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08/02/2024 | FRANCE | N°22BX00970

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 08 février 2024, 22BX00970


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



L'établissement public Bordeaux Métropole a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner in solidum les sociétés Brochet Lajus Pueyo, L'Observatoire 1 et Cetab à lui verser la somme de 79 465,64 euros toutes taxes comprises correspondant au coût des travaux nécessaires à la levée de la réserve n° 12 émise lors de la réception du lot n° 2 " éclairage public " des travaux d'aménagement de la place de la gare Saint-Jean à Bordeaux.



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r un jugement n° 2001565 du 26 janvier 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné solidairem...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'établissement public Bordeaux Métropole a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner in solidum les sociétés Brochet Lajus Pueyo, L'Observatoire 1 et Cetab à lui verser la somme de 79 465,64 euros toutes taxes comprises correspondant au coût des travaux nécessaires à la levée de la réserve n° 12 émise lors de la réception du lot n° 2 " éclairage public " des travaux d'aménagement de la place de la gare Saint-Jean à Bordeaux.

Par un jugement n° 2001565 du 26 janvier 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné solidairement les sociétés Brochet Lajus Pueyo, L'Observatoire 1 et Cetab à verser à Bordeaux Métropole la somme de 79 465,64 euros et a condamné la société L'Observatoire 1 à garantir la société Cetab et la société Brochet Lajus Pueyo à hauteur respectivement, de 70 % et de 30 % du montant de la condamnation et la société Brochet Lajus Pueyo à garantir la société Cetab à hauteur de 30 % du montant de cette même condamnation. Enfin, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté les conclusions reconventionnelles de la société Brochet Lajus Pueyo tendant à la condamnation de l'établissement public Bordeaux Métropole à lui verser la somme de 1 163,78 euros au titre du solde de son marché.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 28 mars 2022 et le 27 décembre 2022, la SARL d'architecture Brochet Lajus Pueyo (BLP), représentée par Me Cachelou, demande à la Cour :

1°) à titre principal, d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 2001565 du 26 janvier 2022 et de rejeter la demande de première instance présentée par l'établissement public Bordeaux Métropole ;

2°) à titre subsidiaire, de condamner les sociétés L'Observatoire 1 et Cetab à la garantir des condamnations prononcées à son encontre ;

3°) de condamner l'établissement public Bordeaux Métropole à lui verser la somme de 1 163,78 euros au titre du solde de son marché, augmentée des intérêts moratoires à compter du 30 avril 2012 et des intérêts capitalisés ;

4°) de mettre à la charge de l'établissement public Bordeaux Métropole une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

En ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance de Bordeaux Métropole :

- il n'était pas justifié de l'habilitation à agir du président de Bordeaux Métropole au nom de cet établissement public de coopération intercommunale ; la délibération produite en première instance n'est pas signée et n'autorisait pas l'autorité exécutive à saisir le tribunal du litige ; il n'est pas non plus établi que cette délibération ait été affichée et transmise au représentant de l'Etat ;

En ce qui concerne la prescription de l'action exercée par Bordeaux Métropole :

- c'est à tort que les premiers juges ont fait application du délai de dix ans prévu à l'article 1792-4-3 du code civil dès lors que le litige concerne les conséquences afférentes à l'exécution d'un marché public et non la réalisation de l'ouvrage lui-même ; il convient de faire application du délai de cinq ans à compter du jour où le créancier a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance des faits lui permettant d'exercer son action ; ce jour doit être fixé au 30 mars 2010, date à laquelle la réception des travaux a été prononcée avec réserves ; aussi, Bordeaux Métropole aurait dû saisir le tribunal avant le 30 mars 2015 ; en tout état de cause, si le délai de prescription devait courir à compter de la notification du décompte général et définitif, il convient de constater qu'elle a adressé à Bordeaux Métropole son projet de décompte final en 2012 puis en 2014, et que cette dernière ne lui a jamais notifié de décompte définitif ; il en résulte que Bordeaux Métropole a tacitement accepté le projet de décompte final et que son action exercée en 2020 est prescrite ;

Au fond :

- Bordeaux Métropole n'est pas fondée à soutenir que la responsabilité de la société Brochet Lajus Pueyo (BLP) est engagée en qualité de mandataire solidaire du groupement de maîtrise d'œuvre dès lors que celui-ci n'est pas un groupement solidaire, mais conjoint ; ainsi, chaque membre du groupement est engagé pour la part du marché qui lui est attribué dans l'acte d'engagement ; en tout état de cause, l'article 3.1 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés de prestations intellectuelles (CCAG/PI) prévoit que la solidarité est limitée à la garantie de parfait achèvement, laquelle a pris fin le 30 mars 2011 alors qu'aucune action n'a été engagée par Bordeaux Métropole à l'encontre de la société BPL avant cette dernière date ;

- il résulte du rapport d'expertise ordonné par le tribunal que le désordre dont Bordeaux Métropole a demandé la réparation est imputable à un défaut de conception et de suivi dans l'exécution des travaux imputable à la société L'Observatoire 1 ;

- subsidiairement, l'expert judiciaire ne retient aucun manquement à l'encontre de la société BLP qui sera dès lors garantie des condamnations qui seraient prononcées à son encontre par les sociétés L'Observatoire 1 et Cetab dont les responsabilités ont été au contraire retenues par l'expert.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 septembre 2022, l'établissement public Bordeaux Métropole, représenté par la SELARL Cabinet Cabanes Avocats, agissant par Me Cabanes, conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

En ce qui concerne la recevabilité de sa demande de première instance :

- elle a produit la délibération autorisant le président de Bordeaux Métropole à saisir le tribunal du présent litige ; aucune disposition législative ou réglementaire n'impose la signature de la délibération à peine de nullité de cette délibération ; les formalités de publicité de la délibération ont été accomplies.

- Au fond, les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er décembre 2022, la société Groupe Centre d'études techniques Aquitaine Bâtiment (Cetab), représentée par la SELARL cabinet Aequo, agissant par Me Rooryck, conclut :

1°) à titre principal, au rejet de la requête et à la confirmation du jugement attaqué ;

2°) à titre subsidiaire, à ce que les conclusions formées par les autres parties à son encontre soient rejetées ;

3°) à titre infiniment subsidiaire, à ce qu'elle soit garantie des condamnations prononcées à son encontre par les sociétés Brochet Lajus Pueyo et L'Observatoire 1 ;

4°) à ce qu'il soit mis à la charge de la société Brochet Lajus Pueyo une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.

La requête a été communiquée à Me A..., liquidateur de la société L'Observatoire 1, qui n'a pas produit d'observations.

Par ordonnance du 11 mai 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 5 juin 2023 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code des marchés publics ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;

- le cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés de prestations intellectuelles approuvé par le décret n° 78-1306 du 26 décembre 1978 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- les conclusions de M. Duplan, rapporteur public,

- et les observations de Me Cachelou pour la société Brochet Lajus Pueyo, de Me Habibi Alaoui, substituant Me Cabanes, pour l'établissement public Bordeaux Métropole, et de Me Le Pennec, substituant Me Rooryck, pour la société Groupe Cetab.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre de l'opération " Pôle intermodal Saint-Jean ", la communauté urbaine de Bordeaux, aux droits de laquelle est venue l'établissement public Bordeaux Métropole, a décidé de réaménager le parvis principal de la gare Saint-Jean en y faisant réaliser des travaux d'infrastructures comprenant des voies aménagées, un terminal pour bus, des plantations, du mobilier urbain et un éclairage public. L'établissement public Bordeaux Métropole a confié la maîtrise d'œuvre de ce projet à un groupement d'entreprises conjoint composé des sociétés Brochet Lajus Pueyo (BLP), mandataire solidaire, L'Observatoire 1, CETAB et Haristoy Paysagiste selon un acte d'engagement signé le 12 septembre 2005 pour un montant de

920 353 euros hors taxes, soit 1 100 742,18 euros toutes taxes comprises. Les travaux comportaient quatre lots, dont le lot n° 2 " éclairage public " attribué à la société Spie Sud-Ouest, devenue Spie City Networks, par un acte d'engagement du 22 août 2007.

2. La réception des travaux du lot n°2 a été prononcée le 30 mars 2010 avec plusieurs réserves dont la réserve n° 12, relative au mauvais positionnement du mât d'éclairage situé place Casablanca. A la demande de la société Spie City Networks, le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a, par ordonnance du 3 mai 2012, désigné un expert chargé de déterminer si la réserve n° 12 était justifiée et de se prononcer par ailleurs sur les causes de l'allongement des délais d'exécution du chantier. L'expert a déposé un premier rapport le 27 février 2014 traitant du bien-fondé de la réserve n° 12, puis un second rapport le 18 janvier 2018 analysant les causes de l'allongement des travaux. L'établissement public Bordeaux Métropole a ensuite saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'une demande tendant à la condamnation in solidum des sociétés BLP, CETAB et L'Observatoire 1 à lui verser la somme de 79 465,64 euros toutes taxes comprises représentant le montant des travaux nécessaires à la levée de la réserve relative au positionnement du mât situé place Casablanca.

3. Par un jugement rendu le 26 janvier 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné solidairement les sociétés BLP, L'Observatoire 1 et CETAB à verser à Bordeaux Métropole la somme de 79 465,64 euros toutes taxes comprises. Statuant sur les appels en garantie présentées devant lui, le tribunal a jugé que la société CETAB serait garantie par la société L'Observatoire 1 à hauteur de 70 % du montant de la condamnation prononcée, et par la société BLP à hauteur de 30 % de ce même montant. Le tribunal a également jugé que la société BLP serait garantie par la société L'Observatoire 1 à hauteur de 70 % de la condamnation. La société BLP demande à la Cour d'annuler le jugement du tribunal du 26 janvier 2022 et, subsidiairement, de condamner les sociétés L'Observatoire 1 et CETAB à la garantir des condamnations prononcées à son encontre. Elle demande, par ailleurs, à la Cour de condamner Bordeaux Métropole à lui verser la somme de 1 163,78 euros au titre du solde de son marché. La société CETAB conclut, devant la Cour, à la confirmation du jugement attaqué et, à titre subsidiaire, à ce qu'elle soit garantie des condamnations prononcées à son encontre par la société BLP et la société L'Observatoire 1.

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

4. Aux termes de l'article L. 5211-2 du code général des collectivités territoriales : " Les dispositions du chapitre II du titre II du livre premier de la deuxième partie relative au maire et aux adjoints sont applicables au président et aux membres de l'organe délibérant des établissements publics de coopération intercommunale (...) ". Aux termes de l'article L. 5211-9 du même code : " Le président est l'organe exécutif de l'établissement public de coopération intercommunale. (...) Il représente en justice l'établissement public de coopération intercommunale (...) ". Aux termes de l'article L. 5211-10 de ce code : " Le président, les vice-présidents ayant reçu délégation ou le bureau dans son ensemble peuvent recevoir délégation d'une partie des attributions de l'organe délibérant (...) ". En application des dispositions de l'article L. 2122-22 inclus dans le chapitre II du titre II du livre premier du code général des collectivités territoriales : " Le maire peut, en outre, par délégation du conseil municipal, être chargé, en tout ou partie, et pour la durée de son mandat : / (...) 16° D'intenter au nom de la commune les actions en justice ou de défendre la commune dans les actions intentées contre elle, dans les cas définis par le conseil municipal (...) ". Il résulte de ces dispositions que l'organe délibérant d'un établissement public de coopération intercommunale peut légalement donner à l'organe exécutif une délégation générale pour ester en justice au nom de l'établissement.

5. En premier lieu, en application des dispositions précitées du code général des collectivités territoriales, le conseil de la métropole de Bordeaux Métropole a, selon le point VI de la délibération du 7 mars 2019, autorisé son président à " ester en justice et représenter Bordeaux Métropole devant toute juridiction, tant en défense qu'en action ". Contrairement à ce que soutient la société BLP, cette délibération habilitait ainsi le président de Bordeaux Métropole à saisir le tribunal administratif d'une action tendant à engager la responsabilité des maîtres d'œuvre à raison des désordres ayant fait l'objet de la réserve n° 12 annexée au procès-verbal de réception du marché en litige.

6. En deuxième lieu, s'agissant du respect des formalités relatives à leur signature, les délibérations adoptées par l'organe délibérant d'un établissement public de coopération intercommunale sont soumises aux dispositions spéciales de l'article L. 2121-23 du code général des collectivités territoriales, lesquelles ne sont pas prescrites à peine de nullité de ces délibérations. En conséquence, la société BLP ne peut utilement soutenir que le président de Bordeaux Métropole a été irrégulièrement habilité à saisir les premiers juges en l'absence de signature de la délibération précitée par les membres présents à la séance du 7 mars 2019. Par ailleurs, si la société requérante ajoute, en appel, que l'absence de signature d'une délibération ne permet pas d'établir avec certitude l'existence de cette délibération, cette seule circonstance ne permet pas d'estimer que le conseil de métropole ne se serait, en réalité, pas réuni pour habiliter son président à ester en justice, comme l'allègue la société BLP sans produire d'autres éléments en ce sens.

7. En troisième lieu, il ressort des mentions portées sur la délibération du 7 mars 2019, lesquelles font foi jusqu'à preuve contraire, que celle-ci a été régulièrement affichée et transmise au représentant de l'Etat. Cette délibération était ainsi exécutoire lorsque le président de Bordeaux Métropole a, sur son fondement, saisi le tribunal administratif de Bordeaux.

8. Il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que les premiers juges ont écarté la fin de non-recevoir tirée du défaut d'habilitation à agir du président de Bordeaux Métropole.

Sur la responsabilité des maîtres d'œuvre :

En ce qui concerne l'exception de prescription :

9. D'une part, aux termes de l'article 2224 du code civil : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ". Le recours d'un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant relève de ces dispositions et se prescrit, en conséquence, par cinq ans à compter du jour où le premier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

10. D'autre part, aux termes de l'article 1792 du code civil : " Tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. / (...) ". Aux termes de l'article 1792-1 du même code : " Est réputé constructeur de l'ouvrage : 1° Tout architecte, entrepreneur, technicien ou autre personne liée au maître de l'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage (...) ". Selon l'article 1792-4-3 du même code : " En dehors des actions régies par les articles 1792-3, 1792-4-1 et 1792-4-2, les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs désignés aux articles 1792 et 1792-1 (...) se prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux. ". Ces dispositions, créées par la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, figurant dans une section du code civil relative aux devis et marchés et insérées dans un chapitre consacré aux contrats de louage d'ouvrage et d'industrie, ont vocation à s'appliquer aux actions en responsabilité dirigées par le maître de l'ouvrage contre les constructeurs ou leurs sous-traitants. L'action en responsabilité contractuelle exercée par Bordeaux Métropole, maître de l'ouvrage, est dirigée contre les membres du groupement de maîtrise d'œuvre, dont la société Brochet Lajus Pueyo, lesquels ont la qualité de constructeurs au sens des dispositions précitées de l'article 1792-4-3 du code civil, qui est applicable à une telle action alors même qu'elle ne concerne pas un désordre affectant la solidité de l'ouvrage ou le rendant impropre à sa destination. Dès lors, ces dispositions et le délai de prescription décennale qu'elles prévoient étaient applicables au litige, et non le délai de prescription de droit commun de cinq ans, prévu par l'article 2224 du code civil.

11. Il est constant que la réception des travaux a été prononcée le 30 mars 2010, avec une réserve relative à l'implantation du mât d'éclairage sur la place Casablanca, qui n'a pas été levée. L'action en responsabilité contractuelle de Bordeaux Métropole dirigée contre le groupement de maîtrise d'œuvre à raison des désordres entraînés par l'erreur dans le positionnement du mât n° 12 a été introduite devant le tribunal administratif de Bordeaux le 27 mars 2020, soit avant l'expiration du délai décennal prévu à l'article 1792-3-4 précité du code civil. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont écarté l'exception de prescription opposée par la société BLP.

En ce qui concerne la condamnation solidaire prononcée à l'encontre de la société BLP :

12. Il résulte de l'instruction que le groupement de maîtrise d'œuvre était, s'agissant du lot n°2 en litige, chargé d'une mission de maîtrise d'œuvre complète incluant les missions avant-projet (AVP), projet (PRO), assistance pour la passation des marchés de travaux (ACT), examen de la conformité au projet aux documents d'exécution (VISA), direction de l'exécution des travaux (DET) et assistance aux opérations de réception (AOR). La société BLP conteste le jugement attaqué en ce qu'il l'a condamnée solidairement avec les sociétés L'Observatoire 1 et CETAB à réparer l'intégralité des désordres litigieux au motif que le groupement qu'elle formait avec ces dernières avait un caractère conjoint et non solidaire.

13. Aux termes de l'article 3 du cahier des clauses administratives générales des marchés de prestations intellectuelles (CCAG/PI) applicable au marché conformément à l'article 3.2 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) : " 3.1. Co-traitants. Au sens du présent document, les titulaires sont considérés comme groupés et sont appelés "cotraitants" s'ils ont souscrit un acte d'engagement unique. Les cotraitants sont soit solidaires, soit conjoints. Les cotraitants sont solidaires lorsque chacun d'eux est engagé pour la totalité du marché et doit pallier une éventuelle défaillance de ses partenaires ; l'un d'entre eux, désigné dans l'acte d'engagement comme mandataire, représente l'ensemble des cotraitants vis-à-vis de la personne responsable du marché. Les cotraitants sont conjoints lorsque chacun d'eux n'est engagé que pour la partie du marché qu'il exécute ; toutefois, l'un d'entre eux, désigné dans l'acte d'engagement comme mandataire, est solidaire de chacun des autres dans les obligations contractuelles de celui-ci à l'égard de la personne responsable du marché, jusqu'à la date où ces obligations prennent fin ; cette date est soit l'expiration de la garantie technique prévue à l'article 34, soit, à défaut de garantie technique, la date de prise d'effet de la réception des prestations. Le mandataire représente, jusqu'à la date ci-dessus, l'ensemble des cotraitants conjoints vis-à-vis de la personne responsable du marché pour exécution de ce dernier. ".

14. Il résulte de l'instruction que le groupement de maîtrise d'œuvre constitué des sociétés BLP, CETAB Ingénierie, L'Observatoire 1 et Haristoy a le caractère d'un groupement conjoint, avec la société BLP pour mandataire solidaire. Si la société BLP soutient que sa responsabilité en tant que mandataire solidaire a pris fin à l'expiration du délai de garantie de parfait achèvement en application des stipulations précitées de l'article 3 du CCAG-PI, l'établissement public Bordeaux Métropole ne recherche pas sa responsabilité en tant que mandataire du groupement de maîtrise d'œuvre, mais dirige son action en responsabilité contractuelle contre certains membres du groupement de maîtrise d'œuvre. En outre, l'acte d'engagement du marché de maîtrise d'œuvre, s'il mentionne " concepteur lumière " pour la société L'Observatoire 1, ne comporte pas la répartition détaillée des prestations à exécuter par chacun des membres du groupement, mais seulement une répartition des honoraires. Ainsi, chaque membre du groupement était tenu envers le maître d'ouvrage de l'exécution de l'ensemble des prestations contractuelles et, par suite, et ainsi que l'a jugé à bon droit le Tribunal, l'établissement public Bordeaux Métropole est fondé à demander la condamnation solidaire des sociétés BLP, L'Observatoire 1 et CETAB.

Sur l'appel en garantie formé par la société BLP :

15. Dans le cadre de l'exécution du lot n° 2 " éclairage public " qui lui a été confié, la société Spie Sud-Ouest était chargée de l'implantation de douze mâts de grande hauteur devant assurer l'éclairage des infrastructures de la gare. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise déposé le 27 février 2014, que l'implantation du mât d'éclairage situé place Casablanca a dû être modifiée après la découverte de réseaux souterrains sous l'emplacement initialement prévu. Toutefois, en raison du lieu choisi pour sa nouvelle implantation, effectuée le 24 novembre 2009, le mât n° 12 a empiété, compte tenu de son inclinaison, sur la rue Eugène Le Roy, empêchant ainsi le passage des véhicules de grande hauteur, ce qui a conduit l'établissement public Bordeaux métropole à supprimer la circulation en double sens dans cette rue. Il résulte en effet de l'instruction et notamment du rapport d'expertise, que l'implantation du mât était inadéquate compte tenu de son inclinaison. Or, cette nouvelle implantation a été imposée à la société Spie City Networks par la société L'Observatoire 1, qui avait conçu le mât et qui s'est abstenue de demander la modification de son inclinaison, tandis que le relevé topographique de cette nouvelle implantation a été transmis à la société BLP qui l'a validé le 15 septembre 2009 sans émettre la moindre réserve. Dans ces conditions, la société BLP, qui était chargée d'une mission de base incluant notamment la conception et le suivi des travaux, n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Bordeaux a jugé qu'elle avait commis une faute dans l'exécution de ses prestations vis-à-vis du maître de l'ouvrage.

16. Au regard des fautes ainsi commises, c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu que la responsabilité de la société L'Observatoire 1 était engagée à hauteur de 70 % du montant des travaux de réparation d'un montant 79 465,64 euros toutes taxes comprises, la responsabilité de la société BLP étant fixée à hauteur de 30 % de ce même montant. Par suite, la société BLP n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné la société L'Observatoire 1 à la garantir à hauteur de 70 % seulement des conséquences dommageables des désordres en litige. Enfin, c'est également à bon droit que le tribunal administratif de Bordeaux a jugé que la société CETAB, qui était seulement chargée de l'étude de l'alimentation électrique du mât et non de son positionnement, serait intégralement garantie par les sociétés L'Observatoire 1 et BLP des condamnations prononcées à son encontre.

Sur la demande de la société BLP de paiement du solde de son marché :

17. Aux termes de l'article 6.4 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) applicable au marché en litige : " Après constatation de l'achèvement de sa mission dans les conditions prévues à l'article 26, l'Architecte ou le Paysagiste adresse au maître d'ouvrage une demande de paiement du solde sous forme d'un projet de décompte final (...) ". Aux termes de l'article 26 du même CCAP : " Achèvement de la mission. (...) L'achèvement de la mission fera l'objet d'une décision de réception établie sur la demande de l'architecte ou du paysagiste par le maître de l'ouvrage dans les conditions de l'article 33 du CCAG/PI et constatant que le titulaire a rempli toutes ses obligations ". Aux termes de l'article 40.1 du CCAG/PI : " Tout différend entre le titulaire et la personne responsable du marché doit faire l'objet, de la part du titulaire, d'un mémoire en réclamation qui doit être remis à la personne responsable du marché. ".

18. Dès lors que la réserve n° 12 consignée sur le procès-verbal de réception du 30 mars 2010 n'a jamais été levée, l'achèvement de la mission de maîtrise d'œuvre n'a pu être constatée dans les conditions prévues à l'article 26 précité du CCAP, ainsi que l'établissement public Bordeaux Métropole l'a d'ailleurs rappelé au maître d'œuvre dans son courriel du 21 décembre 2016. Cette circonstance ne fait toutefois pas obstacle à ce que la société BLP, laquelle est condamnée à verser au maître de l'ouvrage une somme correspondant au montant des travaux nécessaires à la réparation du mât n° 12, sollicite le paiement du solde de son marché. La société BLP ne justifie pas davantage en appel avoir notifié son décompte final par la production de sa " note d'honoraires " datée du 7 juillet 2014, le courriel précité de Bordeaux Métropole du

21 décembre 2016 l'invitant à cet égard à adresser son projet de l'ensemble du marché de maîtrise d'œuvre. En outre, il appartenait à la société BLP, alors même que le maître de l'ouvrage ne lui a notifié aucun décompte général, d'adresser à ce dernier le mémoire en réclamation prévu à l'article 40.1 précité du CCAG/PI, ainsi qu'il est soutenu en défense. Faute d'avoir présenté un tel mémoire, la société BLP n'est pas recevable à demander la condamnation de Bordeaux Métropole à lui verser la somme de 1 163,78 euros au titre du solde de son marché.

19. Il résulte de tout ce qui précède que la société BLP n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort, que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux l'a condamnée, solidairement avec les sociétés L'Observatoire 1 et CETAB, à verser à l'établissement public Bordeaux Métropole la somme 79 465,64 euros, a condamné la société L'Observatoire à la garantir à hauteur de 70 % de la condamnation et l'a elle-même condamnée à garantir la CETAB à hauteur de 30 % de cette même condamnation.

Sur les frais d'instance :

20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle aux conclusions présentées par la société BLP tendant à ce que l'établissement public Bordeaux Métropole, qui n'est pas la partie perdante à l'instance, lui verse une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu de faire application de ces mêmes dispositions en mettant à la charge de la société BLP une somme de 1 500 euros au titre des frais, non compris dans les dépens, exposés tant par Bordeaux Métropole que par la société CETAB.

DECIDE

Article 1er : La requête de la société Brochet Lajus Pueyo est rejetée.

Article 2 : La société Brochet Lajus Pueyo versera à l'établissement public Bordeaux Métropole et à la société CETAB chacun une somme de 1 500 euros chacun au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Brochet Lajus Pueyo, à l'établissement public Bordeaux Métropole, à la société CETAB et à M. C... A..., liquidateur de société l'Observatoire 1.

Délibéré après l'audience du 8 janvier 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Ghislaine Markarian, présidente,

M. Frédéric Faïck, président-assesseur,

M. Julien Dufour, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 février 2024.

Le rapporteur,

Frédéric B...

La présidente,

Ghislaine Markarian

La greffière,

Catherine Jussy

La République mande et ordonne au préfet de la Gironde en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 22BX00970 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX00970
Date de la décision : 08/02/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme MARKARIAN
Rapporteur ?: M. Frédéric FAÏCK
Rapporteur public ?: M. DUPLAN
Avocat(s) : SELARL CABANES AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 18/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-08;22bx00970 ?
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