Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Limoges, à titre principal, d'annuler l'arrêté du 30 septembre 2022 par lequel la préfète de la Haute-Vienne a abrogé son attestation de demande d'asile, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé l'Italie comme pays de renvoi, et à titre subsidiaire, de suspendre l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français.
Par un jugement n° 2201506 du 12 décembre 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 14 avril, 30 juin et 8 septembre 2023M. B..., représenté par Me Ouangari, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) à titre principal, d'annuler l'arrêté du 30 septembre 2022, et à titre subsidiaire, de suspendre l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 400 euros au titre de la première instance, et la même somme au titre de l'appel, sur le fondement l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors que le premier juge n'a répondu ni au moyen relatif à l'ineffectivité de sa protection subsidiaire en Italie, lequel aurait dû conduire à l'annulation des décisions attaquées, ni à celui tiré de ce qu'il n'était pas admissible dans le pays de renvoi, faute de posséder un document de voyage en cours de validité ;
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
- elle est insuffisamment motivée en l'absence d'élément de fait propre à sa situation ;
- elle est entachée d'erreur de droit car la préfète s'est estimée à tort liée par la décision de rejet de la demande d'asile de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle alors que les conditions d'accueil en Italie sont indignes et qu'il pourrait prétendre à une carte de séjour vie privée et familiale au regard de son intégration ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'erreur de droit au regard du 2° de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile car aucun élément ne permet de déterminer qu'il aurait le droit d'entrer ou de séjourner en Italie ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'il est notoire que les bénéficiaires d'une protection internationale en Italie risquent d'y être soumis à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et que ses conditions de vie dans ce pays ont été difficiles ;
- la décision de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) du 22 mars 2023 confirme qu'il n'est plus titulaire d'un titre de séjour en Italie, de sorte que l'on ignore s'il pourrait entrer et séjourner dans ce pays ;
En ce qui concerne la demande subsidiaire de suspension de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français :
- si l'OFPRA a estimé qu'il bénéficiait d'une protection internationale accordée par l'Italie le 1er novembre 2018, ses déclarations et son attitude " proactive " dans la recherche de la preuve du retrait de son permis de séjour italien permettent de regarder comme établies ses allégations selon lesquelles il n'aura pas droit au renouvellement de sa protection subsidiaire accordée pour 5 ans seulement en Italie, pays qu'il a quitté il y a plusieurs années ; sa demande d'asile était ainsi recevable, et il y a lieu de suspendre l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français sur le fondement des dispositions de l'article L. 752-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense enregistré le 1er juin 2023, la préfète de la Haute-Vienne conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que les moyens invoqués par M. B... ne sont pas fondés, et que le recours de M. B... à l'encontre de la décision de l'OFPRA du 30 juin 2022 a été rejeté par la CNDA.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 mars 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme A... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant libyen, a déclaré être entré en France le 30 juin 2019. Le 12 juillet suivant, il sollicité l'asile, et la consultation du fichier Eurodac a révélé qu'il était bénéficiaire de la protection internationale en Italie. La procédure de remise aux autorités italiennes n'ayant pu être mise en œuvre, la demande d'asile a été examinée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) selon la procédure normale et rejetée comme irrecevable par une décision du 30 juin 2022, aux motifs que l'intéressé était réadmissible sur le territoire italien, et qu'il ne pouvait être conclu à l'existence de traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans ce pays. Par un arrêté du 30 septembre 2022, la préfète de la Haute-Vienne a abrogé l'attestation de demande d'asile de M. B..., lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé l'Italie comme pays de renvoi. M. B... relève appel du jugement du 12 décembre 2022 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande principale d'annulation de cet arrêté, ainsi que sa demande subsidiaire de suspension de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français jusqu'à ce que la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) ait statué sur son recours.
Sur la régularité du jugement :
2. M. B... a fait valoir devant le tribunal qu'il ne pouvait bénéficier d'une protection internationale effective en Italie car il risquait d'être soumis dans ce pays à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le premier juge, qui n'était pas tenu de répondre à l'ensemble des arguments, a suffisamment répondu à ce moyen en relevant que le requérant n'établissait pas, par les considérations générales sur les conditions de séjour des étrangers admis à résider en Italie dont il faisait état, qu'il encourrait dans ce pays de l'Union européenne des risques personnels et actuels susceptibles d'être qualifiés de traitements inhumains ou dégradants. Le jugement n'avait, en tout état de cause, pas à répondre au moyen tiré de ce que M. B... n'aurait pas été admissible en Italie, invoqué pour la première fois dans une note en délibéré du
1er décembre 2022, alors qu'il n'est pas établi ni même allégué qu'il n'aurait pu être soulevé avant la clôture de l'instruction.
Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 30 septembre 2022 :
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
3. L'arrêté du 30 septembre 2022 indique que l'OFPRA a rejeté la demande d'asile de M. B... comme irrecevable en application du 1° de l'article L. 531-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que l'intéressé, conformément aux dispositions du a du 1° de l'article L. 542-2 de ce code, ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire, que son entrée en France est récente, qu'il est célibataire et sans enfant, qu'il est sans attache en France, et qu'il ne relève d'aucune des catégories d'étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français en application de l'article L. 611-3. Contrairement à ce que soutient M. B..., cette motivation comporte des considérations de fait relatives à sa situation personnelle, et il en ressort que la préfète ne s'est pas estimée liée par la décision de l'OFPRA.
4. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'est pas assorti de précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé, et si le requérant a produit en fin d'instruction des attestations témoignant de ses capacités d'insertion, ces pièces établies après la décision attaquée ne permettent pas de regarder la préfète comme ayant méconnu les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile reconnaissant un droit au séjour de plein droit en raison de liens personnels et familiaux avérés sur le territoire.
5. M. B... ne peut utilement se prévaloir d'une absence de protection effective en Italie pour contester la légalité de l'obligation de quitter le territoire français, laquelle n'a ni pour objet, ni pour effet de le renvoyer dans ce pays. Par suite, le moyen tiré d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de risques encourus en Italie ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
6. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : / 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu la qualité de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2° Un autre pays pour lequel un document de voyage en cours de validité a été délivré en application d'un accord ou arrangement de réadmission européen ou bilatéral ; / 3° Ou, avec l'accord de l'étranger, tout autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. "
7. En premier lieu, la décision vise la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment son article 3, résume les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et indique que l'intéressé, qui a déclaré être de nationalité libyenne, ne démontre pas, au regard des éléments transmis dans son dossier, être exposé à des peines ou traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour en Italie, pays où il bénéficie d'une protection internationale. Elle est ainsi suffisamment motivée.
8. En deuxième lieu, M. B... admet avoir produit à l'appui de la demande d'asile en France, ce qui est d'ailleurs corroboré par les décisions de l'OFPRA et de la CNDA, son titre de séjour délivré au titre de la protection subsidiaire par les autorités italiennes le 4 avril 2018, valable jusqu'au 3 avril 2023, ainsi qu'un document de circulation italien portant la mention " titulaire de la protection subsidiaire ", délivré le 23 octobre 2018 et valable jusqu'au
3 avril 2023. Ses allégations selon lesquelles les autorités italiennes lui auraient retiré le bénéfice de la protection subsidiaire ne sont assorties d'aucun commencement de preuve, de sorte qu'il n'est pas fondé à soutenir que la préfète aurait commis une erreur de droit au regard du 2° de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en le renvoyant dans un pays où il ne serait pas admissible. La légalité d'une décision s'appréciant à la date à laquelle elle a été prise, M. B... ne peut utilement se prévaloir de ce qu'il ne serait désormais plus admissible en Italie du fait de l'expiration de son titre de séjour le 3 avril 2023.
9. En troisième lieu, M. B... soutient que ses conditions de vie en Italie auraient été difficiles dès lors qu'aucun logement ne lui aurait été proposé après la fermeture du centre d'accueil où il était hébergé, qu'il aurait dû recourir à des associations caritatives pour se nourrir, qu'il n'aurait pu accéder ni à des études, ni à un emploi, qu'il aurait été humilié par les services de police lors d'un contrôle au sujet d'un mandat de 5 000 dollars envoyé par ses sœurs résidant aux Etats-Unis, et qu'il aurait été victime d'injures racistes alors qu'il téléphonait dans un bus. Ni ces éléments, ni les conditions générales d'accueil des bénéficiaires de la protection internationale en Italie qu'il invoque, ne permettent d'établir qu'il serait exposé dans ce pays à des traitements inhumains ou dégradants au sens des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Sur les conclusions subsidiaires :
10. M. B... a produit en cours d'instance la décision du 22 mars 2023 par laquelle la CNDA a rejeté son recours à l'encontre de la décision de l'OFPRA du 30 juin 2022. Par suite, ses conclusions d'appel subsidiaires tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français sont sans objet.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 30 septembre 2022. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de suspension de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français du 30 septembre 2022.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et au ministre de l'intérieur et des
outre-mer. Une copie en sera adressée au préfet de la Haute-Vienne.
Délibéré après l'audience du 26 septembre 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
M. Olivier Cotte, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 26 octobre 2023.
La rapporteure,
Anne A... La présidente,
Catherine Girault
Le greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23BX01046