Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner le centre hospitalier d'Auch à lui verser une somme globale de 160 406,25 euros, en réparation des préjudices subis à la suite de sa prise en charge par l'établissement au mois d'avril 2004. Dans la même instance, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Gers a demandé la condamnation de l'établissement à lui rembourser ses débours pour un montant de 233 618,85 euros.
Dans une seconde affaire, les assureurs du centre hospitalier d'Auch, la société Axa France Iard et la société Yvelin, ont demandé au tribunal d'annuler le titre exécutoire émis le 23 juin 2020 par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam), en vue du recouvrement d'une somme de 51 440 euros, versée par substitution de l'assureur à Mme A..., en exécution d'un protocole d'indemnisation transactionnelle du 15 avril 2020 ou, subsidiairement, de limiter à 41 265 euros les sommes à verser à l'Oniam au titre de la réparation du préjudice corporel de Mme A..., et de rejeter les conclusions de l'Oniam tendant à ce que le paiement soit assorti d'une pénalité de 15 %.
Par un jugement n° 1801948, 2001930 du 18 mars 2021, le tribunal administratif de Pau a, après avoir joint les deux affaires, donné acte à Mme A... du désistement de sa demande, rejeté les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie du Gers, annulé le titre exécutoire émis par l'ONIAM le 23 juin 2020, et mis les frais et honoraires de l'expertise, liquidés et taxés à 1 250 euros, à la charge définitive de l'ONIAM.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 28 mai 2021, 15 novembre 2022 et 6 décembre 2022, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par la SELARL Birot-Ravaut et associés, demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Pau du 18 mars 2021 en tant qu'il a annulé le titre exécutoire du 23 juin 2020, mis à sa charge les frais d'expertise ainsi que la somme de 1 200 euros à verser à la société Axa France Iard au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, et rejeté le surplus de ses conclusions ;
2°) à titre subsidiaire, de condamner la société Axa France Iard à lui verser la somme de 51 440 euros en remboursement des prestations versées à Mme A... en substitution de l'assureur, assortie des intérêts au taux légal à compter du 11 août 2020, date de réception du titre exécutoire, et de la capitalisation des intérêts ;
3°) de condamner la société Axa France Iard à lui verser la pénalité de 15 % prévue à l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, soit la somme de 7 716 euros :
4°) de condamner la société Axa France Iard à lui rembourser les honoraires des deux experts successivement désignés dans le cadre des procédures devant la commission de conciliation et d'indemnisation, soit la somme de 1 045,16 euros ;
5°) de mettre à la charge de la société Axa France Iard et du centre hospitalier d'Auch les frais de l'expertise judiciaire liquidés et taxés à la somme de 1 250 euros ;
6°) de mettre à la charge de la société Axa France Iard la somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la responsabilité sans faute du centre hospitalier est engagée en raison de la défaillance du bistouri électrique utilisé lors de l'intervention du 11 avril 2004, ainsi que cela ressort de l'expertise demandée par la commission de conciliation et d'indemnisation (CCI) et des propos du chirurgien ayant réalisé l'opération ; si les vérifications techniques du matériel n'ont révélé aucune déficience, le chirurgien rapporte que le bistouri s'est mis à fonctionner spontanément, créant un arc électrique, et affirme que le bistouri qui a été rendu après vérification n'était pas celui qu'il avait utilisé lors de la cœlioscopie ; alors qu'il a relevé que le dommage avait été causé par un déclenchement involontaire du bistouri, le tribunal ne pouvait écarter la responsabilité de l'hôpital, engagée sans faute du fait de cette défaillance ; la créance de l'ONIAM, subrogé dans les droits de la victime, Mme A..., sur le fondement de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, n'est donc pas contestable dans son principe ;
- les conditions de notification du titre exécutoire sont sans incidence sur sa légalité ; le titre a été adressé à la société Yvelin dont les coordonnées ont été communiquées à la CCI ; la circonstance que cette société est courtier en assurances est sans incidence dès lors que la société Axa a été en mesure de contester le titre dans les délais ;
- le titre exécutoire vise le protocole transactionnel signé entre l'ONIAM et Mme A..., qui a en outre été joint, ainsi que l'avis de la CCI qui mentionne les préjudices sur lesquels l'assureur était invité à faire une offre d'indemnisation ; le protocole transactionnel détaille le montant indemnisé pour chaque préjudice extrapatrimonial, dont la durée et le quantum sont précisés dans les avis de la CCI ; l'indemnisation est faite au vu du référentiel indicatif mis en ligne sur le site internet de l'établissement ;
- le déficit fonctionnel temporaire a été indemnisé sur la base de 15 euros par jour d'incapacité totale, soit un total de 30 540 euros ; si ce montant dépasse ce que demandait initialement Mme A... devant le tribunal, il a été établi au vu de l'avis de la CCI du 14 février 2019 ;
- les souffrances endurées, évaluées à 5 sur 7, ont été indemnisées à hauteur de 14 000 euros, le préjudice sexuel à 2 000 euros et le préjudice esthétique permanent à 1 900 euros ;
- si le titre devait être annulé pour un motif de forme sans remise en cause du bien-fondé de la créance, il est demandé la condamnation du centre hospitalier à titre reconventionnel à lui verser la somme en litige ;
- les intérêts au taux légal sont dus à compter de la réception par la société Axa de la sommation de payer, le 11 août 2020, et la capitalisation des intérêts à compter du
11 août 2021 puis à chaque échéance annuelle ;
- la société Axa ayant formé opposition au titre exécutoire, l'ONIAM est fondé à solliciter l'application de la pénalité de 15 %, prévue à l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, soit la somme de 7 716 euros ;
- l'établissement est recevable à demander au juge le montant des frais d'expertise exposés dans le cadre des procédures CCI, dès lors qu'ils n'ont pas été compris dans le montant de la créance, objet du titre contesté ; ceux-ci s'élèvent à 1 045,16 euros.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 12 août 2021 et 18 novembre 2022, le centre hospitalier d'Auch, la société Axa France Iard et la société Yvelin, représentés par Me Paulian, concluent au rejet de la requête et des conclusions de la CPAM du Gers, à titre subsidiaire, à ce que la condamnation de la société Axa France Iard soit limitée aux seules sommes dues à Mme A... en réparation de son préjudice corporel, soit la somme totale de 41 265 euros, au rejet des conclusions relatives à la pénalité ou à la limitation de celle-ci, et à la mise à la charge de l'ONIAM de la somme de 3 000 euros sur le fondement de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils font valoir que :
- le titre exécutoire est irrégulier en ce qu'il a été adressé à la société Yvelin, courtier en assurances et qui, comme tel, ne peut être débiteur de la créance réclamée par l'ONIAM ; la société Axa n'est pas domiciliée dans ses locaux ;
- à la lecture des deux expertises rendues à la demande de la CCI et du juge des référés, la cause précise de la perforation du côlon, par atteinte directe ou par chute d'escarre dans les suites d'un arc électrique, n'est pas établie avec certitude ;
- le fonctionnement défectueux du matériel n'est pas établi, la vérification technique n'ayant pu mettre en évidence aucun dysfonctionnement ; les déclarations du chirurgien n'ont été faites qu'une fois qu'il avait été informé de l'existence d'une péritonite, et non dans le compte-rendu opératoire ; en l'état de l'instruction, le dommage provient soit d'une perforation directe, aléa thérapeutique non fautif, soit d'une brûlure par bistouri causée par une action involontaire du bistouri, déclenchée par son mode automatique et non par défaillance ; dans ce dernier cas, il s'agit d'un risque accidentel inhérent à l'acte médical qui ne pouvait être maîtrisé ;
- bien que non invoquée par l'ONIAM ou la victime, la responsabilité pour faute de l'hôpital ne saurait être engagée au vu des rapports d'expertise ;
- l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire ne saurait dépasser 20 euros par jour d'incapacité totale, soit une somme de 23 965 euros ; au demeurant, la somme accordée par l'ONIAM à Mme A... à ce titre dépasse le montant que celle-ci avait sollicité devant le tribunal ;
- à supposer que soit admise l'attribution de deux taux cumulatifs pour les souffrances endurées, alors qu'il existe un continuum jusqu'à la date de consolidation fixée au 23 juin 2017, l'indemnisation de ce poste de préjudice ne peut dépasser 20 500 euros au total ; en ne retenant qu'une seule période durant laquelle les souffrances ont été évaluées à 5 sur 7, comme dans l'avis de la CCI du 26 février 2019, il peut être alloué au plus la somme de 13 500 euros ;
- les indemnités allouées pour le préjudice esthétique permanent et le préjudice sexuel ne sauraient excéder respectivement 1 800 euros et 2 000 euros ;
- la pénalité prévue à l'article L. 1142-15 du code de la santé publique n'est en aucun cas une sanction automatique et est soumise à l'appréciation du juge ; en l'occurrence, alors qu'une offre d'indemnisation a été faite à la victime qui n'a pas donné suite, que l'expertise a reconnu l'existence d'un aléa thérapeutique et que la responsabilité de l'hôpital est tout à fait contestable, le refus d'indemnisation n'apparaît ni abusif, ni dilatoire ; la demande présentée par l'ONIAM à ce titre doit être rejetée, ou, à tout le moins, revue à la baisse dans son montant ;
- la caisse primaire d'assurance maladie devrait fournir le détail des dépenses de santé actuelles afin de pouvoir vérifier le lien de causalité entre l'accident médical et ces frais ; en outre, la caisse ayant déjà perçu une indemnité provisionnelle de 71 299,38 euros le 2 mars 2009, il est nécessaire de pouvoir apprécier l'ensemble des dépenses de santé inhérentes à l'accident ;
- la demande de la caisse au titre de la perte de gains professionnels actuels ne peut être admise en l'absence de tout document justificatif et alors que Mme A... a connu plusieurs périodes de reprise du travail ;
- eu égard à l'état antérieur de Mme A..., le lien de causalité entre les frais médicaux futurs et l'accident n'est pas établi ;
- la demande au titre des pertes de gains professionnels futurs devra être rejetée, faute pour la caisse de produire la décision d'attribution de la rente, permettant d'en apprécier les motifs et l'imputabilité à l'accident ; à supposer qu'il soit fait droit à la demande de la caisse, les sommes correspondantes devraient être imputées sur l'incidence professionnelle ou, à défaut, sur le poste de déficit fonctionnel permanent.
Par deux mémoires, enregistrés les 3 et 30 novembre 2022, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Gers, représentée par Me Combarel, conclut, dans l'hypothèse où la responsabilité du centre hospitalier d'Auch serait reconnue, à la condamnation de l'établissement et de son assureur, la société Axa France Iard, à lui verser la somme de 233 618,85 euros correspondant aux prestations servies à Mme A... et la somme de 1 114 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, et à la mise à leur charge de la somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les " entiers dépens ".
Elle fait valoir que :
- elle s'en rapporte sur la question de la responsabilité du centre hospitalier et de la garantie de son assureur ;
- le détail de sa créance a été élaboré sur la base du rapport d'expertise du 13 février 2018 et correspond à 53 319,94 euros de frais médicaux, pharmaceutiques, d'appareillage, de transport et hospitaliers, 7 097,09 euros d'indemnités journalières, 161 865,33 euros de pension d'invalidité pour le passé et l'avenir et 11 336,49 euros pour les frais futurs ; s'agissant des dépenses de santé actuelles, l'état de créance précise les dates, le nom des établissements de soins et le montant des sommes engagées, et l'attestation du médecin conseil confirme l'imputabilité des soins à l'accident ; la provision versée en 2009 est sans incidence sur le présent litige, dès lors qu'elle concernait des frais de santé exposés en 2004 et que les sommes en litige portent sur la période 2005 à 2018 ; les indemnités journalières correspondent aux périodes d'arrêts de travail et de reprise à mi-temps thérapeutique, retenues par l'expert ; la réclamation au titre de la pension d'invalidité est justifiée par les séquelles précisées dans le rapport d'expertise et qui justifient un déficit fonctionnel permanent de 25 %.
Par une ordonnance du 17 novembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 14 décembre 2022.
Par lettre du 10 août 2023, les parties ont été informées de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur le moyen, relevé d'office, tiré de la tardiveté des conclusions d'appel de la CPAM, enregistrées après l'expiration du délai d'appel, dès lors qu'il ne résulte ni de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ni d'aucune autre disposition législative ou réglementaire que les tiers payeurs ayant servi des prestations à la victime en raison de l'accident devraient être appelés en la cause lorsque le débiteur saisit le juge d'une opposition à un titre exécutoire émis par l'ONIAM après s'être substitué à l'assureur d'un centre hospitalier pour indemniser la victime (CE 9 mai 2019, SHAM, 426321).
Des observations à ce moyen soulevé d'office ont été présentées par le centre hospitalier d'Auch, la société Axa France Iard et la société Yvelin le 18 août 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Olivier Cotte,
- les conclusions de Mme Charlotte Isoard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Ravaut, représentant l'ONIAM et celles de Me Marcel, substituant Me Paulian, représentant le centre hospitalier d'Auch, la société Axa France et la société Yvelin.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., alors âgée de 37 ans, a été admise, le 10 avril 2004, à la demande de son médecin traitant, au service de chirurgie gynécologique du centre hospitalier d'Auch, en raison d'un syndrome douloureux abdomino-pelvien subaigu sur fond chronique. A l'occasion de la cœlioscopie exploratrice pratiquée le 11 avril 2004, qui a permis d'écarter la suspicion d'endométriose, le chirurgien a procédé à la délivrance d'adhérences épiplo-pariétales. Au cours de l'intervention, celui-ci a changé de bistouri électrique après avoir constaté un petit arc électrique spontané entre les mors de la pince d'électrocoagulation bipolaire. Mme A... a pu regagner son domicile le lendemain, avant d'être à nouveau hospitalisée, le 13 avril 2004, dans le service de chirurgie digestive pour d'importantes douleurs abdominales. Une cœlioscopie exploratrice a révélé l'existence d'une péritonite stercorale généralisée, due à une perforation de la face antérieure du côlon droit. L'intervention diagnostique s'est donc poursuivie en laparotomie médiane pour traiter la perforation colique, par une extériorisation de la perforation et la réalisation d'une colostomie iliaque droite. Mme A... a ensuite été transférée au service de réanimation du centre hospitalier d'Auch, où elle a séjourné jusqu'au 4 mai 2004, puis à l'hôpital Rangueil à Toulouse dans le service de réanimation, puis dans celui de chirurgie générale et digestive jusqu'au 7 juin 2004. Elle a connu une nouvelle hospitalisation au centre hospitalier d'Auch du 5 au 19 septembre 2004, afin de fermer la stomie, intervention réalisée le 8 septembre 2004. L'intéressée a ensuite repris son travail de comptable le 25 octobre 2004.
2. Mme A... a saisi, le 14 décembre 2006, la Commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI) de la région Midi-Pyrénées, d'une demande d'indemnisation. Au vu des conclusions du rapport d'expertise d'un chirurgien général et digestif, déposé le 19 février 2007, la CCI a retenu, dans son avis du 13 juin 2007, la responsabilité sans faute du centre hospitalier d'Auch, pour défaillance de l'appareil chirurgical utilisé et, en l'absence de consolidation de l'état de Mme A..., a invité l'assureur du centre hospitalier à faire une offre provisionnelle d'indemnisation à l'intéressée. La société Yvelin, courtier auprès de la Compagnie Axa Entreprises, assureur du centre hospitalier, a adressé une offre à Mme A... le 23 janvier 2008, à laquelle l'intéressée n'a pas donné suite. Son médecin traitant ayant considéré son état de santé consolidé le 25 janvier 2016, cette dernière a à nouveau saisi le 23 mars 2016 la CCI. Au vu des conclusions du rapport rédigé par un expert en chirurgie digestive et urologie et un expert psychiatre, déposé le 13 février 2018, la commission, dans son avis du 17 mai 2018, complété par un avis du 14 février 2019, a invité l'assureur du centre hospitalier à faire une offre d'indemnisation définitive. Le centre hospitalier a refusé, dans un courrier du 27 juin 2018, de répondre à cette invitation, en se fondant sur les conclusions d'une expertise judiciaire du 27 juillet 2010, ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Pau, retenant l'absence de faute du centre hospitalier et l'existence d'un aléa thérapeutique à l'origine du dommage. Saisi par Mme A..., l'ONIAM s'est substitué à l'assureur du centre hospitalier, en application de
l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, et un protocole d'indemnisation transactionnelle portant sur une partie des préjudices a été conclu, le 15 avril 2020, pour un montant de 51 440 euros.
3. Mme A... avait saisi le tribunal administratif de Pau, le 27 août 2018, d'une demande de condamnation du centre hospitalier d'Auch à lui verser une indemnité de 160 406,25 euros, en réparation des préjudices subis à la suite de sa prise en charge au mois d'avril 2004. Dans la même instance, la caisse primaire d'assurance maladie du Gers a demandé la condamnation de l'établissement à lui rembourser ses débours pour un montant de 233 618,85 euros. Les assureurs du centre hospitalier, la société Axa France Iard et la société Yvelin, ont, quant à eux, demandé au tribunal l'annulation du titre exécutoire émis par l'ONIAM, le 23 juin 2020, en vue du recouvrement de la somme versée à Mme A... en exécution du protocole transactionnel. Par un jugement du 18 mars 2021, le tribunal administratif de Pau, après avoir joint les deux affaires, a donné acte à Mme A... du désistement de sa demande, jugé que la responsabilité du centre hospitalier d'Auch n'était pas engagée, rejeté les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie du Gers et annulé le titre exécutoire émis par l'ONIAM le 23 juin 2020. Il a également mis les frais et honoraires de l'expertise, liquidés et taxés à la somme de 1 250 euros, à la charge définitive de l'ONIAM. Par la présente requête, l'ONIAM relève appel de ce jugement en tant qu'il a annulé le titre exécutoire du 23 juin 2020, mis à sa charge les frais d'expertise ainsi que la somme de 1 200 euros à verser à la société Axa France Iard au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, et rejeté le surplus de ses conclusions tendant au remboursement des frais d'expertise engagés devant la CCI et à l'application de la pénalité prévue par l'article L. 1142-15 du code de la santé publique. La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Gers demande la condamnation du centre hospitalier d'Auch et de son assureur, la société Axa France Iard, à lui verser la somme de 233 618,85 euros correspondant aux prestations servies à Mme A....
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne le bien-fondé du titre exécutoire émis par l'ONIAM :
4. Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique : " En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, (...) l'office institué à l'article L. 1142-22 est substitué à l'assureur. / (...) / L'acceptation de l'offre de l'office vaut transaction au sens de l'article 2044 du code civil. La transaction est portée à la connaissance du responsable et, le cas échéant, de son assureur ou du fonds institué à l'article L. 426-1 du code des assurances. / L'office est subrogé, à concurrence des sommes versées, dans les droits de la victime contre la personne responsable du dommage ou, le cas échéant, son assureur ou le fonds institué à l'article L. 426-1 du même code. Il peut en outre obtenir remboursement des frais d'expertise. / En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre (...), le juge, saisi dans le cadre de la subrogation, condamne, le cas échéant, l'assureur ou le responsable à verser à l'office une somme au plus égale à 15 % de l'indemnité qu'il alloue. / Lorsque l'office transige avec la victime, ou ses ayants droit, en application du présent article, cette transaction est opposable à l'assureur ou, le cas échéant, au fonds institué au même article L. 426-1 du code des assurances ou au responsable des dommages sauf le droit pour ceux-ci de contester devant le juge le principe de la responsabilité ou le montant des sommes réclamées. Quelle que soit la décision du juge, le montant des indemnités allouées à la victime lui reste acquis ". Aux termes de l'article R. 1142-53 de ce code : " L'établissement public est soumis aux dispositions des titres Ier et III du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ".
5. Il résulte de l'article R. 1142-53 du code de la santé publique que l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) peut émettre un titre exécutoire en vue du recouvrement de toute créance dont le fondement se trouve dans les dispositions d'une loi, d'un règlement ou d'une décision de justice, ou dans les obligations contractuelles ou quasi-délictuelles du débiteur. Les dispositions de l'article L. 1142-15 de ce code ne font pas obstacle à ce que l'ONIAM émette un tel titre à l'encontre de la personne responsable du dommage, de son assureur ou du fonds institué à l'article L. 426-1 du code des assurances afin de recouvrer les sommes versées à la victime, aux droits de laquelle il est subrogé.
6. Lorsque l'ONIAM a émis un titre exécutoire en vue du recouvrement de la somme versée à la victime en application de l'article L. 1142-15, le recours du débiteur tendant à la décharge de la somme ainsi mise à sa charge invite le juge administratif à se prononcer sur la responsabilité du débiteur à l'égard de la victime aux droits de laquelle l'office est subrogé, ainsi que sur le montant de son préjudice.
7. Sans préjudice des actions susceptibles d'être exercées à l'encontre du producteur, le service public hospitalier est responsable, même en l'absence de faute de sa part, des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits et appareils de santé qu'il utilise.
8. Il résulte de l'instruction, et notamment des rapports d'expertise, que, lors de la cœlioscopie exploratrice réalisée le 11 avril 2004, le gynécologue-obstétricien a constaté une adhérence épiplo-pariétale droite et décidé de pratiquer une adhésiolyse pelvienne complète, après électrocoagulation bipolaire. Cet acte a été mené, selon les experts, dans le respect des règles de bonne pratique. Toutefois, le praticien a signalé, après avoir été averti de la péritonite aiguë généralisée dont a été victime la patiente par la suite, résultant d'une perforation de la face antérieure du côlon droit, que, lors de l'intervention, un incident technique était survenu, le bistouri électrique s'étant mis à fonctionner spontanément, créant un arc électrique entre les deux mors de la pince bipolaire. Après avoir vérifié l'absence de lésion du pelvis, il a poursuivi l'intervention avec un autre bistouri. Cet évènement a fait l'objet d'une fiche de signalement d'incident quelques jours plus tard, le 15 avril suivant. Il résulte également de l'instruction que l'analyse du matériel, réalisée par le laboratoire Erbé le 22 avril 2004, n'a révélé aucun dysfonctionnement. Si le praticien a déclaré, lors de la deuxième expertise du 27 juillet 2010, que le bistouri qui a été rendu après vérification n'était pas celui qu'il avait utilisé lors de la cœlioscopie, cette affirmation non étayée n'est corroborée par aucune pièce du dossier. Il résulte au contraire des pièces produites que le bistouri qui a été envoyé en vérification était identifié par le numéro 13 et que le mode automatique de ces bistouris a été supprimé par le laboratoire pour le bistouri n° 13 et par le service biomédical de l'hôpital pour les bistouris n° 3, 14 et 15, ce qui démontre que chaque équipement était précisément identifié. Dans ces conditions, il n'est pas établi que la brûlure colique, ayant occasionné la perforation du côlon de la patiente, résulterait d'une défaillance du matériel électrique utilisé au cours de l'intervention.
9. Il s'ensuit que la responsabilité du centre hospitalier d'Auch ne pouvant être engagée, le titre exécutoire émis par l'ONIAM à l'encontre de l'assureur de l'établissement est mal fondé.
En ce qui concerne les demandes reconventionnelles présentées par l'ONIAM :
10. Ainsi qu'il a été dit au point précédent, la responsabilité sans faute de l'établissement hospitalier ne pouvant être engagée pour défaillance d'un appareil de santé, l'ONIAM n'est pas fondé à demander, à titre subsidiaire, la condamnation du centre hospitalier à lui rembourser l'indemnité versée à Mme A... en exécution du protocole transactionnel du 15 avril 2020.
11. L'ONIAM n'est pas davantage fondé, pour les mêmes motifs, à demander le remboursement des frais d'expertise, ni à solliciter l'application de la pénalité prévue par les dispositions du cinquième alinéa de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique.
Sur la recevabilité des conclusions de la CPAM du Gers :
12. Lorsqu'il a versé une indemnité à la victime en application de
l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, il appartient à l'ONIAM, s'il a connaissance du versement à cette victime de prestations mentionnées à l'article 29 de la loi du
5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la 'circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation, d'informer les tiers payeurs concernés afin de leur permettre de faire valoir leurs droits auprès du tiers responsable, de son assureur ou du fonds institué à l'article L. 426-1 du code des assurances. Il incombe également à l'office d'informer les tiers payeurs, le cas échéant, de l'émission d'un titre exécutoire à l'encontre du débiteur de l'indemnité ainsi que des décisions de justice rendues sur le recours formé par le débiteur contre ce titre.
13. En revanche, il ne résulte ni de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ni d'aucune autre disposition législative ou réglementaire que les tiers payeurs ayant servi des prestations à la victime en raison de l'accident devraient être appelés en la cause lorsque le débiteur saisit le juge administratif d'une opposition au titre exécutoire.
14. Les conclusions de la CPAM du Gers, tendant à la condamnation du centre hospitalier d'Auch à lui rembourser le montant des prestations servies à Mme A..., ont été enregistrées le 2 novembre 2022, postérieurement à l'expiration du délai d'appel contre le jugement qui lui a été notifié le 1er avril 2021. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu'il n'existe aucune obligation de mise en cause des tiers payeurs dans un contentieux relatif à un titre exécutoire émis par l'ONIAM à l'encontre d'un établissement hospitalier. Par suite, les conclusions de la CPAM du Gers sont, ainsi que les parties en ont été informées par courrier du 10 août 2023, tardives et, comme telles, irrecevables.
15. Il résulte de tout ce qui précède que l'ONIAM n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a annulé le titre exécutoire du 23 juin 2020, mis à sa charge les frais d'expertise, ainsi que la somme de 1 200 euros à verser à la société Axa France Iard au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, et rejeté le surplus de ses conclusions.
Sur les frais liés au litige :
16. D'une part, la CPAM du Gers n'obtenant pas le remboursement de ses débours par le centre hospitalier, elle n'est pas fondée à demander le versement de l'indemnité forfaitaire de gestion, prévue par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.
17. D'autre part, les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge de la société Axa France Iard ou du centre hospitalier d'Auch, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, les sommes que l'ONIAM et la CPAM du Gers demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'ONIAM la somme que la société Axa France Iard et la société Yvelin demandent au même titre.
DECIDE :
Article 1er : La requête de l'ONIAM est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la CPAM du Gers, ainsi que le surplus des conclusions du centre hospitalier d'Auch, de la société Axa France Iard et de la société Yvelin sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à la société Axa France Iard, au centre hospitalier d'Auch, à la société Yvelin et à la caisse primaire d'assurance maladie du Gers, venant aux droits de la caisse primaire d'assurance maladie du Gers.
Délibéré après l'audience du 12 septembre 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente assesseure,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 octobre 2023.
Le rapporteur,
Olivier Cotte
La présidente,
Catherine Girault
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21BX02280