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16/11/2023 | FRANCE | N°21BX02058

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 16 novembre 2023, 21BX02058


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner le centre hospitalier de Saint-Jean-d'Angély à lui verser la somme globale de 51 500 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'acceptation fautive de sa démission.

Par un jugement n° 1900071 du 16 mars 2021, le tribunal administratif de Poitiers a condamné le centre hospitalier à lui verser la somme de 10 000 euros et rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 17 mai 2021 et 12 octobre 2022, le centre ho...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner le centre hospitalier de Saint-Jean-d'Angély à lui verser la somme globale de 51 500 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'acceptation fautive de sa démission.

Par un jugement n° 1900071 du 16 mars 2021, le tribunal administratif de Poitiers a condamné le centre hospitalier à lui verser la somme de 10 000 euros et rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 17 mai 2021 et 12 octobre 2022, le centre hospitalier de Saint-Jean-d'Angély, représenté par SHBK avocats, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 16 mars 2021 en tant qu'il a partiellement fait droit à la demande de Mme B... ;

2°) de rejeter la demande de Mme B... ;

3°) de mettre à la charge de Mme B... la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, l'acceptation de la démission n'est pas fautive ; il n'est pas établi que la démission était nécessairement liée pour l'intéressée à l'obtention de l'indemnité de départ, la nouvelle répartition des tâches au sein de l'établissement ne lui convenant manifestement pas ; Mme B... n'a d'ailleurs pas tenté de retirer sa décision, ni n'a contesté l'acceptation de celle-ci par l'établissement ; elle était impatiente de commencer sa nouvelle activité libérale et a d'ailleurs demandé un raccourcissement de la durée de son préavis ; la demande d'indemnité n'a été adressée à l'Agence régionale de santé (ARS) que postérieurement à la réception de la lettre de démission et celle-ci a été acceptée le 8 février 2018, alors que Mme B... n'était plus à son poste depuis le 1er février ; l'intéressée n'a pas attendu l'expiration d'un délai de deux mois pour avoir une réponse à sa demande d'information sur l'indemnité de départ ;

- Mme B... ne peut se prévaloir d'aucun préjudice ; elle ne remplissait pas les conditions pour obtenir l'indemnité de départ et n'a d'ailleurs pas contesté la décision de l'ARS ; elle n'a pas été victime d'une mesure d'éviction puisqu'elle est à l'origine de son départ ; elle a bénéficié d'une indemnisation par Pôle emploi, le temps de réorienter sa carrière ;

- il n'est pas démontré que l'établissement aurait tardé à adresser un document nécessaire à l'obtention des droits à prestations sociales ;

- à supposer que la responsabilité de l'établissement soit engagée, l'évaluation du préjudice devrait être minorée.

Par un mémoire en défense enregistré le 19 janvier 2022, Mme B..., représentée par Me Lopes, conclut au rejet de la requête et demande à la cour, par la voie de l'appel incident, de condamner le centre hospitalier de Saint-Jean-d'Angély à lui verser une indemnité de 50 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de la rupture fautive de son contrat, ainsi qu'une indemnité de 1 500 euros en réparation du préjudice lié au retard dans la transmission à Pôle emploi de la fiche de liaison pour l'étude de ses droits à prestations sociales. Elle demande en outre que soient mis à la charge du centre hospitalier la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, les entiers dépens, ainsi qu'un droit de plaidoirie de 13 euros.

Elle fait valoir que :

- il ne peut lui être reproché de ne pas avoir retiré sa démission alors qu'elle n'en avait aucune possibilité, et il ne peut être soutenu qu'elle a abandonné son poste de travail le 1er février 2018, alors qu'elle était en arrêt de travail du 29 janvier au 17 février 2018 ;

- sa démission était conditionnée au versement de l'indemnité de départ volontaire, ainsi que le démontrent ses demandes de renseignements des 27 décembre 2017 et

11 janvier 2018 qui n'ont été transmises à l'ARS par le centre hospitalier que le 24 janvier suivant ;

- elle remplissait les conditions pour obtenir une indemnité exceptionnelle de mobilité prévue à l'article 2 du décret du 20 avril 2001 ;

- le centre hospitalier a accepté sa démission sans réserve et sans attendre la réponse de l'ARS, et a ainsi commis une faute ;

- elle a subi des troubles dans les conditions d'existence dès lors qu'elle n'a perçu aucune indemnisation de Pôle emploi, la démission l'excluant ; elle s'est retrouvée sans ressources, avec un enfant handicapé à charge ; cette situation a perduré jusqu'au début du mois de mai 2018 en raison du retard avec lequel a été adressé la fiche de liaison nécessaire au versement du revenu de solidarité active ; ce retard a causé des troubles dans ses conditions d'existence au titre desquels elle sollicité la somme de 1 500 euros ;

- le préjudice lié à la rupture abusive de son contrat est constitué a minima par le non versement de l'indemnité de licenciement, alors que son ancienneté était de 8 ans et trois mois, soit 5 années à temps complet ; s'y ajoutent l'indemnité compensatrice de préavis ainsi que l'indemnité compensatrice de congés payés ; la perte brutale et inexpliquée de son emploi a également occasionné un préjudice moral, d'autant que les revenus qu'elle a perçus par la suite du fait de son activité libérale étaient bien moindres que ceux provenant de son activité salariée ; elle sollicite une somme de 50 000 euros au titre de ces préjudices.

Mme B... a obtenu, par décision du 8 juillet 2021, le maintien de l'aide juridictionnelle totale qui lui avait été accordé par décision du 13 juillet 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le décret n° 91-155 du 6 février 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Olivier Cotte,

- les conclusions de Mme Charlotte Isoard, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... a été recrutée en qualité de psychologue contractuelle à temps partiel par le centre hospitalier de Saint-Jean d'Angély le 8 février 2010. La relation de travail, débutée sous un contrat à durée déterminée, s'est poursuivie, à compter du

1er janvier 2012, par un contrat à durée indéterminée. Par courrier du 18 décembre 2017, le centre hospitalier a informé l'intéressée d'une modification de son affectation à compter du 1er janvier 2018 et d'une répartition de son temps de travail entre l'éducation thérapeutique du patient obèse (20 %), l'établissement hospitalier pour personnes âgées dépendantes (30 %) et la médecine du travail (10 %). Par un courrier reçu le 17 janvier 2017, Mme B... a informé son employeur de sa démission des fonctions de psychologue au sein de l'établissement, en indiquant qu'elle souhaitait " pour ce faire " bénéficier de l'indemnité de départ volontaire. Le centre hospitalier a accepté sa démission le 8 février 2018, avec effet au 1er février précédent, sans répondre sur l'indemnité de départ. Mme B... a saisi le tribunal administratif de Poitiers d'une demande de condamnation du centre hospitalier de

Saint-Jean-d'Angély à lui verser une indemnité d'un montant total de 51 500 euros en réparation des préjudices qu'elle estimait avoir subis du fait d'une rupture fautive de son contrat et d'un retard de transmission à Pôle emploi de la fiche de liaison pour l'étude de ses droits à prestations sociales. Par un jugement du 16 mars 2021, le tribunal a condamné le centre hospitalier à verser à Mme B... la somme de 10 000 euros et rejeté le surplus de sa demande. Par la présente requête, le centre hospitalier de Saint-Jean-d'Angély relève appel de ce jugement en tant qu'il a partiellement fait droit à la demande de Mme B.... Cette dernière demande, par la voie de l'appel incident, la réformation du jugement afin de rehausser le montant de l'indemnité allouée.

Sur la responsabilité :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 45-1 du décret du 6 février 1991 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de la fonction publique hospitalière : " Les agents contractuels informent l'autorité signataire du contrat de leur intention de démissionner par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. (...) ".

3. Si, par son courrier reçu le 17 janvier 2018, Mme B... a informé le centre hospitalier de Saint-Jean d'Angély de sa démission à compter du 1er février 2018 et sollicité la possibilité de ne pas effectuer son préavis, elle a demandé également par ce courrier le versement de l'indemnité de départ volontaire. Il n'est par ailleurs pas contesté que l'intéressée avait demandé à son employeur, par des courriels des 27 décembre 2017 et 11 janvier 2018, des informations sur cette indemnité. Le centre hospitalier de

Saint-Jean-d'Angély ne pouvait dès lors regarder Mme B... comme ayant exprimé de manière non équivoque sa volonté de démissionner, alors que sa décision était conditionnée par une réponse sur l'indemnité de départ volontaire. Il a en outre accepté sa démission par courrier du 8 février 2018 sans attendre la réponse de l'Agence régionale de santé à laquelle il avait transmis, le 24 janvier précédent, la demande de Mme B... afin de savoir si elle remplissait les conditions pour en bénéficier. Le requérant ne peut utilement se prévaloir de ce que Mme B... n'a pas contesté l'acceptation de sa démission. Il ne peut non plus sérieusement soutenir qu'elle aurait quitté son poste dès le 1er février, alors qu'elle était en arrêt de travail du 29 janvier au 17 février 2018, ni qu'elle aurait été impatiente de débuter son activité libérale, celle-ci n'ayant été créée que deux mois plus tard. Dans ces conditions, en acceptant la démission de Mme B... sans avoir répondu à sa demande concernant l'indemnité de départ volontaire et en donnant effet à la démission à compter du 1er février 2018 par son courrier du 8 février 2018, le centre hospitalier de Saint-Jean d'Angély a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

4. En second lieu, il résulte de l'instruction que le centre hospitalier de

Saint-Jean-d'Angély a transmis à Mme B..., avec son courrier du 8 février 2018, les documents nécessaires à son inscription en tant que demandeur d'emploi, lui a précisé qu'il était son propre assureur pour le chômage et avait confié la gestion des dossiers d'allocations à la société Info Décision, et lui a communiqué un livret d'accompagnement élaboré par cette société. Dans ces conditions, Mme B..., qui a saisi Pôle emploi au lieu de la société Info Décision et a été renvoyée auprès de son ancien employeur, n'est pas fondée à soutenir que le centre hospitalier aurait commis une faute en lui communiquant tardivement les documents nécessaires à son indemnisation pour perte d'emploi.

Sur les préjudices :

5. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité des personnes publiques, l'agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre, y compris au titre de la perte des rémunérations auxquelles il aurait pu prétendre s'il était resté en fonctions. Lorsque l'agent ne demande pas l'annulation de cette mesure mais se borne à solliciter le versement d'une indemnité en réparation de l'illégalité dont elle est entachée, il appartient au juge de plein contentieux, forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, de lui accorder une indemnité versée pour solde de tout compte et déterminée en tenant compte notamment de la nature et de la gravité des illégalités affectant la mesure d'éviction, de l'ancienneté de l'intéressé, de sa rémunération antérieure ainsi que, le cas échéant, des fautes qu'il a commises.

6. Il appartient au juge du plein contentieux de la responsabilité, dès lors que Mme B... n'a pas demandé l'annulation de sa mesure d'éviction, d'évaluer le montant de l'indemnité due au titre des pertes de rémunération, conformément aux principes énoncés au point précédent. Il résulte de l'instruction que Mme B... a travaillé, pendant près de huit ans au centre hospitalier de Saint-Jean d'Angély, pour des quotités variant entre 40 % et 80 % d'un temps complet de travail, et bénéficiait d'un contrat à durée indéterminée depuis le 1er janvier 2012. Elle percevait en dernier lieu une rémunération mensuelle nette de

1 127 euros et était âgée, à la date de son éviction fautive, de 43 ans. Compte tenu de ces circonstances, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi en l'évaluant à 8 000 euros, cette somme réparant intégralement le préjudice subi du fait de son éviction illégale.

7. Il résulte de tout ce qui précède que l'indemnité que le centre hospitalier de Saint-Jean-d'Angély a été condamné à verser à Mme B... doit être ramenée de 10 000 euros à 8 000 euros.

Sur les frais liés au litige :

8. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier de Saint-Jean d'Angély, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme B... demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens, ou du droit de plaidoirie. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de Mme B... la somme demandée par le centre hospitalier au même titre.

DECIDE :

Article 1er : L'indemnité que le centre hospitalier de Saint-Jean d'Angély a été condamné à verser à Mme B... est ramenée de 10 000 euros à 8 000 euros.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 16 mars 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Saint-Jean-d'Angély et à Mme A... B....

Délibéré après l'audience du 24 octobre 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Anne Meyer, présidente,

Mme Florence Rey-Gabriac, première conseillère,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 novembre 2023.

Le rapporteur,

Olivier Cotte

La présidente,

Anne Meyer

La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21BX02058


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX02058
Date de la décision : 16/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme MEYER
Rapporteur ?: M. Olivier COTTE
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : SHBK AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-11-16;21bx02058 ?
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