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16/01/2024 | FRANCE | N°23BX02309

France | France, Cour administrative d'appel, 5ème chambre, 16 janvier 2024, 23BX02309


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... E... C... et Mme D... épouse C... ont demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler les arrêtés pris à leur encontre, respectivement les 1er août 2022 et 8 août 2022, par lesquels le préfet de La Réunion a refusé de leur délivrer un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans un délai d'un mois, a désigné le pays de destination et a prononcé à leur encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une

durée de deux ans.



Par un jugement n°2201367, 2201368 du 26 juillet 2023, le tribunal ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... E... C... et Mme D... épouse C... ont demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler les arrêtés pris à leur encontre, respectivement les 1er août 2022 et 8 août 2022, par lesquels le préfet de La Réunion a refusé de leur délivrer un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans un délai d'un mois, a désigné le pays de destination et a prononcé à leur encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par un jugement n°2201367, 2201368 du 26 juillet 2023, le tribunal administratif de La Réunion a annulé ces deux arrêtés et a enjoint au préfet de La Réunion de leur délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter du jugement à intervenir.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête enregistrée le 25 août 2023 sous le n°23BX02309, le préfet de La Réunion demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de La Réunion du 26 juillet 2023 en tant qu'il concerne Mme C....

Il soutient que :

- en considérant que la présence actuelle en France de M. C... ne constituait pas une menace à l'ordre public, le tribunal administratif de La Réunion a commis une erreur d'appréciation ; en effet, le comportement et les faits graves commis par M. C... le 31 août 2021 au sein d'un local de la Croix rouge, qui ont nécessité l'intervention du RAID, ont troublé l'ordre public alors même que le requérant a été jugé irresponsable pénalement pour ces faits, d'autant que l'intéressé a été condamné à des mesures de sûreté pour une durée de cinq ans, ce qui démontre que le risque de réitération de faits similaires ou aussi graves est bien réel ; en outre, d'autres faits répréhensibles ont été commis par M. C..., puisqu'une plainte a été déposée à son encontre par un ressortissant sri-lankais, le 22 avril 2019, pour violence ayant entraîné une incapacité de travail n'excédant pas 8 jours et le requérant a participé à l'organisation du transport illégal de 62 migrants à destination de La Réunion au mois de décembre 2018 ;

- la situation de M. et Mme C... ne suffit à caractériser ni des circonstances humanitaires, ni des motifs exceptionnels de nature à permettre la délivrance d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- concernant la situation de Mme C..., il souhaite reprendre l'ensemble des moyens opposés dans ses mémoires en défense de première instance.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 novembre 223, Mme C..., représentée par Me Djafour, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros à verser à son conseil, Me Djafour, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- le préfet a méconnu l'autorité de la chose jugée par le tribunal administratif de La Réunion dans son jugement du 15 novembre 2021 ;

- son époux ne représente pas une menace pour l'ordre public ;

- le préfet a, à tort, soutenu que son époux et elle n'étaient pas insérés dans la société française.

Mme C... a été maintenue de plein droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 novembre 2023.

II. Par une requête enregistrée le 25 août 2023 sous le n°23BX02310, le préfet de La Réunion demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de La Réunion du 26 juillet 2023 en tant qu'il concerne M. C....

Il soutient que :

- en considérant que la présence actuelle en France de M. C... ne constituait pas une menace à l'ordre public, le tribunal administratif de La Réunion a commis une erreur d'appréciation ; en effet, le comportement et les faits graves commis par M. C... le 31 août 2021 au sein d'un local de la Croix rouge, qui ont nécessité l'intervention du RAID, ont troublé l'ordre public alors même que le requérant a été jugé irresponsable pénalement pour ces faits, d'autant que l'intéressé a été condamné à des mesures de sûreté pour une durée de cinq ans, ce qui démontre que le risque de réitération de faits similaires ou aussi graves est bien réel ; en outre, d'autres faits répréhensibles ont été commis par M. C..., puisqu'une plainte a été déposée par un ressortissant sri-lankais, le 22 avril 2019, à son encontre pour violence ayant entraîné une incapacité de travail n'excédant pas 8 jours et le requérant a participé à l'organisation du transport illégal de 62 migrants à destination de La Réunion au mois de décembre 2018 ;

- la situation de M. et Mme C... ne suffit à caractériser ni des circonstances humanitaires, ni des motifs exceptionnels de nature à permettre la délivrance d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- concernant la situation de M. C..., il souhaite reprendre l'ensemble des moyens opposés dans ses mémoires en défense de première instance.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 novembre 2023, M. C..., représenté par Me Djafour, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros à verser à son conseil, Me Djafour, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- le préfet a méconnu l'autorité de la chose jugée, qui s'attache au motif et au dispositif du jugement du 15 novembre 2021 ;

- il ne représente pas une menace pour l'ordre public ;

- le préfet a, à tort, soutenu que son épouse et lui n'étaient pas insérés dans la société française.

M. C... a été maintenu de plein droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 novembre 2023.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 ;

- les arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne C-383/13 du 10 septembre 2013, C-166/13 du 5 novembre 2014 et C-249/13 du 11 décembre 2014 ;

- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Edwige Michaud, rapporteure, a été entendu au cours de l'audience publique

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ressortissant sri-lankais, né le 21 février 1988 à Chilaw (Sri Lanka) et son épouse, Mme C..., ressortissante sri-lankaise, née le 8 avril 1991 également à Chilaw, sont entrés à La Réunion le 14 décembre 2018 par voie maritime avec leurs trois enfants. Leurs demandes d'asile ont été rejetées par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le 12 avril 2019 dont les décisions ont été confirmées par des décisions du 19 août 2021 de la Cour nationale du droit d'asile. Par deux arrêtés du 25 août 2021, le préfet de La Réunion leur a fait obligation de quitter le territoire français et a prononcé à leur encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Par des jugements n° 2101155, 2101412 et 2101154 du 15 novembre 2021 et du 30 juin 2022, le tribunal administratif de La Réunion a annulé les arrêtés du 25 août 2021 et a enjoint au préfet de La Réunion d'enregistrer la demande de titre de séjour présentée par M. C... au titre de son état de santé et de réexaminer la situation de M. et Mme C... dans le délai de trois mois. Par deux arrêtés des 1er et 8 août 2022, le préfet de La Réunion, réexaminant la situation des intéressés, a refusé de leur délivrer un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans un délai d'un mois, a fixé leur pays de destination et a prononcé à leur encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Par un jugement n°2201367, 2201368 du 26 juillet 2023, dont le préfet fait appel, le tribunal administratif de La Réunion, saisi par M. et Mme C..., a annulé les deux arrêtés des 1er et 8 août 2022.

Sur la jonction :

2. Les requêtes enregistrées sous les nos 23BX02309 et 23BX02310 présentent à juger des questions communes. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul et même arrêt.

Sur les motifs d'annulation retenus par le tribunal :

3. Pour annuler les arrêtés des 1er et 8 août 2022, le tribunal administratif de La Réunion a jugé, d'une part, que le préfet de La Réunion a entaché l'arrêté du 1er août 2022 pris à l'encontre de M. C... d'une erreur d'appréciation en retenant que sa présence en France constitue une menace pour l'ordre public, et d'autre part, que les arrêtés des 1er et 8 août 2022 sont entachés d'une erreur manifeste d'appréciation dans la mesure où l'admission au séjour de M. et Mme C... répond à des considérations humanitaires et se justifie par des motifs exceptionnels.

4. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 412-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La circonstance que la présence d'un étranger en France constitue une menace pour l'ordre public fait obstacle à la délivrance et au renouvellement de la carte de séjour temporaire, de la carte de séjour pluriannuelle et de l'autorisation provisoire de séjour prévue aux articles L. 425-4 ou L. 425-10 ainsi qu'à la délivrance de la carte de résident et de la carte de résident portant la mention " résident de longue durée-UE ". ". D'autre part, aux termes de l'article 706-136 du code de procédure pénale : " Lorsque la chambre de l'instruction ou une juridiction de jugement prononce un arrêt ou un jugement de déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, elle peut ordonner à l'encontre de la personne les mesures de sûreté suivantes, pendant une durée qu'elle fixe et qui ne peut excéder dix ans en matière correctionnelle et vingt ans si les faits commis constituent un crime ou un délit puni de dix ans d'emprisonnement : 1° Interdiction d'entrer en relation avec la victime de l'infraction ou certaines personnes ou catégories de personnes, et notamment les mineurs, spécialement désignées ; 2° Interdiction de paraître dans tout lieu spécialement désigné ; 3° Interdiction de détenir ou de porter une arme ; (...) ; Ces interdictions, qui ne peuvent être prononcées qu'après une expertise psychiatrique, ne doivent pas constituer un obstacle aux soins dont la personne est susceptible de faire l'objet. ". Aux termes de l'article D. 47-29-6 du même code : " Les mesures de sûreté prévues à l'article 706-136 ne peuvent être prononcées par la juridiction que s'il apparaît, au moment où la décision est rendue et au vu des éléments du dossier et notamment de l'expertise de l'intéressé, qu'elles sont nécessaires pour prévenir le renouvellement des actes commis par la personne déclarée pénalement irresponsable, pour protéger cette personne, pour protéger la victime ou la famille de la victime, ou pour mettre fin au trouble à l'ordre public résultant de la commission de ces actes. / Ces mesures ne peuvent être prononcées à titre de sanction contre l'intéressé. ".

5. Il ressort des pièces du dossier et notamment des procès-verbaux de police datés du 31 août 2021 que quelques jours après le rejet définitif de sa demande d'asile et de la décision portant obligation de quitter le territoire du 25 août 2021, M. C..., hébergé dans un centre d'hébergement d'urgence pour demandeurs d'asile (HUDA) de la Croix rouge, a menacé de mort le personnel du centre, armé d'une hache et d'une machette, de sorte que le personnel, l'une des filles de A... et Mme C... et un autre enfant de la structure ont dû se réfugier dans une pièce pour se mettre à l'abri. Il ressort également des pièces du dossier que l'intéressé a alors tenté de rentrer dans cette pièce en donnant des coups de hache sur la porte et en brisant une vitre, qu'il est ensuite retourné dans son appartement et que ses actes ont nécessité l'intervention en urgence d'une unité d'intervention spécialisée de la police nationale, l'unité recherche, assistance, intervention, dissuasion (RAID) qui est parvenu à maitriser l'intéressé. Il ressort encore des pièces du dossier que ces faits ont entraîné plusieurs arrêts de travail du personnel de l'association responsable du centre d'hébergement et que certains d'entre eux ont porté plainte à l'encontre de M. C.... Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que M. C... a été placé en détention provisoire le 3 septembre 2021 pour des faits d'enlèvement, séquestration ou détention arbitraire suivi d'une libération avant le septième jour et de violence avec usage ou menace d'une arme sans incapacité et de dégradation ou détérioration d'un bien appartenant à autrui. Le tribunal judiciaire de Saint-Denis de La Réunion, à l'issue d'une audience correctionnelle du 27 octobre 2021 a déclaré que M. C... avait commis ces faits, l'a déclaré irresponsable pénalement en raison d'un trouble psychique ou neuro-psychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes au moment des faits, au vu des conclusions du rapport d'expertise psychiatrique de l'intéressé, a mis fin à la détention provisoire de l'intéressé et a prononcé à son encontre des mesures de sûreté d'une durée de 5 ans, à savoir une interdiction de paraître dans les locaux de la Croix rouge, une interdiction d'entrer en contact avec les victimes des infractions de dégradation et de violence, et une interdiction de détenir ou porter une arme. En outre, les requérants ne contestent pas qu'une plainte a été déposée par un ressortissant sri-lankais, le 22 avril 2019, à l'encontre de M. C... pour violence ayant entraîné une incapacité de travail n'excédant pas huit jours et que ce dernier a participé à l'organisation du transport illégal de 62 migrants à destination de La Réunion au mois de décembre 2018. Compte-tenu de la nature de l'ensemble de ces faits, notamment les faits de violence, mettant en danger des personnes, de leur gravité et de leur caractère récent, faits qui ont d'ailleurs justifié des mesures de sûreté ainsi qu'il a été dit ci-dessus, le préfet de La Réunion n'a pas entaché son arrêté d'illégalité en estimant que la présence en France de M. C... constituait une menace pour l'ordre public, quand bien même les faits ont été commis sous l'effet des troubles psychiques dont souffre l'intéressé.

6. En second lieu, aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention (...) " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. ".

7. M. et Mme C... se prévalent de la gravité de leur état psychologique respectif, du suivi au centre médico-psychologique de Saint-Benoit dont Mme C... fait l'objet et de l'hospitalisation sous contrainte de M. C... à l'établissement public de santé mentale de La Réunion. Ils soutiennent également qu'ils sont les parents de quatre enfants, dont l'un est né à La Réunion, que leurs trois enfants les plus âgés sont scolarisés à la Réunion et que Mme C... suit des cours de français à La Réunion. Toutefois, Mme C... n'avait pas déposé de demande de titre de séjour en qualité d'étranger malade à la date de l'arrêté du 8 août 2022 et le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a estimé, sans que les pièces du dossier ne permettent de mettre en doute cette appréciation, dans un avis du 25 mars 2022, que le défaut de prise en charge médicale de l'état de santé de M. C... ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Par ailleurs, il ressort des pièces des dossiers que M. et Mme C... ne sont entrés en France qu'en 2018, après avoir passé l'essentiel de leur vie au Sri-Lanka où sont nés leurs trois premiers enfants. Dans ces conditions, et eu égard au comportement récent de M. C... constitutif d'une menace à l'ordre public, les requérants ne justifient pas de motifs exceptionnels ou de considérations humanitaires de nature à justifier la délivrance d'un titre de séjour " vie privée et familiale " sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors même que Mme C... suit des cours de français, que trois des enfants des requérants sont scolarisés à La Réunion et que ces derniers ne maitriseraient pas encore complètement leur langue natale.

8. Dans ces conditions, c'est à tort que, par le jugement contesté, le premier juge a retenu les moyens rappelés au point 3. Il appartient donc à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. et Mme C... devant le tribunal administratif de La Réunion et devant la cour.

Sur les autres moyens :

En ce qui concerne les refus de délivrance d'un titre de séjour :

9. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ".

10. Compte tenu des circonstances exposées au point 7, le moyen tiré de ce que les décisions attaquées ont méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

En ce qui concerne les obligatio0ns de quitter le territoire français et les décisions fixant le délai de départ volontaire :

11. En premier lieu, par un jugement du 15 novembre 2021, le président du tribunal administratif de La Réunion a annulé l'arrêté du 25 août 2021 par lequel le préfet de La Réunion a refusé l'admission au séjour de M. C..., l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai d'un mois, a fixé le pays de destination, a interdit son retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, a effectué un signalement aux fins de non-admission dans le système d'information de Schengen pour la durée de l'interdiction de retour et a retiré son attestation de demande d'asile et a enjoint au préfet de La Réunion d'enregistrer la demande de titre de séjour en tant qu'étranger malade et de réexaminer sa situation en raison du défaut d'examen attentif de la situation personnelle de M. C.... Les époux C... soutiennent que le préfet ne pouvait prendre, les 1er et 8 août 2022, une nouvelle mesure d'éloignement à leur encontre en se fondant sur des faits déjà invoqués par le préfet dans un précédent arrêté de 2021 et dans les écritures en défense du préfet devant le tribunal. La référence à ces faits ne révèle toutefois pas une méconnaissance de la chose jugée par le tribunal dans son jugement du 15 novembre 2021 dès lors que le moyen d'annulation retenu par le tribunal dans ce jugement est le défaut d'examen de la situation de l'intéressé et qu'avant de prendre son nouvel arrêté du 1er août 2022, le préfet a bien examiné la demande de titre de séjour en qualité d'étranger malade de M. C... ainsi que sa situation personnelle et familiale. Le moyen tiré de la méconnaissance de la chose jugée soulevé à l'encontre des obligations de quitter le territoire français attaquées doit donc être écarté.

12. En deuxième lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions, organes et organismes de l'Union ". Aux termes du paragraphe 2 de ce même article : " Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 51 de la Charte : " Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions, organes et organismes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux Etats membres uniquement lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union (...) ".

13. Les dispositions de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicables au présent litige, sont issues de dispositions de la loi du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité qui ont procédé à la transposition, dans l'ordre juridique interne, des objectifs de la directive du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. Elles ne prévoient pas de droit pour un étranger à être entendu dans le cadre de la procédure de prise d'une décision l'obligeant à quitter le territoire français.

14. Ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a jugé, notamment par son arrêt C-383/13 M. A..., N. R./Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie du 10 septembre 2013 visé ci-dessus, les auteurs de la directive du 16 décembre 2008, s'ils ont encadré de manière détaillée les garanties accordées aux ressortissants des Etats tiers concernés par les décisions d'éloignement ou de rétention, n'ont pas précisé si et dans quelles conditions devait être assuré le respect du droit de ces ressortissants d'être entendus, qui fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union européenne. Si l'obligation de respecter les droits de la défense pèse en principe sur les administrations des Etats membres lorsqu'elles prennent des mesures entrant dans le champ d'application du droit de l'Union, il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles doit être assuré, pour les ressortissants des Etats tiers en situation irrégulière, le respect du droit d'être entendu. Ce droit, qui se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts, ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.

15. Dans le cadre ainsi posé, et s'agissant plus particulièrement des décisions relatives au séjour des étrangers, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé, dans ses arrêts C-166/13 Sophie Mukarubega du 5 novembre 2014 et C-249/13 Khaled Boudjlida du 11 décembre 2014 visés ci-dessus, que le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Ce droit n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement.

16. Enfin, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de son arrêt du 10 septembre 2013 cité au point 14, que toute irrégularité dans l'exercice des droits de la défense lors d'une procédure administrative concernant un ressortissant d'un pays tiers en vue de son éloignement ne saurait constituer une violation de ces droits et, en conséquence, que tout manquement, notamment, au droit d'être entendu n'est pas de nature à entacher systématiquement d'illégalité la décision prise. Il revient à l'intéressé d'établir devant le juge chargé d'apprécier la légalité de cette décision que les éléments qu'il n'a pas pu présenter à l'administration auraient pu influer sur le sens de cette décision et il appartient au juge saisi d'une telle demande de vérifier, lorsqu'il estime être en présence d'une irrégularité affectant le droit d'être entendu, si, eu égard à l'ensemble des circonstances de fait et de droit spécifiques de l'espèce, cette violation a effectivement privé celui qui l'invoque de la possibilité de mieux faire valoir sa défense dans une mesure telle que cette procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent.

17. M. et Mme C... ne justifient d'aucun élément propre à leur situation qu'ils auraient été privés de faire valoir et qui, s'ils avaient été en mesure de l'invoquer préalablement, aurait été de nature à influer sur le sens des décisions prises par le préfet de La Réunion, la scolarisation à La Réunion de trois de leurs enfants alléguée par les requérants, notamment, ayant bien été prise en considération par le préfet dans les arrêtés attaqués. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu doit être écarté.

18. En troisième lieu, compte- tenu des circonstances exposées au point 7, le moyen tiré de ce que les décisions attaquées ont méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

19. En quatrième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ".

20. Les décisions attaquées ne font pas obstacle à ce que M. et Mme C... quittent le territoire français avec leurs enfants ni à ce que leurs enfants poursuivent leur scolarité. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit être écarté.

En ce qui concerne les interdictions de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans :

21. En premier lieu, aux termes de l'article L. 613-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) les décisions d'interdiction de retour (...) prévues aux articles (...) L. 612-8 (...) sont distinctes de la décision portant obligation de quitter le territoire français. Elles sont motivées. ". Aux termes de l'article L. 612-8 du même code : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 (...) ".

22. Les décisions attaquées visent l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et mentionnent les obligations de quitter le territoire français du 25 août 2021 annulées par le jugement du tribunal administratif de La Réunion du 15 novembre 2021, que M. et Mme C... sont entrés en France le 14 décembre 2018 aux âges respectifs de 30 ans et 27 ans, qu'ils n'établissent aucun lien avec la France, qu'ils ne justifient pas l'absence d'attaches dans leur pays d'origine et que les faits commis par M. C... sur le territoire français constituent une menace pour l'ordre public. Il ne ressort d'aucune pièce du dossier que Mme C... serait entrée régulièrement sur le territoire français ni, en tout état de cause, que l'interdiction de retour sur le territoire français prise à son encontre et qui fait état de son entrée irrégulière sur le territoire français serait entachée d'une erreur sur ce point. En outre, contrairement à ce que soutiennent les requérants, les décisions attaquées ne sont pas contradictoires en ce qui concerne leur insertion dans la société française. Par suite, les interdictions de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans prises à l'encontre de M. et Mme C... sont suffisamment motivées.

23. En deuxième lieu, compte-tenu des circonstances exposées au point 7, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

24. En troisième lieu, la seule circonstance tirée de la scolarisation des enfants de A... et Mme C... en France ne suffit pas à traduire une méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant dès lors qu'ainsi que le fait valoir le préfet de La Réunion, il ne ressort pas des pièces du dossier que leur scolarisation ne pourrait se poursuivre au Sri-Lanka.

25. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de La Réunion est fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge a annulé les arrêtés des 1er août et 8 août 2022 et les demandes de première instance de M. et Mme C... doivent être rejetées, y compris leurs conclusions à fins d'injonction sous astreinte.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de La Réunion n°2201367, 2201368 du 26 juillet 2023 est annulé.

Article 2 : Les demandes présentées par M. et Mme C... devant le tribunal administratif de La Réunion sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... E... C..., à Mme D... épouse C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de La Réunion.

Délibéré après l'audience du 12 décembre 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, présidente,

M. Sébastien Ellie, premier conseiller,

Mme Edwige Michaud, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 janvier 2024

La rapporteure,

Edwige MichaudLa présidente,

Elisabeth Jayat

La greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 23BX02309,23BX02310


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX02309
Date de la décision : 16/01/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: Mme Edwige MICHAUD
Rapporteur public ?: M. GUEGUEIN
Avocat(s) : DJAFOUR;DJAFOUR;DJAFOUR

Origine de la décision
Date de l'import : 21/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-16;23bx02309 ?
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