Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société anonyme Gefco a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision du directeur des créances spéciales du Trésor du 25 septembre 2020 refusant de faire droit à sa demande de décharge de l'obligation de payer la somme de 262 300 euros laissée à sa charge après décision de remise gracieuse partielle de la majoration de 10% pour retard de paiement prise par le ministre de l'économie, des finances et de la relance le 25 mai 2020.
Par un jugement n° 2003102 du 22 décembre 2021, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 22 février 2022 et le 4 mai 2023, la société Gefco, représentée par le cabinet Linklaters LLP, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 22 décembre 2021 ;
2°) de prononcer la décharge de la créance relative à la majoration légale de 10% pour retard de paiement ;
3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la doctrine applicable en matière fiscale est transposable au type de créances en cause ; selon cette doctrine, la formalisation d'un plan de règlement entraîne la suspension des poursuites et les garanties ne doivent couvrir que les sommes dues, à l'exclusion des intérêts de retard ;
- l'État ne dispose d'aucune créance au titre de la majoration de 10% pour retard de paiement dès lors qu'il a admis que cette majoration ne serait pas mise en recouvrement si l'échéancier de paiement était respecté par la société Gefco, ce qui a été le cas ; cette décision créatrice de droit fait obstacle à ce que le montant de la majoration soit mis à la charge de la société Gefco ;
- l'incompétence éventuelle du directeur des créances spéciales du Trésor pour décider d'une remise gracieuse totale n'est pas opposable à la société Gefco, titulaire d'une décision créatrice de droit définitive.
Par un mémoire enregistré le 4 avril 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés sont infondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour l'année 2010 ;
- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Sébastien Ellie ;
- les conclusions de M. Stéphane Gueguein, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société Gefco, qui exerce son activité dans le secteur de la messagerie et du fret, a fait l'objet d'une sanction d'un montant de 30 603 000 euros pour entente anticoncurrentielle, prononcée par l'Autorité de la concurrence, le 15 décembre 2015, confirmée par la cour d'appel de Paris le 19 juillet 2018. L'échéance de paiement était initialement fixée au 15 avril 2016 par le titre de perception du 3 février 2016. La société a bénéficié d'un plan de règlement échelonné de sa dette qui a été accordé le 5 avril 2016 par le directeur des créances spéciales du Trésor, consistant en cinq règlements de 5 millions d'euros chacun échelonnés entre le 15 avril 2016 et le 30 juin 2017, le solde devant être versé après notification de l'arrêt de la cour d'appel de Paris sur l'appel de la société contre la décision de l'Autorité de la concurrence. Le titre de perception rappelait qu'une majoration de 10% des sommes dues (soit 2 560 300 euros) pour retard de paiement résultait des dispositions législatives en vigueur. Par une décision du 25 mai 2020, le ministre a accordé à la société Gefco une remise gracieuse de cette majoration, à hauteur de 2 298 000 euros, sous réserve du paiement d'une somme de 262 300 euros laissée à sa charge. La société Gefco s'est acquittée de ce dernier montant le 10 août 2020 mais a contesté, par courrier du 4 septembre 2020, l'exigibilité de cette majoration au motif que l'administration s'était engagée à ne pas mettre en recouvrement cette pénalité si le plan d'échelonnement était respecté. Par un courrier du 25 septembre 2020, le directeur des créances spéciales du Trésor a rejeté cette réclamation. La société Gefco demande à la cour d'annuler le jugement du 22 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à la décharge de l'obligation de payer la somme de 262 300 euros.
2. Aux termes du III de l'article 55 de la loi du 29 décembre 2010 : " Donne lieu à l'application d'une majoration de 10 % tout retard dans le paiement des créances qui font l'objet d'un titre de perception que l'État délivre dans les conditions prévues à l'article L. 252 A du livre des procédures fiscales pour le recouvrement des recettes de toute nature qu'il est habilité à recevoir. Cette majoration, perçue au profit de l'État, s'applique aux sommes comprises dans le titre qui n'ont pas été acquittées le 15 du deuxième mois qui suit la date d'émission du titre de perception ". Le premier alinéa de l'article 113 du décret du 7 novembre 2012 dispose que le recouvrement des ordres de recouvrer relevant de la sous-section relative aux " autres recettes " s'effectue " comme en matière d'impôts directs ". Aux termes de l'article 120 de ce décret : " (...) Le comptable chargé du recouvrement des titres de perception peut consentir des remises sur les majorations, les frais de poursuites et les intérêts dans la limite, pour une même créance, d'un montant de 150 000 euros. Le ministre chargé du budget peut consentir des remises sur les majorations, les frais de poursuites et les intérêts au-delà de cette somme ".
3. Sous réserve de dispositions législatives ou réglementaires contraires et hors le cas où il est satisfait à une demande du bénéficiaire, l'administration ne peut retirer une décision individuelle créatrice de droits, si elle est illégale, que dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision. Une décision administrative accordant un avantage financier crée des droits au profit de son bénéficiaire alors même que l'administration avait l'obligation de refuser cet avantage. Enfin, la décision par laquelle un directeur des services fiscaux donne son accord au règlement échelonné de dettes fiscales ou non fiscales est créatrice de droits.
4. Il ressort des éléments versés au dossier que le titre de perception émis le 3 février 2016 mentionne que toute somme non acquittée à la date limite de paiement sera majorée de 10%, sur le fondement des dispositions du III de l'article 55 de la loi du 29 décembre 2010 précité. Par un courrier du 5 avril 2016, le directeur des créances spéciales du Trésor a convenu d'un échéancier de paiement avec la société Gefco, consistant en cinq versements de 5 millions d'euros chacun le 15 avril 2016, le 30 septembre 2016, le 30 décembre 2016, le 30 mars 2017 et le 30 juin 2017, le solde devant être versé après la décision de la cour d'appel de Paris. Cet échéancier, dont il est constant qu'il a été respecté par la société Gefco, était subordonné à la production d'une garantie bancaire portant sur le montant non réglé au 15 avril 2016, produite par la société. Ce même courrier ajoute que " la majoration de 10%, qui est automatiquement liquidée sur le montant non réglé à l'échéance, ne sera pas mise en recouvrement tant que cet échéancier sera respecté ". Par un courrier postérieur du 22 mai 2018, le directeur des créances spéciales du Trésor a précisé qu'une demande de remise gracieuse de la majoration ne relève pas de sa compétence et ne pourra être examinée qu'à l'issue du paiement intégral du principal. La société Gefco a contesté l'obligation de payer une éventuelle majoration de 10% par un courrier du 8 juin 2018, estimant que les seules conditions posées pour la remise de cette majoration étaient le respect de l'échéancier de paiement et la production d'une garantie financière. Le ministre de l'action et des comptes publics a décidé, le 25 mai 2020, d'accorder une remise gracieuse de la majoration à hauteur de 2 298 000 euros, laissant la somme de 262 300 euros à la charge de la société Gefco.
5. Le courrier du 5 avril 2016, qui indique clairement que la pénalité de 10% pour retard de paiement ne sera pas mise en recouvrement dès lors que l'échéancier est respecté, doit être regardé comme une décision accordant, d'une part, un échéancier de paiement et, d'autre part, une remise de la pénalité de 10% sous réserve de respecter les échéances de paiement résultant de l'échéancier et la production d'une garantie finanière. La circonstance que le directeur des créances spéciales du Trésor n'est pas compétent pour prendre une telle décision, au regard des dispositions de l'article 120 du décret du 7 novembre 2012, est sans incidence sur le fait que la société Gefco bénéficiait d'une décision individuelle créatrice de droits, dont elle a respecté toutes les conditions et qui ne pouvait être retirée en raison de son illégalité que dans un délai de quatre mois. La société Gefco est ainsi fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande de décharge de la somme de 262 300 euros correspondant au solde de la majoration pour retard de paiement de l'amende imposée par l'Autorité de la concurrence.
6. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros à verser à la société Gefco sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 22 décembre 2021 du tribunal administratif de Poitiers est annulé.
Article 2 : La société anonyme Gefco est déchargée du paiement de la somme de 262 300 euros.
Article 3 : L'État versera à la société Gefco la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Gefco et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Une copie en sera adressée à la direction des créances spéciales du Trésor.
Délibéré après l'audience du 6 février 2024 où siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, présidente,
M. Sébastien Ellie, premier conseiller,
Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 mars 2024.
Le rapporteur,
Sébastien Ellie
La présidente,
Elisabeth Jayat
La greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N°22BX00594