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30/01/2024 | FRANCE | N°22BX02075

France | France, Cour administrative d'appel, 5ème chambre, 30 janvier 2024, 22BX02075


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. et Mme B... ont demandé au tribunal administratif de Limoges de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2013, et la société civile immobilière (SCI) Carolisa 1 a demandé à cette juridiction la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015.
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Par un jugement n° 2000697, 2000700, 2000701 du 25 mai 2022, le tribunal administratif d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme B... ont demandé au tribunal administratif de Limoges de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2013, et la société civile immobilière (SCI) Carolisa 1 a demandé à cette juridiction la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015.

Par un jugement n° 2000697, 2000700, 2000701 du 25 mai 2022, le tribunal administratif de Limoges a déchargé, d'une part, les époux B... en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquels ils ont été assujettis au titre de l'année 2013 en tant seulement que l'administration fiscale s'est fondée, pour la détermination des bases imposables, sur des distributions occultes de bénéfices à hauteur de 200 000 euros et non de 163 000 euros et, d'autre part, la SCI Carolisa 1, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015 en tant seulement que, pour remettre en cause une partie des dotations aux amortissements et des intérêts d'emprunt qu'elle a déclarés, le service s'est fondé sur un écart de 200 000 euros et non de 163 000 euros entre le prix convenu de vente de l'ensemble immobilier sis 33 Sagnat à Bessines-sur-Gartempe et la valeur vénale de ce bien et a rejeté le surplus des demandes.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête et des mémoires enregistrés sous le n° 22BX02076 les 22 juillet 2022 et 6 mars 2023, M. et Mme B..., représentés par Me Batol, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2000697, 2000700, 2000701 du tribunal administratif de Limoges du 25 mai 2022 ;

2°) à titre principal, de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, et des contributions sociales, auxquels ils ont été assujettis au titre de l'année 2013 et de l'ensemble des majorations afférentes ;

3°) à titre subsidiaire, de prononcer cette décharge à concurrence d'un prix de cession qui doit être établi à un montant de 95 600 euros et non 163 000 euros ;

4°) à titre subsidiaire, de prononcer la décharge de l'intégralité des pénalités ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, l'immeuble cédé présente des caractéristiques exceptionnelles qui apportent une plus-value considérable à l'ensemble immobilier, tel que cela ressort du rapport d'expertise réalisé en janvier 2017 ;

- les termes de comparaison sur lesquels s'est appuyée l'administration ne peuvent être retenus dès lors qu'ils ne sont assortis d'aucun descriptif précis des caractéristiques des différents biens comparés et qu'ils n'équivalent pour la plupart pas au bien cédé ; seule l'appréciation de l'expert immobilier qu'ils ont diligenté, rehaussée d'une survalorisation du fait de la baisse des prix depuis 2012, doit être retenue ; c'est d'ailleurs la position de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ;

- en admettant la valeur vénale retenue par le tribunal de 337 000 euros, ce montant doit toutefois être rehaussé dès lors que les premiers juges admettent eux-mêmes que le prix de cession puisse être de 20% supérieur à sa valeur vénale ; dès lors, la survaleur du bien doit être diminuée d'autant pour être fixée à 95 600 euros et non 163 000 euros ;

- l'acte anormal de gestion n'est pas constitué dès lors que le prix de cession de l'ensemble immobilier est conforme au prix du marché et que la vente a été consentie dans l'intérêt de la société Carolisa 1 qui a pour projet de développer une activité de location saisonnière sous forme de gîte ; qu'importe le rendement locatif qui a suivi la vente, dont il n'est d'ailleurs pas établi qu'il soit particulièrement faible compte tenu des caractéristiques de la location et du fait qu'elle leur a été consentie dans l'attente de la réalisation du projet ;

- à supposer qu'il y ait acte anormal de gestion, ce dernier doit être évalué à 95 600 euros et non à 163 000 euros ;

- ils n'ont pas commis de manquement délibéré justifiant une majoration de 40% en application des dispositions de l'article 1729 du code général des impôts.

Par des mémoires enregistrés les 27 décembre 2022 et 12 octobre 2023, ce dernier n'ayant pas été communiqué, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens développés par les requérants ne sont pas fondés.

II. Par une requête et des mémoires enregistrés les 22 juillet 2022 et 6 mars 2023 sous le n° 22BX02075, la SCI Carolisa 1, représentée par Me Batol, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2000697, 2000700, 2000701 du tribunal administratif de Limoges du 25 mai 2022 ;

2°) à titre principal, de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015, et de l'ensemble des majorations afférentes ;

3°) à titre subsidiaire, de prononcer cette décharge à concurrence d'un prix de cession qui doit être établi à un montant de 95 600 euros et non 163 000 euros ;

4°) à titre subsidiaire, de prononcer la décharge de l'intégralité des pénalités ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, l'immeuble cédé présente des caractéristiques exceptionnelles qui apportent une plus-value considérable à l'ensemble immobilier, tel que cela ressort du rapport d'expertise réalisé en janvier 2017 ;

- les termes de comparaison sur lesquels s'est appuyée l'administration ne peuvent être retenus dès lors qu'ils ne sont assortis d'aucun descriptif précis des caractéristiques des différents biens comparés et qu'ils n'équivalent pour la plupart pas au bien cédé ; seule l'appréciation de l'expert qu'elle a diligenté, rehaussée d'une survalorisation du fait de la baisse des prix depuis 2012, doit être retenue ; c'est d'ailleurs la position de la commission départementale des impôts direct et des taxes sur le chiffre d'affaires ;

- en admettant la valeur vénale retenue par le tribunal de 337 000 euros, ce montant doit toutefois être rehaussé dès lors que les premiers juges admettent eux-mêmes que le prix de cession puisse être de 20% supérieure à sa valeur vénale ; dès lors la survaleur du bien doit être diminuée d'autant pour être fixée à 95 600 euros et non 163 000 euros ;

- l'acte anormal de gestion n'est pas constitué dès lors que le prix de cession de l'ensemble immobilier est conforme au prix du marché et que la vente a été consentie dans son intérêt dès lors qu'elle a pour projet de développer une activité de location saisonnière sous forme de gîte ; qu'importe le rendement locatif qui a suivi la vente, dont il n'est d'ailleurs pas établi qu'il soit particulièrement faible compte tenu des caractéristiques de la location et du fait qu'elle a été consentie dans l'attente de la réalisation du projet ;

- à supposer qu'il y ait acte anormal de gestion, ce dernier doit être évalué à 95 600 euros et non à 163 000 euros ;

- elle n'a pas commis de manquement délibéré justifiant une majoration de 40% en application des dispositions de l'article 1729 du code général des impôts.

Par des mémoires enregistrés les 27 décembre 2022 et 12 octobre 2023, ce dernier n'ayant pas été communiqué, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens développés par la requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D...,

- les conclusions de M. Gueguein, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société civile immobilière (SCI) Carolisa 1, créée en 2007, exerce une activité de location de biens immobiliers. Elle a pour associés uniques et co-gérants M. A... et Mme C... B.... Par un acte authentique du 15 mars 2013, elle a acquis pour une somme de 500 000 euros, un ensemble immobilier situé au 33 Sagnat à Bessines-sur-Gartempe appartenant aux époux B... et qui constituait leur résidence principale. L'administration fiscale a procédé à une vérification de comptabilité de la SCI du 10 octobre au 23 novembre 2016 au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015. Par une première proposition de rectification du 15 décembre 2016, le service a informé la société qu'il estimait la valeur vénale de ce bien à 300 000 euros, soit un écart de 200 000 euros, et qu'il en déduisait que cet écart constituait une libéralité consentie par la SCI à ses associés, constitutif d'un acte anormal de gestion. Par une seconde proposition de rectification du même jour, le service a informé les époux B... que ces derniers devaient être regardés comme ayant perçu, à hauteur de cette somme de 200 000 euros, des revenus distribués qualifiés d'avantages occultes au sens du c de l'article 111 du code général des impôts. En conséquence, le service a, d'une part, réintégré dans les bases de l'impôt sur les sociétés des amortissements ainsi que toutes les charges et les intérêts d'emprunt afférents à la fraction du prix d'acquisition considérée comme excessive, et assujetti la SCI Carolisa 1 à des suppléments d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015 pour un montant total en droits et pénalités de 13 374 euros et, d'autre part, mis à la charge des époux B... des suppléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre de l'année 2013, pour un montant total, en droits et pénalités, de 210 144 euros. Ces impositions supplémentaires ont été recouvrées les 29 septembre et 31 octobre 2018. Par les présentes requêtes, la SCI Carolisa 1 et M. et Mme B..., relèvent appel du jugement du 25 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Limoges les a respectivement déchargés en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et d'impôt sur le revenu et des contributions sociales en tant seulement que l'administration fiscale s'est fondée, pour la détermination des bases imposables, sur des distributions occultes de bénéfices à hauteur de 200 000 euros et non de 163 000 euros, et a rejeté le surplus de leurs demandes.

2. Les requêtes n° 22BX02075, présentée par la société Carolisa 1, et 22BX02076, présentée par les époux B..., sont relatives à un même jugement et présentent à juger des questions communes. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un même arrêt.

Sur les conclusions aux fins de décharge :

En ce qui concerne les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales mises à la charge des époux B... :

3. Aux termes de l'article 111 du code général des impôts : " Sont notamment considérés comme revenus distribués (...) c. Les rémunérations et avantages occultes. ".

4. En cas d'acquisition par une société à un prix que les parties ont délibérément majoré par rapport à la valeur vénale de l'objet de la transaction, ou, s'il s'agit d'une vente, délibérément minoré, sans que cet écart de prix comporte de contrepartie, l'avantage ainsi octroyé doit être requalifié comme une libéralité représentant un avantage occulte constitutif d'une distribution de bénéfices au sens des dispositions de l'article 111, c du code général des impôts, alors même que l'opération est portée en comptabilité et y est assortie de toutes les justifications concernant son objet et l'identité du cocontractant, dès lors que cette comptabilisation ne révèle pas, par elle-même, la libéralité en cause. La preuve d'une telle distribution occulte doit être regardée comme apportée par l'administration lorsqu'est établie l'existence, d'une part, d'un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé, d'autre part, d'une intention pour la société d'octroyer et pour le cocontractant de recevoir une libéralité du fait des conditions de la cession. En outre, la présomption d'intention libérale peut résulter des liens familiaux qui unissent les parties au litige.

5. Lorsque l'administration fiscale procède à l'évaluation de la valeur vénale d'un bien en se référant à des transactions qui ont porté sur des immeubles situés à proximité du lieu de situation de celui-ci, il lui appartient de retenir des termes de comparaison relatifs à des ventes qui ont porté sur des biens similaires intervenues à une date peu éloignée dans le temps de celle du fait générateur de l'imposition. En l'absence de toute équivalente, l'appréciation de la valeur vénale doit être faite en utilisant les méthodes d'évaluation qui permettent d'obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et de la demande à la date où l'acquisition est intervenue.

6. Il résulte de l'instruction que l'ensemble immobilier situé au 33 Sagnat à Bessines-sur-Gartempe est constitué d'une maison d'habitation, d'une piscine et de plusieurs dépendances sur un terrain clos d'environ 2 123 m². Classé en zone naturelle du plan local d'urbanisme de la commune, il s'implante, en mitoyenneté d'autres maisons, dans un hameau proche de l'étang de Sagnat, à environ 2 km du centre-bourg de Bessines-sur-Gartempe situé à environ 25 minutes au nord de Limoges en empruntant l'autoroute A20. S'agissant du corps de ferme, maison d'habitation principale des époux B..., datant des années 1900 et qui a fait l'objet d'une rénovation complète en 2001, il se compose, en rez-de-chaussée, d'une entrée, d'une cuisine aménagée, d'un cellier, d'un grand salon avec cheminée centrale et mezzanine, d'une salle à manger avec cheminée, et d'un WC avec lave-mains, au premier étage, de trois chambres, d'une salle de bain avec WC et d'un dressing, et au second étage, d'un grenier réaménagé en grande chambre avec une salle d'eau et un WC. S'agissant des dépendances, elles se composent, en dehors du local technique de la piscine, d'une grange aménagée avec une cuisine d'été et un four à pain, de trois granges utilisées en garage de 20, 45 et 59 m² et enfin d'une petite maison mitoyenne d'une surface de 64 m², en très mauvais état dont il résulte de l'instruction que le plancher qui sépare le rez-de-chaussée de l'étage n'existe plus, que l'escalier est inutilisable, que l'électricité et la plomberie sont absentes ou non fonctionnelles et que le toit est constitué de plaques de fibrociment amiantées. Comme relevé par les premiers juges, il résulte de l'instruction que la surface utile habitable du bien s'établit à 248 m² dès lors que le grenier, réaménagé en surface habitable, doit être pris en compte mais qu'aucune des dépendances ne peut être considérée comme habitable.

7. Il résulte de l'instruction que l'administration a retenu comme éléments de comparaison, pour évaluer la valeur vénale du corps de ferme, trois ventes publiées au service de la publicité foncière de Limoges les 29 décembre 2011, 13 septembre 2012 et 6 décembre 2012. La première est relative à une maison située au 8 Montanaud à Saint-Amand-Magnazeix construite en 1880 sur un terrain d'une superficie totale de 1307 m². Ce bien est classée en catégorie cadastrale 5 (sans caractère particulier et qualité de construction bonne), il dispose de 8 pièces sur 3 niveaux et d'une surface utile de 235 m² pour la partie principale et de 40 m² pour les dépendances (grange à usage de garage) et d'une piscine. Le bien était libre d'occupation au moment de la vente qui s'est effectuée au prix de 270 000 euros soit 1 149 euros par m². La deuxième est une maison à usage d'habitation située 25 Santrop à Razès, construite en 1890 puis réhabilité en 2007 sur un terrain d'une superficie totale de 606 m². Cadastrée en catégorie 5, elle dispose de 6 pièces sur deux niveaux et dispose d'une surface habitable de 203 m² et d'un garage double non attenant. Le bien était libre d'occupation au moment de la vente qui est intervenue pour un montant de 220 000 euros, soit un prix de 1 084 euros par m². La dernière est une maison à usage d'habitation située 7 route de Roussac à Chamboret. La maison a été construite en 1900 sur un terrain d'une superficie totale de 1 045 m². De catégorie cadastrale 6 (sans caractère particulier et qualité de construction courante), elle comporte 3 niveaux et dispose d'une surface utile habitable de 180 m² et de diverses dépendances d'une surface au sol de 90 m². Le bien était libre d'occupation au moment de la vente et a été cédé pour un prix de 190 000 euros, soit un prix au mètre carré de 1 056 euros par m². Le service vérificateur en a déduit un prix moyen au m² de 1 096 euros et a retenu pour le corps de ferme une valeur vénale de 240 572 euros, porté à 271 808 euros par le tribunal administratif pour prendre en compte l'ensemble de la surface utile habitable de 248 m², comme indiqué au point précédent, et non 219,5 m² comme l'avait retenu l'administration.

8. S'agissant de la valeur vénale de la petite maison mitoyenne en très mauvais état, qui n'est pas contestée par les requérants, le service s'est appuyé, comme l'a relevé le tribunal administratif sur trois ventes de maisons en mauvais état situées dans les communes de Laurière, de Saint-Sornin-Leulac et de Bessines-sur-Gartempe, conclues les 13 juin 2012, 9 juillet 2012 et 4 septembre 2012. Il en a déduit un prix moyen au m² de 162 euros et une valeur vénale pour la maison mitoyenne de 56 m² de surface utile habitable, de 9 072 euros.

9. Les requérants contestent les éléments de comparaison détaillés au point 7 et s'appuient notamment sur le rapport daté du 30 novembre 2017 de l'expert immobilier qu'ils ont diligenté pour établir la valeur vénale de leur bien. Il résulte de l'instruction que cet expert a évalué cette valeur selon deux méthodes, une méthode de " comparaison directe " qui résulte de la comparaison avec d'autres ventes, et une méthode dite " par le revenu " qui consiste à capitaliser la valeur locative de marché du bien. L'expert a ensuite fait la moyenne de l'évaluation retenue par ces deux méthodes, majorée de 55 000 euros afin de prendre en compte la rénovation de qualité effectuée, la valeur des garages ainsi que la piscine et la petite maison mitoyenne, et le tout majoré de 14% pour prendre en compte la dépréciation du marché entre 2012 et 2017. L'expert retient au final une valeur vénale de l'ensemble immobilier de 392 000 euros, reprise " aux environs de 390 000 euros " par la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires dans son avis du 19 juin 2018. Toutefois, il résulte de l'instruction que les comparatifs retenus par l'expert, servant notamment de base à la méthode de " comparaison directe ", reposent sur trois ventes datées de plus de trois années après la cession du bien en litige, 2016 et 2017 pour une cession intervenue en 2013, alors même qu'il est constant que le marché immobilier a été très fluctuant pendant cette période. En outre, il ne résulte pas de l'instruction, et notamment des photos annexées au rapport de l'expert, que le corps de ferme, certes rénové en 2001 et répertorié en catégorie cadastrale 4 (belle apparence et qualité de construction bonne), présente des caractéristiques " exceptionnelles " qu'il s'agisse des matériaux utilisés ou de particularités architecturales. Enfin, si les comparatifs retenus par l'administration ne correspondent pas en tout point au bien litigieux, les ventes ont été réalisées à des dates peu éloignées dans le temps et concernent des immeubles situés dans des communes rurales géographiquement proches et comparables à Bessines-sur-Gartempe. En outre, pour prendre en compte les différences d'entretien, d'esthétique et d'emplacement, notamment au regard des commerces ou établissement scolaires, l'administration a appliqué un taux de majoration de 20% de la valeur du bien obtenue en multipliant le prix moyen au m² par le nombre de m².

10. Il résulte de ce qui précède que, comme retenu par le tribunal administratif, la valeur vénale de l'ensemble immobilier situé au 33 Sagnat à Bessines-sur-Gartempe aussi voisine que possible du prix qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et de la demande à la date de la vente conclue en 2013 au profit E... 1, s'établit à 337 000 euros. Dans ces conditions, le prix de cession de 500 000 euros est supérieur de plus de 47% à la valeur vénale de ce bien au moment de la vente, soit un taux nettement supérieur à celui de 20% généralement admis. Par suite, l'écart entre le prix de vente et la valeur vénale présente un caractère significatif. Ainsi, et compte tenu du fait que les époux B... sont les seuls associés E... 1 faisant présumer l'intention libérale, l'administration apporte la preuve de l'existence d'une libéralité, à hauteur d'une somme de 163 000 euros, représentant un avantage occulte constitutif d'une distribution de bénéfices au sens du c de l'article 111 du code général des impôts.

En ce qui concerne les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à la charge E... 1 :

11. Aux termes de l'article 38 du code général des impôts : " (...) le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises, y compris notamment les cessions d'éléments quelconques de l'actif, soit en cours, soit en fin d'exploitation ". Aux termes de l'article 39 de ce code : " le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges ". En vertu de ces dispositions combinées, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt.

12. S'agissant de la cession d'un élément d'actif immobilisé, lorsque l'administration, qui n'a pas à se prononcer sur l'opportunité des choix de gestion opérés par une entreprise, soutient que la cession a été réalisée à un prix significativement supérieur à la valeur vénale qu'elle a retenue et que le contribuable n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause cette évaluation, elle doit être regardée comme apportant la preuve du caractère anormal de l'acte de cession si le contribuable ne justifie pas que l'appauvrissement qui en est résulté a été décidé dans l'intérêt de l'entreprise, soit que celle-ci se soit trouvée dans la nécessité de procéder à la cession à un tel prix, soit qu'elle en ait tiré une contrepartie.

13. Il résulte de ce qui a été dit aux points 9 et 10 du présent arrêt que les éléments apportés par les requérants ne permettent pas de remettre en cause l'évaluation retenue par l'administration et augmentée par le tribunal administratif, de la valeur vénale de l'ensemble immobilier situé au 33 Sagnat à Bessines-sur-Gartempe, qui est significativement inférieure au prix de cession consenti. Par suite, et alors que la société requérante, qui a d'ailleurs commencé par consentir un bail aux époux B... au lieu de développer l'activité de location de gîte qui avait justifié son achat, ne justifie pas qu'un tel prix ait été pratiqué dans son intérêt, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve du caractère anormal de l'acte de cession, à hauteur du surpaiement de 163 000 euros. Dans ces conditions, et dans la mesure de ce surpaiement, les charges d'amortissement et d'emprunt relatives à cet achat et déduites par la société au titre des trois exercices vérifiés ont été à bon droit réintégrées dans son résultat imposable.

Sur les pénalités :

14. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt (...) entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ". Il incombe à l'administration, en application des dispositions de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales, d'établir l'absence de bonne foi du contribuable pour justifier de l'application d'une telle majoration.

15. Il résulte de ce qui précède que l'écart entre le prix de vente de l'ensemble immobilier et sa valeur vénale est significatif. Si les requérants se prévalent, au soutien de leur bonne foi, de deux avis de valeur réalisés préalablement à la vente les 5 et 13 juin 2012, il résulte de l'instruction que compte tenu de la profession de M. B..., gérant de la holding B... elle-même dirigeante de la société B... BTP, spécialisée dans les travaux de réhabilitation, de gros œuvre, de terrassement et de génie civil, ces derniers, seuls associés de la société Carolisa 1, ne pouvaient ignorer que les avis étaient surévalués. Ainsi, et alors que les époux B... doivent ainsi être regardés comme des acteurs avertis du marché, l'administration établit le manquement délibéré justifiant l'application des pénalités précitées.

16. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme B... et la société Carolisa 1 ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Limoges a rejeté, à hauteur des sommes restant en litige, leurs demandes de décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, et de contributions sociales auxquels ils ont été assujettis au titre de l'année 2013 et des suppléments d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015, et de l'ensemble des majorations afférentes.

Sur les frais liés au litige :

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une quelconque somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

DECIDE :

Article 1 : Les requêtes de M. et Mme B... et E... 1 sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... F... B..., à Mme C... B..., à la SCI Carolisa 1 et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Une copie en sera adressée pour information à la direction régionale de contrôle fiscal du Sud-ouest.

Délibéré après l'audience du 9 janvier 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, présidente,

M. Sébastien Ellie, premier conseiller,

Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 janvier 2024.

La rapporteure,

Héloïse D...

La présidente,

Elisabeth Jayat

La greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 22BX02075, 22BX02076


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX02075
Date de la décision : 30/01/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: Mme Héloïse PRUCHE-MAURIN
Rapporteur public ?: M. GUEGUEIN
Avocat(s) : BATOL;BATOL;BATOL

Origine de la décision
Date de l'import : 04/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-30;22bx02075 ?
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