Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée (SAS) Modus, venant aux droits de la société civile immobilière (SCI) MLM, a demandé au tribunal administratif de Pau de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2015, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période couvrant les années 2016 et 2017, et des pénalités correspondantes.
Par un jugement n° 2000506 du 12 juillet 2022, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 29 août 2022 et le 23 mars 2023, la SAS Modus, venant aux droits de la SCI MLM, représentée par Me Lapeyre, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Pau du 12 juillet 2022 ;
2°) de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période couvrant l'année 2016 pour un montant de 31 667 euros et des intérêts de retard correspondants ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens ainsi qu'une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la réalité de la prestation d'assistance facturée pour 200 000 euros le 18 décembre 2015 par la Sarl Ilbarritz Bab, à un coût forfaitaire, est justifiée par la concordance entre les écritures comptables et la facturation lesquelles démontrent qu'elle a été payée partiellement à hauteur de 190 000 euros en mars 2016, ce qui lui ouvre droit à une déduction de TVA à hauteur de 31 667 euros ;
- contrairement à ce que soutient l'administration qui sollicite une substitution de base légale, le montant de cette facturation correspond bien au paiement de prestations de services réalisées et non fictives ou de complaisance et effectuées dans l'intérêt de la société.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 1er mars 2023 et le 5 janvier 2024, le ministre de l'économie des finances et de la souveraineté numérique et industrielle conclut au rejet de la requête.
Il soutient que
- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;
- dans l'hypothèse où la cour accueillerait le moyen soulevé, il y aurait lieu d'opérer une substitution de base légale pour substituer aux articles 271.1 et 269.2 du code général des impôts les articles 272.2 et 283.4 du même code.
Par une ordonnance du 21 juin 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 juillet 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Caroline Gaillard,
- et les conclusions de M. Anthony Duplan, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La SCI MLM, qui avait son siège à Anglet, exerçait une activité de marchand de biens. A l'issue d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2016 étendue jusqu'au 30 octobre 2017 en matière de taxe sur la valeur ajoutée (TVA), l'administration fiscale a taxé d'office à l'impôt sur les sociétés ses résultats de l'exercice 2015, la société ayant à tort déposé une déclaration des sociétés immobilières non soumise à l'impôt sur les sociétés. Le service a, en outre, rejeté la TVA de 33 333 euros déduite en février 2016 sur une prestation de services facturée le 18 décembre 2015 par la Sarl Ilbarritz Bab au motif qu'elle n'avait pas encore été payée, et rappelé la TVA insuffisamment déclarée sur la revente en janvier 2017 d'un terrain à bâtir ainsi que la TVA non déclarée sur la revente en mars 2017 d'un autre terrain à bâtir. Les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, assorties d'une majoration de 40 %, et les rappels de TVA en résultant ont été mis en recouvrement le 15 février 2019. La SAS Modus, venant aux droits de la SCI MLM à la suite d'une opération d'absorption, a demandé au tribunal administratif de Pau de prononcer la décharge de ces impositions. Elle relève appel du jugement de ce tribunal en tant qu'il ne fait pas droit à sa demande de décharge des rappels de TVA qui lui ont été réclamés au titre de l'année 2016 à hauteur de 31 667 euros et des intérêts de retard correspondants.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 269 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à la période d'imposition en litige : " 1. Le fait générateur de la taxe se produit : / a) Au moment où la livraison, l'acquisition intracommunautaire du bien ou la prestation de services est effectué / (...) / 2. La taxe est exigible : / a) Pour les livraisons et les achats visés au a du 1 (...), lors de la réalisation du fait générateur ; / (...) / c) Pour les prestations de services autres que celles visées au b bis, lors de l'encaissement des acomptes, du prix, de la rémunération ou, sur option du redevable, d'après les débits (...) ". Aux termes de l'article 271 du même code, dans sa rédaction applicable à la période d'imposition en litige : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération (...) II. 1. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas : a) Celle qui figure sur les factures établies conformément aux dispositions de l'article 289 et si la taxe pouvait légalement figurer sur lesdites factures (...) ".
3. Il résulte de l'instruction que les sociétés Shelbourne France, Modus, Ilbarritz Bab et MLM faisaient partie d'un groupe informel dirigé par M. A..., avant l'absorption de la SCI MLM par la Sarl Ilbarritz Bab, elle-même absorbée par la SAS Modus en novembre 2021. La Sarl Shelbourne France a acquis une parcelle de terrain auprès de la commune de Lit-et-Mixe. Après avoir procédé à la division de ce terrain, devenu le lotissement du " domaine des Pélindres ", elle a cédé les nouvelles parcelles issues de cette division à plusieurs professionnels de l'immobilier dont les sociétés Ilbarritz Bab et MLM. Par un acte notarié du 27 mars 2015, la SCI MLM a ainsi acheté à la Sarl Shelbourne France quatre parcelles de terrains à bâtir, au sein de ce lotissement, pour un prix global de 263 750 euros. La SCI MLM a ensuite, sans les modifier, revendu à la SAS Modus deux de ses terrains, cadastrés AC 521 et AC 507, par deux actes notariés en date respectivement du 20 janvier 2017 et du 29 mars 2017, pour un montant identique de 100 000 euros TTC dont 16 667 euros de TVA.
4. Il résulte également de l'instruction que la Sarl Ilbarritz Bab, régulièrement inscrite au registre du commerce et des sociétés, a établi le 18 décembre 2015 une facture d'un montant de 200 000 euros TTC, dont 33 333 euros de TVA, relative au montage et à la réalisation de l'ensemble de l'opération " Pelindres II " mentionnant comme objet " opération Pelindres II acquisition des terrains à bâtir, apport des financements, ingénierie financière, commercialisation et réalisation de vente des terrains. Montage et réalisation de l'ensemble de l'opération. ". En application des articles 271.1 et 269.2 du code général des impôts, l'administration a refusé d'admettre la déduction de la TVA déclarée à hauteur de 33 333 euros au motif que la facture du 18 décembre 2015 n'avait pas été acquittée. La société Modus venant aux droits de la société MLM soutient pour la première fois devant la cour que cette facture a été réglée à hauteur de 190 000 euros le 12 janvier 2016, ce qui lui ouvrirait droit à une déduction de la TVA à hauteur de la somme déclarée soit 31 667 euros.
5. L'administration qui admet, dans le dernier état de ses écritures, que la facture en cause a été acquittée à hauteur de 190 000 euros, demande qu'aux dispositions initialement retenues soient substituées celles du 2 de l'article 272 et du 4 de l'article 283 du code général des impôts compte tenu du caractère fictif de la facture produite.
6. Si l'administration peut, à tout moment de la procédure contentieuse, y compris pour la première fois en appel, invoquer un nouveau motif de droit propre à justifier l'imposition, une telle substitution de base légale ne saurait avoir pour effet de priver le contribuable des garanties de procédure prévues par la loi compte tenu de la base légale substituée.
7. Aux termes de l'article 272 du code général des impôts : " (...) 2. La taxe sur la valeur ajoutée facturée dans les conditions définies au 4 de l'article 283 ne peut faire l'objet d'aucune déduction par celui qui a reçu la facture (...) ". Aux termes de l'article 283 de ce code : " (...) 4. Lorsque la facture ou le document ne correspond pas à la livraison d'une marchandise ou à l'exécution d'une prestation de services, ou fait état d'un prix qui ne doit pas être acquitté effectivement par l'acheteur, la taxe est due par la personne qui l'a facturée (...) ".
8. Il résulte de ces dispositions qu'un contribuable n'est pas en droit de déduire de la taxe sur la valeur ajoutée dont il est redevable à raison de ses propres opérations la taxe mentionnée sur une facture établie à son nom par une personne qui ne lui a fourni aucun bien ou aucune prestation de services. Dans le cas où l'auteur de la facture était régulièrement inscrit au registre du commerce et des sociétés et assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée, il appartient à l'administration, si elle entend refuser à celui qui a reçu la facture le droit de déduire la taxe qui y était mentionnée, d'établir qu'il s'agissait d'une facture fictive ou d'une facture de complaisance. Si l'administration apporte des éléments suffisants permettant de penser que la facture ne correspond pas à une opération réelle, il appartient alors au contribuable d'apporter toutes justifications utiles sur la réalité de cette opération.
9. Pour remettre en cause le droit à déduction de la TVA porté sur la facture du 18 décembre 2015, regardée comme fictive, l'administration fait valoir que le document annexe à cette facture reprenant le descriptif des différentes prestations de services, produit en appel, mentionne en libellé certaines lignes des prestations facturées à la société MLM qui incombent en réalité à d'autres sociétés du même groupe, ayant le même président, telles que la prestation intitulée " participation frais de gestion /prospection /administration ILB " qui incombe à la société Ilbarritz Bab ou encore la prestation intitulée " administration /comptabilité /gestion générale SHL " qui incombe à la société Shelbourne France, plusieurs lignes aboutissant d'ailleurs à facturer plusieurs fois la prestation d'administration, de gestion ou de comptabilité. L'administration relève également que les autres lignes du document annexé à la facture ne précisent pas si les prestations facturées concernent l'achat des terrains ou leur revente par la société MLM. Comme le service le fait valoir, et alors que la circonstance que le gérant irlandais de la société vérifiée ignorerait les subtilités de la langue française ne suffit pas à expliquer les erreurs et imprécisions dans l'intitulé des prestations, à supposer que les prestations facturées concernent l'achat des terrains, les lignes suivantes, au vu de leur intitulé, ne correspondent pas à des prestations réellement rendues par la société Ilbarritz Bab à la société MLM. Dans l'hypothèse où les prestations facturées concernent la revente des terrains par la société MLM, la société Ilbarritz ne peut pas à la fois facturer des frais et se faire restituer une partie de la marge sur la vente censée couvrir ces frais. S'agissant par ailleurs de la ligne intitulée " restitution marge sur vente des terrains LEM Lot n° 4 et Lot n° 48 ", l'administration relève qu'aucune justification sur le calcul du montant de la prestation qui correspond au montant de la marge à restituer n'est apportée. Si, pour justifier la réalité des prestations rendues, la société Modus invoque l'existence d'une convention signée entre la société Ilbarritz Bab et la SCI MLM, qui prévoyait une assistance en matière commerciale et technique et fixait un montant forfaitaire de 166 666,67 euros HT, qui correspond au montant total de la facture litigieuse du 18 décembre 2015, ladite convention a été signée le 20 mars 2015 soit avant même l'achat de quatre terrains par la société MLM le 27 mars 2015. Si la société requérante produit un tableau intitulé " bordereau d'activités projet Pelindres II 2013 - 2015 ", ce document, qui fixe un prix identique de 120 euros par heure quelle que soit la nature de la prestation (déplacements, échanges, consultation) et n'est accompagné d'aucun justificatif, ne permet pas d'établir la réalité des prestations qui auraient été fournies. Par suite, l'administration doit être regardée comme établissant le caractère fictif de la facture en litige. Dans ces conditions, et dès lors que la société Modus n'a été privée d'aucune garantie, la substitution de base légale demandée par l'administration doit être accueillie.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la société SAS Modus n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la SAS Modus demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Ses conclusions tendant à ce que l'Etat supporte les dépens de l'instance doivent également être rejetées, l'instance n'ayant au demeurant donné lieu à aucun dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SAS Modus venant aux droits de la SCI MLM est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société par action simplifiée Modus et au ministre de l'économie des finances et de l'industrie.
Une copie en sera adressée pour information à la direction spécialisée de contrôle fiscal Sud-Ouest.
Délibéré après l'audience du 17 octobre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Karine Butéri, présidente,
M. Stéphane Guéguein, président-assesseur,
Mme Caroline Gaillard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 novembre 2024.
La rapporteure,
Caroline Gaillard
La présidente,
Karine Butéri
La greffière,
Laurence Mindine
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22BX02338