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27/02/2024 | FRANCE | N°22BX00752

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 27 février 2024, 22BX00752


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :



La commune de Cenon a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner solidairement la société BTuA et la société WSP (venant aux droits de la société Technip TPS), la société Apave Sudeurope, la société Soprema, la société Garrigue et la société Eiffage Thermie Sud-Ouest (venant aux droits de la société Forclim), à lui verser la somme de 68 386, 80 euros toutes taxes comprises au titre des infiltrations constatées dans le pôle cultu

rel et artistique " le Rocher de Palmer ", de condamner solidairement la société BTuA et la société ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Cenon a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner solidairement la société BTuA et la société WSP (venant aux droits de la société Technip TPS), la société Apave Sudeurope, la société Soprema, la société Garrigue et la société Eiffage Thermie Sud-Ouest (venant aux droits de la société Forclim), à lui verser la somme de 68 386, 80 euros toutes taxes comprises au titre des infiltrations constatées dans le pôle culturel et artistique " le Rocher de Palmer ", de condamner solidairement la société BTuA et la société WPS (venant aux droits de la société Technip TPS) à lui verser la somme de 335 969,52 euros toutes taxes comprises au titre du dysfonctionnement du système de désenfumage du bâtiment et de condamner solidairement les défendeurs à lui verser la somme de 79 526,08 euros au titre des frais d'expertise.

Par un jugement n° 1904054 du 22 décembre 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné solidairement la société BTuA, la société WSP, la société Apave Sudeurope et la société Sorema à verser à la commune de Cenon la somme de 36 135,60 euros toutes taxes comprises au titre des désordres correspondant aux points d'infiltrations n° 1, 3,5, 7 et 8, 9, 13, 14 et 16, a condamné solidairement la société BTuA, la société WSP et la société Apave Sudeurope à verser à la commune de Cenon la somme de 1 920 euros toutes taxes comprises en réparation des dommages correspondant aux points d'infiltrations n° 10, 11, 12 ; a condamné solidairement la société BTuA, la société WSP, la société Apave Sudeurope et la société Garrigues à verser à la commune de Cenon la somme de 15 237,60 euros toutes taxes comprises au titre des désordres relatifs aux points d'infiltrations n° 4, 6, 17, 18, 20, 21. En revanche, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté les conclusions de la commune de Cenon tendant à la réparation des désordres affectant le système de désenfumage du bâtiment.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 4 mars 2022 et le 12 mai 2023, la commune de Cenon, représentée par la SCP d'avocats CGCB et Associés, agissant par Me Senanedsch et Me Becquevort, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 1904054 du 22 décembre 2021 en tant qu'il a rejeté ses demandes d'indemnisation des désordres affectant le système de désenfumage de la salle de spectacle dite " Rocher de Palmer " ;

2°) de condamner in solidum le groupement de maîtrise d'œuvre BTuA, WSP (ex-Technip TPS) et la société Eiffage Thermie Sud-Ouest (ex Forclim) à lui verser la somme de 335 969,52 euros toutes taxes comprises au titre des désordres en litige ;

3°) de condamner in solidum le groupement de maîtrise d'œuvre BTuA, WSP (ex-Technip TPS) et la société Eiffage Thermie Sud-Ouest (ex Forclim) à lui verser la somme de 24 649,40 euros au titre des frais d'expertise propres à l'intervention du sapiteur ayant examiné le système de désenfumage du bâtiment ;

4°) d'assortir ces sommes des intérêts au taux légal à compter de la demande de première instance et des intérêts capitalisés en application de l'article 1154 du code civil ;

5°) de mettre à la charge in solidum des intimés une somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont rejeté ses demandes tendant à la réparation des désordres qui affectent le système de désenfumage du pôle culturel au motif qu'elle connaissait leur existence en cours de chantier, que ces désordres étaient apparents lors de la réception et qu'elle avait décidé, en dépit de ces circonstances, de réceptionner l'ouvrage sans émettre de réserves ;

- le caractère apparent d'un désordre au moment de la réception de l'ouvrage s'apprécie au regard de l'attitude d'un maître de l'ouvrage normalement précautionneux qui a une connaissance effective du désordre ou qui pouvait le déceler par un simple examen visuel ;

- en l'espèce, ces désordres ne pouvaient être décelés sans un examen approfondi des caractéristiques du système de désenfumage, lequel relevait des attributions de la société Techni TPS, qui en était le concepteur, de la société Eiffage, qui en était le constructeur, et de la société Apave, chargée d'une mission de contrôle technique ; des conclusions en ce sens ont été formulées par l'expert dans son rapport d'expertise ordonné par le tribunal ; quant aux " doutes " formulés par la société Apave lors du test du système de désenfumage effectué avant les opérations de réception, ils n'étaient corroborés par aucun élément précis portés à la connaissance du maître de l'ouvrage ; il a fallu de nombreux essais réalisés postérieurement à la visite de la commission de sécurité, et notamment au cours des opérations d'expertise, pour que les désordres en litige soient identifiés ; le dommage n'était dès lors pas apparent lors de la réception ;

- les désordres en litige rendent l'ouvrage impropre à sa destination s'agissant des défaillances relevées sur un système de désenfumage d'un établissement recevant du public ; ces désordres relèvent ainsi du champ de la garantie décennale des constructeurs ;

- la responsabilité des maîtres d'œuvre doit aussi être engagée en raison de leur manquement à leur obligation de conseil et d'assistance du maître de l'ouvrage lors des opérations de réception ;

- elle a droit à être indemnisée du coût des travaux de réparation du système de désenfumage qui s'élève à la somme de 312 155,52 euros toutes taxes comprises ; elle a également droit à obtenir le remboursement du coût de la mission d'assistance à maîtrise d'ouvrage, soit 23 814 euros toutes taxes comprises ; enfin, les frais d'expertise relatifs à l'intervention du sapiteur, soit 24 649,40 euros doivent aussi lui être remboursés ;

- les sommes en cause doivent être mises à la charge in solidum du groupement de maîtrise d'œuvre BTuA et WSP et de la société Eiffage Thermie Sud-Ouest.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 avril 2022, la société BTuA et la société MAF, représentées par la SELAS L et Associés, agissant par Me Goulet, concluent :

1°) à titre principal, au rejet de la requête et à la confirmation du jugement attaqué ;

2°) à titre subsidiaire, à ce que la société BTuA soit garantie des condamnations prononcées à son encontre par la société WSP, la société Apave et la société Eiffage ;

3°) à ce qu'il soit mis à la charge de la commune de Cenon une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés. A titre subsidiaire, la société BTuA demande à être garantie des condamnations prononcées à son encontre par la société BTuA, la société WSP, la société Apave et la société Eiffage en raison des fautes commises par ces dernières dans l'exécution de leurs missions.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 mai 2022, la société Soprema Entreprises et la société XL Insurance Company SE, représentées par la société d'avocats Axa Corporate Solutions Assurance, agissant par Me Etcheberrigaray, concluent :

1°) à titre principal, à ce que la société Soprema Entreprises soit mise hors de cause ;

2°) à titre subsidiaire, au rejet de toutes conclusions formées contre la société Soprema Entreprises par les autres constructeurs et à ce qu'elle soit garantie des condamnations prononcées à son encontre par les sociétés BTuA, WPS, Eiffage Thermie Sud-Ouest et Apave ;

3°) à ce qu'il soit mis à la charge de la commune de Cenon, ou à défaut in solidum des société BTuA, WSP, Apave, Garrigues, Eiffage Thermie Sud-Ouest une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés. A titre subsidiaire, la société Soprema Entreprises demande à être garantie des condamnations prononcées à son encontre par les autres constructeurs responsables de leurs fautes commises dans l'exécution de leurs missions.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 25 juillet 2022 et le 13 mars 2023, la société WSP France, représentée par Me de Villard, conclut :

1°) au rejet de la requête et à la confirmation du jugement attaqué ;

2°) à ce qu'elle soit garantie des condamnations prononcées à son encontre par les sociétés Eiffage Thermie Sud-Ouest, BTuA et Apave ;

3°) à ce qu'il soit mis à la charge de la commune de Cenon une somme de 6 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés. A titre subsidiaire, elle demande à être garantie des condamnations prononcées à son encontre par les autres constructeurs responsables de leurs fautes commises dans l'exécution de leurs missions.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 22 décembre 2022 et le 15 mai 2023, la société par actions simplifiées (SAS) Apave Sudeurope et la société Montmirail, représentées par la société d'avocat Berthiaud et Associés, agissant par Me Berthiaud, concluent :

1°) au rejet de la requête et à la confirmation du jugement attaqué ;

2°) au rejet de toutes conclusions formées contre elles par les autres constructeurs et à ce que la société Apave Sudeurope soit garantie des condamnations prononcées à son encontre par les autres constructeurs ;

3°) à ce qu'il soit mis à la charge de la commune de Cenon une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés. A titre subsidiaire, la société Apave Sudeurope demande à être garantie des condamnations prononcées à son encontre par les autres constructeurs responsables de leurs fautes commises dans l'exécution de leurs missions.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 mars 2023, la société Eiffage Energie Systèmes venant aux droits de la société Eiffage Thermie Sud-Ouest, représentée par la SCP Salesse et Associés, agissant par Me de la Marque, conclut :

1°) au rejet de la requête et à la confirmation du jugement attaqué ;

2°) à titre subsidiaire, à ce que sa part de responsabilité soit limitée à 5 % du montant du coût de la réparation du système de désenfumage, et à ce que la commune de Cenon, la société BTuA et la société WPS soient condamnées à la garantir des condamnations qui seraient prononcées à son encontre ;

3°) à ce qu'il soit mis à la charge de tout succombant une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés. A titre subsidiaire, elle demande à être garantie des condamnations prononcées à son encontre par les autres constructeurs responsables de leurs fautes commises dans l'exécution de leurs missions.

Par ordonnance du 14 mars 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 15 mai 2023 à 12h00.

Le 30 janvier 2024, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité du moyen par lequel la commune de Cenon cherche à engager la responsabilité des maîtres d'œuvre en raison de leur manquement à leur devoir de conseil du maître de l'ouvrage lors des opérations de réception dès lors que ce moyen, soulevé pour la première fois en appel, repose sur une cause juridique nouvelle. La commune de Cenon a présenté des observations le 2 février 2024 indiquant qu'elle a entendu rechercher la responsabilité des constructeurs sur le seul terrain de la garantie décennale.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Frédéric Faïck,

- les conclusions de M. Anthony Duplan, rapporteur public,

- et les observations de Me Navarro, substituant Me Senanedsch et Me Becquevort, pour la commune de Cenon et de Me de la Marque pour la société Eiffage Energie Systèmes.

Vu la note en délibéré présentée pour la commune de Cenon le 8 février 2024.

Considérant ce qui suit :

1. Par un acte d'engagement signé le 3 avril 2006, la commune de Cenon a confié la maîtrise d'œuvre du projet de construction d'un pôle culturel de spectacles dénommé " Rocher de Palmer ", sur le site du parc Palmer, à un groupement conjoint de maîtres d'œuvre composé de la société BTuA, architecte désigné comme mandataire solidaire de ce groupement, de la société Technic TPS (devenue la société WSP), bureau d'études techniques, de la société Scene, chargée de la scénographie, de M. A..., acousticien et de M. B..., paysagiste. Dans le cadre des travaux, les lots n° 4 " enveloppes métalliques " et n° 5 " étanchéité désenfumage naturel " ont été attribués à la société Soprema Entreprises, le lot n° 6 " façades vitrées et menuiseries métalliques " à la société Garrigues, tandis que la société Forclim (devenue Eiffage Thermie Sud-Ouest) a été déclarée attributaire du lot n° 15 " chauffage, ventilation, plomberie sanitaires ". Quant à la mission de contrôle technique, elle a été confiée à la société Apave Sudeurope.

2. Postérieurement à la réception des travaux, notamment en septembre et octobre 2013, le pôle culturel et de spectacle " Rocher de Palmer " a subi, à l'occasion d'épisodes orageux, d'importantes infiltrations d'eau qui ont inondé les salles de spectacles et les parties communes. A la demande de la commune de Cenon, le président du tribunal administratif de Bordeaux a, par ordonnance du 17 février 2014, ordonné une expertise en vue de se prononcer sur la nature et l'origine des désordres constatés ainsi que sur les responsabilités encourues. Au cours des opérations d'expertise, la commune de Cenon, faisant valoir que le système de désenfumage du pôle culturel était également affecté de dysfonctionnements, a demandé une extension de la mission de l'expert à l'analyse de ces nouveaux désordres. Par une ordonnance du 5 mai 2014, le président du tribunal administratif a fait droit à cette demande.

3. Après le dépôt du rapport d'expertise le 20 novembre 2017, la commune de Cenon a saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'une demande tendant à la condamnation des constructeurs à l'indemniser, sur le terrain de la garantie décennale, de ses préjudices résultant des désordres affectant l'étanchéité de l'édifice et le système de désenfumage. Par un jugement rendu le 22 décembre 2021, le tribunal a condamné les maîtres d'œuvre BTuA et WSP, le contrôleur technique Apave Sudeurope ainsi que les sociétés Soprema et Garrigues à indemniser la commune de Cenon des désordres causés par les infiltrations, puis a statué sur les appels en garantie présentés par les constructeurs en fixant leur part de responsabilité propre. En revanche, les premiers juges ont rejeté les conclusions de la commune de Cenon tendant à l'indemnisation des désordres liés aux dysfonctionnements du système de désenfumage du pôle culturel " Rocher de Palmer ". La commune de Cenon relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté sa demande d'indemnisation des désordres affectant le système de désenfumage du bâtiment et sollicite, devant la Cour, la condamnation in solidum du groupement de maîtres d'œuvre BTuA et WSP, d'une part, et de la société Eiffage Thermie Sud-Ouest, d'autre part, à lui verser la somme de 335 969,52 euros toutes taxes comprises. Les sociétés intimées concluent, à titre principal, au rejet de la demande de la commune de Cenon et, à titre subsidiaire, à être garanties des condamnations qui seraient prononcées à leur encontre.

Sur les responsabilités :

En ce qui concerne la garantie décennale des constructeurs :

4. Il résulte du rapport d'expertise ordonnée par le président du tribunal administratif de Bordeaux que des essais réalisés les 22 juillet et 29 juillet 2014 ont montré que l'installation de désenfumage, testée dans des salles du pôle culturel selon le protocole établi par le service départemental d'incendie et de secours, n'était pas opérationnelle, la mise en service du soufflage mécanique ne permettant pas une déstratification rapide des fumées et leur évacuation dans un délai inférieur au temps nécessaire pour évacuer la salle. Des conclusions identiques ont été formulées par la société Qualiconsult, auteur d'un rapport de désenfumage établi le 23 août 2014 mentionné par l'expert. De tels désordres, que l'expert a d'ailleurs qualifiés de graves au motif qu'ils portaient atteinte à la sécurité des personnes, étaient de nature à rendre l'ouvrage, destiné à accueillir du public, impropre à sa destination et, partant, à engager la garantie décennale des constructeurs vis-à-vis du maître de l'ouvrage, pour autant qu'ils n'étaient pas apparents au moment de la réception prononcée sans réserve. En l'espèce, il résulte de l'instruction que les travaux du lot n° 15 " chauffage, ventilation, plomberie sanitaires ", attribué à la société Forclim (devenue Eiffage Thermie Sud-Ouest), ont fait l'objet d'un procès-verbal de réception avec levée des réserves le 3 mars 2011.

5. Selon la société Eiffage Thermie Sud-Ouest, dès lors que, à la date du 3 mars 2011, aucune solution n'avait été trouvée pour mettre fin aux désordres litigieux, identifiés dès décembre 2009, la réception doit être regardée comme ayant été prononcée en connaissance de cause de ces désordres, ce qui fait obstacle à ce que la garantie décennale des constructeurs soit recherchée.

6. Il résulte de l'instruction que la société Apave, chargée des opérations de contrôle technique, avait durant les travaux de construction rédigé, à l'attention de la commune de Cenon, un compte-rendu d'analyse de documents daté du 16 décembre 2009 dans lequel elle émettait un " gros doute " sur le fonctionnement du système de désenfumage et exprimait sa crainte que le soufflage mécanique en amenée d'air refroidisse et stratifie les fumées, annulant ainsi leur tirage naturel. Ces éléments avaient été repris et précisés dans un rapport d'analyse de notice de sécurité modifié que la société Apave a rédigé le 17 décembre 2009 à l'attention de la commune. Il résulte également de l'instruction qu'une réunion consacrée aux essais de désenfumage des salles du pôle culturel avait été organisée le 29 février 2010 entre la commune de Cenon, le contrôleur technique Apave, les maîtres d'œuvre BTuA et Technip TPS (aux droits et obligations de laquelle vient la société WPS) et les membres de la commission de sécurité des établissements recevant du public. Le compte-rendu de cette réunion indique que les essais réalisés au niveau de neuf foyers du pôle et du studio montraient une évacuation très lente des fumées, lesquelles se concentraient dans certaines zones et finissaient par se stratifier, et que l'analyse de fin de visite n'avait pas permis de trouver de solutions permettant une amélioration nette du dispositif de désenfumage. Et il résulte de l'instruction que, dans un courriel du 4 juin 2010, le directeur des services techniques de la commune avait fait savoir aux maîtres d'œuvre et au contrôleur technique qu'à la suite de discussions avec le service départemental d'incendie et de secours de la Gironde, il avait été décidé, compte tenu des difficultés à mobiliser des entreprises compétentes en matière de tests de désenfumage et de l'état d'avancement du chantier, de ne pas procéder à des essais supplémentaires, l'auteur de ce courriel concluant son message en précisant que " le jour du passage de la commission de sécurité, le SDIS insistera sur les essais de manœuvre des dispositifs d'alerte et de mise en route du désenfumage ". Enfin, le contrôleur technique Apave a rédigé, le 10 septembre 2010, un rapport de vérification règlementaire après travaux, qui se borne à relever qu'il était dans l'attente de la validation par le SDIS de la Gironde des essais de désenfumage réalisés en janvier 2010.

7. Il ne résulte pas de l'instruction, et il n'est même pas allégué par la commune de Cenon, qu'entre le 10 septembre 2010 et le 3 mars 2011, date de la réception avec levée de réserves du lot n° 15, il aurait été procédé à de nouveaux essais montrant que le système de désenfumage du pôle culturel fonctionnait de manière satisfaisante et justifiait l'absence de réserves lors de la réception. D'autant que les désordres litigieux décrits par l'expert en juillet 2014, soit plus de trois ans après la réception, apparaissent identiques à ceux observés en 2010. De plus, eu égard à leur nature, les conséquences de ces désordres dans toute leur étendue ne pouvaient être ignorées du maître de l'ouvrage dès lors que le phénomène visuellement observé de stratification des fumées rendait impossible l'évacuation rapide du public en cas d'incendie. Dans ces circonstances, la commune de Cenon devait être regardée comme ayant eu une connaissance suffisante des dysfonctionnements affectant le système de désenfumage du pôle culturel au 3 mars 2011.

8. Il résulte de ce qui précède que les désordres en litige devaient être regardés comme aisément décelables pour un maître de l'ouvrage normalement précautionneux, et par suite comme apparents lors des opérations de réception ainsi que le soutient la société Eiffage. De tels désordres auraient dû conduire la commune de Cenon à émettre des réserves lors de la réception, alors même que leurs causes n'ont été déterminées que postérieurement à cette opération, au cours de l'expertise ordonnée par le tribunal. Dans ces conditions, la commune de Cenon n'est pas fondée à rechercher la garantie décennale des constructeurs.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Cenon n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Sur les frais d'instance :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle aux conclusions présentées par la commune de Cenon tendant à ce que les intimées, qui ne sont pas parties perdantes à l'instance, lui verse une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions des autres parties présentées au titre de ces mêmes dispositions.

DECIDE

Article 1er : La requête de la commune de Cenon est rejetée.

Article 2 : Les conclusions des parties présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Cenon, à la société BTuA, à la société MAF, à la société Soprema Entreprises, à la société XL Insurance Company SE, à la société WPS France, à la société Apave Sudeurope, à la société Montmirail et à la société Eiffage Energie Systèmes

Délibéré après l'audience du 5 février 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Ghislaine Markarian, présidente,

M. Frédéric Faïck, président-assesseur,

M. Julien Dufour, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 février 2024.

Le rapporteur,

Frédéric Faïck

La présidente,

Ghislaine Markarian

La greffière,

Catherine Jussy

La République mande et ordonne au préfet de la Gironde en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 22BX00752 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX00752
Date de la décision : 27/02/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme MARKARIAN
Rapporteur ?: M. Frédéric FAÏCK
Rapporteur public ?: M. DUPLAN
Avocat(s) : SCP CGCB & ASSOCIES BORDEAUX

Origine de la décision
Date de l'import : 10/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-27;22bx00752 ?
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