Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... C... B... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 11 mai 2022 par lequel la préfète des Deux-Sèvres a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an, et d'enjoindre sous astreinte à la préfète de réexaminer sa situation.
Par un jugement n° 2202400 du 28 février 2023, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 27 mars 2023 et un mémoire enregistré le
6 septembre 2023, M. C... B..., représenté par Me Falacho, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté de la préfète des Deux-Sèvres du 11 mai 2022 ;
3°) d'enjoindre à la préfète des Deux-Sèvres de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de trente jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 400 euros au titre de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il est rémunéré et hébergé en qualité de compagnon d'Emmaüs depuis le
19 juillet 2018 ; il est impliqué dans diverses activités bénévoles et associatives, il pratique la pétanque en Ligue 3 et a des talents de caricaturiste, ses dessins ayant été repris dans plusieurs ouvrages, et il justifie de ses perspectives d'intégration ; après avoir travaillé à l'atelier de réparation d'électroménager d'Emmaüs, il est devenu coordonnateur des ventes " Bric-Cour-Meubles ", et la direction d'Emmaüs atteste de ses qualités relationnelles et commerciales ; c'est en raison de son intégration en France, afin d'obtenir une licence de la fédération française de pétanque au club de pétanque de Mauléon, qu'il avait présenté une première demande de titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile avant de justifier de trois ans d'activité à la communauté Emmaüs, qui avait été rejetée par la préfecture ; ainsi, alors qu'il justifie désormais de ces trois ans, la décision de refus de titre de séjour est entachée d'erreur manifeste d'appréciation contrairement à ce qu'a jugé le tribunal ;
- l'annulation du refus de titre de séjour pour erreur manifeste d'appréciation implique nécessairement qu'un titre de séjour lui soit délivré.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- et les observations de Me Falacho, représentant M. C... B....
Considérant ce qui suit :
1. M. C... B..., de nationalité malgache, est entré en France le 3 juillet 2016 sous couvert d'un visa de court séjour afin, selon ses déclarations, de suivre une formation diplômante dans le domaine de la sécurité, dans lequel il avait travaillé à Madagascar en qualité d'agent cynophile de détection en explosifs de 2013 à juillet 2016. Après avoir abandonné cette formation et avoir rejoint en mars 2018 la communauté Emmaüs, où il a été intégré en qualité de compagnon le 19 juillet 2018, il a sollicité, par lettre du 27 janvier 2020, la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " passeport talent " ou une admission exceptionnelle au séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-14-1, devenu l'article L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, permettant la délivrance d'un titre de séjour aux ressortissants étrangers engagés dans une activité au sein d'un organisme d'accueil communautaire et d'activités solidaires. Par un arrêté du 2 mars 2021, le préfet des Deux-Sèvres a rejeté sa demande aux motifs qu'il ne remplissait pas les conditions de délivrance de ces titres de séjour, notamment une durée de trois ans d'activité ininterrompue auprès de la communauté Emmaüs, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Alors que sa demande d'annulation de cet arrêté était en cours d'instruction devant le tribunal administratif de Poitiers, M. C... B..., qui remplissait alors la condition de trois ans d'activité auprès de la communauté Emmaüs, a présenté, par lettre du
6 septembre 2021, une nouvelle demande ayant le même objet que la précédente. Par un arrêté du 11 mai 2022, la préfète des Deux-Sèvres a rejeté cette demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée d'un an. M. C... B... a contesté cet arrêté devant le tribunal administratif de Poitiers en faisant valoir que le refus d'admission exceptionnelle au séjour était entaché d'erreur manifeste d'appréciation. Il relève appel du jugement du 28 février 2023 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.
2. Aux termes de l'article L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger accueilli par les organismes mentionnés au premier alinéa de l'article L. 265-1 du code de l'action sociale et des familles et justifiant de trois années d'activité ininterrompue au sein de ce dernier, du caractère réel et sérieux de cette activité et de ses perspectives d'intégration, peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / (...). "
3. Lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour présentée sur le fondement de ces dispositions, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger justifie de trois années d'activité ininterrompues dans un organisme de travail solidaire, qu'un rapport a été établi par le responsable de l'organisme d'accueil, que l'intéressé ne vit pas en état de polygamie, et que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux de cette activité et de ses perspectives d'intégration. Il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation ainsi portée.
4. Outre une attestation d'activité des responsables de la communauté Emmaüs-Peupins de Mauléon, faisant état de son hébergement à titre humanitaire depuis le 19 juillet 2018, de sa participation aux activités économiques et sociales de cette communauté en qualité de compagnon, donnant lieu au versement de cotisations sociales, de ses qualités relationnelles, de son esprit communautaire, de ses activités de bénévolat et de ses talents de sportif, de dessinateur et d'animateur, M. C... B... produit devant la cour de nombreux documents justifiant de ses perspectives d'intégration. Selon une attestation de la directrice du centre socio-culturel de Bressuire du 8 décembre 2019, il a participé aux activités de ce centre en qualité d'adhérent, mais aussi de bénévole dans plusieurs ateliers, et d'administrateur du 22 mars 2017 au
11 avril 2019. A son arrivée à Mauléon en 2018, il s'est investi dans les activités du centre socio-culturel du Mauléonais, dont la directrice précise qu'il a animé des séances de judo et de dessin dans le cadre des ateliers périscolaires, et qu'il a intégré le conseil d'administration de ce centre en 2019. Des témoignages, des articles de presse et des affiches réalisées par
M. C... B..., produits pour la première fois en appel, démontrent la diversité de ses activités de bénévolat, ses talents d'animateur et de dessinateur, et ses capacités d'adaptation et de travail en équipe. Dans ces circonstances, et alors que l'appréciation globale de la situation de l'intéressé n'avait pas à tenir compte de ce qu'il n'avait pas déféré à l'obligation de quitter le territoire français du 2 mars 2021, dont l'exécution avait été suspendue par un recours contentieux, M. C... B... est fondé à soutenir que le refus de titre de séjour du
11 mai 2022 est entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation au regard des dispositions de l'article L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. Il résulte de ce qui précède que M. C... B... est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande d'annulation de la décision de refus de titre de séjour du 11 mai 2022 et, par voie de conséquence, des décisions du même jour portant obligation de quitter le territoire français, fixation du pays de renvoi et interdiction de retour, prises sur son fondement.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
6. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. " Aux termes de l'article L. 911-3 du même code : " La juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet. " L'annulation prononcée au point précédent implique nécessairement, sous réserve d'un changement dans les circonstances de fait, qu'il soit fait droit à la demande de titre de séjour. Par suite, il y a lieu d'enjoindre à la préfète des Deux-Sèvres de délivrer à M. C... B... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais exposés à l'occasion du litige :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : L'arrêté de la préfète des Deux-Sèvres du 11 mai 2022 et le jugement du tribunal administratif de Poitiers n° 2202400 du 28 février 2023 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à la préfète des Deux-Sèvres de délivrer à M. C... B... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. C... B... une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C... B..., à la préfète des Deux-Sèvres et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 26 septembre 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 octobre 2023.
La rapporteure,
Anne A...
La présidente,
Catherine GiraultLe greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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23BX00859