La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/11/2023 | FRANCE | N°23BX01167

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 16 novembre 2023, 23BX01167


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 4 août 2022 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans, et d'enjoindre sous astreinte à la préfète de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour ou, à défaut, de procéder a

u réexamen de sa situation et, dans cette attente, de lui délivrer une autorisation ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 4 août 2022 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans, et d'enjoindre sous astreinte à la préfète de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation et, dans cette attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour.

Par un jugement n° 2204580 du 5 décembre 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande de Mme A....

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 29 avril 2023, Mme A..., représentée par Me Hugon, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 5 décembre 2022 du tribunal administratif de Bordeaux ;

2°) d'annuler l'arrêté du 4 août 2022 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans ;

3°) d'enjoindre à la préfète de la Gironde, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de l'expiration d'un délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir, de lui délivrer un titre de séjour ou, à défaut, de procéder, dans les mêmes conditions d'astreinte et de délai, au réexamen de sa situation et, dans cette attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

En ce qui concerne la régularité du jugement :

- le tribunal administratif, en lui opposant une clôture d'instruction au 6 octobre 2022, a violé les dispositions de l'article R. 776-26 du code de justice administrative, dès lors qu'en vertu de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'instruction ne pouvait être close qu'après la formulation de ses observations orales ;

- les premiers juges ont commis une omission à statuer, dès lors qu'ils n'ont pas répondu au moyen tiré de la violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales soulevé à l'encontre de la décision fixant le pays de renvoi ;

En ce qui concerne la décision portant refus de séjour :

- la préfète ne s'est pas livrée à un examen particulier de sa demande de titre de séjour dès lors que la décision ne mentionne pas le lourd handicap de son époux ; bien qu'ayant déposé une demande de titre par courrier recommandé, elle n'a jamais été mise en possession d'un récépissé de demande de titre, en violation de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; alors qu'elle sollicitait un " regroupement familial " avec son époux, sa demande n'a pas été examinée sur le fondement des dispositions de l'article

L. 423-23 ;

- cette décision viole l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; le titre de séjour de son époux aurait dû être renouvelé car son état de santé ne s'est pas amélioré, et les soins médicaux dont il a besoin ne sont pas accessibles en Albanie ; son époux a besoin de sa présence, ils vivent en France depuis

quatre ans et ont noué de nombreux liens, et elle dispose d'une promesse d'embauche ;

- En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

- elle est illégale en raison de l'illégalité du refus de séjour ;

- pour les mêmes raisons que celles exposées à l'encontre du refus de séjour, elle viole les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :

- elle viole l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la préfète s'est crue en situation de compétence liée du fait du refus d'asile opposé à son époux ; ce dernier a déjà été victime d'une vendetta en Albanie et sa vie est menacée en cas de retour dans ce pays, où le code de l'honneur par le sang (kanoun) est toujours pratiqué ;

En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :

- elle est illégale par exception d'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen de sa situation, notamment au regard de son insertion sur le territoire français et de la situation médicale de son époux, et d'erreur d'appréciation ;

Par un mémoire en défense enregistré le 16 juin 2023, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'en l'absence de nouveaux éléments produits en appel, il s'en rapporte à son mémoire en défense de première instance, qu'il produit.

Par une décision du 26 janvier 2023, l'aide juridictionnelle totale a été accordée à Mme A....

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D...,

- et les observations de Me Hugon, représentant Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... A..., ressortissante albanaise née en 1988, est entrée en France le 2 juillet 2018 selon ses déclarations, accompagnée de son époux de même nationalité,

M. E... A.... A la suite du rejet de leurs deux demandes d'asile par une décision du

19 avril 2019 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) qui a statué en procédure accélérée, Mme A... et son époux ont fait l'objet, par deux arrêtés de la préfète de la Gironde du 21 juin 2019, de décisions de refus de séjour, assorties d'obligations de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de renvoi. Les recours présentés à l'encontre de ces arrêtés ont été rejetés par deux jugements du tribunal administratif de Bordeaux du 6 septembre 2019, et les appels de M. et Mme A... ont également été rejetés, par deux ordonnances de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 16 avril 2020. M. A... s'est par la suite vu délivrer un titre de séjour en raison de son état de santé, valable du 6 novembre 2020 au 6 juin 2021. Il a sollicité le renouvellement de ce titre le 9 avril 2021, Mme A... ayant quant à elle sollicité son admission exceptionnelle au séjour. Par deux arrêtés du 4 août 2022, la préfète de la Gironde a rejeté leurs demandes, a assorti ces refus d'obligations de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, en prononçant une interdiction de retour sur le territoire français de deux ans à l'encontre de Mme A.... Cette dernière relève appel du jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 5 décembre 2022 qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 4 août 2022 la concernant.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes du deuxième alinéa de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-2 à R. 611-6. ". Aux termes de l'article R. 613-1 du même code : " Le président de la formation de jugement peut, par une ordonnance, fixer la date à partir de laquelle l'instruction sera close. ". Aux termes de l'article R. 613-3 du même code : " Les mémoires produits après la clôture de l'instruction ne donnent pas lieu à communication, sauf réouverture de l'instruction. ".

3. Si le juge a toujours la faculté, dans l'intérêt d'une bonne justice, de tenir compte d'un mémoire dont il est saisi postérieurement à la clôture de l'instruction, après avoir rouvert celle-ci et soumis ce mémoire au débat contradictoire, il n'est tenu de le faire, à peine d'irrégularité de sa décision, que si ce mémoire contient l'exposé soit d'une circonstance de fait dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction écrite et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit d'une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d'office. S'il s'abstient de rouvrir l'instruction, le juge doit se borner à viser la production sans l'analyser et ne peut la prendre en compte sans entacher sa décision d'irrégularité.

4. Il ressort des pièces du dossier de première instance que, par une ordonnance du 6 septembre 2022, la clôture d'instruction avait été fixée au 6 octobre 2022. Le mémoire et les pièces complémentaires produits par Mme A..., enregistrés les 8 octobre et 21 novembre 2022, soit après la clôture d'instruction, sont visés par le jugement. Ce mémoire et ces pièces ne contenant pas l'exposé de circonstances de fait ou de droit nouvelles que Mme A... n'était pas en mesure d'invoquer avant la clôture de l'instruction, le président de la formation de jugement a pu régulièrement décider de ne pas rouvrir l'instruction, et donc de ne pas les communiquer. La requérante ne saurait invoquer utilement les dispositions de l'article R. 776-26 du code de justice administrative relatives à la clôture de l'instruction à l'audience, dès lors qu'elles ne sont applicables qu'en cas de placement en rétention ou d'assignation à résidence, ce qui n'était pas son cas.

5. En second lieu, le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de renvoi contreviendrait aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales a été invoqué pour la première fois par la requérante dans son mémoire du 8 octobre 2022, enregistré après la clôture de l'instruction. Pour les raisons exposées au point précédent, ce mémoire n'ayant pas été communiqué, le tribunal administratif n'était pas tenu de répondre à ce nouveau moyen, et n'a donc ainsi pas commis d'omission à statuer.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne le refus de séjour :

6. Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale" d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. /(...). " aux termes de l'article L. 435-1 du même code : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. "

7. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme A... a sollicité son admission exceptionnelle au séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, devenu l'article L. 435-1, et du 7° de l'article L. 313-11, devenu l'article L. 423-23, en invoquant la présence de son conjoint handicapé et de son enfant. Pour rejeter sa demande, la préfète a relevé, notamment, qu'elle ne justifiait pas d'une ancienneté de présence significative, qu'elle n'était pas isolée dans son pays d'origine où elle avait vécu jusqu'à l'âge de 30 ans et où résident ses parents et son frère, que son enfant âgé de 3 ans n'avait pu, du fait de son jeune âge, établir de liens particuliers sur le territoire français, que son époux avait également fait l'objet d'un arrêté de refus de séjour avec obligation de quitter le territoire français, et enfin qu'elle était démunie de ressources personnelles et ne justifiait d'aucune situation professionnelle. Il ressort de cette motivation, pertinente au regard des dispositions des articles L. 435-1 et L. 423-23, que la préfète a procédé à l'examen de la situation particulière de la requérante.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

9. Mme A... fait valoir que son époux est gravement handicapé, qu'il a besoin en permanence de son assistance et qu'il ne pourrait recevoir des soins adaptés à son état de santé en Albanie. Elle fait également valoir qu'elle est insérée dans la société française où elle a noué des contacts, et qu'elle dispose d'une promesse d'embauche. Cependant, d'une part, le même jour que le présent arrêt, la cour a rejeté l'appel de M. A... à l'encontre du jugement ayant rejeté sa demande d'annulation du refus de titre de séjour qui lui a été opposé 4 août 2022 par la préfète de la Gironde, au motif qu'un défaut de prise en charge médicale ne devrait pas entraîner de conséquences d'une exceptionnelle gravité. D'autre part, Mme A... et son époux ne résidaient en France que depuis quatre ans à la date de l'arrêté attaqué la promesse d'embauche qu'elle produit en appel est postérieure à cet arrêté, et les quelques attestations de voisins ou de connaissances, ainsi que celle du responsable du Secours catholique de Villenave d'Ornon, qu'elle verse aux débats, ne démontrent pas l'existence de liens intenses. Ainsi, rien ne fait obstacle à ce que la cellule familiale, soit les deux époux avec leur jeune fils né à Talence le 31 juillet 2019, puisse se reconstituer en Albanie, pays dans lequel Mme A... a vécu jusqu'à l'âge de 30 ans et où elle ne démontre pas être dépourvue d'attaches familiales. Dans ces conditions, la préfète de la Gironde, en édictant la décision de refus de séjour en litige, n'a pas porté au droit de Mme A... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs qui lui ont été opposés, et n'a méconnu ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni les dispositions de de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

10. En premier lieu, le refus de séjour contesté n'étant pas entaché des illégalités alléguées, le moyen tiré de l'exception d'illégalité de cette décision, soulevé à l'encontre de la décision portant obligation de quitter le territoire français, doit être écarté.

11. En second lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 9, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté, et la préfète de la Gironde n'a pas entaché la mesure en litige d'une erreur manifeste dans l'appréciation de la situation personnelle de la requérante.

En ce qui concerne la fixation du pays de renvoi :

12. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : / 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu la qualité de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2° Un autre pays pour lequel un document de voyage en cours de validité a été délivré en application d'un accord ou arrangement de réadmission européen ou bilatéral ; / 3° Ou, avec l'accord de l'étranger, tout autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ".

13. En premier lieu, il ne ressort pas de la motivation de la décision, selon laquelle Mme A... ne démontre pas être exposée à des peines ou traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que la préfète se serait estimée liée par la décision de l'OFPRA ayant rejeté la demande d'asile de son époux.

14. Mme A... fait valoir que le handicap dont souffre son époux provient d'une blessure par arme à feu reçue en 1998 dans l'enceinte de son établissement scolaire, alors que le tireur, un policier, visait un autre élève, et que l'auteur des faits, condamné à trois ans d'emprisonnement, aurait cherché à se venger en exerçant des pressions sur son époux et sur sa famille, et aurait été à l'origine d'un grave accident de la circulation dont son époux a été victime en mai 2010. Si les circonstances de la blessure ayant causé la paraplégie de M. A... peuvent être regardées comme établies, aucun élément relatif à celles de l'accident dont il a été victime en mai 2010 n'est apporté, et l'existence de risques personnels, réels et actuels à son encontre en cas de retour en Albanie n'est pas démontrée. Au demeurant, les demandes d'asile du couple ont été rejetées par l'OFPRA, qui a estimé que les propos de M. A... relatifs aux menaces dont il ferait l'objet étaient " lacunaires et peu circonstanciés ". Par suite, le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut être accueilli.

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans :

15. En premier lieu, l'obligation de quitter le territoire français n'étant pas entachée des illégalités alléguées, le moyen tiré de l'exception d'illégalité de cette décision, soulevé à l'encontre de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français, doit être écarté.

16. En deuxième lieu, comme cela a été dit au point 7 ci-dessus, la préfète a mentionné, dans l'arrêté attaqué, de nombreuses considérations de fait relatives à la situation personnelle de l'intéressée. S'agissant plus particulièrement de l'interdiction de retour sur le territoire français, elle a visé les articles L. 612-8 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en relevant que, bien que ne représentant pas de menace pour l'ordre public, Mme A... avait déjà fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français non exécutée, qu'elle n'était pas dépourvue d'attaches familiales dans son pays d'origine où elle a vécu jusqu'à l'âge de 30 ans, et qu'elle ne justifiait pas de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la préfète de la Gironde se serait abstenue de se livrer à un examen attentif de la situation particulière de Mme A... doit être écarté.

17. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 612-8 du CESEDA : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 (...) ".

18. La préfète a fondé l'interdiction de retour sur le territoire français de deux ans faite à Mme A... sur les considérations de droit et de fait exposées au point 16. Il ressort des pièces du dossier que les quatre années que Mme A... a passées sur le territoire national correspondent, d'une part, au temps nécessaire à l'instruction de sa demande d'asile et de celle de son époux et, d'autre part, et jusqu'à ce qu'elle sollicite, le 23 avril 2021, la délivrance d'un titre de séjour, à son maintien irrégulier sur le territoire. Par ailleurs, comme cela a été dit au point 9, elle ne démontre pas l'existence de liens ancrés dans la durée sur le territoire français. Par suite, même si elle ne représente pas une menace pour l'ordre public, la préfète de la Gironde n'a pas commis d'erreur d'appréciation en édictant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

19. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

20. Le présent arrêt rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par Mme A.... Par suite, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

21. Il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande Mme A... sur le fondement des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 24 octobre 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Anne Meyer, présidente,

Mme Florence Rey-Gabriac, premier conseiller,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 novembre 2023.

La rapporteure,

Florence D...

La présidente,

Anne MeyerLa greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23BX01167


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX01167
Date de la décision : 16/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme MEYER
Rapporteur ?: Mme Florence REY-GABRIAC
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : HUGON

Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-11-16;23bx01167 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award