Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... A... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe de condamner la région Guadeloupe à lui verser une indemnité de 69 977,50 euros en réparation de ses divers préjudices consécutifs à l'accident de service dont il a été victime le 11 mars 2009 et de la maladie professionnelle dont il souffre depuis cet accident.
Par un jugement n° 2101028 du 22 juin 2022, le tribunal a condamné la région Guadeloupe à verser à M. A... la somme de 69 977,50 euros à titre de dommages et intérêts.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 29 juillet 2022, les 18 octobre 2023 et 19 février 2024, la région Guadeloupe, représentée par la SCP Richer et Associés Droit Public, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe n° 2101028 du 22juin 2022 ;
2°) de rejeter les demandes de M. A... ;
3°) à titre subsidiaire, de réduire le montant de l'indemnité qui serait due à M. A... à la somme de 3 500 euros.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :
- en se fondant sur un rapport d'expertise médical réalisé à titre privé et non contradictoire, les premiers juges ont méconnu le principe des droits de la défense ; ils auraient dû fonder exclusivement leur solution sur le rapport d'expertise judiciaire.
Au fond :
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la maladie dont souffre M. A... est imputable au service du seul fait qu'elle est apparue quelques mois après l'accident de service du 11 mars 2009 ; il est établi que les pathologies dont souffre M. A... sont antérieures à son accident de service ; cette circonstance fait obstacle à ce que ces pathologies soient reconnues imputables au service en l'absence de lien de causalité directe ;
- si la Cour devait retenir cette imputabilité, M. A... n'aurait droit qu'à une indemnisation très limitée dès lors qu'il ressort du rapport d'expertise judiciaire que les pathologies concernées sont dues pour l'essentiel à des éléments étrangers à l'accident de service ; l'accident lui-même n'a eu qu'un rôle mineur sur l'état de santé de M. A... ;
- par ailleurs, le tribunal ne pouvait retenir que M. A... n'avait pas justifié son préjudice professionnel tout en indemnisant celui-ci ;
- si la Cour devait juger que M. A... a droit à une indemnisation, celle-ci devrait être évaluée à 5 % du montant des sommes demandées.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 21 septembre et 21 novembre 2023 et le 21 février 2024, M. D... A..., représenté par la SEBAN Occitanie, agissant par Me Fernandez-Begault, conclut :
1°) au rejet de la requête de la région Guadeloupe ;
2°) à titre subsidiaire, à la condamnation de la région Guadeloupe à lui verser la somme de 69 977,50 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de ses divers préjudices, avec les intérêts légaux et à ce que les frais de l'expertise judiciaire, arrêtés à la somme de 1 577,44 euros, soient mis à la charge de la région Guadeloupe ;
3°) à ce qu'il soit mis à la charge de la région Guadeloupe une somme de 6 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Frédéric Faïck,
- les conclusions de M. Anthony Duplan, rapporteur public,
- et les observations de Me Duvignau pour la région Guadeloupe et de Me Denilauler, substituant Me Fernandez-Begault, pour M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. D... A..., agent technique principal de 1ère classe des établissements d'enseignement, exerçait ses fonctions au lycée d'enseignement professionnel du Lamentin où il était chargé de la maintenance générale des installations sanitaires et de chauffage de l'établissement. Le 11 mars 2009, alors qu'il procédait à l'entretien du chauffe-eau de la cuisine du lycée, M. A... a reçu un retour de flamme qui lui a occasionné des brûlures aux mains, aux avant-bras et au visage. La direction du lycée a, le 26 mars 2019, transmis à la région Guadeloupe une déclaration de l'accident de service dont a été victime A..., qui a bénéficié d'un arrêt de travail de trois semaines. En 2010, M. A... a présenté une affection dermatologique, appelée vitiligo universel, se caractérisant par une dépigmentation de la peau qui s'est progressivement étendue sur l'ensemble de son corps. Par un arrêté du 5 février 2018, le président du conseil régional de la Guadeloupe a reconnu que M. A... était atteint d'une maladie professionnelle imputable au service. Par une ordonnance du 22 juillet 2020, le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a désigné un expert chargé de décrire l'état de santé de M. A... et d'évaluer l'ensemble de ses préjudices résultant de l'accident. Après le dépôt du rapport d'expertise le 25 mars 2021, M. A... a adressé à la région Guadeloupe une demande préalable d'indemnisation par une lettre du 21 juin 2021, qui a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. M. A... a alors saisi le tribunal administratif de la Guadeloupe d'une demande tendant à la condamnation de la région Guadeloupe à lui verser la somme de 69 977,50 euros en réparation de ses préjudices consécutifs à l'accident du 11 mars 2009. Par un jugement rendu le 22 juin 2022, dont la région Guadeloupe relève appel, le tribunal administratif a entièrement fait droit à la demande de M. A....
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il résulte de l'instruction que M. A... a, le 9 mai 2017, demandé à la région Guadeloupe, son employeur, de reconnaître le caractère professionnel de sa maladie. Dans le cadre de l'instruction de cette demande, la région Guadeloupe a sollicité le docteur B..., médecin agréé, aux fins d'examiner M. A... et de se prononcer sur le caractère professionnel de sa pathologie. Le président du conseil régional de la Guadeloupe a, par un arrêté du 5 février 2018, reconnu le caractère professionnel de la maladie de M. A... en se fondant sur les conclusions du rapport, visé dans cet arrêté, favorable à la demande présentée par l'agent. Dans ces circonstances, la région Guadeloupe n'est pas fondée à soutenir qu'elle n'a jamais eu connaissance du rapport d'expertise établi par le Dr B... le 1er juin 2017, lequel a, en outre, été versé au dossier de première instance et communiqué. Par suite, le moyen tiré de ce que le tribunal aurait méconnu le principe du contradictoire, en se prononçant au vu d'une pièce dont la région n'aurait pas eu connaissance, doit être écarté.
Sur les conclusions à fin d'indemnisation :
En ce qui concerne la responsabilité :
3. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct, mais non nécessairement exclusif, avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduise à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.
4. Il résulte de l'instruction, et tout d'abord de l'expertise du Dr B... réalisée en 2017 à la demande de la région Guadeloupe, que le vitiligo dont souffre M. A... s'est étendu à toutes les parties de son corps depuis l'apparition de cette maladie en 2010. Il s'agit d'une maladie auto-immune liée à des facteurs génétiques, mais dont l'apparition et l'aggravation peut être favorisée par des facteurs non génétiques comme le stress ou l'anxiété. Selon l'expert, l'accident survenu le 11 mars 2009, ajouté au conflit professionnel qui l'avait opposé au proviseur du lycée, ont déstabilisé le système immunitaire de M. A..., favorisé l'apparition de sa maladie de peau et aggravé une dépression déjà existante. Ainsi, l'expert a estimé que le vitiligo et la dépression de M. A... trouvent leur origine dans l'accident du 11 mars 2009, mais aussi dans les relations conflictuelles existantes entre l'intéressé et sa hiérarchie.
5. Selon le rapport d'expertise établi en 2021 par le Dr C... à la demande du juge des référés du tribunal administratif, si le vitiligo est une maladie auto-immune d'origine génétique, le stress est un facteur connu pour déclencher et aggraver cette pathologie chez les patients prédisposés. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que M. A... présentait un état dépressif antérieurement à l'accident du 11 mars 2009, ayant pour origine les conflits relationnels qui l'avaient opposé à sa hiérarchie et à ses collègues depuis son arrivée dans l'établissement en 2007. Néanmoins, l'expert retient que le vitiligo de M. A... a un lien avec l'accident de service, qui a aggravé la dépression de ce dernier. Enfin, selon les conclusions du Dr C..., l'état de santé de M. A... doit être regardé comme consolidé au 1er juin 2017, date de l'expertise réalisée par le Docteur B..., lequel a constaté que l'intéressé était atteint par le vitiligo sur environ 50 % de sa surface corporelle cutanée.
6. Dans ces circonstances, le vitiligo de M. A..., que la région Guadeloupe a d'ailleurs reconnu comme maladie professionnelle par une décision du 5 février 2018 devenue définitive, trouve son origine directe dans l'accident de service du 11 mars 2009. Aucun élément de l'instruction, et notamment les conclusions des rapports d'expertise précités, ne permet d'écarter ce lien direct du seul fait que les parties corporelles de M. A... affectées par le vitiligo sont plus étendues que celles atteintes par l'accident du 11 mars 2009. Cette pathologie a également aggravé l'état dépressif antérieur de M. A... qui présente dès lors un caractère professionnel dans la mesure de cette aggravation. Toutefois, compte tenu de l'état antérieur présenté par M. A... en raison du conflit d'ordre professionnel qui l'a opposé à sa hiérarchie, il y a lieu de juger que l'accident de service du 11 mars 2009 est à l'origine de 70 % des préjudices indemnisables.
En ce qui concerne les préjudices :
7. Les dispositions des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite et, pour les fonctionnaires affiliés à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales du II de l'article 119 de la loi du 26 janvier 1984, et les article 37, 40 et 42 du décret du 26 décembre 2003, relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités territoriales, déterminent forfaitairement la réparation à laquelle un fonctionnaire victime d'un accident de service ou atteint d'une maladie professionnelle peut prétendre, au titre de l'atteinte qu'il a subie dans son intégrité physique, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Compte tenu des conditions posées à leur octroi et de leur mode de calcul, la rente viagère d'invalidité et l'allocation temporaire d'invalidité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle.
8. Ces dispositions ne font cependant pas obstacle à ce que le fonctionnaire qui a enduré, du fait de l'accident ou de la maladie, des souffrances physiques ou morales et des préjudices esthétiques ou d'agrément, obtienne de la collectivité qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, distincts de l'atteinte à l'intégrité physique. Elles ne font pas non plus obstacle à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité.
9. Le tribunal administratif de la Guadeloupe a jugé, par des motifs qui ne sont pas contestés par l'appelante, que l'accident survenu le 11 mars 2009 engageait la responsabilité de la région Guadeloupe sur le terrain de la faute pour avoir ordonné à M. A... d'intervenir sans protection sur un chauffe-eau vétuste et insuffisamment entretenu.
10. En premier lieu, les premiers juges ont évalué à 15 100 euros les préjudices de M. A... au titre de l'incidence professionnelle patrimoniale et extrapatrimoniale de son vitiligo. Toutefois, et contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, il ne résulte pas de l'instruction que M. A... serait susceptible de subir de la part de la région Guadeloupe des discriminations fondées sur son apparence physique emportant des incidences négatives sur ses perspectives d'évolution professionnelle. Une telle conclusion ne saurait être tirée de la circonstance que M. A... serait, en raison de sa maladie, sujet à des moqueries ou à des propos déplacés de la part de ses collègues de travail. Dans ces conditions, c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe a condamné la région Guadeloupe à verser à M. A... la somme précitée de 15 100 euros. Le jugement doit ainsi être réformé dans cette mesure.
11. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise établi par le Dr C..., que les souffrances endurées par M. A... sont évaluées à 3/7 avant consolidation et à 2/7 après cette consolidation. Les premiers juges n'ont pas fait une inexacte appréciation de ce préjudice en l'évaluant à 4 100 euros après avoir tenu compte de l'état antérieur de M. A... à hauteur de 30 %.
12. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que les taches de dépigmentation consécutives au vitiligo couvrent environ 50 % de la surface corporelle cutanée de M. A... dont le préjudice esthétique doit être évalué à 6/7 pour la période précédant la consolidation et à 5/7 pour la période postérieure à la consolidation. Les premiers juges n'ont pas fait une inexacte appréciation de ce préjudice en l'évaluant à la somme de 19 000 euros, compte tenu de l'incidence de son état antérieur présenté par M. A....
13. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que M. A... ne peut plus s'adonner aux loisirs de la pêche et de la course à pied compte tenu de l'obligation dans laquelle il se trouve de se protéger du soleil. Les premiers juges n'ont pas fait une inexacte appréciation du préjudice d'agrément subi de ce fait par M. A... en l'évaluant à la somme de 5 000 euros après prise en compte de son état antérieur.
14. En quatrième lieu, l'expert a retenu que M. A... a souffert d'un déficit fonctionnel temporaire de " classe 1 " pendant trois semaines en raison, d'une part, des brûlures, et d'autre part, de ses préjudices psychologiques et esthétiques jusqu'à leur consolidation. Il a également estimé que le déficit fonctionnel permanent subi par M. A... à raison des mêmes préjudices, à l'exclusion des brûlures qui ont guéri sans laisser de séquelles, devait être évalué à 15 %. Les premiers juges n'ont pas fait une inexacte appréciation de ces chefs de préjudice en les évaluant à hauteur, respectivement, des sommes de 7 662,50 euros et de 17 115 euros après prise en compte de l'état antérieur de M. A....
15. En cinquième et dernier lieu, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que M. A... subit, du fait de son apparence physique, un préjudice sexuel que le tribunal n'a pas inexactement évalué en le fixant à 2 000 euros.
16. Il résulte de tout ce qui précède que la région Guadeloupe est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe l'a condamnée à payer à M. A... la somme de 15 100 euros en réparation du préjudice lié l'incidence professionnelle patrimoniale et extrapatrimoniale de la maladie de ce dernier. Dès lors, la somme de 69 977,50 euros que le tribunal a mise à la charge de la région Guadeloupe doit être ramenée à 54 877,50 euros, et le jugement attaqué doit être réformé dans cette mesure.
Sur les frais d'instance :
17. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de rejeter les conclusions des parties présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE
Article 1er : La somme de 69 977,50 euros que le tribunal administratif de la Guadeloupe a mise à la charge de la région Guadeloupe est ramenée à 54 877,50 euros
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe n° 2101028 du 22 juin 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la région Guadeloupe est rejeté.
Article 4 : Les conclusions présentées par M. A... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la région Guadeloupe, à M. D... A... et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Guadeloupe.
Délibéré après l'audience du 26 février 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Ghislaine Markarian, présidente,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
Mme Caroline Gaillard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 mars 2024.
Le rapporteur,
Frédéric Faïck
La présidente,
Ghislaine Markarian
La greffière,
Catherine Jussy
La République mande et ordonne au préfet de la Guadeloupe ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 22BX02141 2