce dernier n'avait eu l'aide juridictionnelle, à charge pour l'avocat qui poursuit, en cas de condamnation, le recouvrement à son profit de la somme qui lui a été allouée par le juge, de renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée ;

Considérant, d'une part, que les requérants n'allèguent pas avoir exposé de frais autres que ceux pris en charge par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle totale qui a été allouée à M. X ; que, d'autre part, l'avocat des requérants n'a pas demandé la condamnation de l'Etat à lui verser la somme correspondant aux frais exposés qu'il aurait réclamée à ses clients si ces derniers n'avaient pas bénéficié d'une aide juridictionnelle totale ; que, dans ces conditions, les conclusions de la requête tendant à la condamnation du centre hospitalier universitaire de Rouen sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 01-2120 du tribunal administratif de Rouen est annulé.

Article 2 : Le centre hospitalier universitaire de Rouen est condamné à verser à M. et Mme X en leur nom personnel la somme globale de 22 000 euros et à leur verser au nom de leurs enfants mineurs Abdelwahab, Nour et Nahla X chacun la somme de 6 000 euros.

Article 3 : Le centre hospitalier universitaire de Rouen est condamné à verser à Mme Regaya Y, M Amed Y et Mme Amida Z chacun la somme de 3 800 euros.

Article 4 : L'ensemble des sommes susmentionnées portera intérêt au taux légal à compter du 4 mai 2001. Les intérêts échus à la date du 13 juin 2002 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 5 : Le surplus des conclusions des requérants est rejeté.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme Moktar X, à Mme Regaya Y, à M Amed Y et Mme Amida Z, à la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen, au centre hospitalier universitaire de Rouen et au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.

Délibéré à l'issue de l'audience publique du 28 octobre 2003 dans la même composition que celle visée ci-dessus.

Prononcé en audience publique le 12 novembre 2003.

Le rapporteur

Signé : A. Eliot

Le président de chambre

Signé : J.F. Gipoulon

Le greffier

Signé : G. Vandenberghe

La République mande et ordonne au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

Le Greffier

Guillaume Vandenberghe

3

N°02DA00492

6

N°02DA00492


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2eme chambre
Numéro d'arrêt : 02DA00492
Date de la décision : 12/11/2003
Sens de l'arrêt : Satisfaction partielle
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Gipoulon
Rapporteur ?: Mme Eliot
Rapporteur public ?: M. Paganel
Avocat(s) : CABINET D'AVOCATS JEAN-BENOIT JULIA

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2003-11-12;02da00492 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award