Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société civile immobilière (SCI) Anelard a demandé au tribunal administratif de La Réunion de condamner la commune du Port à lui verser la somme de 325 773,45 euros en réparation du préjudice que lui a causé l'arrêté du 14 octobre 2010 du maire du Port prononçant la fermeture de l'établissement recevant du public dénommé " SCI Anelard ".
Par un jugement n° 1900124 du 9 mars 2021, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté la requête et a mis à la charge de la société Anelard une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 6 mai et 30 juillet 2021, la société Anelard, représentée par Me Von-Pine, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de La Réunion du 9 mars 2021 ;
2°) de condamner la commune du Port à lui verser la somme de 325 773,45 euros ou, à titre subsidiaire, la somme de 1 640 283,45 euros ;
3°) de mettre à la charge de la commune du Port une somme de 8 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté du 14 octobre 2010 ne comportait pas la mention des voies et délais de recours ; par conséquent, sa réclamation tendant à l'indemnisation des préjudices causés par cet arrêté n'était pas tardive ;
- le tribunal n'a pas tenu compte du fait que la fermeture de la seconde sortie du restaurant était imputable à l'exploitant du restaurant, qui a fait procéder, sans l'avertir, à des modifications des fermetures, ainsi que cela résulte du constat d'huissier du 9 juin 2018 ;
- contrairement à ce qu'ont relevé les premiers juges, sa demande de permis de construire prévoyait qu'une partie du premier étage du bâtiment serait affectée à l'exploitation d'un restaurant ;
- en l'absence de situation d'urgence, l'administration aurait dû l'inciter à réaliser les travaux nécessaires pour assurer la sécurité du public avant de procéder à la fermeture de l'établissement ; le bureau Veritas a conclu, le 18 novembre 2010, à la solidité de l'ouvrage ; les seuls travaux de mise en sécurité consistaient à ouvrir une porte verrouillée ;
- la fermeture immédiate du bâtiment a porté une atteinte excessive à la liberté du commerce et de l'industrie ;
- elle a été condamnée à verser une somme de 325 773, 45 euros à la société DetT alors pourtant qu'elle n'est pas à l'origine de la fermeture de la sortie réglementaire et, par suite, de la fermeture de l'établissement ;
- plusieurs observations du rapport de la commission de sécurité du 26 août 2010, reprises dans les motifs de l'arrêté litigieux, sont erronées ; contrairement à ce que relève ce rapport, les travaux réalisés sur l'immeuble avaient été autorisés et l'immeuble ne présentait aucun risque d'effondrement ; la seule absence d'issue de secours ne justifiait pas, à elle seule, une fermeture sans délai ;
- elle a subi, consécutivement à l'arrêté du 14 octobre 2010, une perte de revenus ; la société DetT lui a réclamé , du fait de la fermeture de l'établissement, une indemnité de 1 640 283,45 euros, et elle a été condamnée à verser à cette dernière une somme de 325 773,45 euros ;
- en lui accordant un permis de construire puis un permis modificatif, sans avoir contrôlé la conformité aux règles de sécurité applicables aux établissements recevant du public, la commune a manqué à son devoir de vigilance ; la responsabilité de la commune est engagée à raison de ce manquement ;
- l'arrêté du 14 octobre 2010 du maire du Port repose sur un avis de la commission consultative de sécurité et d'accessibilité entaché d'incompétence ; cette commission n'est pas compétente en matière de solidité et ne pouvait compétemment ordonner la fermeture de l'établissement en se fondant sur un motif relatif à la solidité de l'ouvrage.
Par un mémoire en défense enregistré le 6 juillet 2021, la commune du Port, représentée par Me Lefèvre, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société Anelard d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens invoqués par la société requérante ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 7 décembre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 16 janvier 2023.
Par un courrier du 6 juillet 2023, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la décision à intervenir était susceptible d'être fondée sur un moyen soulevé d'office.
Un mémoire a été présenté pour la société Anelard le 22 septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le décret n° 95-260 du 8 mars 1995 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy,
- les conclusions d'Isabelle Le Bris, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La société civile immobilière Anelard est propriétaire, sur le territoire de la commune du Port (La Réunion), d'un bâtiment dans lequel étaient exploités, au rez-de-chaussée, une agence de Pôle emploi et une entreprise de location de véhicules, au premier étage, un restaurant de 400 m² et, au dernier étage, une salle de sport. A l'issue d'une visite inopinée réalisée le 26 août 2010, la commission de sécurité et d'accessibilité de l'arrondissement Ouest a relevé l'absence de sorties réglementaires, " l'absence de permis de construire et d'aménagement correspondant à la réalité du bâtiment " et l'absence d'attestation du bureau de contrôle relatif à la solidité de l'ouvrage après travaux. Cette commission a en outre constaté que le plancher bas du restaurant était instable et fissuré et présentait, selon elle, un risque d'effondrement, et a préconisé la fermeture du bâtiment. Par un courrier du 4 octobre 2010, le maire du Port a mis la société Anelard en demeure de fermer sans délai son établissement. La société n'ayant pas déféré à cette mise en demeure, le maire du Port a, par arrêté du 14 octobre 2010, ordonné la fermeture au public de l'établissement recevant du public dénommé " SCI Anelard " à compter de la notification de cet arrêté et jusqu'à la mise en conformité de l'établissement, constatée par la commission de sécurité, et la délivrance d'une nouvelle autorisation par le conseil municipal. La société Anelard n'a pas contesté cet arrêté. Toutefois, après que la société DetT, qui exploitait le restaurant situé au premier étage du bâtiment litigieux, lui a demandé de l'indemniser des préjudices subis du fait de la fermeture de son restaurant, la société Anelard a, par une réclamation reçue le 10 décembre 2018, sollicité auprès de la commune du Port l'indemnisation de ses propres préjudices imputables, selon elle, à l'illégalité fautive de l'arrêté du 14 octobre 2010. Cette réclamation ayant été implicitement rejetée, elle a saisi le tribunal administratif de La Réunion d'un recours tendant à la condamnation de la commune du Port à réparer ses préjudices. Elle relève appel du jugement du 9 mars 2021 par lequel le tribunal a rejeté cette demande.
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
2. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction issue du décret du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle ". Il résulte de ces dispositions qu'en l'absence d'une décision de l'administration rejetant une demande formée devant elle par le requérant ou pour son compte, une requête tendant au versement d'une somme d'argent est irrecevable et peut être rejetée pour ce motif même si, dans son mémoire en défense, l'administration n'a pas soutenu que cette requête était irrecevable, mais seulement que les conclusions du requérant n'étaient pas fondées.
3. La décision par laquelle l'administration rejette une réclamation tendant à la réparation des conséquences dommageables d'un fait qui lui est imputé lie le contentieux indemnitaire à l'égard du demandeur pour l'ensemble des dommages causés par ce fait générateur. La victime est recevable à demander au juge administratif, dans les deux mois suivant la notification de la décision ayant rejeté sa réclamation, la condamnation de l'administration à l'indemniser de tout dommage ayant résulté de ce fait générateur, y compris en invoquant des chefs de préjudice qui n'étaient pas mentionnés dans sa réclamation.
4. Il résulte de l'instruction que la réclamation adressée le 10 octobre 2018 par la société Anelard à la commune du Port tendait à la réparation des préjudices imputables, selon elle, à l'illégalité fautive de l'arrêté ci-dessus mentionné du maire du Port en date du 14 octobre 2010. Si la société requérante a également fondé son recours contentieux indemnitaire sur un manquement fautif de la commune à son " devoir de vigilance ", il s'agit d'un fait générateur différent de celui invoqué dans sa réclamation préalable. Les conclusions de première instance, en ce qu'elles étaient présentées sur ce fondement, étaient ainsi irrecevables faute d'avoir été précédées d'une réclamation préalable à l'administration de nature à lier le contentieux. La société Anelard n'est par suite pas fondée, en tout état de cause, à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté ses conclusions tendant à l'indemnisation d'un dommage à raison d'un manquement de la commune du Port à son " devoir de vigilance ".
Sur la responsabilité de la commune du Port à raison d'une illégalité fautive de l'arrêté de son maire du 14 octobre 2010 :
5. Aux termes de l'article L. 123-4 du code de la construction et de l'habitation, dans sa rédaction applicable au litige : " Sans préjudice de l'exercice par les autorités de police de leurs pouvoirs généraux et dans le cadre de leurs compétences respectives, le maire ou le représentant de l'Etat dans le département peuvent par arrêté, pris après avis de la commission de sécurité compétente, ordonner la fermeture des établissements recevant du public en infraction avec les règles de sécurité propres à ce type d'établissement, jusqu'à la réalisation des travaux de mise en conformité ". L'article R. 123-52 du même code énonce : " Sans préjudice de l'exercice par les autorités de police de leurs pouvoirs généraux, la fermeture des établissements exploités en infraction aux dispositions du présent chapitre peut être ordonnée par le maire, ou par le représentant de l'Etat dans le département dans les conditions fixées aux articles R. 123-27 et R. 123-28. / La décision est prise par arrêté après avis de la commission de sécurité compétente. L'arrêté fixe, le cas échéant, la nature des aménagements et travaux à réaliser ainsi que les délais d'exécution. Aux termes de l'article R. 123-7 de ce code : " Les sorties, les éventuels espaces d'attente sécurisés et les dégagements intérieurs qui y conduisent doivent être aménagés et répartis de telle façon qu'ils permettent l'évacuation ou la mise à l'abri préalable rapide et sûre des personnes. Leur nombre et leur largeur doivent être proportionnés au nombre de personnes appelées à les utiliser. / Tout établissement doit disposer de deux sorties au moins ".
6. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police (...) ". Aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2 ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable. " Et aux termes de l'article L. 121-2 du même code : " Les dispositions de l'article L. 121-1 ne sont pas applicables : 1° En cas d'urgence ou de circonstances exceptionnelles (...) ".
7. En premier lieu, la société Anelard persiste en appel à discuter de la pertinence des motifs fondant la fermeture litigieuse tirés de l'absence d'autorisation d'urbanisme pour la surélévation du bâtiment en cause par la création d'un étage, de l'absence consécutive d'une attestation de solidité de l'ouvrage après ces travaux et du risque d'effondrement du plancher du premier étage. Toutefois, elle ne conteste pas que le restaurant exploité au premier étage du bâtiment n'était doté que d'une seule sortie de secours. Or, et ainsi que l'ont relevé les premiers juges, ce motif justifiait à lui seul la fermeture de l'établissement en application des dispositions citées au point 5. La société requérante fait valoir que la seconde sortie dont était doté l'établissement avait été condamnée à l'occasion de travaux réalisés, sans son accord, par la société DetT, exploitante du restaurant. Toutefois, à la supposer établie, cette circonstance est sans incidence sur la légalité de l'arrêté en litige, lequel repose sur une exacte application de l'article R. 123-7 du code de la construction et de l'habitation.
8. En deuxième lieu, la société Anelard invoque une violation du principe du contradictoire dès lors qu'elle n'a pas été invitée à présenter ses observations avant l'édiction de l'arrêté en litige. Néanmoins, la gravité du risque résultant de l'absence d'une seconde issue de secours, destinée permettre l'évacuation rapide et sûre de l'établissement, caractérisait, dans les circonstances de l'espèce, une situation d'urgence justifiant la fermeture immédiate de cet établissement, alors en outre qu'il a été constaté par la commission de sécurité et d'accessibilité que le plancher du premier étage présentait une fragilité, à laquelle il n'a été remédié qu'à la faveur de travaux de confortement réalisés postérieurement à l'édiction de l'arrêté en litige. Par suite, en application des dispositions citées au point 6, l'arrêté litigieux pouvait légalement être adopté sans procédure contradictoire préalable.
9. En troisième lieu, la société Anelard fait valoir qu'en vertu de l'article 4 du décret du 8 mars 1995 relatif à la commission consultative départementale de sécurité et d'accessibilité, cette commission n'a pas compétence en matière de solidité des bâtiments. Toutefois, en admettant même que la commission de sécurité et d'accessibilité de l'arrondissement Ouest ait excédé ses compétences en relevant, notamment, un risque d'effondrement du plancher du premier étage du bâtiment litigieux, il est constant que ses autres observations, que le maire du Port s'est approprié dans son arrêté litigieux, entraient dans son champ de compétences. Par suite, la SCI Anelard n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté en cause aurait été pris à l'issue d'une procédure irrégulière.
10. Enfin, eu égard à ce qui a été dit ci-dessus, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la fermeture immédiate du bâtiment litigieux aurait porté une atteinte excessive à la liberté du commerce et de l'industrie au regard des buts en vue desquels cette décision a été édictée.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la responsabilité de la commune du Port n'étant pas engagée en l'absence d'illégalité fautive, la SCI Anelard n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande indemnitaire.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune du Port, qui n'a pas la qualité de partie perdante, le versement de que somme que ce soit au titre des frais d'instance exposés par la SCI Anelard. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SCI Anelard une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la commune du Port et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SCI Anelard est rejetée.
Article 2 : La SCI Anelard versera à la commune de Port une somme de 1 500 euros au titre de de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI Anelard et à la commune du Port.
Délibéré après l'audience du 3 octobre 2023 à laquelle siégeaient :
M. Laurent Pouget, président,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 octobre 2023.
La rapporteure,
Marie-Pierre Beuve Dupuy
Le président,
Laurent Pouget Le greffier,
Anthony Fernandez
La République mande et ordonne au préfet de La Réunion en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 21BX01860