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27/02/2024 | FRANCE | N°22BX02158

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 27 février 2024, 22BX02158


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :



M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler les décisions des 15 septembre et 26 octobre 2021, par lesquelles le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Gironde l'a informé de sa suspension de fonctions sans traitement en application de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire.



Par jugement n°s 2106031, 2106712 du 30 juin 2022, le tribun

al a annulé les décisions précitées des 15 septembre et 26 octobre 2021.





Procédure devan...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler les décisions des 15 septembre et 26 octobre 2021, par lesquelles le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Gironde l'a informé de sa suspension de fonctions sans traitement en application de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire.

Par jugement n°s 2106031, 2106712 du 30 juin 2022, le tribunal a annulé les décisions précitées des 15 septembre et 26 octobre 2021.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 1er août 2022 et le 2 juin 2023, le service départemental d'incendie et de secours de la Gironde, représenté par le cabinet Lexia, agissant par Me Ruffié, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 2106031, 2106712 du 30 juin 2022 ;

2°) de rejeter les demandes de première instance de M. A... ;

3°) de mettre à la charge de M. A... une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

En ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance :

- le tribunal aurait dû rejeter comme irrecevable la demande de M. A... qui ne comportait que des moyens stéréotypés et ne satisfaisait pas à l'exigence de motivation de la requête prévue à l'article R. 411-1 du code de justice administrative.

Au fond, en ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal :

- c'est à tort que le tribunal a annulé les décisions en litige au motif que le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Gironde avait méconnu les dispositions du III de l'article 14 de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 pour ne pas avoir préalablement et personnellement informé M. A... des conséquences qu'emporte l'interdiction d'exercer sur son emploi pour non présentation des justificatifs vaccinaux ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la loi n'impose pas une information préalable de l'employé et n'a pas conditionné la suspension des fonctions à cette condition ; en l'espèce, le III de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 a été respecté dès lors que la notification faite à M. A... de sa suspension informait celui-ci des conséquences du défaut de présentation des justificatifs vaccinaux ;

- de plus, le tribunal ne pouvait interpréter les dispositions du III de l'article 14 de la loi comme imposant à l'employeur une information personnelle de l'agent ; cette information a été effectuée par le SDIS de la Gironde par une note de service publiée et affichée ;

- en tout état de cause, le vice allégué n'a privé M. A... d'aucune garantie et n'a pas été susceptible d'exercer une influence sur le sens des décisions contestées ; M. A... disposait d'une information suffisante compte tenu de la note de service publiée par le SDIS de la Gironde ;

- en tout état de cause, le tribunal aurait dû juger que les éléments d'information mentionnés dans la décision du 15 septembre 2021 permettaient à M. A... de connaître les conséquences de la suspension prononcée le 26 octobre suivant.

Au fond, en ce qui concerne les autres moyens soulevés en première instance par M. A... :

- le président du SDIS de la Gironde pouvait déléguer sa signature aux signataires des décisions en litige en application de l'article L. 1424-33 du code général des collectivités territoriales ;

- le moyen tiré de la méconnaissance de la procédure prévue à l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 est inopérant à l'encontre des décisions de suspension prononcée dans le cadre du Covid qui est dépourvue de coloration disciplinaire ;

- les décisions de suspension ne sont pas illégales dès lors que M. A... n'était pas en congé de maladie à la date à laquelle elles ont été prises ;

- ces décisions n'ont pas été prises de manière anticipée dès lors qu'à la date de leur édiction, M. A... n'avait pas présenté les éléments justificatifs prévus à l'article 14 de la loi du 5 août 2021 ;

- le chef du centre d'incendie et de secours du site de Cestas, dans lequel M. A... était affecté, était habilité à réaliser les contrôles du respect des obligations découlant de la loi du 5 août 2021, conformément à l'article 2-3 du décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 ;

- il est établi que M. A... n'a pas présenté de documents justifiant de ce qu'il s'est acquitté de son obligation vaccinale ;

- les moyens tirés de la méconnaissance du droit de l'Union européenne et du droit international sont irrecevables dès lors qu'ils ne reposent que sur des allégations trop générales ; en tout état de cause, les considérants du règlement (UE) 2021/953 invoqués n'ont pas de caractère normatif ; de même les stipulations de l'article 20 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne peuvent être utilement invoquées dès lors que les décisions en litige ne mettent pas en œuvre le droit de l'union ; la résolution n° 2361 du 27 janvier 2021 du Conseil de l'Europe est dépourvue d'effets juridiques ; la méconnaissance de la directive 2001/20/CE du 4 avril 2021 ne peut être invoquée dès lors qu'elle a été transposée en droit français ; les stipulations de l'article 13 de la convention d'Oviedo ne trouvent pas à s'appliquer en l'espèce ;

- les décisions attaquées ne méconnaissent pas le principe de non-discrimination ;

- elles ne portent pas atteinte à la dignité humaine garantie par l'article 1er de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; elles ne portent pas non plus atteinte au droit à l'intégrité physique et mentale et au droit à un consentement libre et éclairé garantis par l'article 3 de cette même charte et par la convention d'Oviedo ;

- elles ne portent pas atteinte au droit de M. A... à une vie privée et familiale normale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 mars 2023, M. D... A..., représenté par Me Poudampa, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge du SDIS de la Gironde une somme de 2 200 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

Il soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.

Par ordonnance du 2 juin 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 30 juin 2023 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

- la convention d'Oviedo du 4 avril 1997 ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement n° 2021/953 du 14 juin 2021 ;

- la directive n° 2001/20/CE du 4 avril 2001 ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 modifié ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au Cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Frédéric Faïck,

- les conclusions de M. Anthony Duplan, rapporteur public,

- et les observations de Me Worbe, substituant Me Ruffié, pour le service départemental d'incendie et de secours de la Gironde et de Me Poudampa pour M. A....

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 15 septembre 2021, le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Gironde a, en application des dispositions du III de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, informé M. A..., sapeur-pompier professionnel employé au centre d'incendie et de secours de Cestas, de sa suspension de fonctions faute d'avoir présenté les documents justifiant qu'il s'était acquitté de son obligation vaccinale contre la covid-19. Cette suspension était effective au 15 septembre 2021 et s'est accompagnée, pour M. A..., d'une interruption du versement de sa rémunération. M. A... ayant obtenu des congés pour la période du 4 au 25 octobre 2021, le président du conseil d'administration du SDIS de la Gironde a rapporté sa décision du 15 septembre 2021 à compter du 4 octobre 2021. Toutefois, par un nouvel arrêté du 26 octobre 2021, le président du SDIS de la Gironde a informé M. A... qu'il était suspendu de ses fonctions et que sa rémunération ne lui serait plus versée, en application du III de l'article 14 de la loi du 5 août 2021, à compter du 26 octobre 2021 jusqu'à la présentation de documents justifiant du respect de son obligation vaccinale. A la demande de M. A..., le tribunal administratif de Bordeaux a annulé les arrêtés des 15 septembre et 26 octobre 2021 par un jugement rendu le 30 juin 2022 dont le SDIS de la Gironde relève appel.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire : " I. - Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la covid-19 : (...) 6° Les sapeurs-pompiers et les marins-pompiers des services d'incendie et de secours (...). II. - Un décret, pris après avis de la Haute Autorité de santé, détermine les conditions de vaccination contre la covid-19 des personnes mentionnées au I du présent article. Il précise les différents schémas vaccinaux et, pour chacun d'entre eux, le nombre de doses requises. Ce décret fixe les éléments permettant d'établir un certificat de statut vaccinal pour les personnes mentionnées au même I et les modalités de présentation de ce certificat sous une forme ne permettant d'identifier que la nature de celui-ci et la satisfaction aux critères requis. Il détermine également les éléments permettant d'établir le résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19 et le certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19 (...) ". Aux termes de l'article 13 de la même loi : " I. - Les personnes mentionnées au I de l'article 12 établissent : 1° Satisfaire à l'obligation de vaccination en présentant le certificat de statut vaccinal (...). II. - Les personnes mentionnées au I de l'article 12 justifient avoir satisfait à l'obligation prévue au même I (...) lorsqu'elles sont salariées ou agents publics. (...) V. - Les employeurs sont chargés de contrôler le respect de l'obligation prévue au I de l'article 12 par les personnes placées sous leur responsabilité (...) ". Aux termes de l'article 49-1 du décret du 1er juin 2021, prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, modifié par le décret du 7 août 2021 : " (...) les éléments mentionnés au second alinéa du II de l'article 12 de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 susvisée sont : 1° Un justificatif du statut vaccinal délivré dans les conditions mentionnées au 2° de l'article 2-2 ; 2° Un certificat de rétablissement délivré dans les conditions mentionnées au 3° de l'article 2-2 ; 3° (...) A compter 15 septembre 2021 et jusqu'au 15 octobre 2021 inclus, ce justificatif doit être accompagné d'un justificatif de l'administration d'au moins une des doses d'un des schémas vaccinaux mentionnés au 2° de l'article 2-2 comprenant plusieurs doses (...) ".

3. Aux termes de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire : " I. (...) B. - A compter du 15 septembre 2021, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12. (...) III. - Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I. (...) ".

4. L'article 14 de la loi du 5 août 2021 prévoit que les personnes mentionnées au I de l'article 12 qui ne satisfont pas à leurs obligations vaccinales ne peuvent plus exercer leurs fonctions. A cet égard, lorsque l'employeur constate qu'un agent public se trouve dans cette situation, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi et sa rémunération, ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'information préalable à l'interdiction d'exercer, prévue par la loi elle-même, met l'agent en mesure de faire valoir ses droits.

5. Au cas d'espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier que le SDIS de la Gironde aurait préalablement et personnellement adressé à M. A... les informations prévues au III de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 avant le 15 septembre 2021, date de l'arrêté en litige informant l'intéressé qu'il ne pouvait plus exercer ses fonctions, et que sa rémunération ne lui était plus versée en conséquence, faute d'avoir présenté les documents attestant du respect de ses obligations vaccinales.

6. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est toutefois de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.

7. Il ressort des pièces du dossier qu'une note de service, intitulée " Mise en œuvre de l'obligation vaccinale prévue par la loi n°2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire ", a été publiée le 16 août 2021 sur le site intranet du service à l'attention de l'ensemble des agents du SDIS de la Gironde. Cette note, à laquelle était joint un modèle d'arrêté portant notification de suspension d'activité, comportait toutes les informations relatives à l'obligation vaccinale résultant de l'application de la loi du 5 août 2021 et aux conséquences du non-respect de cette obligation sur la situation individuelle des agents. Il n'est pas allégué que les modalités de diffusion de la note précitée n'auraient pas permis d'atteindre l'ensemble du personnel, lequel est tenu de prendre connaissance des notes de service prises par sa hiérarchie. Par suite, l'absence de délivrance personnelle de la même information à M. A... avant la notification de l'arrêté du 15 septembre 2021, après qu'il se fut présenté au service sans les documents requis, n'est pas de nature à entacher d'irrégularité cet arrêté.

8. Par ailleurs, outre l'information délivrée par la note de service précitée du 16 août 2021, il est constant que l'arrêté du 15 septembre 2021 portant notification de suspension d'activité, remis le jour même à M. A..., comportait les éléments prévus au III de l'article 14 de la loi du 5 août 2021. Ainsi, M. A... avait nécessairement reçu, préalablement à la notification du second arrêté en litige du 26 octobre 2021, une information personnelle et préalable sur les conséquences de l'interdiction dont il faisait l'objet et sur les moyens à sa disposition pour régulariser sa situation.

9. Il s'ensuit que le SDIS de la Gironde est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé les décisions en litige au motif que M. A... n'avait pas reçu préalablement et personnellement l'information prévue au III de l'article 14 de la loi du 5 août 2021. Il y a lieu pour la Cour, saisie du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés en première instance par M. A....

Sur les autres moyens de première instance :

En ce qui concerne la légalité externe :

10. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1424-27 du code général des collectivités territoriales : " Le conseil d'administration est présidé par le président du conseil départemental ou l'un des membres du conseil d'administration désigné par le président du conseil départemental (...) ". Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 1424-33 du même code : " (...) Le président du conseil d'administration peut accorder une délégation de signature au directeur départemental, au directeur départemental adjoint, au directeur administratif et financier et, dans la limite de leurs attributions respectives, aux chefs de services de l'établissement. ".

11. Il ressort des pièces du dossier que par un arrêté n° 2021-5493 du 1er septembre 2021, publié au recueil des actes administratifs n° 55 du SDIS de la Gironde, le président du conseil d'administration du SDIS a délégué au colonel B..., directeur départemental des services d'incendie et de secours de la Gironde par intérim, la compétence à l'effet de signer " les décisions afférentes à l'administration et à la gestion des sapeurs-pompiers professionnels (...) à l'exclusion des arrêtés de recrutement, des arrêtés de changement de cadre d'emplois et des arrêtés d'avancement de grade dans les cadres d'emplois de catégorie A et B (...) ". Une telle délégation incluait la signature des décisions prises en application de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 relatives à la suspension de fonctions d'agents n'ayant pas produit les justificatifs requis au titre de l'obligation vaccinale. Par suite, le colonel B... était compétent pour prendre l'arrêté en litige du 15 septembre 2021. Quant à l'arrêté du 26 octobre 2021, il a été signé par M. C..., directeur départemental des services d'incendie et de secours, contrôleur général, sur le fondement d'une délégation de signature à l'effet de prendre " les décisions afférentes à l'administration et à la gestion des sapeurs-pompiers professionnels " consentie par un arrêté n° 2021-5935 du 1er octobre 2021, publié au recueil des actes administratifs n°56 du SDIS. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence des signataires des arrêtés en litige doit être écarté.

12. En deuxième lieu, il résulte de l'article 13 de la loi du 5 août 2021, cité au point 2, que les employeurs sont chargés de contrôler le respect de l'obligation vaccinale par les personnes placées sous leur responsabilité. Aux termes de l'article 2-3 du décret du 1er juin 2021 modifié : " (...) II. - Les justificatifs (...) peuvent être présentés sous format papier ou numérique, enregistré sur l'application mobile " TousAntiCovid " ou tout autre support numérique au choix de la personne concernée. Sont autorisés à contrôler ces justificatifs (...) 3° Les responsables des lieux, établissements et services ou les organisateurs des évènements dont l'accès est subordonné à leur présentation en application du présent décret (...) ".

13. Il résulte de ces dispositions que le chef du centre d'incendie et de secours de Cestas était habilité à vérifier, en sa qualité de responsable des lieux, que les agents travaillant dans ce centre, comme c'était le cas de M. A..., étaient titulaires des documents attestant qu'ils avaient respecté leur obligation vaccinale. Ainsi, le chef du centre de Cestas a pu régulièrement contrôler M. A..., le 15 septembre 2021, avant que celui-ci accède à son lieu de travail et constater que ce dernier n'était pas en possession des justificatifs requis. Par suite, la procédure suivie n'est pas entachée sur ce point d'irrégularité.

En ce qui concerne la légalité interne :

S'agissant de l'erreur de fait :

14. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, et notamment de l'attestation sur l'honneur rédigée par le chef du centre d'incendie et de secours de Cestas le 1er février 2022, que M. A... n'a présenté, depuis le 15 septembre 2021, aucun document justifiant qu'il s'était acquitté de son obligation vaccinale contre le virus responsable de la pandémie Covid-19. M. A... ne produit, de son côté, aucun élément permettant d'estimer que le motif, tiré de l'absence de production des justificatifs requis, qui fonde les arrêtés en litige, serait entaché d'inexactitude matérielle.

S'agissant des moyens tirés de l'erreur de droit :

15. En premier lieu, le législateur a prévu, au I de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 cité au point 3, qu'à compter du 15 septembre 2021 les sapeurs-pompiers qui n'ont pas présenté les documents attestant du respect de leur obligation vaccinale ne peuvent plus exercer leur activité. Ainsi qu'il vient d'être dit, M. A... n'a produit aucun des justificatifs requis lorsqu'il s'est présenté sur son lieu de travail le 15 septembre 2021. Par suite, l'arrêté en litige, qui informe M. A... de sa suspension à compter du 15 septembre 2021, en application du III de l'article 14 de la loi du 5 août 2021, ne présente pas un caractère prématuré.

16. En deuxième lieu, il est constant que M. A... n'était pas en congé pour maladie à compter du 15 septembre 2021, ni à compter du 26 octobre 2021, dates auxquelles sa suspension de fonctions était effective. Par suite, il ne peut utilement soutenir que les décisions en litige seraient entachées d'erreur de droit pour être intervenues alors qu'il était en arrêt de travail.

17. En troisième lieu, aux termes de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 : " En cas de faute grave commise par un fonctionnaire (...) l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement (...) Sa situation doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois. Si, à l'expiration d'un délai de quatre mois, aucune décision n'a été prise par l'autorité ayant le pouvoir disciplinaire, le fonctionnaire qui ne fait pas l'objet de poursuites pénales est rétabli dans ses fonctions (...) ".

18. M. A... ne peut utilement se prévaloir des dispositions précitées, qui prévoient notamment que l'agent suspendu conserve son traitement et a droit à ce que sa situation soit réglée par l'administration dans un délai de quatre mois, dès lors que les décisions contestées ont été prises sur le fondement du III de l'article 14 de la loi du 5 août 2021. Or, la loi du 5 août 2021 a institué un cas distinct de suspension des agents publics n'ayant pas justifié du respect de leur obligation vaccinale, dont la durée n'est pas limitée à quatre mois, et qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 est inopérant à l'encontre des arrêtés contestés pris en application du III de l'article 14 de la loi du 5 août 2021.

S'agissant de l'exception d'inconventionnalité de la loi du 5 août 2021 :

19. En premier lieu, aux termes de l'article 1er de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " La dignité humaine est inviolable. Elle doit être respectée et protégée. ". Aux termes de l'article 21 de la même charte : " Est interdite, toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle (...) ".

20. Les dispositions de la loi du 5 août 2021, qui imposent une obligation vaccinale pour les sapeurs-pompiers, ont pour objet, dans un contexte de progression rapide de l'épidémie de Covid-19 accompagné de l'émergence de nouveaux variants et compte tenu d'un niveau encore incomplet de la couverture vaccinale de certains des professionnels concernés, de garantir le bon fonctionnement des services publics grâce à la protection offerte par les vaccins disponibles et de protéger, par l'effet de la moindre transmission du virus par les personnes vaccinées, la santé des populations prises en charge par les services publics d'incendie et de secours. Dans l'exercice de leurs missions, les sapeurs-pompiers sont amenés à prendre en charge des personnes vulnérables, en raison de blessures ou de maladies, et entretiennent des interactions avec des professionnels de santé eux-mêmes en contact avec des personnes fragiles. Ainsi, eu égard aux objectifs de santé publique poursuivis, en imposant aux sapeurs-pompiers professionnels l'obligation de se vacciner contre la Covid 19, le législateur ne peut être regardé comme ayant porté atteinte à la dignité de la personne humaine ni, en tout état de cause, comme ayant méconnu le principe de non-discrimination garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

21. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

22. Le droit à l'intégrité physique fait partie du droit au respect de la vie privée au sens de ces stipulations, telles que la Cour européenne des droits de l'homme les interprète. Une vaccination obligatoire constitue une ingérence dans ce droit, qui peut être admise si elle remplit les conditions du paragraphe 2 de l'article 8 et, notamment, si elle est justifiée par des considérations de santé publique et proportionnée à l'objectif poursuivi. Il doit ainsi exister un rapport suffisamment favorable entre, d'une part, la contrainte et le risque présentés par la vaccination pour chaque personne vaccinée et, d'autre part, le bénéfice qui en est attendu tant pour cet individu que pour la collectivité dans son entier, y compris ceux de ses membres qui ne peuvent être vaccinés en raison d'une contre-indication médicale, compte tenu à la fois de la gravité de la maladie, de son caractère plus ou moins contagieux, de l'efficacité du vaccin et des risques ou effets indésirables qu'il peut présenter.

23. Ainsi qu'il a été dit, la loi du 5 août 2021 a imposé une obligation vaccinale aux sapeurs-pompiers, compte tenu d'un niveau encore incomplet de la couverture vaccinale de certains d'entre eux, dans un contexte de progression rapide de l'épidémie. A cette fin, le législateur a prévu que l'interdiction d'exercer une activité professionnelle, imposée à un agent qui a méconnu ses obligations sanitaires, cesse dès que celui-ci s'y est conformé. Il s'ensuit que, eu égard à l'objectif de santé publique poursuivi et alors même qu'aucune dérogation personnelle à l'obligation de vaccination n'est prévue en dehors des cas de contre-indication, l'obligation vaccinale pesant sur le personnel concerné, qui ne saurait être regardée comme disproportionnée au regard de l'objectif de santé publique poursuivi, ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

24. En troisième lieu, le préambule d'un acte communautaire n'a pas de valeur juridique contraignante et ne saurait être invoqué pour écarter l'application d'un acte législatif national (CJUE - arrêts du 19 novembre 1988 Nilsson C, 162/97, du 25 novembre 1988 Manfredi C-308/97, du 24 novembre 2005 Deutsches Milch-Kontor C-136/04). Par suite, M. A... ne peut utilement soutenir que la loi du 5 août 2021 méconnaît les considérants 6, 36 et 62 introductifs au règlement (UE) 2021/953 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2021, relatif à un cadre pour la délivrance, la vérification et l'acceptation de certificats Covid-19 interopérables de vaccination, de test et de rétablissement afin de faciliter la libre circulation pendant la pandémie de Covid-19, qui se bornent à rappeler le principe de non-discrimination à l'encontre des personnes vaccinées. Quant à la résolution n° 2361, adoptée par le Conseil de l'Europe le 27 janvier 2021, elle constitue une simple recommandation dépourvue, par elle-même, de valeur juridique.

25. En quatrième lieu, M. A... soutient que les décisions en litige méconnaissent l'article 7 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, l'article 5 la convention d'Oviedo, l'article 3 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ainsi que la directive n° 2001/20/CE du 4 avril 2001, qui interdisent la réalisation de tout acte médical ou scientifique sur une personne sans que cette dernière ait préalablement exprimé son consentement libre et éclairé. Toutefois, M. A... ne peut utilement affirmer avoir été privé de ce droit dès lors qu'il est constant qu'il n'a pas été contraint de subir une injection du vaccin contre la Covid-19.

26. En cinquième lieu, aux termes de l'article 13 de la convention d'Oviedo pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine : " Une intervention ayant pour objet de modifier le génome humain ne peut être entreprise que pour des raisons préventives, diagnostiques ou thérapeutiques et seulement si elle n'a pas pour but d'introduire une modification dans le génome de la descendance ". Aux termes de l'article 16 de la même convention : " Aucune recherche ne peut être entreprise sur une personne à moins que les conditions suivantes soient réunies : i il n'existe pas de méthode alternative à la recherche sur des êtres humains, d'efficacité ; ii les risques qui peuvent être encourus par la personne ne sont pas disproportionnés par rapport aux bénéfices potentiels de la recherche ; iii le projet de recherche a été approuvé par l'instance compétente, après avoir fait l'objet d'un examen indépendant sur le plan de sa pertinence scientifique, y compris une évaluation de l'importance de l'objectif de la recherche, ainsi que d'un examen pluridisciplinaire de son acceptabilité sur le plan éthique comparable ; iv la personne se prêtant à une recherche est informée de ses droits et des garanties prévues par la loi pour sa protection ; v e consentement visé à l'article 5 a été donné expressément, spécifiquement et est consigné par écrit. Ce consentement peut, à tout moment, être librement retiré. ".

27. Aucun élément scientifique n'est apporté par M. A... tendant à établir que la vaccination contre la Covid 19 entraînerait une modification du génome humain prohibée par l'article 13 de la convention d'Oviedo. Quant à l'article 16 de cette même convention, il est relatif à la protection des personnes se prêtant à une recherche scientifique dans le domaine de la biologie et de la médecine. Or l'interdiction d'exercer une activité professionnelle en raison de la méconnaissance d'une obligation sanitaire ne relève pas d'une recherche scientifique dans le domaine de la biologie et de la médecine. Les moyens tirés de l'incompatibilité de la loi du 5 août 2021 avec les stipulations précitées des articles 13 et 16 de la convention d'Oviedo doivent ainsi être écartés.

28. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée à la demande de première instance, que le SDIS de la Gironde est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé les décisions en litige des 15 septembre et 26 octobre 2021. Dès lors, ce jugement doit être annulé et la demande présentée en première instance par M. A... est rejetée.

Sur les frais d'instance :

29. En l'absence de dépens, les conclusions présentées à ce titre par M. A... doivent être rejetées.

30. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle aux conclusions présentées par M. A... tendant à ce que le SDIS de la Gironde, qui n'est pas la partie perdante à l'instance, lui verse une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire application de ces mêmes dispositions en mettant à la charge de M. A... la somme demandée par le SDIS de la Gironde au titre de ces mêmes frais.

DECIDE

Article 1er : Le jugement n° 2106031, 2106712 du tribunal administratif de Bordeaux du 30 juin 2022 est annulé.

Article 2 : Les demandes présentées en première instance par M. A... sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions des parties présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au service départemental d'incendie et de secours de la Gironde et à M. D... A....

Délibéré après l'audience du 5 février 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Ghislaine Markarian, présidente,

M. Frédéric Faïck, président-assesseur,

M. Julien Dufour, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 février 2024.

Le rapporteur,

Frédéric Faïck

La présidente,

Ghislaine Markarian

La greffière,

Catherine Jussy

La République mande et ordonne au préfet de la Gironde en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties priées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 22BX02158 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX02158
Date de la décision : 27/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme MARKARIAN
Rapporteur ?: M. Frédéric FAÏCK
Rapporteur public ?: M. DUPLAN
Avocat(s) : POUDAMPA

Origine de la décision
Date de l'import : 10/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-27;22bx02158 ?
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