Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... F... a demandé au tribunal administratif de Mayotte de condamner le département de Mayotte à lui verser la somme de 395 000 euros à parfaire, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 27 décembre 2018 et de leur capitalisation, en réparation des préjudices causés par les refus de l'embaucher, et d'ordonner avant dire-droit au département de produire tous les éléments permettant de fixer la rémunération nette mensuelle qu'il aurait pu percevoir à compter de l'année 2014.
Par un jugement n° 1901061 du 24 février 2022, le tribunal administratif de Mayotte a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 27 mai 2022 et le 31 mai 2023, M. D... F..., représenté par Me Théobald, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Mayotte du 24 février 2022 ;
2°) de condamner le département de Mayotte à lui verser la somme de 395 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 27 décembre 2018 et de leur capitalisation ;
3°) de mettre à la charge du département de Mayotte une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les premiers juges n'ont pas examiné ses conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice causé par l'illégalité du refus de recrutement opposé en 2011, lequel s'est poursuivi postérieurement à l'année 2014 ;
- le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré de ce que les refus de recrutement des 31 décembre 2014, 25 juillet 2016 et 24 juin 2017 n'étaient pas légalement justifiés ;
- l'article R. 741-2 du code de justice administrative a été méconnu ;
- l'illégalité du refus de recrutement en 2011 a été constatée par le jugement du 29 décembre 2014, et constitue une faute de nature à engager la responsabilité du département ; il a droit à l'indemnisation de son préjudice pour la période postérieure à celle ayant fait l'objet d'une réparation ;
- le 31 décembre 2014, le département a recruté en qualité de capitaine 500 un candidat ne disposant pas du brevet de capitaine 500 ; sa candidature n'était pas tardive ; elle faisait suite à une annonce publiée le 1er octobre 2014 ; aucune date butoir n'avait été fixée pour le dépôt des candidatures ; le courrier du 31 décembre 2014 l'informant du rejet de sa candidature n'évoque pas son caractère tardif ;
- le département aurait dû l'informer des nouveaux recrutements envisagés ; le département de Mayotte ne pouvait ignorer, alors qu'il invoquait l'absence de besoin de recrutement pour justifier du refus de l'embaucher auprès du défenseur des droits, qu'une procédure de recrutement de cinq capitaines 500 serait engagée quelques mois plus tard ;
- il est suffisamment établi qu'une procédure de recrutement d'un capitaine 500 a été engagée en mai 2016 ;
- le refus de recrutement du 24 mai 2017 n'est pas justifié par des considérations budgétaires ;
- les dérogations obtenues par le département n'étaient justifiées par aucune circonstance d'extrême nécessité ;
- les différents refus de recrutement ne sont pas justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
- il a droit à la réparation de son préjudice financier, par le versement d'une indemnité égale au montant de la rémunération nette qu'il aurait perçue depuis son recrutement ; par référence à la rémunération d'un technicien supérieur territorial, le préjudice s'élève à 187 600 euros sur la période de janvier 2014 à mai 2023 ;
- il a également droit à la prise en charge du coût de la formation nécessaire à l'obtention du brevet de capitaine 500, dont il a perdu le bénéfice en raison de la faute du département, soit 15 000 euros ;
- le montant des droits à retraite perdus peut être évalué à la somme de 100 000 euros ;
- Il sera fait une juste appréciation de son préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence en lui octroyant la somme de 50 000 euros.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 13 avril et 23 juin 2023, le département de Mayotte, représenté par la SCP CGCB et Associés, agissant par Mes Gault-Ozimek et Gauci, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. F... le versement d'une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par M. F... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 26 juin 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 17 juillet 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 ;
- le décret n° 2015-723 du 24 juin 2015 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Au cours de l'audience publique, ont été entendus :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de M. Duplan, rapporteur public ;
- et les observations de Me Théobald pour M. F... et de Me Navarro, substituant Mes Gault-Ozimek et Gauci, pour le département de Mayotte.
Vu la note en délibéré, présentée pour M. F..., enregistrée le 15 avril2024.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... C... est titulaire du brevet de " capitaine 500 " depuis 2007, lui permettant d'assurer le commandement d'un navire relevant de cette catégorie. Il a présenté à plusieurs reprises auprès du service des transports maritimes (STM) du département de Mayotte sa candidature pour occuper, en qualité de contractuel, un emploi correspondant à sa qualification. Après plusieurs refus et s'estimant victime d'une discrimination en raison de ses origines anjouanaises, il a saisi le tribunal administratif de Mayotte. Par un jugement du 29 décembre 2014 devenu définitif, le tribunal a condamné le département de Mayotte à lui verser la somme de 80 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de la discrimination à l'embauche dont il a été victime sur la période de 2011 à 2013. Postérieurement à la période couverte par les faits soumis au tribunal, M. F... a de nouveau postulé sur des emplois au sein de la STM en 2014, 2016 et 2017. Ses candidatures ont été rejetées. Par une demande indemnitaire préalable reçue le 9 janvier 2019, M. F... a demandé au département de Mayotte, qui exploite directement le STM, de l'indemniser des préjudices qui résultent de la discrimination à l'embauche, en raison de ses origines anjouanaises, sur la période de 2014 à 2018. Après la naissance d'une décision implicite de rejet, il a demandé au tribunal administratif de Mayotte de condamner le département à lui verser une indemnité de 100 000 euros à titre de provision. Il relève appel du jugement du 24 février 2022 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.
2. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 741-2 du code de justice administrative, lequel exige que la décision des premiers juges contienne l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application, est dépourvu de toute précision permettant d'en apprécier le bien-fondé.
3. M. F... soutient que les premiers juges n'auraient pas répondu au moyen tiré de ce que les refus de recrutement des 31 juillet 2014, 25 juillet 2016 et 24 juin 2017 n'étaient pas légalement justifiés, se bornant à examiner s'ils n'étaient pas entachés de discrimination. Toutefois, s'agissant du refus du 31 juillet 2014, le tribunal, au point 5 de son jugement, a estimé qu'il était justifié par le caractère tardif de la candidature de l'intéressé. S'agissant du deuxième refus, les premiers juges ont exposé, au point 6 de leur jugement, qu'aucun poste n'était ouvert et qu'aucun recrutement de " Capitaine 500 " n'avait eu lieu à cette date. Enfin, il résulte du point 7 du jugement attaqué que le tribunal a considéré que le département avait en 2017 interrompu la procédure d'embauche et pourvu le poste en interne par un marin détenteur du brevet de " capitaine 200 ", d'où le troisième refus de recrutement opposé à M. F.... Les premiers juges ont ainsi suffisamment motivé leur jugement.
4. En revanche, il ressort des pièces du dossier de première instance que si M. F... recherchait devant les premiers juges la responsabilité du département pour les nouveaux refus de recrutement qui lui auraient été opposés en 2014, 2016 et 2017, il réclamait également la réparation intégrale du préjudice dont le fait générateur se trouvait dans le refus de recrutement de 2011 et qui n'aurait pas cessé après le jugement du 29 décembre 2014, dès sa requête introductive d'instance précisée sur ce point notamment dans le mémoire enregistré le 20 septembre 2021. M. F... a détaillé le calcul de ce préjudice dans son mémoire complémentaire enregistré le 10 décembre 2021. Le tribunal a omis de statuer sur ces conclusions. Il y a lieu, dès lors, d'annuler son jugement en date du 24 février 2022 en tant qu'il n'a pas statué sur ces conclusions.
5. Il y a lieu pour la cour administrative d'appel de se prononcer immédiatement sur la demande dans cette mesure par la voie de l'évocation et de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur les autres conclusions.
Sur le refus de recrutement de 2011 :
6. Aux termes du deuxième alinéa de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 : " Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur orientation ou identité sexuelle, de leur âge, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur apparence physique, de leur handicap ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race (...) / Les dispositions du présent article sont applicables aux agents non titulaires de droit public ".
7. Aux termes de l'article 1er de la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations : " Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, son âge, son handicap, son orientation ou identité sexuelle, son sexe ou son lieu de résidence, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable. / Constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d'entraîner, pour l'un des motifs mentionnés au premier alinéa, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés (...) ". Aux termes du 2° de l'article 2 de cette même loi : " Toute discrimination directe ou indirecte fondée sur le sexe, l'appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, la religion ou les convictions, le handicap, l'âge, l'orientation ou l'identité sexuelle ou le lieu de résidence est interdite en matière (...) d'accès à l'emploi (...) ". Et aux termes de l'article 4 de ladite loi : " Toute personne qui s'estime victime d'une discrimination directe ou indirecte présente devant la juridiction compétente les faits qui permettent d'en présumer l'existence. Au vu de ces éléments, il appartient à la partie défenderesse de prouver que la mesure en cause est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination (...) ".
8. De manière générale, il appartient au juge administratif, dans la conduite de la procédure inquisitoire, de demander aux parties de lui fournir tous les éléments d'appréciation de nature à établir sa conviction. Cette responsabilité doit, dès lors qu'il est soutenu qu'une mesure a pu être empreinte de discrimination, s'exercer en tenant compte des difficultés propres à l'administration de la preuve en ce domaine et des exigences qui s'attachent aux principes à valeur constitutionnelle des droits de la défense et de l'égalité de traitement des personnes. S'il appartient au requérant qui s'estime lésé par une telle mesure de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte à ce dernier principe, il incombe au défendeur de produire tous ceux permettant d'établir que l'acte litigieux repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'acte contesté devant lui a été ou non pris pour des motifs entachés de discrimination, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
9. Il résulte de l'instruction, et notamment des motifs du jugement du tribunal administratif de Mayotte en date du 29 décembre 2014, qui ne sont pas contestés par le département de Mayotte, que le président du conseil général de Mayotte et le directeur général des services avaient donné au début de l'année 2011 leur accord pour le recrutement de M. F... afin qu'il exerce ses fonctions de " capitaine 500 " au STM, ayant pour objet principal d'assurer le service des barges entre Grande Terre et Petite Terre. Par des rapports et courriers de juillet 2011, le directeur du STM, en déplorant la vive opposition manifestée par plusieurs agents du service à l'égard de ce projet d'embauche et en soulignant le caractère discriminatoire d'un tel refus fondé sur l'origine anjouanaise de l'intéressé, réaffirmait la nécessité de ce recrutement, étant conscient depuis plusieurs années de la nécessité de faire évoluer l'organisation du service de manière à mettre en place, par des recrutements de capitaines tenant compte de la jauge réelle des navires, des modalités de navigation conformes à la réglementation en vigueur. Il s'agissait de mettre fin à l'application du régime dérogatoire des " capitaines 200 " utilisés en lieu et place des " capitaines 500 ", ce régime dérogatoire ne pouvant être justifié qu'en cas d'impossibilité de recourir à des personnels qualifiés et n'ayant jamais abouti, malgré l'effort de formation, à l'obtention par l'un de ces agents d'un brevet de " capitaine 500 ". Le département ne faisant état d'aucun élément objectif étranger à toute discrimination susceptible de justifier le refus de recrutement de M. F..., celui-ci est fondé à soutenir que les agissements discriminatoires sont constitutifs d'une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité.
10. Par le jugement du 29 décembre 2014, le tribunal administratif de Mayotte, estimant que M. F... avait été privé d'une chance sérieuse de disposer d'un emploi de " capitaine 500 " auprès du STM au cours des années 2011 à 2013 a évalué le préjudice financier subi par l'intéressé à la somme de 70 000 euros, tous intérêts compris. Il a condamné le département de Mayotte à lui verser cette somme, ainsi qu'une somme de 10 000 euros, tous intérêts compris, au titre du préjudice moral. L'appelant soutient que le préjudice s'étant poursuivi après le jugement, il a droit au versement d'une indemnité correspondant au montant de la rémunération nette qu'il aurait dû percevoir depuis janvier 2014, et la compensation de l'absence de cotisation pour la retraite. Toutefois, même si le jugement, pour évaluer le préjudice financier, fait référence à la rémunération que l'emploi de capitaine 500 aurait assurée à M. F... au cours des années 2011 à 2013 au regard de l'absence effective de revenu de remplacement au cours de cette même période, le tribunal qui n'était pas saisi des recours en annulation contre les refus de recrutement opposés à M. F... a nécessairement entendu, par son jugement du 29 décembre 2014, indemniser l'intégralité du préjudice subi par l'intéressé au titre de cette perte de chance en accordant la somme de 80 000 euros pour solde de tout compte. Par suite, l'exception de chose jugée opposée par le département de Mayotte doit être accueillie et les conclusions de M. F... au titre de l'aggravation de son préjudice rejetées.
Sur le refus de recrutement de 2014 :
11. Il résulte de l'instruction que M. F... a de nouveau présenté sa candidature par courrier reçu le 6 octobre 2014, à la suite de l'ouverture de cinq postes de " capitaine 500 " au sein du STM. Il a été informé du rejet de sa candidature par lettre du 31 décembre 2014. Au soutien du moyen tiré de ce que ce nouveau refus serait encore la manifestation du traitement discriminatoire dont il a fait l'objet de la part du département de Mayotte du fait de ses origine comoriennes, l'appelant fait valoir qu'à l'issue de la procédure de recrutement, deux postes sont restés vacants, un des postes pourvus étant en outre attribué à un agent, M. E..., ne disposant pas du brevet de " capitaine 500 ". Compte tenu des éléments antérieurs évoqués au point 7 de l'arrêt, ces faits sont de nature à faire présumer l'existence d'une discrimination.
12. Le département de Mayotte soutient néanmoins que la candidature de M. F... a été rejetée comme tardive. Il fait valoir qu'une commission de recrutement s'était déjà réunie les 26, 27 et 28 septembre 2014 pour procéder à l'examen des candidatures et le 30 septembre 2014 pour choisir les candidats retenus. Toutefois, il résulte de l'instruction, et notamment du procès-verbal de la commission de recrutement du 30 septembre 2014, qui mentionne que d'autres entretiens de recrutement seront organisés par skype pour les autres candidats potentiels résidant en métropole, ou par entretien au STM pour les postes restant à pourvoir, et notamment ceux de " capitaine 500 ", que la procédure de recrutement n'était pas close à cette date. La candidature de M. F... précisait qu'elle avait été suscitée par une information obtenue dans le journal de Mayotte paru le 1er octobre 2014, et l'administration n'allègue pas qu'une date butoir aurait été fixée par la publicité de la vacance ou de la création de l'emploi. Enfin, le courrier de refus du 31 décembre 2014 ne fait aucune référence au caractère tardif de la candidature. Dès lors, ce motif ne permet pas de justifier de manière crédible le refus de recrutement de M. F... à la fin de l'année 2014, qui doit être regardé comme entaché de discrimination, quand bien même le défenseur des droits a décidé de clore le dossier de l'intéressé le 6 avril 2021.
13. S'agissant de la réitération du comportement fautif qui a déjà donné lieu à indemnisation par le jugement du 31 décembre 2014, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par M. F..., qui a été privé d'une chance sérieuse d'être embauché, en le fixant, pour solde de tout compte, à la somme forfaitaire de 10 000 euros s'agissant du préjudice financier, et 5 000 euros s'agissant du préjudice moral.
Sur le refus de recrutement de 2016 :
14. Il résulte de l'instruction que, par courrier reçu par le département le 25 mai 2016, M. F... a fait acte de candidature suite à une offre d'emploi de " capitaine 500 " parue sur le site de l'agence publicitaire " Clic and sea ". Toutefois, ainsi que l'ont retenu les premiers juges, alors que le département de Mayotte soutient qu'il n'a procédé à cette date à aucun recrutement d'agent contractuel afin d'exercer les fonctions de " capitaine 500 ", M. F... se borne à produire ce qu'il présente comme une copie d'écran de l'annonce sur le site internet, et un courriel renvoyant à cette annonce, alors qu'il admet lui-même que le département ne publie jamais d'offre d'emploi sur un tel site. Par conséquent, l'appelant n'apporte pas d'éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'une discrimination.
15. En outre, le département n'était pas tenu d'informer personnellement M. F... des recrutements de " capitaine 500 " auxquels il procédait.
Sur le refus de recrutement de 2017 :
16. Il résulte de l'instruction que, par courrier du 24 avril 2017, M. F... s'est de nouveau porté candidat pour occuper un emploi de " capitaine 500 " au STM, faisant suite à une offre d'emploi de commandant émise par le département de Mayotte le 11 avril 2017. Les premiers juges ont écarté l'existence d'une discrimination au motif que la procédure de recrutement avait été interrompue pour des raisons budgétaires et le poste ouvert avait été pourvu en interne par un marin détenteur du brevet " capitaine 200 " pour lequel une dérogation avait été demandée et obtenue auprès des services du ministère chargé de la mer.
17. La circonstance que les difficultés budgétaires du département, dont la réalité n'est pas sérieusement contestée par l'appelant, existaient depuis plusieurs mois, qu'elles n'auraient pas empêché la collectivité de procéder à d'autres recrutements, ou encore qu'aucune décision expresse de rejet de sa candidature ne lui a été adressée, ne sauraient faire présumer l'existence d'une discrimination. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que le département aurait eu recours en 2017 à une dérogation dans le seul but de ne pas procéder à son embauche, alors que, ainsi qu'il a été dit au point 8, cette pratique préexistait aux refus de recrutement de M. F....
18. L'appelant soutient néanmoins que le département de Mayotte a commis une faute en faisant un usage abusif du régime dérogatoire. Aux termes de l'article 3 du décret du 24 juin 2015 relatif à la délivrance des titres de formation professionnelle maritime et aux conditions d'exercice de fonctions à bord des navires armés au commerce, à la plaisance, à la pêche et aux cultures marines : " I. - Nul ne peut exercer à bord d'un navire battant pavillon français armé au commerce, à la plaisance, à la pêche et aux cultures marines des fonctions au niveau de direction, opérationnel ou d'appui, s'il ne possède les titres et attestations requis par le présent décret ". Et aux termes de l'article 6 de ce texte : " I. - Dans des circonstances d'extrême nécessité, le directeur interrégional de la mer compétent pour la région administrative dans laquelle se situe le port d'armement du navire à bord duquel est embarqué celui qui bénéficie de la dérogation peut accorder une dérogation aux conditions de qualification professionnelle maritime pour l'exercice d'une capacité à bord de ce navire (...) II. - A bord de navires armés au commerce ou à la plaisance, aucune dérogation ne peut être accordée pour l'exercice des capacités de capitaine ou de chef mécanicien, sauf circonstance de force majeure). ". Si M. F... soutient que, nonobstant l'absence de discrimination, le département a commis une faute en sollicitant des dérogations alors que ses difficultés budgétaires ne peuvent être regardées, quelle que soit leur importance, comme des circonstances d'extrême nécessité ou des circonstances de force majeure au sens des dispositions précitées, il résulte de l'instruction que les services du ministère de la mer, chargé de l'application de ce texte, ont accordé au département de Mayotte ces dérogations. Le simple fait de les solliciter ne saurait constituer, de la part de la collectivité territoriale, une faute.
19. Il résulte de tout ce qui précède que M. F... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Mayotte a rejeté sa demande concernant son refus de recrutement en 2014.
Sur les intérêts de retard et la capitalisation :
20. M. F... a droit aux intérêts au taux légal sur la somme due à compter du 9 janvier 2019, date de réception de sa demande indemnitaire préalable.
21. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. En ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. La capitalisation des intérêts a été demandée le 10 mai 2019, date d'enregistrement de la requête de M. F... au greffe du tribunal. Par suite, il y a lieu de faire droit à cette demande au 9 janvier 2020, date à laquelle était due une année d'intérêts, et à chaque date d'anniversaire.
Sur les frais de l'instance :
22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. F..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que le département de Mayotte demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge du département de Mayotte une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. F... et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Mayotte est annulé.
Article 2 : Le département de Mayotte est condamné à verser à M. F... une somme de 15 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 9 janvier 2019. Les intérêts seront capitalisés au 9 janvier 2020 et à chaque échéance ultérieure.
Article 3 : Le département de Mayotte versera à M. F... la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... F... et au département de Mayotte.
Délibéré après l'audience du 8 avril 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Ghislaine Markarian, présidente,
M. Frédéric Faïck, président assesseur,
M. Julien Dufour, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 mai 2024.
Le rapporteur,
Julien B...
La présidente,
Ghislaine Markarian La greffière,
Catherine JussyLa République mande et ordonne au préfet de Mayotte en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 22BX01475 2