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18/12/2024 | FRANCE | N°22BX01625

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 6ème chambre, 18 décembre 2024, 22BX01625


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Par une première requête n° 2000008, la société en nom collectif (SNC) Pinel a demandé au tribunal administratif de Saint-Martin d'annuler la convention d'occupation temporaire du domaine public du 22 octobre 2019 relative à l'exploitation d'une aire de restauration réversible sur le site de l'îlet Pinel conclue entre le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres et la société par actions simplifiée (SAS) Karibuni.



Par une seconde requ

ête n° 2000009, la SNC Pinel a demandé au tribunal administratif de Saint-Martin d'annuler la con...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une première requête n° 2000008, la société en nom collectif (SNC) Pinel a demandé au tribunal administratif de Saint-Martin d'annuler la convention d'occupation temporaire du domaine public du 22 octobre 2019 relative à l'exploitation d'une aire de restauration réversible sur le site de l'îlet Pinel conclue entre le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres et la société par actions simplifiée (SAS) Karibuni.

Par une seconde requête n° 2000009, la SNC Pinel a demandé au tribunal administratif de Saint-Martin d'annuler la convention d'occupation temporaire du domaine public du 31 octobre 2019 relative à l'exploitation d'une aire de restauration réversible sur le site de l'îlet Pinel conclue entre le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres et la Sarl P2D2.

Par un jugement n° 200008-200009 du 20 avril 2022, le tribunal administratif de Saint-Martin a décidé, après avoir joint les deux requêtes, par l'article 1er de ce jugement, de prononcer la résiliation, passé un délai de deux mois suivant la notification, de la convention d'occupation temporaire du domaine public du 22 octobre 2019 relative à l'exploitation d'une aire de restauration réversible sur le site de l'îlet Pinel conclue entre le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres et la SAS Karibuni. Par l'article 2 du même jugement, le tribunal a décidé de prononcer la résiliation, passé un délai de deux mois suivant la notification, de la convention d'occupation temporaire du domaine public du 31 octobre 2019 relative à l'exploitation d'une aire de restauration réversible sur le site de l'îlet Pinel conclue entre le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres et la Sarl P2D2.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés, le 14 juin 2022, le 30 octobre 2023 et le 25 mars 2024, la SAS Karibuni, représentée par Me Fouilleul, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Saint-Martin du 20 avril 2022 ;

2°) de rejeter la demande de la SNC Pinel de première instance et d'appel ;

3°) subsidiairement, de décider de la poursuite de l'exécution de la convention et/ou d'inviter les parties à régulariser la convention si nécessaire ;

4°) de mettre à la charge de la SNC Pinel une somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le motif d'annulation retenu par le tribunal est entaché d'erreur de droit et d'appréciation : l'analyse des candidatures ne souffre pas d'anomalie ; le calcul élaboré par le tribunal est spécieux et infondé ; le Conservatoire du littoral a appliqué la méthode de notation à laquelle il s'était astreint ; pour toutes les candidatures remises, il a examiné les sous-critères du critère " qualité technique " et a noté sur cinq les trois premiers sous-critère ; la même méthode a été appliquée à la SNC Pinel qui a obtenu une moins bonne moyenne que la sienne ;

- à supposer établie la méconnaissance par le Conservatoire du littoral de sa propre méthodologie, le tribunal n'a ni recherché, ni établi en quoi les parties auraient été lésées ou susceptibles d'être lésées dans leurs intérêts de façon suffisamment directe et certaine par la passation de la convention en litige ;

- en tout état de cause, la SNC Pinel n'aurait pas été attributaire du lot n° 2 en application de la méthodologie dégagée par le Conservatoire du littoral ; la prétendue irrégularité ayant affecté la procédure de passation n'a pas été la cause directe de l'éviction de la SNC Pinel ;

- les autres moyens soulevés par la SNC Pinel ne sont pas fondés.

Par des mémoires enregistrés le 10 juillet 2023, le 20 octobre 2023, le

29 janvier 2024 et le 2 avril 2024, le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, représenté par le cabinet Ernest and Young, conclut à l'annulation du jugement attaqué, au rejet des demandes de la SNC Pinel et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la SNC Pinel au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- sa requête d'appel, qui doit être regardée comme un appel provoqué, n'est pas tardive et est par suite recevable ;

- le moyen retenu par le tribunal est infondé dès lors que la procédure de notation qu'il a décidé de mettre en œuvre a été respectée ; la méthode de notation que les juges ont tenté d'appliquer n'était pas celle qu'il s'était fixé ;

- l'imprécision des critères de jugement des offres, pouvant inclure la définition ou la pondération de sous-critères, n'entache pas d'irrégularité la procédure de sélection préalable ; il n'était pas tenu de publier la pondération ou la hiérarchisation des sous-critères ;

- en tout état de cause, les vices ne sont pas d'une gravité suffisante justifiant l'annulation ou la résiliation de la convention ; une telle annulation porterait une atteinte excessive à l'intérêt général dès lors que la situation touristique de l'îlet implique de maintenir des activités de restauration et de souvenirs sur le site ;

- les autres moyens soulevés par la SNC Pinel en première instance et en appel sont infondés.

Par des mémoires en défense enregistrés le 12 juillet 2023, le 3 mars 2024 et le

22 juin 2024, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la SNC Pinel, représentée par

Me Boquet conclut au rejet de la requête de la SAS Karibuni, et à ce qu'une somme de

5 000 euros soit mise à la charge de cette dernière sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les mémoires d'appel présentés par le Conservatoire du littoral sont irrecevables car ils ont été présentés hors délai ;

- c'est à bon droit que le tribunal a accueilli le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure de passation dès lors que le Conservatoire a mis en place une procédure en vue de favoriser les actuels titulaires de la convention d'occupation, en méconnaissance des principes d'égalité de traitement et d'impartialité, et que les critères d'appréciation des offres n'ont pas été respectés et n'ont pas été transparents ; un critère illégal de maintien des occupants a été mis en place en méconnaissance des règles de mise en concurrence ; l'administration a utilisé des sous-critères d'évaluation des offres qui étaient pondérés alors que ces deux éléments n'ont pas été annoncés dans l'appel à projet ; les notes de chaque sous-critère n'apparaissent pas, laissant à l'administration une grande marge d'appréciation ;

- subsidiairement, le signataire de la convention était incompétent dès lors que le Conservatoire a confié la gestion de la réserve naturelle à une association et que la personne ayant signé la convention ne bénéficie pas d'une délégation ;

- l'appel à projet lancé par le Conservatoire n'a pas uniquement pour objet d'autoriser le titulaire à occuper le domaine public, mais confie à la personne privée une véritable mission de service public à la fois d'entretien et d'exploitation des installations de plage et de protection de l'environnement ; les règles de passation prévues par le code de la commande publique n'ont pas été respectées ;

- le Conservatoire n'a pas respecté la procédure ad hoc qu'il a lui-même mise en place ; il a décidé de proposer deux conventions successives, dont une probatoire alors que cela n'était pas prévu, et en vue de favoriser l'entreprise qui a obtenu le contrat dont l'offre était irrégulière car elle ne répondait pas aux critères environnementaux ; un délai supplémentaire lui a ainsi été accordé pour se conformer à l'appel à candidature ;

- cette entreprise a été autorisée à débuter l'exploitation sans mise en conformité de ses installations, à conserver sa climatisation et à prévoir le transport de la vaisselle à terre, pour le lavage, et a reçu un avantage financier dès lors que le contrat lui accorde une prise en charge à hauteur de 50 % du coût d'acquisition de toilettes sèches par le biais d'une réduction du montant de la redevance de l'occupation ;

- le Conservatoire a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des offres ;

- l'exploitant retenu ne respecte pas les obligations liées à la convention d'occupation temporaire.

Par une ordonnance du 21 juin 2024, la clôture de l'instruction a été fixée

au 23 août 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de l'environnement ;

- le code des marchés publics ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Caroline Gaillard,

- les conclusions de M. Anthony Duplan, rapporteur public,

- et les observations de Me Portron, représentant la SAS Karinuni, de Me Boquet, représentant la SNC Pinel et de Me Lecomte, représentant le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres.

Considérant ce qui suit

1. Le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, auquel la parcelle cadastrée section AT n° 36 appartenant à l'Etat, relevant de la zone des cinquante pas géométriques et faisant partie de la réserve naturelle de Saint-Martin, a été remise en gestion par un arrêté du 28 septembre 2004 avant d'être affectée définitivement par convention de mise à disposition valant mise à disposition le 31 décembre 2016, a lancé le 8 avril 2019 un appel à projet en application de l'article L. 2122-1-1 du code général de la propriété des personnes publiques en vue de l'exploitation pour une durée de neuf ans sur l'îlet Pinel d'une boutique de souvenirs et de deux aires de restauration réversibles. L'appel à projet a été divisé en trois lots : le lot n° 1 pour la partie boutique de souvenirs, le lot n° 2 pour l'aire de restauration n° 1 d'une superficie de 924 m² et le lot n° 3 pour l'aire de restauration n° 2 d'une superficie de 1 152 m². Le lot n° 1 a été attribué au seul candidat ayant remis une offre à savoir la SARL Gogoyana tandis que les lots n° 2 et n° 3, objet de plusieurs candidatures dont celle de la SNC Pinel, ont été respectivement attribués à la SAS Karibuni et à la

SARL P2D2.

2. Par deux requêtes distinctes, la SNC Pinel a contesté devant le tribunal administratif de Saint-Martin la validité des conventions d'occupation temporaire du domaine public du 22 octobre 2019 relative au lot n°2 attribué à la SAS Karibuni et du 31 octobre 2019 relative au lot n°3 attribué à la Sarl P2D2. Par un jugement du 20 avril 2022, le tribunal, après avoir joint les deux requêtes, a prononcé la résiliation de ces deux conventions passé le délai de deux mois suivant la notification de son jugement. La SAS Karibuni doit être regardée comme demandant seulement l'annulation de l'article 1er du jugement attaqué par lequel le tribunal prononce la résiliation de la convention d'occupation du domaine public qu'elle a conclue avec le Conservatoire du littoral. Cet établissement public conclut à l'annulation du jugement attaqué et au rejet des demandes de la SNC Pinel. Cette dernière conclut au rejet de la requête de la SAS Karibuni.

Sur la fin de non-recevoir opposée par la SNC Pinel :

3. Il résulte de l'instruction que le Conservatoire du littoral avait qualité et intérêt pour relever appel du jugement attaqué qui lui est défavorable dès lors qu'il prononce la résiliation des deux conventions d'occupation temporaire du domaine public maritime qu'il a conclues avec, d'une part, la SAS Karibuni et, d'autre part, la société P2D2. Dès lors, ses " mémoires en défense " qui tendent à l'annulation du jugement et au rejet des demandes de la SNC Pinel, laquelle n'a pas présenté de conclusions d'appel incident et s'est contentée de conclure au rejet de la requête de la société Karibuni, ne peuvent être regardés, comme il le soutient, comme des mémoires d'appel provoqué, et doivent être qualifiés de mémoires d'appel principal. Or, le premier mémoire présenté par le Conservatoire du littoral n'a été enregistré au greffe de la cour que le 10 juillet 2023, soit après l'expiration du délai de recours contentieux. Dès lors, ainsi que le soutient à juste titre la SNC Pinel, les conclusions d'appel présentées par le Conservatoire du littoral sont tardives et, par suite, irrecevables.

Sur le moyen retenu par le tribunal :

4. Aux termes de l'article L. 2122-1-1 du code général de la propriété des personnes publiques : " Sauf dispositions législatives contraires, lorsque le titre mentionné à l'article

L. 2122-1 permet à son titulaire d'occuper ou d'utiliser le domaine public en vue d'une exploitation économique, l'autorité compétente organise librement une procédure de sélection préalable présentant toutes les garanties d'impartialité et de transparence, et comportant des mesures de publicité permettant aux candidats potentiels de se manifester./ Lorsque l'occupation ou l'utilisation autorisée est de courte durée ou que le nombre d'autorisations disponibles pour l'exercice de l'activité économique projetée n'est pas limité, l'autorité compétente n'est tenue que de procéder à une publicité préalable à la délivrance du titre, de nature à permettre la manifestation d'un intérêt pertinent et à informer les candidats potentiels sur les conditions générales d'attribution. "

5. L'administration détermine librement la méthode de notation pour la mise en œuvre de chacun des critères de sélection des offres qui sont définis dans le cahier des charges et rendus publics. Toutefois, ces méthodes de notation sont entachées d'irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, elles sont par elles-mêmes de nature à priver de leur portée les critères de sélection ou à neutraliser leur pondération et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre, ou, au regard de l'ensemble des critères pondérés, à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie.

6. Il résulte de l'instruction que l'avis d'appel à projet publié par le Conservatoire du littoral, concernant notamment le lot n° 2 relatif à l'aire de restauration, indique que les offres de chaque candidat seront évaluées selon trois critères de sélection. Le premier est un critère technique, pondéré à 40 %, apprécié au regard de la qualité architecturale, la qualité des services rendus et la valorisation des produits locaux. Le deuxième est un critère environnemental, pondéré à 50 %, apprécié au regard d'un certain nombre d'éléments tels que la réduction des impacts environnementaux, l'entretien des lieux et le recours aux énergies renouvelables - Audit énergétique et assainissement lequel était précisé dans la présentation du projet sous le paragraphe relatif à la " présentation des pratiques éco responsables ". Enfin, le troisième critère est relatif à l'expérience sur un site isolé similaire, pondéré à 10%. Chacun des trois critères était affecté d'une note comprise entre zéro et cinq. Si l'avis d'appel à projets prévoit des éléments d'appréciation pour chacun des deux premiers critères de sélection des offres, ces éléments ne sauraient être regardés comme des critères à part entière dans la mesure où ils se bornent à expliciter les critères technique et environnemental sans les modifier ni être attachés d'une valeur particulière, et n'avaient ainsi pas à être davantage précisés ni hiérarchisés dans le cahier des charges. Alors que ces éléments d'appréciation pris en compte pour évaluer les offres au titre de chaque critère ont été portés à la connaissance des candidats au stade de l'avis d'appel à projet, la méthodologie de la notation expliquée dans le rapport d'analyse des offres du 27 juin 2019 précise que les points ont été attribués sur une échelle de " 0 : solution technique non traitée " à " 5 : solution technique traitée, propositions innovantes et/ou réflexion approfondie sur la problématique posée ". D'une part, les éléments d'appréciation des deux premiers critères de sélection ne constituant pas, en tant que tel, des sous-critères, le Conservatoire du littoral a pu attribuer des points par critères de manière globale, rien ne s'opposant en outre à ce qu'il traduise des appréciations littérales par des notes comportant des décimales. D'autre part, la méthode de notation retenue par le Conservatoire du littoral a été respectée dès lors qu'il ressort du rapport d'analyse des offres que chaque sous-élément a été noté sur cinq puis a ensuite fait l'objet d'une moyenne déterminant la note attribuée à chaque critère, la note finale ayant été établie par addition des notes obtenues pour chaque critère, après application de la pondération. Dans ces conditions, c'est à tort que les premiers juges ont estimé que le Conservatoire du littoral n'avait pas suivi la procédure de sélection des candidats qu'il s'était lui-même imposée et n'avait pas assuré un traitement égalitaire de l'ensemble des concurrents.

7. Par suite, la SAS Karibuni est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif, après avoir reconstitué les notes de chacun des éléments composant les trois critères de sélection sans décimale, a accueilli ce moyen pour prononcer la résiliation de la convention d'occupation du domaine public qu'elle avait conclue avec le Conservatoire du littoral.

8. Il y a lieu pour la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens de contestation de la validité de la convention en cause.

Sur les autres moyens :

9. En premier lieu, il résulte des termes de l'arrêté de remise en gestion de la zone des cinquante pas géométriques de Saint-Martin du 28 septembre 2004, comprenant l'îlet Pinel, et de la convention de mise à disposition d'immeubles de l'Etat au profit du Conservatoire du littoral de 2016 valant affectation, qu'ils renvoient à l'application de l'article L.322-6 alinéa 2 du code de l'environnement selon lequel : " Le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres est substitué à l'Etat dans la gestion des immeubles qui lui sont affectés : il passe toutes conventions les concernant, notamment celles visées à l'article L. 322-9, perçoit à son profit tous leurs produits et supporte les charges y afférentes, de quelque nature qu'elles soient. Ces dispositions sont applicables aux immeubles domaniaux remis à l'établissement à titre de dotation ". Aux termes de l'article L. 322-9 alinéa 3 du même code :" Le conservatoire et le gestionnaire peuvent autoriser par voie de convention un usage temporaire et spécifique des immeubles dès lors que cet usage est compatible avec la mission poursuivie par le conservatoire, telle que définie à l'article L. 322-1 ". En vertu de ces textes, le Conservatoire est seul compétent, avec le gestionnaire lorsqu'il y en a un, pour autoriser l'occupation et l'utilisation du domaine qui lui a été affecté.

10. D'une part, ainsi qu'il a été dit au point 1, le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres a été rendu affectataire de la parcelle appartenant au domaine public maritime de l'Etat et où se situe l'îlet Pinel par un arrêté du 28 septembre 2004 puis par une convention de mise à disposition conclue avec l'Etat le 31 décembre 2016. Si la gestion de la parcelle AT 36 où se situe l'îlet Pinel avait, dans un premier temps, été confiée à l'association de gestion de la réserve naturelle de Saint-Martin par une convention du 6 décembre 2006, cette convention était arrivée à échéance le 31 décembre 2018 et n'avait pas été renouvelée lorsque le Conservatoire a lancé l'avis d'appel à projets puis a signé les conventions d'exploitation commerciale passées avec les candidats retenus sur les trois lots, dont la société Karibuni. Dès lors, cette association ne pouvait pas être cosignataire de la convention en litige.

11. D'autre part, il est constant que la convention litigieuse a été signée par

M. B... A..., directeur de la gestion patrimoniale du conservatoire. Il résulte de l'instruction que, par une décision n°2019-05 du 2 septembre 2019 publiée le même jour au recueil des actes administratifs du Conservatoire, M. D... C..., directeur-adjoint et directeur par intérim du Conservatoire a donné délégation générale à M. B... A... pour signer au nom du directeur l'ensemble des actes relatif à l'organisation, au fonctionnement et à la représentation de l'établissement à l'exception des réquisitions adressées au comptable public, des contrats de la commande publique dérogatoires et des contrats de travail à durée indéterminée. Ainsi que le prévoit l'article R. 322-27 du code de l'environnement, le directeur du Conservatoire pouvait également déléguer sa signature au secrétaire général pour signer le même type d'acte et cette circonstance ne faisait pas obstacle à la signature de la convention litigieuse par M. A.... Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la convention d'occupation du domaine public maritime en litige doit être écarté.

12. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que la convention envisagée par le Conservatoire du littoral au titre du lot n° 2, comme d'ailleurs celle relative au lot n° 3, permet à son titulaire d'occuper le domaine public maritime géré par cet établissement public et à titre exclusif d'exploiter en contrepartie d'une redevance une activité économique de restauration ou de vente de souvenir, cette autorisation étant assortie de prescriptions tenant aux obligations de l'établissement public qu'il peut imposer tant dans l'intérêt de la protection de ce site remarquable et de son affectation, que dans l'intérêt général, en matière d'hygiène publique et de lutte contre la pollution de ce site. Ces prescriptions qui concernent principalement l'entretien des lieux mis à disposition et l'information des clients quant à l'espace protégé dans lequel ils entrent n'ont toutefois ni pour objet ni pour effet de confier aux cocontractants la gestion d'un service public mais seulement l'exploitation d'un équipement commercial dans des conditions compatibles avec la destination normale du domaine et avec l'ordre public. Cette convention n'emporte ainsi aucune contrainte, sujétion ou procédure de contrôle particulière pour ce qui concerne l'organisation et le fonctionnement de l'activité commerciale de réservation et elle ne donne pas lieu au versement d'un prix en contrepartie de prestations visant à répondre aux besoins du Conservatoire ou de son gestionnaire. Dans ces conditions, la convention en litige ne saurait être regardée comme ayant le caractère d'une concession de service public au sens et pour l'application de

l'article 5 de l'ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession. Par ailleurs, ayant principalement pour objet l'occupation du domaine public maritime affecté au Conservatoire du littoral moyennant une redevance, elle ne constitue pas un contrat de prestations de service. Enfin, la convention en litige ne revêt pas le caractère d'une concession de plage au sens des articles L. 321-9 du code de l'environnement et R. 2124-13 du code général de la propriété publique, concession accordée selon la procédure particulière prévue à l'article L. 2124-4 de ce code qui prévoit notamment que le titulaire de la convention est chargé de l'équipement, de l'entretien et de l'exploitation de la plage et du contrôle de la salubrité de la baignade.

13. Par suite, le moyen tiré de ce que le Conservatoire du littoral n'aurait pas respecté les obligations de publicité et de mise en concurrence prévues pour les contrats de concession ou de prestation de service ne peut qu'être écarté.

14. En troisième lieu, la SNC Pinel soutient que le Conservatoire du littoral n'aurait pas respecté la procédure ad hoc qu'il aurait lui-même mise en place dès lors qu'il aurait modifié les règles de la concurrence en proposant non pas une mais deux conventions successives soit une convention probatoire suivie d'une convention définitive. Toutefois, il résulte de l'instruction que la décision d'attribution des lots a prévu " une période probatoire ne pouvant excéder un an " afin de permettre au candidat retenu de mettre en œuvre ses engagements et prescriptions complémentaires, tels qu'ils ont été fixés par le Conservatoire du littoral dans l'avis d'appel à projets. Par suite, le manquement dont se prévaut la société Pinel ne concerne pas la procédure de passation du contrat mais un choix du Conservatoire du littoral intervenu au stade de l'attribution, de sorte qu'il ne peut être regardé comme en rapport direct avec son éviction.

15. En quatrième lieu, les moyens tenant à ce que le titulaire aurait bénéficié d'une période pour débuter l'exploitation sans mise en conformité de ses installations, aurait été autorisé à conserver sa climatisation et à prévoir le transport de la vaisselle à terre pour le lavage et aurait reçu un avantage financier consistant en la prise en charge du coût d'acquisition de toilettes sèches par le biais d'une réduction du montant de la redevance de l'occupation ne peuvent qu'être écartés dès lors qu'à les supposer avérés, de tels manquements ne peuvent être regardés comme en rapport direct avec l'éviction de la société Pinel.

16. En cinquième lieu, alors que le Conservatoire du littoral a entendu recourir à une analyse collégiale des candidatures dans le cadre d'un jury regroupant l'AGRNSM, la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) et la chambre de commerce et d'industrie de Saint-Martin (CCISM), il ne résulte pas de l'instruction que cet établissement, qui pouvait organiser librement la procédure de sélection préalable ainsi que cela résulte de l'article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques, aurait souhaité favoriser les personnes déjà installées sur le site.

17. En sixième lieu, la SNC Pinel, candidat évincé, soutient que le choix de l'attributaire de la convention est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation. Il résulte de la lecture du rapport d'analyse des offres que l'offre de la société Karibuni, qui a obtenu la note de 4.492/5, était supérieure sur le critère des qualités techniques et sur le critère de l'expérience sur un site isolé à l'offre de la société Pinel, qui a obtenu la note de 3,675/5. Ainsi que le relève le rapport d'analyse des offres, s'agissant du critère relatif aux qualités techniques, le projet de la société Karibuni présentait une bonne intégration dans le paysage, en réduisant la surface bâtie et en prévoyant l'utilisation de matériaux naturels tels que le bois et la végétation ainsi que l'installation de panneaux photovoltaïques alors que la société Pinel avait opté pour plusieurs installations de conteneurs et couverts de panneaux photovoltaïques, ce qui conduisait à une mauvaise intégration dans le paysage et pouvait présenter des risques de dispersion dans l'environnement en cas de période cyclonique. Les solutions architecturales proposées par la société Pinel ont ainsi été regardées comme mal intégrées et non définies quant à la durée des travaux de construction envisagés, aux moyens d'approvisionnement des matériaux et à la prise en compte des contraintes géographiques. Quant à l'installation des panneaux solaires sur les toitures, elle n'est pas apparue comme étant la solution optimale en termes d'intégration du projet dans le site naturel. Par ailleurs, dans la mesure où l'appel à projet indiquait que les toilettes sèches seraient mises à disposition par le gestionnaire du domaine public -seul l'entretien étant à la charge de l'exploitant-, il ne s'agissait pas d'un critère permettant de départager les candidats. Enfin, la société Karibuni proposait de stocker les matières premières sur le " continent " et de préparer les plats sur l'îlet alors que la société Pinel proposait de stocker sur le " continent " les plats congelés ou déjà préparés et de les réchauffer sur l'îlet avant d'être servis. Or, comme le relève le rapport d'analyse des offres, cette seconde méthode avait, par le passé, posé des difficultés en matière de respect de la réglementation sanitaire, la chaîne du froid des produits congelés n'étant pas respectée lors du transport vers l'îlet. S'agissant du critère environnemental, le rapport d'analyse des offres relève que si l'offre de la société Pinel était clairement présentée et permettait une diminution de la surface des installations et une réduction des dépenses énergétiques sur le site, il restait toutefois des questions sans réponse telles la gestion des commandes complémentaires, le maintien à terme de l'hygiène sur le site pour les personnes et l'absence d'eau et d'usage de solution hydro-alcoolique pour les employés et les clients, ce qui explique la note obtenue de 4,417/5. Cette note constitue néanmoins la meilleure note donnée sur ce critère, la société Karibuni ayant obtenu la note de 4,250/5. Enfin, s'agissant du critère relatif à l'expérience en milieu isolé, si la société Pinel s'est associée à un restaurateur qui a de nombreuses années d'expérience en matière de gestion de restaurants de plage, il ne présente pas d'expérience en site isolé. Ce qui lui a valu d'obtenir la note de 4/5 alors que la société Karibuni, qui justifie d'une expérience de 29 ans sur le site, a obtenu une note de 5/5 sur ce critère. Il suit de là que le Conservatoire n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en retenant la candidature de la société Karibuni.

18. Il résulte de ce qui précède que la société Pinel n'est pas fondée à contester la validité de la convention d'occupation du domaine public signée entre le Conservatoire du littoral et la société Karibuni.

Sur les frais liés à l'instance :

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par la SNC Pinel au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de la SNC Pinel une somme de 1500 euros à verser à la SAS Karibuni sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par le Conservatoire du littoral au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : L'article 1er du jugement du 20 avril 2022 du tribunal administratif de

Saint-Martin est annulé.

Article 2 : La SNC Pinel versera une somme de 1 500 euros à la SAS Karibuni sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La demande de première instance de la SNC Pinel et le surplus des conclusions d'appel des parties sont rejetés.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Karibuni, à la société en nom collectif Pinel et au Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres. Copie en sera adressée au ministre chargé des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 5 décembre 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Karine Butéri, présidente,

M. Stéphane Gueguein, président-assesseur,

Mme Caroline Gaillard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 décembre 2024.

La rapporteure,

Caroline Gaillard

La présidente,

Karine Butéri

La greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22BX01625


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX01625
Date de la décision : 18/12/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BUTERI
Rapporteur ?: Mme Caroline GAILLARD
Rapporteur public ?: M. DUPLAN
Avocat(s) : FOUILLEUL

Origine de la décision
Date de l'import : 22/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-18;22bx01625 ?
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