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20/02/2024 | FRANCE | N°22BX00773

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 20 février 2024, 22BX00773


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée Frédéric et Corinne d'Orazio Distribution Martinique (SARL FCDDM) a demandé au tribunal administratif de la Martinique de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) mis à sa charge au titre de la période du 1er octobre 2014 au 29 février 2016, à concurrence d'un montant de 103 787 euros en droits et de 3 324 euros en pénalités et majorations, et de lui accorder le remboursement de crédits de TVA au titre de la pér

iode du 1er janvier au 30 juin 2015, pour un montant de 59 114 euros, et de la période...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée Frédéric et Corinne d'Orazio Distribution Martinique (SARL FCDDM) a demandé au tribunal administratif de la Martinique de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) mis à sa charge au titre de la période du 1er octobre 2014 au 29 février 2016, à concurrence d'un montant de 103 787 euros en droits et de 3 324 euros en pénalités et majorations, et de lui accorder le remboursement de crédits de TVA au titre de la période du 1er janvier au 30 juin 2015, pour un montant de 59 114 euros, et de la période du 1er juillet 2015 au 29 février 2016, pour un montant de 64 032 euros.

Par un jugement n° 2000545 du 9 décembre 2021, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 9 mars 2022, la société FCDDM représentée par Me Bette, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2000545 du tribunal administratif de la Martinique du 9 décembre 2021 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits, pénalités et majorations, des rappels de TVA qui lui ont été assignés au titre de la période du 1er octobre 2014 au 29 février 2016, pour un montant de 30 540 euros, et a refusé de lui accorder le remboursement d'un crédit de TVA au titre de la période du 1er janvier au 30 juin 2015, pour un montant de 59 114 euros ;

2°) de prononcer la décharge, en droits, pénalités et majorations, des rappels de TVA qui lui ont été assignés au titre de la période du 1er octobre 2014 au 29 février 2016, pour un montant de 30 540 euros ;

3°) de lui accorder le remboursement d'un crédit de TVA au titre de la période du 1er janvier au 30 juin 2015, pour un montant de 59 114 euros ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de le condamner aux entiers dépens.

Elle soutient que :

- en ne collectant pas la TVA relative aux ventes de tabac dans le département de la Martinique postérieures à l'importation et en déduisant la taxe supportée en amont, elle a correctement appliqué l'article 298 sexdecies du code général des impôts ;

- la dispense de collecte et de paiement de TVA instituée par l'administration fiscale au Bulletin officiel des finances publiques BOI-TVA-GE0-20-50 pour les ventes de tabacs réalisés par les assujettis dans les départements d'outre-mer ne les prive pas pour autant de l'exercice du droit à déduction ;

- l'administration a procédé à une interprétation erronée des conséquences du traité d'apport partiel d'actif en matière de TVA et lui a refusé à tort le droit à remboursement de la TVA pour la somme de 59 114 euros, acquis à l'occasion des opérations d'importation des tabacs qu'elle a effectuées au titre de la période du 1er octobre 2014 au 30 juin 2015.

Par un mémoire en défense et une pièce, enregistrés les 30 septembre et 3 octobre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au non-lieu partiel à statuer, à hauteur du remboursement d'un crédit de TVA accordé en cours d'instance, et au rejet du surplus des conclusions, en faisant valoir, d'une part, que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés, d'autre part, que les conclusions relatives aux dépens sont sans objet et sont, dès lors, irrecevables.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Michaël Kauffmann,

- et les conclusions de Mme Nathalie Gay, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. La société FCDDM s'est vue attribuer, par apport partiel d'actif du 30 juin 2015 conclu avec la société Frédéric et Corinne d'Orazio Distribution avec effet rétroactif au 1er octobre 2014, la branche d'activité de commerce de gros de tabacs manufacturés et d'articles liés aux tabacs dans le département de la Martinique. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre de la période du 1er octobre 2013 au 29 février 2016. A l'issue des opérations de contrôle, la société a été informée de l'intention du service de rappeler la TVA qui aurait dû être collectée sur les ventes de tabacs réalisées au cours de la période du 1er octobre 2014 au 29 février 2016, pour un montant qui, en définitive, s'est élevé à 30 540 euros, en droits, pénalités et majorations, après prise en compte, notamment, du montant du crédit de TVA dont le remboursement était sollicité au titre de la période du 1er juillet 2015 au 29 février 2016, pour un montant de 64 032 euros. La société FCDDM relève appel du jugement du 9 décembre 2021 du tribunal administratif de la Martinique en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits, pénalités et majorations, des rappels de TVA qui lui ont été assignés au titre de la période du 1er octobre 2014 au 29 février 2016, et a refusé de lui accorder le remboursement d'un crédit de TVA au titre de la période du 1er janvier au 30 juin 2015, pour un montant de 59 114 euros.

Sur l'étendue du litige :

2. Par une décision en date du 30 septembre 2022, postérieure à l'introduction de la requête, l'administration fiscale a prononcé le remboursement du crédit de TVA sollicité par l'appelante au titre de la période du 1er janvier au 30 juin 2015, pour un montant de 59 114 euros. Les conclusions de la requête relatives à cette demande de remboursement sont ainsi devenues sans objet et le moyen dirigé contre le jugement sur ce point, inopérant.

Sur l'application de la loi fiscale :

3. Aux termes de l'article 298 quaterdecies du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au présent litige : " I. Les opérations portant sur les tabacs manufacturés sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée dans les conditions de droit commun, sous réserve des dispositions ci-après. / II. Le fait générateur de la taxe sur la valeur ajoutée applicable aux ventes dans les départements de France continentale de tabacs manufacturés est celui qui est prévu à l'article 575 C (relatif à la mise à la consommation). / La taxe est assise sur le prix de vente au détail, à l'exclusion de la taxe sur la valeur ajoutée elle-même. / Elle est acquittée par le fournisseur dans le même délai que le droit de consommation. ". Aux termes de l'article 298 sexdecies du même code : " Dans les départements de la Réunion, de la Martinique et de la Guadeloupe, les marges commerciales postérieures à la fabrication ou à l'importation demeurent exclues de la taxe sur la valeur ajoutée. ". Il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires de l'article 15 de la loi du 24 mai 1976 dont elles sont issues, que dans les départements de La Réunion, de la Martinique et de la Guadeloupe, les opérations portant sur les tabacs manufacturés sont, à chacun des stades du circuit de commercialisation, soumises à la TVA à laquelle sont soumises les ventes de tabacs manufacturés réalisées dans les conditions du droit commun. Demeurent toutefois exclues de l'assiette de la taxe les marges commerciales prises postérieurement à la fabrication ou à l'importation de ces tabacs.

4. Il résulte des dispositions précitées des articles 298 quaterdecies et 298 sexdecies du code général des impôts que la société requérante est légalement redevable de la TVA à raison de ses opérations réalisées dans le département de la Martinique de vente à des détaillants des tabacs manufacturés qu'elle a importés, seules les marges commerciales prises postérieurement à la fabrication ou à l'importation de ces tabacs étant exclues de l'assiette de la taxe. Contrairement à ce qui est soutenu, l'administration, en opérant les rappels de TVA litigieux, n'a pas remis en cause le droit à déduction de la taxe ayant grevé les importations des tabacs dont la société était fondée à se prévaloir sur le fondement de l'article 271 du code général des impôts. La société FCDDM ne saurait, en outre, valablement se prévaloir de la règle selon laquelle l'absence de recouvrement, en vertu d'une tolérance administrative, de la TVA due par les importateurs de tabacs manufacturés dans les départements d'outre-mer à raison des opérations de vente aux distributeurs est sans incidence sur l'inclusion de ces opérations dans le champ de la taxe et sur le droit des importateurs à déduire la taxe ayant grevé les biens et les services qui ont concouru à la réalisation de ces opérations de vente, dès lors, en tout état de cause, qu'en l'espèce, et ainsi qu'il vient d'être dit, le droit à déduction dont se prévalait l'intéressée n'a pas été remis en cause. Il en résulte qu'au regard de la loi fiscale, la société requérante n'est pas fondée à contester le bien-fondé des rappels de TVA mis à sa charge au titre de la période du 1er octobre 2014 au 29 février 2016.

Sur l'application de la doctrine administrative :

5. Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente (...) ". Si ces dispositions instituent une garantie contre les changements de doctrine de l'administration, qui permet aux contribuables de se prévaloir des énonciations contenues dans les notes ou instructions publiées, qui ajoutent à la loi ou la contredisent, c'est à la condition que les intéressés entrent dans les prévisions de la doctrine, appliquée littéralement, résultant de ces énonciations. Les contribuables ne peuvent se prévaloir utilement, sur le fondement de l'article L. 80 A précité, d'une partie seulement d'une telle doctrine dont les éléments, bien qu'énoncés successivement, sont indissociables.

6. Le I de l'instruction publiée au Bulletin officiel des finances publiques - impôts sous la référence BOI-TVA-GEO-20-50, qui reprend les commentaires administratifs publiés le 1er septembre 1998 au Bulletin officiel des impôts sous la référence 3 G-261, prévoit, dans sa rédaction applicable au présent litige, que : " 1. Dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de La Réunion où la législation sur les taxes sur le chiffre d'affaires a été introduite, les tabacs manufacturés sont soumis à la TVA dans les conditions ci-après. / 10. Dans ces départements, les marges commerciales postérieures à la fabrication ou à l'importation sont, aux termes de l'article 298 sexdecies du CGI, exclues de la TVA. Il en résulte que les négociants grossistes, dépositaires, détaillants ou débitants qui opèrent la distribution des tabacs ne doivent pas être recherchés en paiement de la taxe. / 20. La TVA est exigible soit à l'importation, soit à l'issue de la fabrication, c'est-à-dire à la sortie des tabacs manufacturés des établissements de production. / 30. Le taux applicable aux tabacs est le taux normal applicable dans les DOM. / 40. Les fabricants exercent leurs droits à déduction par imputation sur la taxe due à l'issue des opérations de fabrication des tabacs et, le cas échéant, la fraction non imputable de ces droits peut faire l'objet d'un remboursement dans les conditions fixées aux articles 242 OA et suivants de l'annexe II au CGI. / Dans la mesure où ils sont dispensés du paiement de la TVA, les négociants qui opèrent la distribution des tabacs dans les départements d'outre-mer ne peuvent prétendre à aucun droit à déduction. (...) ".

7. Il ressort des énonciations de cette instruction, qui sont indissociables sur ce point, que si l'administration fiscale tolère que les entreprises qui opèrent la distribution des tabacs importés dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de La Réunion ne facturent ni ne collectent de TVA lors de la revente, c'est à la condition qu'elles renoncent à leur droit à déduction de cette taxe. Par suite, dès lors que la société FCDDM se prévaut à la fois de sa qualité d'importateur pour déduire la TVA qu'elle a supportée en douane, sans renoncer à ce droit, et de sa qualité de négociant grossiste pour ne pas placer ses ventes dans le champ d'application de la TVA, elle ne peut se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de cette tolérance admise par l'administration.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la société FCDDM n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté le surplus de sa demande.

Sur les frais liés au litige :

9. D'une part, aucun dépens n'ayant été exposé dans la présente instance, les conclusions de la société FCDDM tendant à la condamnation de l'Etat aux entiers dépens ne peuvent qu'être rejetées.

10. D'autre part, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la société FCDDM présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de la société FCDDM tendant au remboursement d'un crédit de TVA au titre de la période du 1er janvier au 30 juin 2015, pour un montant de 59 114 euros.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la société FCDDM est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Frédéric et Corinne d'Orazio Distribution Martinique et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction spécialisée de contrôle fiscal sud-ouest.

Délibéré après l'audience du 30 janvier 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Evelyne Balzamo, présidente,

Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,

M. Michaël Kauffmann, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 février 2024.

Le rapporteur,

Michaël Kauffmann La présidente,

Evelyne BalzamoLe greffier,

Christophe Pelletier

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 22BX00773

2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX00773
Date de la décision : 20/02/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BALZAMO
Rapporteur ?: M. Michaël KAUFFMANN
Rapporteur public ?: Mme GAY
Avocat(s) : AARPI STEERING LEGAL - THEMESIS

Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-20;22bx00773 ?
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