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08/02/2024 | FRANCE | N°23BX02166

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 08 février 2024, 23BX02166


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... E... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 7 février 2023 par lequel la préfète de la Haute-Vienne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, et a fixé le pays de renvoi.



Par un jugement n° 2300273 du 4 mai 2023, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.



Procédure devant

la Cour :



Par une requête, enregistrée le 31 juillet 2023, Mme E..., représentée par Me Cesso, demande à l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... E... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 7 février 2023 par lequel la préfète de la Haute-Vienne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2300273 du 4 mai 2023, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 31 juillet 2023, Mme E..., représentée par Me Cesso, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 4 mai 2023 ;

2°) de faire droit à sa demande de première instance ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Vienne de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou, à défaut, de réexaminer sa demande dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt, et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à verser à son conseil en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- le refus de séjour n'a pas été pris en application du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mais de l'accord franco-algérien si bien qu'il a été signé par une autorité incompétente ;

- compte tenu des particularités de sa situation, la décision de refus de séjour est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'application de l'article 7 de l'accord franco-algérien ;

- la décision de refus de séjour contestée méconnaît le 5° de l'article 6 de l'accord franco-algérien, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la préfète de la Haute-Vienne a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne régularisant pas sa situation ;

- entrant dans les catégories d'étrangers devant se voir délivrer un titre de séjour de plein droit, elle ne pouvait faire l'objet d'une mesure d'éloignement ;

- l'obligation de quitter le territoire français méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- étant femme divorcée ayant défié l'autorité de son mari, elle sera exclue socialement et familialement en Algérie.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 novembre 2023, le préfet de la Haute-Vienne conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme E... ne sont pas fondés.

La clôture de l'instruction a été fixée au 8 décembre 2023 par une ordonnance du 2 novembre 2023.

Mme E... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux du 20 juin 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 ;

- le code de justice administrative.

Le rapporteur public a été dispensé, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique, a été entendu le rapport de M. B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... E..., ressortissante algérienne née le 14 octobre 1983, est entrée en France, selon ses déclarations, le 6 août 2019, accompagnée de son fils C... D..., né le 29 octobre 2013. Elle a sollicité, le 22 novembre 2022, la délivrance d'un titre de séjour au titre du travail. Par arrêté du 7 février 2023, la préfète de la Haute-Vienne lui a opposé un refus, l'a obligée à quitter le territoire dans un délai de trente jours, et a fixé le pays de renvoi. Le tribunal administratif de Limoges, saisi par Mme E... d'une demande d'annulation de ces décisions, l'a rejetée. Mme E... relève appel de ce jugement en date du 7 février 2023.

Sur la légalité de la décision de refus de séjour :

2. En premier lieu, par l'article 1er d'un arrêté en date du 22 août 2022, régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture du même jour, la préfète de la Haute-Vienne a donné délégation à M. Jean-Philippe Aurignac, secrétaire général de la préfecture, signataire de l'arrêté contesté, délégation à l'effet de signer, dans le département de la Haute-Vienne, tous arrêtés relevant des attributions de l'Etat à l'exception des arrêtés de conflit. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'acte doit être écarté.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 7 de l'accord franco-algérien : " Les dispositions du présent article et celles de l'article 7 bis fixent les conditions de délivrance du certificat de résidence aux ressortissants algériens autres que ceux visés à l'article 6 nouveau, ainsi qu'à ceux qui s'établissent en France après la signature du premier avenant à l'accord : (...) b) Les ressortissants algériens désireux d'exercer une activité professionnelle salariée reçoivent après le contrôle médical d'usage et sur présentation d'un contrat de travail visé par les services du ministre chargé de l'emploi, un certificat de résidence valable un an pour toutes professions et toutes régions, renouvelable et portant la mention " salarié " : cette mention constitue l'autorisation de travail exigée par la législation française ; (...) ". Aux termes de l'article 9 du même accord : " Pour être admis à entrer et séjourner plus de trois mois sur le territoire français au titre des articles (...) 7 (...), les ressortissants algériens doivent présenter un passeport en cours de validité muni d'un visa de long séjour délivré par les autorités françaises ".

4. Mme E... fait valoir qu'elle a épousé, le 23 août 2011, en Algérie, M. D..., ressortissant algérien résidant en France, que celui-ci n'a jamais initié une procédure de regroupement familial, qu'elle est entrée sur le territoire français pour le rejoindre et a constaté que celui-ci était marié à une autre femme. Elle soutient que, dans ces conditions, l'absence de visa ne saurait lui être reprochée, et qu'elle justifie d'une promesse d'embauche en qualité d'employée dans l'épicerie " La graine de l'arbre du voyageur ". Toutefois, outre que la requérante ne peut utilement se prévaloir des énonciations de la circulaire du 28 novembre 2012, relatives aux conditions d'examen des demandes d'admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière, qui ne constituent que des orientations générales adressées aux préfets pour la mise en œuvre de leur pouvoir de régularisation, les circonstances alléguées ne peuvent la dispenser du visa de long séjour exigé par les stipulations de l'article 9 de l'accord franco-algérien pour exercer une activité professionnelle en France. Dans ces conditions, la préfète de la Haute-Vienne n'a commis aucune erreur manifeste d'appréciation dans l'application du b) de l'article 7 de l'accord franco-algérien en refusant de lui délivrer un certificat de résidence portant la mention " salarié " au motif qu'elle était dépourvue d'un visa de long séjour.

5. En troisième lieu, la requérante ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance des stipulations de l'article 6-5 de l'accord franco-algérien dès lors qu'elle n'a pas présenté sa demande de titre de séjour sur ce fondement et que la préfète de la Haute-Vienne n'a pas statué sur une telle demande.

6. En quatrième lieu, aux termes, de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

7. Il ressort des pièces du dossier, notamment de la plainte déposée le 25 février 2022 par la requérante, que le père de son enfant ne contribue pas financièrement à son éducation et n'exerce pas de droit de visite. Le jugement de divorce rendu le 5 janvier 2023 par le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Limoges a d'ailleurs relevé que le père de l'enfant n'avait ni vu son fils, ni pris de ses nouvelles depuis plusieurs années, et a estimé que l'intérêt de l'enfant justifiait que l'exercice de l'autorité parentale soit confié à sa mère, la requérante ne pouvant utilement soutenir que le comportement de son ex-époux serait constitutif de violences conjugales. Il ressort, par ailleurs, du formulaire de demande de titre de séjour que Mme E... ne fait état d'aucune attache familiale sur le territoire français alors qu'elle n'est pas dépourvue d'attaches familiales dans son pays d'origine, où elle a vécu jusqu'à l'âge de trente-six ans, et où résident ses parents et deux de ses frères et sœurs. Dans ces conditions, compte tenu du caractère récent de sa présence en France et de ses conditions de séjour, la préfète de la Haute-Vienne n'a pas porté au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme E... une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels la décision de refus de séjour a été prise et méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, cette autorité n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation de la situation personnelle de Mme E... en refusant de lui délivrer un titre de séjour, ni méconnu son pouvoir de régularisation.

8. En cinquième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". En l'espèce, dès lors que le père de l'enfant ne contribue pas à son entretien et à son éducation et n'entretient aucune relation avec lui, l'intérêt supérieur de l'enfant n'implique pas qu'il séjourne en France. Le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations doit être écarté.

Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :

9. Au soutien de ses moyens dirigés contre la mesure d'éloignement et tirés de la méconnaissance des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant, de l'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la mesure d'éloignement sur sa situation, et de ce qu'elle a droit à la délivrance d'un titre de séjour de plein droit, Mme E... reprend l'argumentation développée à l'encontre de la décision portant refus de séjour. Ces moyens doivent être écartés pour les mêmes motifs que ceux figurant aux points précédents.

Sur la légalité de la décision fixant l'Algérie comme pays de renvoi :

10. Le dernier alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ". Aux termes de ces dernières stipulations : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

11. Mme E... soutient qu'en cas de retour en Algérie, elle sera rejetée par sa famille et victime d'exclusion sociale compte tenu de son statut de femme divorcée ayant tenu tête à son mari. Toutefois, cette situation ne saurait être assimilée à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées ne peut qu'être écarté.

12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées par voie de conséquence.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... E... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera transmise pour information au préfet de la Haute-Vienne.

Délibéré après l'audience du 8 janvier 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Ghislaine Markarian, présidente,

M. Frédéric Faïck, président assesseur,

M. Julien Dufour, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 8 février 2024.

Le rapporteur,

Julien B...

La présidente,

Ghislaine Markarian

La greffière,

Catherine Jussy

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 23BX02166 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX02166
Date de la décision : 08/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme MARKARIAN
Rapporteur ?: M. Julien DUFOUR
Rapporteur public ?: M. DUPLAN
Avocat(s) : CESSO

Origine de la décision
Date de l'import : 18/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-08;23bx02166 ?
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