La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/11/2023 | FRANCE | N°21BX03292

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre, 07 novembre 2023, 21BX03292


Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure contentieuse :

La société à responsabilité limitée (SARL) Transports Cazaux a demandé au tribunal administratif de Bordeaux à titre principal, d'annuler la décision du 19 août 2019 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Nouvelle-Aquitaine prononçant et ordonnant la publication d'une amende administrative de 22 000 euros en application de l'article L. 441-6 du code de commerce pour le non-respect des délais de paiement constaté sur 45 factures, à tit

re subsidiaire, de ramener la sanction financière à de plus justes proportio...

Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure contentieuse :

La société à responsabilité limitée (SARL) Transports Cazaux a demandé au tribunal administratif de Bordeaux à titre principal, d'annuler la décision du 19 août 2019 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Nouvelle-Aquitaine prononçant et ordonnant la publication d'une amende administrative de 22 000 euros en application de l'article L. 441-6 du code de commerce pour le non-respect des délais de paiement constaté sur 45 factures, à titre subsidiaire, de ramener la sanction financière à de plus justes proportions et d'assortir l'amende du sursis dans son intégralité.

Par un jugement n° 1905193 du 3 juin 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 29 juillet 2021, et un mémoire enregistré le 24 juillet 2023, la SELARL Ekip venant en qualité de mandataire liquidateur de la société à responsabilité limitée (SARL) Transports Cazaux, représentée par Me Bardet, demande à la cour :

1°) de déclarer recevable son intervention volontaire ;

2°) d'annuler le jugement n° 1905193 du 3 juin 2021 du tribunal administratif de Bordeaux ;

3°) à titre principal, d'annuler la décision du 19 août 2019 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de Nouvelle-Aquitaine a prononcé et ordonné la publication d'une amende administrative de 22 000 euros en application de l'article L. 441-6 du code de commerce pour le non-respect des délais de paiement constaté sur 45 factures, à titre subsidiaire, de ramener la sanction financière à de plus justes proportions et d'assortir l'amende du sursis dans son intégralité ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision contestée est insuffisamment motivée ; sa motivation est stéréotypée et ne tient pas compte des éléments factuels fournis tant sur le principe de la sanction que sur son quantum ;

- elle méconnaît le principe d'impartialité ; les services de la DIRECCTE qui ont instruit l'enquête sont les mêmes que ceux qui ont prononcé la sanction, ne garantissant ainsi pas les droits de la défense ;

- l'administration n'a pas tenu compte de ses observations et la fixation de l'amende administrative a été faite de façon arbitraire ;

- les factures réglées avec du retard l'ont été soit en raison de l'accord trouvé avec le créancier, soit parce que la date retenue pour arrêter le délai de paiement est erronée soit enfin parce que les délais de paiement se justifiaient par ses propres délais ;

- elle conteste la date de paiement retenue pour le calcul des retards ; elle n'est pas responsable du délai que met son créancier à encaisser un chèque ;

- c'est en raison des retards qu'elle subit, obérant sa trésorerie, qu'elle ne peut se conformer à certains délais légaux de paiement et/ ou qu'elle les a négociés ;

- la sanction financière est totalement disproportionnée par rapport à la faute qu'elle est censée sanctionner, et au préjudice que la faute a généré.

Par un mémoire en défense enregistré le 28 juin 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 9 juin 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 11 septembre 2023 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du commerce ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bénédicte Martin,

- les conclusions de Mme Nathalie Gay, rapporteure publique ;

- et les observations de Mme A... B..., inspectrice de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, pour le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Considérant ce qui suit :

1. La société à responsabilité limitée Transports Cazaux a pour activité le transport routier de marchandises, la location de véhicules avec ou sans chauffeur, le terrassement. La direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de Nouvelle-Aquitaine a conduit, entre le 6 mars et le 10 septembre 2018, une procédure de contrôle du respect de ses délais de paiement des fournisseurs, pour la période du 1er mars au 31 août 2017. Par courrier du 9 mai 2019, les services de la DIRECCTE ont adressé à la société le procès-verbal établi à l'issue de ce contrôle, faisant état de manquements aux dispositions du neuvième alinéa du I de l'article L. 441-6 du code de commerce, l'informant de l'intention de l'administration de lui infliger une sanction administrative, et l'invitant à formuler ses observations dans le délai de soixante jours. La société Transports Cazaux a présenté des observations le 17 juin 2019. Par une décision du 19 août 2019, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Nouvelle-Aquitaine a prononcé à son encontre une amende administrative de 22 000 euros. La société Transports Cazaux relève appel du jugement du 3 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 19 août 2019.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 470-2 du code de commerce : " (...) III. Les manquements passibles d'une amende administrative sont constatés par procès-verbal, selon les modalités prévues à l'article L. 450-2. / IV. Avant toute décision, l'administration informe par écrit la personne mise en cause de la sanction envisagée à son encontre, en lui indiquant qu'elle peut prendre connaissance des pièces du dossier et se faire assister par le conseil de son choix et en l'invitant à présenter, dans le délai de soixante jours, ses observations écrites et, le cas échéant, ses observations orales. / Passé ce délai, l'autorité administrative peut, par décision motivée, prononcer l'amende. (...) ".

3. Il y a lieu, par adoption de motifs retenus par les premiers juges et non critiqués en appel, d'écarter le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision du 19 août 2019 prononçant la sanction administrative.

4. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que la société Transports Cazaux a bénéficié d'un délai de 60 jours pour présenter ses observations sur l'intention de l'administration de lui infliger une sanction de 22 000 euros et qu'elle a pu s'exprimer tout au long de la procédure de contrôle. Si la requérante soutient que le principe d'impartialité et d'indépendance est méconnu dès lors qu'aucune distinction n'existe entre les agents qui procèdent au constat et ceux qui décident des sanctions, le principe de la séparation des pouvoirs, non plus qu'aucun autre principe ou règle de valeur constitutionnelle, ne fait pas obstacle à ce qu'une autorité administrative, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction dans la mesure nécessaire à l'accomplissement de sa mission, dès lors que l'exercice de ce pouvoir est assorti par la loi de mesures destinées à assurer la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis. En l'espèce, par une décision n° 2014-690 DC du 13 mars 2014, le Conseil constitutionnel, saisi de la constitutionnalité de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, a déclaré que les dispositions portant sur la procédure d'établissement de sanctions administratives étaient conformes à la Constitution. Par suite, le moyen tiré du défaut d'impartialité et d'indépendance, ne garantissant pas les droits de la défense, doit être écarté.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 441-3 du code de commerce, dans sa rédaction applicable au litige : " Tout achat de produits ou toute prestation de service pour une activité professionnelle doivent faire l'objet d'une facturation. / (...) le vendeur est tenu de délivrer la facture dès la réalisation de la vente ou la prestation du service. (...) Le vendeur et l'acheteur doivent en conserver chacun un exemplaire. / (...) La facture doit mentionner le nom des parties ainsi que leur adresse, la date de la vente ou de la prestation de service, la quantité, la dénomination précise, et le prix unitaire hors TVA des produits vendus et des services rendus ainsi que toute réduction de prix acquise à la date de la vente ou de la prestation de services et directement liée à cette opération de vente ou de prestation de services, à l'exclusion des escomptes non prévus sur la facture./ La facture mentionne également la date à laquelle le règlement doit intervenir. (...) Le règlement est réputé réalisé à la date à laquelle les fonds sont mis, par le client, à la disposition du bénéficiaire ou de son subrogé ". L'article L. 441-6 du même code dispose, dans sa rédaction applicable au litige, que : " pour le transport routier de marchandises, pour la location de véhicules avec ou sans conducteur, pour la commission de transport ainsi que pour les activités de transitaire, les délais de paiement convenus ne peuvent en aucun cas dépasser trente jours à compter de la date d'émission de la facture. ". Le VI de ce même article indique que : " sont passibles d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder deux millions d'euros pour une personne morale le fait de ne pas respecter les délais de paiement mentionnés aux huitième, neuvième, onzième et dernier alinéas du I du présent article, (...) L'amende est prononcée dans les conditions prévues à l'article L. 470-2. Le montant de l'amende encourue est doublé en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive. (...) ".

6. Il résulte de l'instruction, en particulier des constatations énoncées dans le procès-verbal du 18 février 2019, que, sur les cinquante factures analysées, émanant de vingt-quatre fournisseurs, quarante-cinq d'entre elles ont été réglées par la société appelante au-delà du délai de paiement prévu à l'article L. 441-6 du code de commerce, le retard moyen s'établissant à 57,15 jours et le montant total payé sur cet échantillon dans ces conditions s'élevant à la somme de 448 699,70 euros. La société requérante soutient que la sanction litigieuse est économiquement injustifiée, dès lors qu'elle est également dépendante des délais de paiement dans lesquels ses clients, notamment les services de l'Etat, des collectivités publiques ou de sociétés plus importantes qu'elle, lui règlent ses prestations de services. Elle soutient également que les faits qui lui sont reprochés n'ont causé aucun dommage à l'économie ou à ses fournisseurs, le retard de paiement ayant, dans certains cas, fait l'objet d'un accord préalable. Ces circonstances, à les supposer établies, ne peuvent toutefois être utilement invoquées pour contester le bien-fondé d'une sanction infligée en raison des manquements constatés, et alors que les dispositions précitées de l'article L. 441-6 du code de commerce n'excluent de leur champ d'application aucune entreprise de transport pour de tels motifs. Enfin, si la société requérante fait valoir que certaines des factures incriminées ont fait l'objet d'un encaissement tardif de la part des fournisseurs, elle n'apporte aucun élément de nature à démontrer la date à laquelle ses paiements ont été adressés aux fournisseurs et la date d'encaissement par ceux-ci. Il suit de là que les circonstances invoquées par la société Transports Cazaux ne remettent pas en cause la matérialité des faits constatés par l'administration, ni l'existence de manquements aux règles fixées à l'article L. 441-6 du code de commerce.

7. En quatrième et dernier lieu, la société requérante soutient que le montant de la sanction a été fixé de manière arbitraire et sans proportion avec les faits qui lui sont reprochés et leurs conséquences. Eu égard à l'ampleur des manquements constatés, représentant 90 % des factures contrôlées sur une période de six mois, pour un montant cumulé de 448 699,70 euros, à la situation financière de l'entreprise qui a réalisé au 30 septembre 2017 un chiffre d'affaires de 14 411 916 euros dégageant un résultat financier de 366 073 euros et alors que l'amende de 22 000 euros représente 6 % de ce résultat, il ne résulte pas de l'instruction que ce montant serait excessif. La circonstance que la société requérante ait fait l'objet d'une procédure de mise en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Bordeaux en date du 14 décembre 2022 n'est pas de nature à démontrer qu'elle aurait été soumise à des difficultés économiques particulières en 2017, année au cours de laquelle ont été émises les factures vérifiées. Il n'est pas davantage établi qu'elle aurait été confrontée à des difficultés récurrentes de trésorerie au cours de cette même année. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction que la DIRECCTE de Nouvelle-Aquitaine aurait fait preuve d'acharnement à l'égard de la société appelante. Au vu de l'ensemble de ces éléments, le montant de l'amende infligée à la société Transports Cazaux à raison des manquements constatés, n'est pas excessif.

8. Il résulte de ce qui précède que la société Transports Cazaux n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Sur les frais liés à l'instance :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la société Transports Cazaux en application de ces dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Transports Cazaux est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SELARL Ekip, mandataire liquidateur de la société à responsabilité limitée (SARL) Transports Cazaux et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée au préfet de la région Nouvelle-Aquitaine (direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités).

Délibéré après l'audience du 17 octobre 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Evelyne Balzamo, présidente,

Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,

Mme Pauline Reynaud, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 novembre 2023.

La rapporteure,

Bénédicte MartinLa présidente,

Evelyne BalzamoLe greffier,

Christophe Pelletier

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 21BX03292


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX03292
Date de la décision : 07/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BALZAMO
Rapporteur ?: Mme Bénédicte MARTIN
Rapporteur public ?: Mme GAY
Avocat(s) : CABINET BARDET ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 12/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-11-07;21bx03292 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award