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27/11/2024 | FRANCE | N°22BX02735

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 6ème chambre, 27 novembre 2024, 22BX02735


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la délibération du 16 décembre 2019 par laquelle le conseil municipal de Gradignan a décidé de conclure un bail avec la société Domaine de Chevalier, ensemble le rejet implicite de son recours gracieux, et d'enjoindre à la commune de Gradignan de convoquer le conseil municipal afin de procéder à l'adoption d'une nouvelle délibération portant sur l'attribution du fermage sur le domaine viticole du châte

au Poumey.

Par un jugement n° 2002351 du 6 octobre 2022, le tribunal administrat...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la délibération du 16 décembre 2019 par laquelle le conseil municipal de Gradignan a décidé de conclure un bail avec la société Domaine de Chevalier, ensemble le rejet implicite de son recours gracieux, et d'enjoindre à la commune de Gradignan de convoquer le conseil municipal afin de procéder à l'adoption d'une nouvelle délibération portant sur l'attribution du fermage sur le domaine viticole du château Poumey.

Par un jugement n° 2002351 du 6 octobre 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a fait droit à sa demande d'annulation et a enjoint au maire de la commune de Gradignan, d'une part, de saisir le juge compétent pour faire constater la nullité du bail rural signé avec la société Domaine de Chevalier, et d'autre part, de convoquer son conseil municipal en vue d'attribuer les biens en cause.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 23 octobre 2022, le 6 décembre 2022 et le 23 octobre 2023, ces deux derniers n'ayant pas été communiqués, la commune de Gradignan, représentée par son maire en exercice et par Me Simon, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 6 octobre 2022 ;

2°) de rejeter la demande de M. B... C... ;

3°) de mettre à la charge de M. C... la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal :

- c'est à tort que le tribunal a considéré qu'elle avait méconnu les dispositions de l'article L. 411-15 du code rural et de la pêche maritime et estimé que M. C... devait être regardé comme un exploitant qui réalise une installation en bénéficiant de la dotation aux jeunes agriculteurs au sens de ces dispositions dès lors que celui-ci ne réalisait pas une installation, ne bénéficiait pas de cette dotation à la date à laquelle le conseil municipal a pris sa décision et ne pouvait donc bénéficier de la priorité prévue par cet article comme l'a précisé la jurisprudence ; le juge doit s'assurer que la réalisation de l'installation se fait conformément au projet pour lequel la dotation d'installation aux jeunes agriculteurs a été accordée, ce qui conditionne la priorité posée par l'article L. 411-15 ; cette interprétation des textes est confortée par les travaux parlementaires ; le tribunal a ajouté une troisième hypothèse à celles fixées par l'article L. 411-15 en y incluant les jeunes agriculteurs souhaitant procéder à leur première installation sur les terres données à bail alors que cet article n'accorde de priorité qu'aux jeunes agriculteurs en train de réaliser une installation en bénéficiant de la dotation d'installation aux jeunes agriculteurs ce qui n'était pas le cas de M. C... ;

- l'article D. 343-4 du code rural et de la pêche maritime prévoit que pour être éligible au dispositif, le candidat à l'installation doit justifier à la date du dépôt de la demande d'aide d'un plan de professionnalisation personnalisé (PPP) agréé par le préfet de département, un projet de développement de l'exploitation d'une durée de 4 ans viable dans le plan d'entreprise, conditions nullement remplies par M. C... qui ne justifiait que d'un premier entretien en décembre 2019 au sujet du plan de professionnalisation personnalisé, n'avait pas de plan de professionnalisation personnalisé agréé par le préfet et n'avait pas déposé de dossier de demande d'aide à l'installation ;

- l'octroi de la dotation jeunes agriculteurs n'est pas conditionné par l'octroi préalable du foncier contrairement à ce qui est soutenu en défense ;

- la législation sur les baux ruraux est indépendante de la réglementation des structures agricoles ;

Sur les autres moyens soulevés par M. C... :

- ils ne sont pas fondés dès lors que M. C... n'apporte aucun élément au soutien du moyen selon lequel elle doit justifier que la procédure de mise en concurrence répond aux exigences d'impartialité, de transparence d'égalité de traitement et a été régulièrement suivie ; elle a choisi d'appliquer une procédure transparente de sélection des candidats alors qu'elle n'était pas tenue de le faire ; elle a respecté la procédure de publicité et de sélection des candidats ainsi qu'elle en justifie ;

- le délai de procédure de sélection d'un mois n'était pas excessivement court ni incompatible avec l'objectif de publicité, de transparence et de mise en concurrence, des mesures de publicité ayant eu lieu, aucun texte ne fixant de délai minimum et le délai laissé étant suffisant pour permettre aux candidats normalement diligents de formuler une offre ; au surplus, ce délai permettait que le preneur à bail puisse faire le nécessaire à compter de mars 2020, le travail des vignes l'exigeant ;

- le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 1411-5 du code général des collectivités territoriales est inopérant et non fondé ;

- la commission municipale " finances et marchés publics " a fonctionné régulièrement et en tout état de cause les irrégularités qui auraient pu y être commises sont sans influence sur le sens de la décision prise par le conseil municipal le 16 décembre 2019 et n'ont pu priver M. C... d'aucune garantie ;

- M. C... n'apporte aucun élément au soutien du moyen tiré de la violation des articles L. 2121-10 et L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales qui n'est pas fondé ;

- la délibération comportait un tableau annexé avec la ventilation des notes ; les critères de sélection ont été respectés ; la note de 15 points attribuée à la société Domaine de Chevalier était justifiée compte tenu de ses références professionnelles, de son savoir-faire et de son projet ; les différences de points visant les sous-critères " culture raisonnée " et " limitation ou interdiction des produits phytosanitaires " sont justifiées compte tenu des différences d'engagements entre M. C... et la société Domaine de Chevalier ;

- le moyen, abandonné dans le mémoire récapitulatif de première instance, tiré de la non-réalisation de la condition suspensive d'obtention de l'autorisation d'exploiter, à laquelle est soumise le contrat de bail rural, est inopérant dès lors que la société Domaine de Chevalier n'est pas soumise à une telle demande d'autorisation en l'absence d'agrandissement au sens de l'article L. 331-2 du code rural et de la pêche maritime.

Par un mémoire, enregistré le 7 novembre 2022, la société Domaine de Chevalier, représentée par Me Blanchy, demande qu'il soit fait droit à la demande de la commune de Gradignan d'annulation du jugement attaqué, au rejet de la demande de M. C... et à la mise à la charge de ce dernier de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir qu'elle se rallie à l'argumentaire présenté par la commune de Gradignan.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 septembre 2023, M. C..., représenté par Me Corbier-Labasse, conclut au rejet de la requête, à l'annulation de la délibération du 16 décembre 2019 du conseil municipal de Gradignan et de la décision implicite de rejet de son recours gracieux, à ce qu'il soit enjoint à la commune de Gradignan de convoquer le conseil municipal afin de procéder à l'adoption d'une nouvelle délibération portant sur l'attribution du fermage sur le domaine viticole du château Poumey et à la mise à la charge de la commune de Gradignan de la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal :

- le tribunal n'a commis aucune erreur de droit en ce qui concerne l'application de l'article L. 411-15 du code rural et de la pêche maritime analysé au regard des dispositions des articles D. 343-3 et D. 343-4 du code rural et dont l'application efficiente nécessite que la procédure de sélection soit compatible avec la procédure d'octroi de la dotation d'installation ; exiger l'obtention de la dotation jeunes agriculteurs préalablement à la procédure de sélection revient à empêcher l'exercice du droit de priorité des jeunes agriculteurs ; le fait de réaliser une installation peut impliquer que l'exploitant ne soit pas encore installé ; il est impossible de bénéficier de l'octroi de la dotation " jeunes agriculteurs " en l'absence d'éléments précis relatifs à une exploitation déterminée ; la jurisprudence citée par la commune ne fait pas obstacle à ce que le droit de priorité soit reconnu dès le début de l'installation lorsque le jeune agriculteur n'a aucune terre à exploiter ; juger l'inverse serait contraire à l'objectif du législateur de favoriser l'installation de jeunes agriculteurs, et à la réponse ministérielle du 25 mars 2008 ; l'octroi de la dotation aux jeunes agriculteurs suppose en effet de préciser la localisation et de produire un plan d'entreprise décrivant précisément le projet et de justifier des titres sur le foncier et les bâtiments ; l'ordre de priorité de l'article L. 411-15 a son corollaire dans le régime du contrôle des structures et dans l'instruction des autorisations d'exploiter, le SDREA visant en priorité l'installation d'un agriculteur professionnel en individuel ;

- le tribunal n'a commis aucune erreur de fait dès lors qu'il est en démarche d'installation agricole, et avait dès le 13 décembre 2019 élaboré un PPP complet et adapté spécifiquement à l'exploitation des terres de la commune de Gradignan transmis pour agrément à la chambre d'agriculture ainsi qu'elle en a attesté ; ce PPP a été agréé dès le 7 janvier 2020 par la préfecture ; il possède la capacité professionnelle agricole dès lors qu'il est ingénieur agronome avec une expérience professionnelle à l'étranger ; la publicité de la procédure de sélection étant intervenue en octobre, il ne pouvait élaborer plus rapidement son PPP qui nécessite une analyse du projet impliquant au préalable une identification du foncier ; dès lors qu'il justifiait remplir tous les critères pour bénéficier de la dotation jeune agriculteur et avoir engagé l'ensemble des démarches pour l'obtenir il devait bénéficier du rang de priorité prévu par l'article L. 411-15 du code rural et de la pêche maritime ; il est éligible aux aides nationales à l'installation, la demande d'aide devant être déposée en janvier 2020 ce qui est compatible avec un début d'exploitation en mars 2020 ; cette demande nécessitant des garanties sur la maitrise du foncier démontre que le bail ou la promesse de bail est un élément conditionnant l'octroi de la dotation jeune agriculteur ; il remplissait les conditions prévues par l'article D. 343-4 du code rural ; la commune était déterminée à confier son vignoble à la société Domaine de Chevalier et ne souhaitait pas se soumettre au droit de priorité de l'article L. 411-15 du code rural ;

Sur les autres moyens :

- la procédure de mise en concurrence n'était pas régulière dès lors que le délai de procédure de sélection d'un mois est excessivement court et incompatible avec l'objectif de publicité, de transparence et de mise en concurrence ; un tel délai ne permettait pas à un jeune agriculteur de mener à bien toutes les phases lui permettant d'obtenir la dotation jeune agriculteur ;

- la commune devait respecter l'article L 1411-5 du code général des collectivités territoriales s'agissant de l'information des membres de la commission " finances marchés publics " dès lors qu'elle a décidé de procéder comme en matière de passation d'un marché public ;

- il appartient à la commune de justifier du respect des articles L. 2121-10 et L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales s'agissant du délai de convocation des conseillers municipaux et des informations préalables qui leur ont été transmises en amont de la réunion ;

- la délibération n'a pas respecté les critères de sélection fixés par le cahier des charges notamment en ce qui concerne le sous-critère " projet d'utilisation de la marque pendant toute la durée du bail ".

Par une ordonnance du 21 septembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 23 octobre 2023.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Caroline Gaillard,

- les conclusions de M. Anthony Duplan, rapporteur public,

- et les observations de Me Simon Seban, représentant la commune de Gradignan, de Me Blanchy, représentant la société Domaine de Chevalier et de Me Corbier-Labasse, représentant M. C....

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Gradignan est propriétaire d'un vignoble d'une superficie de 12,81 hectares dénommé " château Poumey ", en appellation Pessac-Léognan, exploité jusqu'en 2020 par la société " château Pape Clément ". A la suite du congé donné par cette dernière qui ne souhaitait plus exploiter ces parcelles, la commune de Gradignan a décidé, par délibération du 30 septembre 2019, qu'un nouveau bail rural d'une durée de 25 ans serait conclu à compter du 1er mars 2020 et qu'il convenait de recourir à une procédure de sélection du fermier. Par délibération du 16 décembre 2019, le conseil municipal de Gradignan a décidé de conclure un bail avec la société Domaine de Chevalier.

2. Par un jugement du 6 octobre 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé cette délibération, à la demande de M. C..., candidat malheureux, et a enjoint au maire de Gradignan, d'une part, de saisir le juge compétent pour faire constater la nullité du bail rural signé avec la société Domaine de Chevalier dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement et, d'autre part, de convoquer son conseil municipal en vue d'attribuer les biens en cause dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement prononçant l'annulation dudit bail. La commune de Gradignan et la société Domaine de Chevalier, qui a la qualité de partie en appel, relèvent appel de ce jugement dont elles demandent l'annulation et concluent au rejet de la demande de M. C.... Par une décision du 10 janvier 2023, la présidente de la 4ème chambre de la cour administrative d'appel de Bordeaux a prononcé le sursis à exécution de ce jugement.

Sur le bien-fondé du motif d'annulation retenu par le tribunal :

3. Pour faire droit à la demande d'annulation de la délibération du 16 décembre 2019 du conseil municipal de Gradignan, le tribunal, après avoir relevé qu'à la date de cette délibération, M. C... " avait engagé des démarches en vue de procéder à son installation et à l'obtention de la dotation jeunes agriculteurs " a estimé qu'ainsi, M. C..., qui remplissait " les conditions prévues aux 1° à 4° de l'article D. 343-4 du code rural et de la pêche maritime, pouvait prétendre au bénéfice de la dotation jeunes agriculteurs ". A... en a déduit que M. C... devait dans ces conditions " être regardé comme un exploitant qui réalise une installation en bénéficiant de la dotation d'installation aux jeunes agriculteurs au sens des dispositions de l'article L. 411-15 du code rural et de la pêche maritime et bénéficie de la priorité instituée par ces dispositions ". Il en a conclu qu'en écartant sa candidature au profit de la société Domaine de Chevalier, qui ne bénéficiait pas de ce même régime de priorité, le conseil municipal de Gradignan avait méconnu les dispositions de l'article L.411-15 du code rural et de la pêche maritime.

4. Aux termes de l'article L. 411-15 du code rural et de la pêche maritime : " Lorsque le bailleur est une personne morale de droit public, le bail peut être conclu soit à l'amiable, soit par voie d'adjudication / (...) Quel que soit le mode de conclusion du bail, une priorité est réservée aux exploitants qui réalisent une installation en bénéficiant de la dotation d'installation aux jeunes agriculteurs ou, à défaut, aux exploitants de la commune répondant aux conditions de capacité professionnelle et de superficie visées à l'article L. 331-2 du présent code, ainsi qu'à leurs groupements (...) ". Aux termes du I de l'article D. 343-3 du code rural et de la pêche maritime : " En vue de faciliter leur première installation, il peut être accordé aux jeunes agriculteurs qui prévoient d'exercer une activité agricole au sens de l'article L. 311-1, à l'exclusion des activités aquacoles, et qui satisfont aux conditions fixées par la présente section les aides suivantes : / 1° Une dotation jeunes agriculteurs en capital (...) ".

5. Il résulte de ces dispositions que, lorsque le propriétaire de terres agricoles destinées à être données à bail est une personne morale de droit public, l'organe délibérant, en présence de plusieurs demandes concurrentes d'attribution du bail, doit procéder à un choix en respectant les procédures et l'ordre de priorité qu'elles prévoient. L'article L. 411-15 du code rural et de la pèche maritime institue, pour la conclusion de baux ruraux sur des terres agricoles dont une personne morale de droit public est propriétaire, une priorité réservée aux exploitants qui réalisent une installation en bénéficiant de la dotation d'installation aux jeunes agriculteurs ou, à défaut, aux exploitants de la commune répondant aux conditions de capacité professionnelle et de superficie visées à l'article L. 331-2 de ce code. Lorsqu'aucune demande n'émane d'un jeune agriculteur qui réalise une installation, la priorité doit être réservée aux exploitants de la commune où se situent les terres à louer et répondant à des conditions de capacité professionnelle et de superficie.

6. Il est constant qu'à la date de la délibération du 16 décembre 2019 contestée, M. C... ne réalisait pas une installation en bénéficiant de la dotation d'installation aux jeunes agriculteurs. S'il avait engagé des démarches en vue de procéder à son installation et visant à l'obtention de cette dotation telles que la réalisation d'un premier entretien en décembre 2019 relatif au " plan de professionnalisation personnalisé " (PPP), M. C... n'avait cependant pas de plan de professionnalisation personnalisé agréé par le préfet et n'avait pas déposé de dossier de demande d'aide à l'installation. Ainsi, l'intéressé, qui par ailleurs n'exploitait aucune terre sur le territoire de la commune de Gradignan où sont situées les parcelles données à bail, ne pouvait bénéficier de la priorité instituée par les dispositions de l'article L. 411-15 du code rural et de la pêche maritime, sans qu'il puisse utilement faire valoir la décision de la préfète de la Gironde du 7 janvier 2020 portant approbation de son PPP qui est postérieure à l'acte contesté. Dès lors, en écartant sa candidature au profit de la société Domaine de Chevalier au motif qu'il ne pouvait être qualifié d'exploitant réalisant une installation en bénéficiant de la dotation d'installation aux jeunes agriculteurs au sens de l'article L. 411-15 du code rural et de la pêche maritime, son dossier n'étant pas suffisamment avancé, le conseil municipal de Gradignan n'a pas méconnu les règles de priorité fixées par les dispositions de cet article.

7. Il en résulte que la commune de Gradignan est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a accueilli le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 411-15 du code rural et de la pêche maritime.

8. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les moyens soulevés par M. C... devant le tribunal administratif de Bordeaux et devant la cour à l'encontre de cette délibération.

Sur les autres moyens soulevés par M. C... :

9. En premier lieu, M. C... soutient que la procédure au terme de laquelle le bail rural a été attribué n'est pas compatible avec les objectifs de publicité, de transparence et de mise en concurrence dès lors que le délai entre la publicité de l'appel à candidature et la date limite de dépôt des offres n'était pas suffisant pour permettre à un jeune agriculteur de mener à bien les démarches administratives en vue d'obtenir le bénéfice de la dotation jeune agriculteur. Il ressort des pièces du dossier que, par une délibération du 30 septembre 2019, la commune de Gradignan a décidé de la mise en œuvre d'une procédure de publicité et de sélection, et en a fixé les règles. Elle a procédé à un appel à candidature dans deux journaux professionnels (Les Échos Judiciaires Girondins et l'Union Girondine des Vins de Bordeaux), au cours de la première semaine d'octobre 2019 et sur le site internet de la ville. Chaque candidat a été invité à retirer, auprès de la collectivité, un dossier de consultation qui comprenait un état des lieux du vignoble et un cahier des charges, le règlement de consultation indiquant l'objet de la consultation, les conditions de la consultation, le planning prévisionnel, la sélection des candidatures et le jugement des offres, la date limite de remise des offres ayant été fixée au 8 novembre 2019 à 16 heures. La commission municipale " finances et marchés publics " s'est réunie, le 12 novembre 2019, afin d'examiner les candidatures et les propositions. Puis, certains candidats, dont M. C..., ont été informés par mail de ce que leur candidature avait été retenue pour l'audition de la commission du 23 novembre 2019 et ont reçu la liste des questions. A l'issue des auditions, la commission a rédigé un rapport et établi un classement, en application des critères pondérés dont les candidats avaient eu connaissance. Sur cette base, le conseil municipal a décidé, lors de la séance du 16 décembre 2019, de retenir la candidature de la société Domaine de Chevalier.

10. Contrairement à ce que soutient M. C..., il ne ressort pas des éléments ci-dessus rappelés que le délai d'un mois laissé aux candidats pour présenter une offre aurait été " excessivement court ". Il en ressort au contraire que quatre offres dont celle de M. C... ont pu être déposées et étudiées par la commission municipale sans qu'aucun autre candidat potentiel n'ait contesté la durée de la procédure. Par suite, le moyen tiré de ce que la procédure de mise en concurrence à laquelle la commune de Gradignan avait fait le choix de se soumettre, n'aurait pas été régulièrement suivie pour le motif invoqué, doit être écarté.

11. En deuxième lieu, M. C... soutient que la régularité de la procédure volontairement suivie par la commune de Gradignan imposait le respect des dispositions du code général des collectivités territoriales relatives à la commission d'ouverture des plis visée à l'article L. 1411-5 du code général des collectivités territoriales. Toutefois, cette commission intervient dans le cadre des procédures de passation des conventions de délégation de service public définies à l'article L. 1121-3 du code de la commande publique et non dans le cadre de la signature par une commune d'un bail rural (bail à ferme à long terme) qui relève des dispositions du code rural et de la pêche maritime. Par suite, ce moyen doit être écarté comme inopérant.

12. En troisième lieu, si M. C... a entendu soutenir qu'il appartient à la commune de Gradignan de justifier de la régularité du fonctionnement et de la composition de la commission municipale " finances et marchés publics " lors des réunions qui se sont tenues les 12 et 23 novembre 2019, ce moyen n'est pas assorti des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé.

13. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 2121-10 du code général des collectivités territoriales : " Toute convocation est faite par le maire. Elle indique les questions portées à l'ordre du jour. Elle est mentionnée au registre des délibérations, affichée ou publiée. Elle est adressée par écrit, au domicile des conseillers municipaux ou, s'ils en font la demande, envoyée à une autre adresse ou transmise de manière dématérialisée. ". Aux termes de l'article 2121-12 du même code : " Dans les communes de 3 500 habitants et plus, une note explicative de synthèse sur les affaires soumises à délibération doit être adressée avec la convocation aux membres du conseil municipal. (...) Le délai de convocation est fixé à cinq jours francs (...) ".

14. Il résulte des dispositions précitées que les convocations aux réunions du conseil municipal, accompagnées des notes explicatives de synthèse, doivent être envoyées aux conseillers municipaux en respectant un délai de cinq jours francs avant la réunion. Un requérant qui soutient que les délais légaux d'envoi des convocations à un conseil municipal n'ont pas été respectés alors que, selon les mentions du registre des délibérations du conseil municipal, ces délais auraient été respectés, doit ainsi apporter des éléments circonstanciés au soutien de son moyen. En l'absence de tels éléments, ses allégations ne sauraient conduire à remettre en cause les mentions factuelles précises du registre des délibérations qui, au demeurant, font foi jusqu'à preuve du contraire.

15. D'une part, il ressort des pièces du dossier que la délibération attaquée mentionne la date de convocation des conseillers municipaux au 10 décembre 2019 soit plus de 5 jours francs avant la tenue de la séance, du 19 décembre 2019. Par suite, et faute de tout élément circonstancié apporté par M. C... tendant à remettre en cause les mentions factuelles inscrites dans la délibération du 19 décembre 2019, le moyen tiré de ce qu'en méconnaissance des dispositions de l'article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales, le délai de convocation de cinq jours francs des conseillers municipaux n'aurait pas été respecté doit être écarté.

16. D'autre part, il résulte des dispositions citées au point 13 que, dans les communes de 3 500 habitants et plus, la convocation aux réunions du conseil municipal doit être accompagnée d'une note explicative de synthèse portant sur chacun des points de l'ordre du jour. Le défaut d'envoi de cette note ou son insuffisance entache d'irrégularité les délibérations prises, à moins que le maire n'ait fait parvenir aux membres du conseil municipal, en même temps que la convocation, les documents leur permettant de disposer d'une information adéquate pour exercer utilement leur mandat. Cette obligation, qui doit être adaptée à la nature et à l'importance des affaires, doit permettre aux intéressés d'appréhender le contexte ainsi que de comprendre les motifs de fait et de droit des mesures envisagées et de mesurer les implications de leurs décisions. Elle n'impose toutefois pas de joindre à la convocation adressée aux intéressés, à qui il est au demeurant loisible de solliciter des précisions ou explications conformément à l'article L. 2121-13 du même code, une justification détaillée du bien-fondé des propositions qui leur sont soumises.

17. Il ressort des pièces du dossier que les élus ont été rendus destinataires, à l'occasion de leur convocation, d'un ordre du jour et d'une note de synthèse comportant les éléments explicatifs et des grilles de notation proposées par la commission municipale. En particulier, la note de synthèse et le tableau qui y était annexé faisaient précisément application du cahier des charges de la consultation. Lors de la réunion du 12 novembre 2019 de la commission, il a été procédé à l'ouverture des plis contenant les offres puis à leur analyse. Enfin, les candidats retenus, dont M. C..., ont été entendus par la commission, dument informée de leur offre lors de la réunion du 23 novembre 2019. Dans ces conditions, M. C... n'est pas fondé à soutenir que ces documents ne permettaient pas aux conseillers municipaux d'avoir une parfaite connaissance de l'objet et des éléments d'analyse à prendre en compte lors de l'étude des offres prévue lors de leur séance. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce qu'en méconnaissance des dispositions de l'article 2121-12 du code général des collectivités territoriales, les membres du conseil municipal n'auraient pas reçu les documents leur permettant de disposer d'une information adéquate pour exercer utilement leur mandat doit être écarté.

18. En cinquième lieu, au soutien du moyen tiré de la méconnaissance du principe d'impartialité et d'égalité entre les candidats, M. C... conteste les critères de notation et de sélection retenus par la commission.

19. A cet égard, d'une part, il ressort des pièces du dossier qu'outre les critères de notation rappelés au cahier des charges de la consultation, la ventilation des notes figurait dans le tableau annexé à la délibération attaquée. Dès lors, l'intéressé ne peut sérieusement soutenir qu'il n'aurait pas été informé de la ventilation des notations de chaque candidat au regard des critères posés par le cahier des charges.

20. D'autre part, selon M. C..., c'est en conséquence d'une erreur manifeste d'appréciation que la société Domaine de Chevalier s'est vu attribuer la note maximale de 15 points au titre du critère relatif au " projet d'utilisation de la marque pendant toute la durée du bail " alors qu'elle n'a prévu de commercialiser que 50% de la production sous la marque " Château Poumey " là où il a quant à lui reçu la même note de 15 points alors qu'il prévoyait la commercialisation sous cette marque de toute la production. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que le projet de la société Domaine de Chevalier ne se limitait pas à la commercialisation d'un volume de production couvert par la marque " Château Poumey " mais avait pour objectif d'exploiter le vignoble dans une perspective de production qualitative " AOC Pessac Léognan ". La société faisait en outre état des propriétés qu'elle exploitait par ailleurs (Domaine de Chevalier - Grand cru classé de Graves en Pessac-Léognan, Domaine de la Solitude en Pessac-Léognan, Château Lespault-Martillac en Pessac-Léognan, Château Suau - 2ème grand cru classé en 1855, Clos des Lunes ...) et des employés qualifiés dont elle disposait, souhaitant commercialiser un produit haut de gamme. Ces éléments permettaient d'assurer à la commune de Gradignan la préservation, l'exploitation et la valorisation de la marque de son vignoble. Par suite, la note maximale de 15 ainsi attribuée à la société Domaine de Chevalier pour ce critère n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation. Enfin, il ne ressort pas davantage des éléments du dossier que la commune de Gradignan aurait commis un " détournement de pouvoir " en souhaitant favoriser un candidat " déjà installé ".

21. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la demande de première instance, que la commune de Gradignan est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a prononcé l'annulation de la délibération du 19 décembre 2019 du conseil municipal de Gradignan.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

22. Le présent arrêt n'appelant aucune mesure d'exécution, les conclusions à fin d'injonction de M. C... ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Gradignan, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande M. C... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il y a lieu de mettre à la charge de M. C... la somme de 1 500 euros à verser à la commune de Gradignan au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a également lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. C... la somme de 500 euros à verser à la société Domaine de Chevalier au titre des frais exposés par cette société et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 6 octobre 2022 est annulé.

Article 2 : La demande de M. B... C... présentée devant le tribunal administratif de Bordeaux et ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : M. C... versera la somme de 1 500 euros à la commune de Gradignan et la somme de 500 euros à la société Domaine de Chevalier sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., à la commune de Gradignan et à la société Domaine de Chevalier.

Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 7 novembre 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Karine Butéri, présidente,

M. Stéphane Guéguein, président-assesseur,

Mme Caroline Gaillard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 27 novembre 2024.

La rapporteure,

Caroline Gaillard

La présidente,

Karine Butéri

La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au préfet de la Gironde en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22BX02735


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX02735
Date de la décision : 27/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BUTERI
Rapporteur ?: Mme Caroline GAILLARD
Rapporteur public ?: M. DUPLAN
Avocat(s) : DE SEZE & BLANCHY

Origine de la décision
Date de l'import : 01/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-27;22bx02735 ?
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