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13/02/2024 | FRANCE | N°22BX00596

France | France, Cour administrative d'appel, 5ème chambre, 13 février 2024, 22BX00596


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société civile immobilière (SCI) Saint-Martin a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 2 avril 2019 par lequel la préfète de la Charente a autorisé la société G 2 Pierres à exploiter une carrière à ciel ouvert sur le territoire de la commune de Vervant (Charente), ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux reçu le 29 mai 2019.



Par un jugement n° 1902317 du 22 décembre 2021, le tribunal admini

stratif de Poitiers a annulé l'arrêté du 2 avril 2019, ensemble la décision de rejet de son recours grac...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière (SCI) Saint-Martin a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 2 avril 2019 par lequel la préfète de la Charente a autorisé la société G 2 Pierres à exploiter une carrière à ciel ouvert sur le territoire de la commune de Vervant (Charente), ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux reçu le 29 mai 2019.

Par un jugement n° 1902317 du 22 décembre 2021, le tribunal administratif de Poitiers a annulé l'arrêté du 2 avril 2019, ensemble la décision de rejet de son recours gracieux du 29 mai 2019.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 2 février, 16 juin et 2 septembre 2022, la société à responsabilité limitée (SARL) G 2 Pierres, représentée par le cabinet Munier-Apaire, demande à la cour :

1°) à titre principal, d'annuler le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 22 décembre 2021 et de rejeter la demande de la SCI Saint-Martin tendant à l'annulation de l'arrêté du 2 avril 2019 et de la décision du 29 mai 2019 ;

2°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer dans l'attente de la régularisation à intervenir en application des dispositions du 2° de l'article L. 181-18 du code de l'environnement ;

3°) de mettre à la charge de la SCI Saint-Martin une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

Sur la régularité du jugement attaqué :

- le principe du contradictoire garanti par l'article L. 5 du code de justice administrative a été méconnu dès lors que le mémoire enregistré le 3 décembre 2021 pour le compte de la SCI Saint-Martin, en réponse à la communication des pièces sollicitées par le président de la formation de jugement, ne lui a pas été communiqué ; le tribunal a méconnu les dispositions de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative dès lors que l'instruction était rouverte sur ce point et que le débat contradictoire n'a pas eu lieu ;

- les premiers juges ont méconnu leur office de juge de plein contentieux dès lors qu'ils ne pouvaient se borner à relever que le dossier de demande d'autorisation ne permettait pas d'établir la capacité financière ; ils devaient rechercher dans les pièces du dossier, et au besoin au moyen de mesures d'instruction, si cette dernière était suffisante ;

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

- la demande de la SCI Saint-Martin était irrecevable dès lors qu'il n'est pas établi que sa gérante était habilitée à la représenter en justice ;

- contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, elle disposait de la capacité financière lui permettant de respecter les sujétions fixées par l'arrêté d'autorisation ; l'acte de cautionnement qu'elle a produit était suffisant ; le montant de son capital social est inopérant pour apprécier ses capacités financières ; elle justifie au 31 décembre 2021 d'un actif circulant de 3 786 715 euros et la solidité du groupe auquel elle appartient ne souffre aucune contestation ;

- s'agissant de l'évaluation de ses capacités techniques, elle ne peut se résumer aux postes occupés par son gérant ; elle dispose de salariés et de matériel et des contrats de fortage ;

Sur les autres moyens de la demande de première instance :

- le moyen selon lequel elle ne disposerait pas de la maîtrise foncière de certaines parcelles est inopérant dès lors qu'à la date de son transfert, elle disposait de contrats de fortage en cours de validité ;

- l'omission d'information de la SCI Saint-Martin du changement d'exploitant est sans influence dès lors que cette dernière ne disposait, en tout état de cause, pas de la possibilité de s'y opposer ; cette omission n'a donc eu aucune influence sur le sens de la décision du préfet ;

- en tout état de cause, l'ensemble des vices allégués est régularisable et il conviendra pour la cour, de faire application des dispositions du 2° du I de l'article L. 181-18 du code de l'environnement.

Par des mémoires enregistrés les 9 juin, 19 juillet et 12 septembre 2022, la SCI Saint-Martin, représentée par Me Lanoy, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société G 2 Pierres d'une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés ;

- la société G 2 Pierres ne dispose pas de la maîtrise foncière des parcelles cadastrées section A n°34 et ZN n°39 et 41 ; l'arrêté attaqué n'a pas respecté les prescriptions posées par l'article 1.4 de l'arrêté d'autorisation du 25 mars 2008 selon lesquelles l'accord des différents propriétaires devait être obligatoirement annexé à la demande de changement d'exploitant ;

- de nombreux manquements aux conditions d'exploitation de la carrière et à l'arrêté initial d'autorisation du 25 mars 2008 ont été relevés par l'inspection des installations classées dans son rapport du 5 mai 2021 ; ces conditions d'exploitation de la carrière par la société G 2 Pierres ne font que confirmer son insuffisance en termes de garanties techniques et financières ;

- les dispositions de l'article L. 181-18 du code de l'environnement ne sont pas applicables à l'espèce dès lors que ce régime de régularisation, qui s'applique à l'autorisation environnementale, n'a pas vocation à s'appliquer à une décision de changement d'exploitant ; les vices qui entachent l'arrêté attaqué ne sont, en tout état de cause, pas régularisables ;

- l'arrêté attaqué a été pris par une autorité incompétente ;

- l'arrêté d'autorisation initial est caduque ;

- l'arrêté attaqué méconnaît les dispositions de l'article L. 181-3 du code de l'environnement ;

- l'arrêté attaqué est illégal dès lors qu'il n'a pas été précédé d'une demande de dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées ;

- l'arrêté attaqué est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que le préfet aurait dû exiger le dépôt d'une demande de nouvelle autorisation environnementale et ne pas se contenter d'autoriser le transfert d'exploitant.

Par un courrier du 12 décembre 2023, les parties ont été informées de ce que la cour était susceptible de mettre en œuvre la procédure prévue par l'article L. 181-18 du code de l'environnement et de surseoir à statuer en vue de la régularisation des vices tirés de l'absence, dans le dossier de demande de changement d'exploitant, des éléments relatifs aux capacités techniques et financières et des contrats de fortage, en méconnaissance de l'article R. 516-1 du code de l'environnement et de l'article 1.4 de l'arrêté d'autorisation du 25 mars 2008.

Par un mémoire enregistré le 22 décembre 2023, la SCI Saint-Martin a produit ses observations en réponse à cette information.

Par des mémoires et des pièces enregistrés les 21 décembre 2023, 11 et 15 janvier 2024, la SARL G 2 Pierres a produit ses observations en réponse à cette information ainsi qu'un arrêté du 28 juin 2023, abrogeant l'arrêté attaqué, et conclut, en conséquence, au non-lieu à statuer sur la requête.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- l'arrêté du 22 septembre 1994 relatif aux exploitations de carrières ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Héloïse Pruche-Maurin ;

- les conclusions de M. Stéphane Gueguein, rapporteur public ;

- et les observations de Me Mazetier représentant la SARL G2 Pierres.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 25 mars 2008, le préfet de la Charente a autorisé la société Deschiron, aux droits de laquelle est venue ultérieurement la société Vinci Construction Terrassement, à exploiter une carrière de calcaire à ciel ouvert sur le territoire de la commune de Vervant, pour une durée de 15 ans. Par jugement du 1er juin 2011, le tribunal administratif de Poitiers a annulé cet arrêté ainsi que l'arrêté le modifiant du 10 décembre 2009. Par un arrêt du 10 juillet 2012, la cour a rejeté la requête d'appel du ministre de l'écologie et de la société Vinci Construction Terrassement dirigé contre ce jugement. Après annulation de cet arrêt par décision du Conseil d'Etat du 9 janvier 2015, la cour, statuant à nouveau, a annulé le jugement du 1er juin 2011 et a rejeté les conclusions dirigées contre les arrêtés contestés par un arrêt du 15 décembre 2015, le Conseil d'Etat, par décision du 17 octobre 2016, n'ayant pas admis le pourvoi dirigé contre cet arrêt. Par un arrêté du 16 octobre 2017, le préfet de la Charente a repoussé l'échéance de l'autorisation au 25 mars 2028, remise en état comprise, pour une capacité maximale de 700 000 tonnes par an. Un nouvel arrêté préfectoral du 3 janvier 2018 a repoussé l'échéance de l'autorisation au 3 janvier 2031. Le 5 février 2019, la société G 2 Pierres, a déposé une demande de changement d'exploitant. Par arrêté du 2 avril 2019, la préfète de la Charente a autorisé la société G 2 Pierres à exploiter cette carrière. La société civile immobilière (SCI) Saint-Martin, propriétaire de trois parcelles comprises dans l'emprise de la carrière autorisée, les parcelles cadastrées section ZB n° 39, section ZB n° 41 et section A n° 34, a demandé au tribunal administratif de Poitiers l'annulation de l'arrêté préfectoral du 2 avril 2019 et de la décision rejetant son recours gracieux. Par la présente requête, la société G 2 Pierres demande l'annulation du jugement du 22 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a annulé l'arrêté du 2 avril 2019 ainsi que la décision de rejet de son recours gracieux, et le rejet de la demande d'annulation présentée par la SCI Saint-Martin.

Sur l'exception de non-lieu à statuer :

2. La société G 2 Pierres a produit, par un mémoire du 21 décembre 2023, un arrêté daté du 28 juin 2023 portant autorisation de changement d'exploitant à son bénéfice pour l'exploitation de la carrière à ciel ouvert de calcaire, située aux lieux-dits " Le Coin du Mur ", " La Motte du Part ", " La Demoiselle " et " La Pointe du Bois Fumé " sur la commune de Vervant, et actualisant les prescriptions d'exploitation. Cet arrêté, qui se présente comme un arrêté d'abrogation de l'arrêté du 2 avril 2019, doit être regardé comme modifiant l'autorisation initiale et non comme se substituant à cette dernière. Ainsi, et quand bien même l'arrêté du 28 juin 2023 est devenu définitif, la présente requête dirigée contre l'arrêté du 2 avril 2019 conserve son objet et l'exception de non-lieu à statuer doit être écartée.

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

3. Il résulte de l'instruction, et notamment de l'article 17 des statuts de la SCI Saint-Martin, que le ou les gérants de la société " exercent toutes actions judiciaires tant en demandant qu'en défendant ". Il résulte par ailleurs du procès-verbal de l'assemblée générale ordinaire du 3 juillet 2008 que Mme B... C... a été nommée gérante de la société. Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la SCI Saint-Martin, représentée par sa gérante Mme C..., n'était pas recevable à agir du fait de l'absence de qualité de cette dernière pour agir en son nom devant le tribunal administratif. Par suite, le moyen tiré de l'irrecevabilité de la demande de première instance doit être écarté.

Sur la légalité de l'arrêté du 2 avril 2019 tel que modifié par l'arrêté du 28 juin 2023 :

En ce qui concerne le motif d'annulation retenu par les premiers juges :

4. D'une part, aux termes de l'article L. 181-15 du code de l'environnement : " Le changement de bénéficiaire de l'autorisation environnementale est subordonné (...) à une autorisation de celle-ci, dans les cas et les conditions fixés par le décret prévu à l'article L. 181-32. (...) ". Aux termes de l'article L. 516-1 du code de l'environnement dans sa version applicable au litige : " La mise en activité, tant après l'autorisation initiale qu'après une autorisation de changement d'exploitant, des installations définies par décret en Conseil d'Etat présentant des risques importants de pollution ou d'accident, des carrières et des installations de stockage de déchets est subordonnée à la constitution de garanties financières. Ces garanties sont destinées à assurer, suivant la nature des dangers ou inconvénients de chaque catégorie d'installations, la surveillance du site et le maintien en sécurité de l'installation, les interventions éventuelles en cas d'accident avant ou après la fermeture, et la réhabilitation après fermeture. Elles ne couvrent pas les indemnisations dues par l'exploitant aux tiers qui pourraient subir un préjudice par fait de pollution ou d'accident causé par l'installation. (...) ". Aux termes de l'article R. 516-1 du même code : " Les installations dont la mise en activité est subordonnée à l'existence de garanties financières et dont le changement d'exploitant est soumis à autorisation préfectorale sont : (...) 2° Les carrières ; (...) La demande d'autorisation de changement d'exploitant, à laquelle sont annexés les documents établissant les capacités techniques et financières du nouvel exploitant et la constitution de garanties financières est adressée au préfet. Cette demande est instruite dans les formes prévues aux articles R. 181-45 et R. 512-46-22. (...) ". Aux termes de l'article R. 516-2 du même code : " Les garanties financières exigées à l'article L. 516-1 résultent, au choix de l'exploitant : a) De l'engagement écrit d'un établissement de crédit, d'une société de financement, d'une entreprise d'assurance ou d'une société de caution mutuelle ; (...) IV.- Le montant des garanties financières est établi d'après les indications de l'exploitant et compte tenu du coût des opérations suivantes, telles qu'elles sont indiquées dans l'arrêté d'autorisation : (...) 2° Pour les carrières : Remise en état du site après exploitation. (...) ".

5. D'autre part, aux termes de l'article L. 181-27 du code de l'environnement : " L'autorisation prend en compte les capacités techniques et financières que le pétitionnaire entend mettre en œuvre, à même de lui permettre de conduire son projet dans le respect des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 et d'être en mesure de satisfaire aux obligations de l'article L. 512-6-1 lors de la cessation d'activité ". Il résulte de ces dispositions qu'une autorisation d'exploiter une installation classée ne peut légalement être délivrée, sous le contrôle du juge du plein contentieux des installations classées, si les conditions qu'elles posent ne sont pas remplies. Lorsque le juge se prononce après la mise en service de l'installation, il lui appartient de vérifier la réalité et le caractère suffisant des capacités financières et techniques du pétitionnaire ou, le cas échéant, de l'exploitant auquel il a transféré l'autorisation.

6. Pour annuler l'arrêté en litige, le tribunal administratif s'est fondé sur l'insuffisance des capacités techniques et financières de la société G 2 Pierres, censurant ainsi, au regard des éléments dont il disposait à la date à laquelle il s'est prononcé, une exigence de fond posée par les dispositions précitées de l'article L. 181-27 du code de l'environnement. Il a considéré que l'acte de cautionnement bancaire à hauteur de 339 318 euros pour la remise en état du site et les fonctions précédemment exercées par le dirigeant de la société G 2 Pierres ne suffisait pas à garantir que la société disposait des capacités techniques et financières pour exploiter une telle carrière, alors surtout qu'elle avait été constituée très récemment et que son capital social s'élevait à 1 400 euros.

7. Il résulte de l'instruction que si la société G 2 Pierres a été constituée le 10 décembre 2018, soit moins de deux mois avant le dépôt de la demande de changement d'exploitant, avec un capital social de 1 400 euros, elle a été créée dans l'unique but de reprendre l'exploitation de la carrière en litige. Elle est détenue à 100% par la société G Evolution, et est dirigée par M. D..., ancien directeur général et encore associé de la société holding " D... frères ", groupe historique de matériaux de construction implanté en Charente qui comprend sept filiales dont les activités gravitent autour de l'extraction de matériaux et dont l'expertise dans l'exploitation de carrières est reconnue.

8. S'agissant des capacités financières de la société G 2 Pierres, il résulte de l'instruction, et notamment des éléments comptables qu'elle produit, que l'entreprise, bien que ne comptant initialement que trois employés, le cadre dirigeant et deux ouvriers, a réalisé un bénéfice de 60 126,64 euros au cours de l'année 2020 et présente, au bilan de l'exercice clos au 31 décembre 2021, un actif circulant de 3 786 715 euros. Il résulte de ces mêmes éléments que la solidité financière de la société G Evolution à laquelle elle appartient, qui détient par ailleurs quatre autres filiales, et qui a présenté un chiffre d'affaires de 11 millions d'euros en 2021, est acquise, quand bien même cette holding a été créée récemment également. En outre, la lettre d'intention de cette dernière du 23 mars 2022, pièce nouvelle en appel, traduit un engagement du groupe à assurer toute dépense de la société pétitionnaire pour répondre à ses obligations en tant qu'exploitante.

9. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que la requérante a produit, au soutien de sa demande de changement d'exploitant, au titre du régime de garanties financières auquel elle est soumise en application des articles L. 516-1 et R. 516-2 précités du code de l'environnement, un acte de cautionnement solidaire émis par la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Charente Périgord, daté du 31 janvier 2019, garantissant le paiement, à hauteur de 339 318,52 euros, en cas de défaillance de la société G 2 Pierres, des dépenses liées à la remise en état du site après exploitation. Il résulte de cet acte de cautionnement qu'il est délivré pour une période de 5 ans. Pour faire suite à la publication d'un nouvel indice applicable, la requérante a fait procéder à une modification de l'acte de garantie et a adressé au préfet, un nouvel acte de cautionnement solidaire, daté du 8 mars 2019, annulant et remplaçant l'acte du 31 janvier 2019, garantissant, dans les mêmes conditions, un paiement à hauteur de 349 697 euros. Dans ces conditions, et alors que le montant garanti portait sur chaque période de 5 ans et n'était pas destiné à couvrir l'ensemble des trois périodes, contrairement à ce qu'a considéré le tribunal, et correspondait donc au montant fixé par l'arrêté du 2 avril 2019 pour la première période, la requérante justifie de ses capacités financières à assumer les éventuelles dépenses liées à la remise en état du site.

10. S'agissant des capacités techniques de la société G 2 Pierres, il résulte de l'instruction que cette dernière justifie de la grande expertise de son dirigeant dans le secteur de l'exploitation de carrières, ainsi que de celle du groupe auquel elle appartient dont le cœur de métier réside dans l'extraction de matériaux. Elle produit le curriculum vitae de ses quatre conducteurs d'engins et indique que les activités annexes, nécessaires à l'activité de la carrière, sont assurées par les sociétés " sœurs " du groupe G Evolution. Si l'inspection des installations classées a émis des observations lors de sa visite sur site le 14 avril 2021, et a relevé trois non-conformités (non-souscription de la déclaration annuelle de production, épandages de boues contenant des hydrocarbures qui auraient dû être enlevées par un récupérateur spécialisé et non-indication du délai de mise en place d'un réseau de mesures des poussières) elle a indiqué dans son rapport qu'elle ne proposait pas immédiatement de mise en demeure ni de sanction. Ainsi, en l'absence d'éléments permettant d'estimer que la société se rendrait responsable de manquements graves et répétés, le contenu de ce rapport ne traduit pas une insuffisance de ses capacités techniques. Dans ces conditions, c'est à tort que le tribunal a estimé que cette dernière ne justifiait pas de telles capacités.

11. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif de Poitiers s'est fondé sur l'insuffisance des capacités techniques et financières de la société G 2 Pierres pour annuler l'arrêté du 2 avril 2019. Toutefois il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la SCI Saint-Martin devant le tribunal administratif.

En ce qui concerne les autres moyens d'annulation :

S'agissant du dossier de demande de changement d'exploitant :

12. Il appartient au juge du plein contentieux des installations classées pour la protection de l'environnement d'apprécier le respect des règles relatives à la forme et à la procédure régissant la demande d'autorisation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de délivrance de l'autorisation et celui des règles de fond régissant le projet en cause au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date à laquelle il se prononce. Les obligations relatives à la composition du dossier de demande d'autorisation d'une installation classée relèvent des règles de procédure. Les inexactitudes, omissions ou insuffisances affectant ce dossier ne sont susceptibles de vicier la procédure et ainsi d'entacher d'irrégularité l'autorisation que si elles ont eu pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative. Eu égard à son office, le juge du plein contentieux des installations classées peut prendre en compte la circonstance, appréciée à la date à laquelle il statue, que de telles irrégularités ont été régularisées.

13. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la demande d'autorisation de changement d'exploitant déposée par la société G 2 Pierres en février 2019, qui a donné lieu à l'arrêté attaqué du 2 avril 2019, comportait l'original de l'acte de cautionnement solidaire évoqué au point 9 ainsi qu'un document d'une quinzaine de lignes intitulé " Capacités techniques et financières de G 2 Pierres ". Ce document très succinct indiquait que " les capacités techniques et financières de G 2 Pierres étaient établies par la personne de Monsieur A... D..., gérant de cette société G 2 Pierres récemment créée ". Il se référait uniquement au parcours professionnel de ce dernier et n'était complété d'aucune autre précision ou document relatif à la société. Dans ces conditions, si la constitution d'une garantie financière, consistant dans l'acte de cautionnement, était bien annexée à la demande, le document décrit précédemment ne pouvait être regardé comme " établissant les capacités techniques et financières du pétitionnaire " conformément aux exigences posées par l'article R. 516-1 du code de l'environnement précité, rendant le dossier de demande de changement d'exploitant déposé par la société G 2 Pierre le 5 février 2019 insuffisant pour ce qui concerne ses capacités techniques et financières. Toutefois, il résulte de l'instruction que la société G 2 Pierres a joint à sa demande déposée le 13 janvier 2022 et complétée le 11 mai 2022, qui a donné lieu à l'arrêté du 28 juin 2023, l'ensemble des éléments relatifs à la création de la société, à son statut de filiale à 100% de la société G Evolution, aux éléments comptables et aux moyens dont disposait sa holding, qui comptait, fin 2021, 70 emplois et présentait un chiffre d'affaires de 10,647 millions d'euros, ainsi qu'une lettre d'intention de cette dernière de la soutenir en cas de difficultés techniques ou financières. Dans ces conditions, dès lors que ces éléments répondent aux exigences de l'article R. 516-1 du code de l'environnement, l'arrêté du 28 juin 2023 a régularisé l'arrêté du 2 avril 2019 sur ce point. Par suite le moyen tiré de ce que le dossier de demande de changement d'exploitant déposé par la société G 2 Pierres était insuffisant pour ce qui concerne ses capacités techniques et financières doit être écarté.

14. En second lieu, il résulte de l'instruction que l'arrêté d'autorisation initiale du 25 mars 2008 prévoit spécifiquement le cas du transfert d'exploitation de la carrière et prescrit, dans son article 1.4, qu'une telle demande doit comporter, outre les documents requis par l'article R. 516-1 du code de l'environnement, établissant les capacités techniques et financières du nouvel exploitant et la constitution des garanties financières, " l'accord écrit du précédent exploitant ainsi que les accords des propriétaires (droits de fortage) ". Or il est constant que les contrats de fortage relatifs aux parcelles cadastrées section A n°34 et ZN n°39 et 41 appartenant à la SCI Saint-Martin n'ont pas été joints à la demande de changement d'exploitant présentée par la société G 2 Pierres le 5 février 2019. Toutefois, il résulte de l'instruction que la demande déposée le 13 janvier 2022 et complétée le 11 mai 2022 qui a donné lieu à l'arrêté d'autorisation du 28 juin 2023 ne porte plus sur ces parcelles qui sont exclues du périmètre de ladite carrière. Par suite, ce moyen doit être écarté comme étant inopérant.

S'agissant de la compétence de l'auteur de l'acte :

15. Il résulte de l'instruction que par un arrêté du 27 août 2018, publié au recueil des actes administratifs de la Charente du 29 août 2018, la préfète de la Charente a donné délégation de signature à " Mme Delphine Balsa, secrétaire générale de la préfecture, à l'effet de signer tous arrêtés, décisions, circulaires, rapports, correspondances et documents relevant des attributions de l'Etat dans le département de la Charente, (...) à l'exception des - Actes pour lesquels une délégation a été conférée à un chef de service de l'Etat dans le département, - Réquisitions de la force armée, - Arrêtés de conflit ". Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte doit être écarté.

S'agissant de la maitrise foncière des parcelles cadastrées section A n°34 et ZN n°39 et 41 appartenant à la SCI Saint-Martin :

16. La SCI Saint-Martin ne peut utilement soutenir que la société G 2 Pierres ne justifierait pas de la maitrise foncière, jusqu'à la fin de l'autorisation d'exploitation, soit le 11 août 2028, des parcelles cadastrées section A n°34 et ZN n°39 et 41, et notamment de la parcelle cadastrée ZB n°39 dont le contrat de fortage était échu au 11 juillet 2020, dès lors que comme indiqué au point 14, le périmètre de la carrière dont le changement d'exploitant a été autorisé par l'arrêté du 28 juin 2023 ne comporte plus les dites parcelles.

S'agissant de la caducité de l'arrêté du 25 mars 2008 :

17. Aux termes de l'article R. 512-38 du code de l'environnement en vigueur jusqu'au 13 avril 2010 : " L'arrêté d'autorisation cesse de produire effet lorsque l'installation classée n'a pas été mise en service dans le délai de trois ans ou n'a pas été exploitée durant deux années consécutives, sauf le cas de force majeure. ". Aux termes de l'article R. 512-44 du même code abrogé à compter du 1er janvier 2011 : " Le bénéficiaire de l'autorisation d'exploiter une installation mentionnée au II de l'article L. 514-6 adresse au préfet une déclaration de début d'exploitation, en trois exemplaires, dès qu'ont été mis en place les aménagements et équipements permettant la mise en service effective de l'installation, tels qu'ils ont été précisés par l'arrêté d'autorisation. (...) Dans les quinze jours qui suivent la réception de la déclaration, le préfet fait publier aux frais de l'exploitant, dans deux journaux locaux ou régionaux diffusés dans le ou les départements intéressés, un avis annonçant le dépôt de la déclaration de début d'exploitation. Dès réception, un exemplaire de la déclaration de début d'exploitation est affiché à la mairie pendant un mois au moins. Procès-verbal de l'accomplissement de cette formalité est dressé par le maire. ". Aux termes de l'article R. 512-74 dans sa version applicable à compter du 15 avril 2010 : " L'arrêté d'autorisation, l'arrêté d'enregistrement ou la déclaration cesse de produire effet lorsque, sauf cas de force majeure, l'installation n'a pas été mise en service dans le délai de trois ans ou lorsque l'exploitation a été interrompue pendant plus de deux années consécutives. " Aux termes du même article dans sa version applicable du 9 février 2012 jusqu'au 1er mars 2013 puis du 5 janvier 2013 au 1er mars 2017: " (...) Le délai de mise en service est suspendu jusqu'à la notification à l'auteur de la décision administrative ou à l'exploitant, dans les deux premières hypothèses, d'une décision devenue définitive ou, dans la troisième, irrévocable en cas de : 1° Recours devant la juridiction administrative contre l'arrêté d'autorisation, l'arrêté d'enregistrement ou la déclaration ; (...) ".

18. Il résulte de l'article 2.4 de l'arrêté du 25 mars 2008 que la société pétitionnaire doit adresser au préfet " la déclaration d'exploitation tel que prévu par l'article R. 512-44 (...) après avoir satisfait aux prescriptions mentionnées aux articles 2.5.1 à 2.5.4 ". Il résulte des articles 2.5.1 à 2.5.4 de ce même arrêté que préalablement à la mise en exploitation de la carrière, l'exploitant doit procéder au bornage des parcelles bénéficiant de l'autorisation, un réseau de déviation des eaux de ruissellement doit être mis en place de façon à rejoindre le fond de la carrière, et enfin un accès à la voie publique doit être réalisé. Il résulte de l'instruction, et notamment du procès-verbal de constat d'huissier du 19 mars 2019 que les travaux préparatoires, exigés par l'arrêté d'autorisation, n'ont pas été effectués et qu'ainsi l'installation n'a pas été mise en service au sens de l'article R. 515-44 du code de l'environnement en vigueur jusqu'au 1er janvier 2011, quand bien même la société G 2 Pierres se prévaut d'une déclaration de début d'exploitation datée 7 août 2008 qui aurait été notifiée au préfet par la société Deschiron, d'un certificat d'affichage en mairie du 7 août 2008 et d'une parution dans La Charente Libre le 7 août 2008, autant d'éléments dont elle ne justifie au demeurant pas. Toutefois, à compter du 15 avril 2010, le régime de caducité d'une autorisation d'installation classée pour l'environnement n'était plus régi par les articles R. 512-38 et R. 515-44 précités, qui ont été abrogés, mais par les dispositions de l'article R. 512-74, qui posent toujours comme condition de validité de l'autorisation la mise en service de l'installation, mais sans référence aux travaux préparatoires prescrits dans l'arrêté. Or, il résulte du constat d'huissier du 8 février 2011, confirmé sur ce point par le constat du 19 mars 2019, que l'exploitation de la carrière avait débuté, par l'extraction et le décapage de 600 m3 de terre végétale et de 2 500 m3 de volume de gisements extraits, et qu'ainsi, dès lors qu'en l'absence d'exigence particulière des textes, il n'y a caducité qu'en cas d'absence totale d'exploitation ou d'absence de fonctionnement effectif, la mise en service de l'exploitation avait bien eu lieu dans un délai de trois ans à compter de la notification de l'autorisation le 28 mars 2008. Il résulte ensuite de l'instruction que, compte tenu du recours contentieux introduit à l'encontre de l'arrêté du 25 mars 2008, la société Vinci Construction Terrassement a interrompu l'exploitation du 1er juin 2011 au 18 octobre 2016, date de la notification qui lui a été faite de la décision définitive du Conseil d'Etat. Si la société Vinci Construction Terrassement n'a alors pas repris l'exploitation, la société G 2 Pierres justifie, par les différentes pièces produites au dossier, avoir repris l'exploitation à compter du mois d'avril 2019. Dans ces conditions, et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que les travaux constatés par l'huissier en 2011 auraient été réalisés dans le seul but d'échapper à la caducité, l'exploitation a été mise en service dans le délai de trois ans à compter du jour de la notification de l'autorisation prescrit par les dispositions de l'article R. 512-74 du code de l'environnement. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué serait privé de base légale du fait de la caducité de l'arrêté du 25 mars 2008 doit être écarté.

S'agissant de l'absence de demande d'une nouvelle autorisation environnementale :

19. Aux termes de l'article L. 181-14 du code de l'environnement : " Toute modification substantielle des activités, installations, ouvrages ou travaux qui relèvent de l'autorisation environnementale est soumise à la délivrance d'une nouvelle autorisation, qu'elle intervienne avant la réalisation du projet ou lors de sa mise en œuvre ou de son exploitation. (...) ".

20. Contrairement à ce que soutient la SCI Saint-Martin, il ne résulte pas de l'instruction qu'en dehors du changement d'exploitant, une modification substantielle de l'installation aurait justifié le dépôt d'une nouvelle demande. Par suite, le moyen doit être écarté.

S'agissant de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 181-3 du code de l'environnement et de l'absence de dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées :

21. Dès lors que l'arrêté attaqué se borne à autoriser un transfert d'exploitation et ne consiste pas en une autorisation de prolongation ou de renouvellement de l'autorisation d'exploiter accordée par l'arrêté initial du 25 mars 2008, la SCI Saint-Martin ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 181-3 du code de l'environnement et de l'absence de dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées. Par suite, ces moyens doivent être écartés comme étant inopérants.

22. Il résulte de tout ce qui précède que la société G 2 Pierres est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a annulé l'arrêté du 2 avril 2019.

Sur les frais liés au litige :

23. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société G 2 Pierres la somme demandée par la SCI Saint-Martin au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de cette dernière, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 1 500 euros à verser à la société G 2 Pierres.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1902317 du 22 décembre 2021 du tribunal administratif de Poitiers est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la SCI Saint-Martin devant le tribunal administratif de Poitiers ainsi que ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : La SCI Saint-Martin versera une somme de 1 500 euros à la société G 2 Pierres sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI Saint-Martin, à la société G 2 Pierres et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera transmise à la préfète de la Charente.

Délibéré après l'audience du 23 janvier 2024 à laquelle siégeaient :

M. Luc Derepas, président de la cour,

Mme Elisabeth Jayat, présidente de chambre,

Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 février 2024.

La rapporteure,

Héloïse Pruche-MaurinLe président,

Luc Derepas

La greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 22BX00596


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX00596
Date de la décision : 13/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. DEREPAS
Rapporteur ?: Mme Héloïse PRUCHE-MAURIN
Rapporteur public ?: M. GUEGUEIN
Avocat(s) : MUNIER-APAIRE

Origine de la décision
Date de l'import : 18/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-13;22bx00596 ?
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