Vu la requête, enregistrée le 2 janvier 2002 au greffe de la cour administrative d'appel de Douai, présentée pour M. Ludovic X, demeurant ..., par la S.C.P. d'avocats Cornet-Levy ; M. X demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 99-2095 en date du 12 octobre 2001 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à engager la responsabilité du centre hospitalier de Vernon pour dysfonctionnement du service psychiatrique, défaut de surveillance et retard de diagnostic ;
2°) de condamner le centre hospitalier du Vernon à lui verser la somme totale de 72 917,49 euros, assortie des intérêts légaux à compter du 25 mai 1999, au titre de la réparation des différents préjudices qu'il a subis ;
3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une nouvelle expertise pour permettre de chiffrer son préjudice corporel, son taux d'incapacité partielle permanente et ses troubles dans les conditions d'existence et surseoir à statuer sur la liquidation de ses préjudices jusqu'au nouveau rapport de l'expert ;
Code C Classement CNIJ : 60-02-01-01-02-01-01
4°) de condamner le centre hospitalier de Vernon à lui verser la somme de 3 048,98 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
M. X soutient que compte tenu de l'état mental d'extrême angoisse dans lequel il a été admis, contre sa volonté, au service de psychiatrie générale, le centre hospitalier n'a pas pris toutes les mesures nécessaires pour éviter sa fuite de l'établissement ou une action suicidaire de sa part ; que le centre hospitalier a commis une faute dans le retard pris pour diagnostiquer la luxation des cinq orteils de son pied gauche ; que les souffrances endurées et les interventions chirurgicales à la suite desquelles son taux d'incapacité partielle permanente a été évalué à 8 % résultent de l'erreur médicale de diagnostic faite par l'établissement hospitalier ; que les différents préjudices qu'il a subis sont les suivants : interruption temporaire totale de travail, incapacité partielle permanente, pretium doloris, préjudice esthétique, préjudice moral, préjudice d'agrément, dont la réparation est estimée à 72 917,49 euros ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire, enregistré le 11 mars 2002, présenté pour la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure, par Me Legendre, avocat, qui conclut à l'annulation du jugement attaqué, à la condamnation du centre hospitalier à lui verser les sommes de 5 614,46 avec intérêts au taux légal à compter du jour de sa demande et de 762,25 euros en réparation du préjudice subi par M. X et la somme de 609,80 euros au titre des articles L. 8-1 et R. 222 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ; la caisse primaire d'assurance maladie soutient que le centre hospitalier a manqué gravement à l'obligation de sécurité pesant sur lui en omettant de prendre en considération les différents éléments concernant l'état de santé de M. X ;
Vu le mémoire, enregistré le 10 juin 2002, présenté pour le centre hospitalier de Vernon, par Me Campergue, qui conclut au rejet de la requête ; le centre hospitalier de Vernon soutient que dès lors que la responsabilité de l'hôpital de Vernon n'est pas établie, la caisse primaire d'assurance maladie n'est pas fondée à réclamer le montant de ses débours ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience,
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 28 octobre 2003 où siégeaient M. Gipoulon, président de chambre, M. Nowak, premier conseiller et Mme Eliot, conseiller :
- le rapport de Mme Eliot, conseiller,
- les observations de Me Legendre, avocat, pour la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure et de Me Campergue, avocat, pour le centre hospitalier de Vernon,
- et les conclusions de M. Paganel, commissaire du gouvernement ;
Considérant que M. X fait appel du jugement en date du 12 octobre 2001 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à engager la responsabilité du centre hospitalier de Vernon pour, d'une part, dysfonctionnement du service psychiatrique et défaut de surveillance ayant permis sa fuite de l'établissement hospitalier et, d'autre part, retard de diagnostic de la luxation de ses cinq orteils du pied gauche ; que la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure, s'associant aux moyens d'appel développés par le requérant, demande dans le dernier état de ses conclusions, le remboursement de ses débours pour une somme de 5 614,46 euros augmentée des intérêts à compter de sa demande et le versement de la somme de 762,25 euros au titre de l'indemnité forfaitaire prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;
Considérant que M. X a été admis le 19 septembre 1997 en urgence dans le service psychiatrique du centre hospitalier de Vernon pour un délire de persécution avec troubles majeurs de la personnalité ; qu'après avoir passé une nuit calme à l'hôpital, il s'est enfuit de l'établissement après avoir brisé une fenêtre à l'aide d'un extincteur ; que lors de sa fuite, il a fait une chute et a été victime d'une luxation des cinq orteils de son pied gauche ;
Sur le moyen tiré du mauvais fonctionnement du service et du défaut de surveillance :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, que lors de son admission au service psychiatrique du centre hospitalier de Vernon, M. X ne présentait aucun signe laissant prévoir qu'il commettrait un acte de la nature de celui qui s'est produit ; que si le requérant soutient que le lendemain de son admission, il a été pris d'une crise d'angoisse, suite à un entretien qu'il a eu avec un psychologue de l'hôpital, cette seule circonstance ne saurait révéler un fonctionnement défectueux du service ou un défaut de surveillance de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Vernon ;
Sur le moyen tiré du retard de diagnostic :
Considérant que la fracture au pied gauche dont a été victime M. X, le 20 septembre 1997, à l'occasion de sa fuite, n'a été diagnostiquée par les services du centre hospitalier de Vernon que le 9 octobre 1997, alors que des radiographies réalisées le jour même de l'accident mettaient en évidence une luxation métacarpo phalengienne des cinq orteils du pied gauche ; que toutefois, il n'est pas établi que ce retard de diagnostic est à l'origine des interventions chirurgicales subies par M. X et des séquelles médicales qui en résultent ; qu'en revanche, il résulte de l'instruction, que la faute commise par l'établissement hospitalier a contribué à augmenter les souffrances endurées par le requérant à hauteur de 1 sur 7 et à prolonger sa période d'incapacité totale temporaire de 23 jours, pendant laquelle il n'est pas contesté que l'intéressé aurait pu retrouver un emploi intérimaire similaire à celui qu'il occupait avant son hospitalisation ; que dès lors, M. X est fondé à soutenir, que c'est à tort que, le tribunal administratif de Rouen a rejeté l'ensemble de ses conclusions indemnitaires ; que par suite, alors qu'il est constant que M. X n'a perçu d'indemnités journalières que pour une partie de sa période d'incapacité, il y a lieu d'allouer au titre des préjudices subis la somme de 750 euros ; que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 27 mai 1999, date de réception par le centre hospitalier du Vernon, de sa demande préalable d'indemnisation ;
Sur les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure :
Considérant, d'une part, que compte tenu de ce qui vient d'être dit, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure n'est pas fondée à réclamer le remboursement de ses débours au titre des frais médicaux et pharmaceutiques qu'elle a engagés à la suite de l'accident de M. X ;
Considérant, d'autre part, que la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure a versé à M. X la somme de 1 248,25 euros au titre des indemnités journalières auxquelles il pouvait prétendre pour la période du 20 septembre 1997 au 18 mars 1998, alors que sa période d'incapacité totale temporaire a été constatée jusqu'au 25 juin 1998 ; que par suite, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure ne saurait valablement faire valoir qu'elle a subi un préjudice résultant du retard de diagnostic dont a été victime M. X ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède, que les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure tendant à obtenir le remboursement des débours versés à son assuré, ainsi qu'une somme forfaitaire de 762,25 euros doivent être rejetées ;
Sur les frais d'expertise exposés en première instance :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'affaire, de mettre ces frais à la charge du centre hospitalier de Vernon ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de condamner le centre hospitalier de Vernon à payer à M. X une somme de 800 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
Considérant, en revanche, qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner le centre hospitalier à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rouen en date du 12 octobre 2001 est annulé.
Article 2 : Le centre hospitalier de Vernon versera à M. Ludovic X la somme de 750 euros augmentée des intérêts légaux à compter du 27 mai 1999.
Article 3 : Le centre hospitalier de Vernon versera à M. Ludovic X la somme de 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les frais d'expertise exposés en première instance sont mis à la charge du centre hospitalier de Vernon.
Article 5 : Le surplus des conclusions de M. Ludovic X et les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure sont rejetés.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. Ludovic X, au centre hospitalier de Vernon, à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure et à la société d'assurances A.X.A. et au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.
Copie sera transmise au préfet de l'Eure.
Délibéré à l'issue de l'audience publique du 28 octobre 2003 dans la même composition que celle visée ci-dessus.
Prononcé en audience publique le 12 novembre 2003.
Le rapporteur
Signé : A. Eliot
Le président de chambre
Signé : J.F. Gipoulon
Le greffier
Signé : G. Vandenberghe
La République mande et ordonne au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
Le greffier
Guillaume Vandenberghe
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N°02DA00005