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05/10/2023 | FRANCE | N°23BX00260

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 05 octobre 2023, 23BX00260


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... C... a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler l'arrêté du 6 octobre 2022 par lequel le préfet du Gers lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra, le cas échéant, être reconduite.

Par un jugement n° 2202343 du 28 décembre 2022, la présidente du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 26 janvier 2

023, Mme C..., représentée par Me Lescarret, demande à la cour :

1°) de l'admettre provisoiremen...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... C... a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler l'arrêté du 6 octobre 2022 par lequel le préfet du Gers lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra, le cas échéant, être reconduite.

Par un jugement n° 2202343 du 28 décembre 2022, la présidente du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 26 janvier 2023, Mme C..., représentée par Me Lescarret, demande à la cour :

1°) de l'admettre provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;

2°) d'annuler ce jugement de la présidente du tribunal administratif de Pau ;

3°) d'annuler l'arrêté du 6 octobre 2022 du préfet du Gers ;

4°) à titre subsidiaire, de suspendre l'exécution de la décision portant obligation de quitter le territoire français jusqu'à la décision de la Cour nationale du droit d'asile sur sa situation ;

5°) d'enjoindre au préfet du Gers de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêté à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour ;

6°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé au regard des éléments versés au soutien du moyen tiré de la méconnaissance par la décision fixant le pays de renvoi de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision d'éloignement est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle au regard des risques auxquels elle sera exposée en cas de retour dans son pays d'origine et méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- cette décision méconnait également le premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant compte tenu des risques encourus par son fils en cas de retour en Albanie et de la nécessité de poursuivre en France la prise en charge médicale engagée ;

- la décision fixant le pays de destination est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité de la décision d'éloignement ;

- cette décision est entachée d'un défaut de motivation qui révèle l'absence d'examen particulier de sa situation ;

- elle est également entachée d'une erreur d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît enfin le premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant.

La requête a été communiquée au préfet du Gers qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 février 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme Kolia Gallier a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., ressortissante albanaise née le 2 janvier 1995, indique être entrée en France le 6 mars 2022 et a présenté une demande d'asile le 9 mars suivant. Cette demande a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, statuant en procédure accéléré, du 29 juillet 2022. Par un arrêté du 6 octobre 2022, le préfet du Gers a fait obligation à Mme C... de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra, le cas échéant, être reconduite. Mme C... relève appel du jugement du 28 décembre 2022 par lequel la présidente du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions tendant à l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :

2. Mme C... a été admise à l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 21 février 2023. Par suite, ses conclusions tendant au bénéfice provisoire de l'aide juridictionnelle sont devenues sans objet et il n'y a plus lieu d'y statuer.

Sur la régularité du jugement :

3. Contrairement à ce que soutient Mme C..., il résulte des motifs du jugement attaqué que la présidente du tribunal administratif de Pau a répondu de façon suffisamment motivée au moyen tiré de la méconnaissance, par la décision fixant le pays de renvoi, de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Sur le bien-fondé du jugement :

4. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale (...) ".

5. Mme C..., qui soutient être entrée en France le 6 mars 2022 avec son fils A..., ne se prévaut d'aucune attache privée ou familiale sur le territoire national où elle n'était présente que depuis 7 mois à la date de l'arrêté litigieux. Il ressort des pièces du dossier que l'intéressée bénéficie d'un suivi psychologique en France et elle allègue, sans toutefois apporter aucune pièce pour l'établir, que son fils bénéficierait également d'une prise en charge médicale. Toutefois, l'intéressée ne justifie ni même ne soutient sérieusement que ces prises en charge ne pourraient se poursuivre ailleurs qu'en France et en particulier en Albanie. Dans ces conditions, Mme C... ne saurait être regardée comme ayant situé en France le centre de ses intérêts privés et familiaux et elle n'est pas fondée à soutenir que la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français aurait porté à son droit à mener une vie privée et familiale normale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels elle a été prise. Les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations précitées et de l'erreur manifeste d'appréciation dont serait entachée la décision d'éloignement au regard de ses conséquences sur la situation de la requérante ne peuvent, par suite, qu'être écartés.

6. Les moyens dirigés contre la décision portant obligation de quitter le territoire français ayant été écartés, le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de destination serait dépourvue de base légale en raison de l'illégalité de cette décision ne peut qu'être écarté.

7. Il ressort des termes de l'arrêté litigieux du 6 octobre 2022 que la décision fixant le pays à destination duquel Mme C... pourra être reconduite mentionne les éléments de droit et de fait sur lesquels elle se fonde. Cette motivation, qui est suffisante, révèle que le préfet a bien procédé à un examen particulier de la situation de l'intéressée.

8. Enfin, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. " L'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : / 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu la qualité de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2° Un autre pays pour lequel un document de voyage en cours de validité a été délivré en application d'un accord ou arrangement de réadmission européen ou bilatéral ; / 3° Ou, avec l'accord de l'étranger, tout autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. "

9. Mme C... expose s'être mariée en Albanie avec M. B... avec lequel elle a eu un fils le 12 février 2014. Son époux s'étant installé en Belgique pour rechercher du travail, elle indique l'avoir rejoint dans le courant de l'année 2015 et avoir été victime, durant ce séjour, de son comportement constamment agressif ainsi que de violences physiques et psychologiques dans un contexte d'alcoolisation importante et de consommation de drogue. Après un bref retour en Albanie accompagnée de son fils, Mme C... expose avoir retrouvé son époux en Belgique et constaté que sa situation s'était encore dégradée du fait notamment de son implication dans un trafic de drogue. En raison des menaces dont il faisait l'objet et des violences qu'il lui infligeait, Mme C... indique être rentrée en Albanie avec l'aide de son frère. Elle y a toutefois été rejointe par son époux, expulsé de Belgique, et souhaitant prendre son nom pour se créer une nouvelle identité. Mme C... y ayant consenti, elle indique s'être remariée avec M. B... le 24 septembre 2018 après que le divorce a été prononcé le 6 juillet précédent. Son époux n'a donné aucune nouvelle jusqu'en 2021, où il est revenu vivre avec son épouse et son fils. Mme C... expose avoir été alors victime de violences psychologiques, notamment des menaces de mort, physiques, son époux l'ayant agressée, armé d'un couteau, et de tentatives de viols. La plupart des violences ayant eu lieu devant leur enfant, celui-ci en aurait conservé une atteinte neurologique à l'origine d'un trouble oculaire. Mme C... explique s'être réfugiée, avec son fils, chez sa sœur en Allemagne au mois de février 2022 puis, compte tenu des menaces qui lui étaient faites par téléphone par son époux ayant identifié sa localisation, avoir fui en France le mois suivant. Toutefois, Mme C... ne produit au soutien de son récit, qui a été regardé comme superficiel et peu convaincant par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, que quelques messages de menaces de son époux du 4 novembre 2022, postérieurs à l'arrêté litigieux même s'il peut en être tenu compte dès lors qu'ils sont susceptibles d'éclairer la situation existante à la date de son édiction, une attestation de son père indiquant les menaces dont sa famille est l'objet et des captures d'écrans de messages de menaces échangés par M. B... et un autre individu non identifié, qui ne sont pas datés et dont le contexte ne peut être déterminé. Ces seuls éléments sont insuffisants pour regarder Mme C... et son fils comme exposés à un risque direct et actuel en cas de retour en Albanie. Par suite, les moyens tirés de ce que la décision fixant le pays de renvoi serait entachée d'une erreur d'appréciation au regard des stipulations et dispositions précitées doivent être écartés, ainsi que celui tiré de la méconnaissance par cette décision du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant.

10. Il résulte de ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la présidente du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 6 octobre 2022.

Sur les conclusions à fin de suspension de la mesure d'éloignement :

11. Aux termes de l'article L. 752-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont le droit au maintien sur le territoire a pris fin en application des b ou d du 1° de l'article L. 542-2 et qui fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français peut, dans les conditions prévues à la présente section, demander au tribunal administratif la suspension de l'exécution de cette décision jusqu'à l'expiration du délai de recours devant la Cour nationale du droit d'asile ou, si celle-ci est saisie, soit jusqu'à la date de la lecture en audience publique de la décision de la cour, soit, s'il est statué par ordonnance, jusqu'à la date de la notification de celle-ci. ". L'article L. 752-11 du même code dispose que : " Le président du tribunal administratif ou le magistrat désigné, saisi en application des articles L. 752-6 ou L. 752-7, fait droit à la demande de l'étranger lorsque celui-ci présente des éléments sérieux de nature à justifier, au titre de sa demande d'asile, son maintien sur le territoire durant l'examen de son recours par la Cour nationale du droit d'asile ".

12. Ainsi qu'il a été exposé ci-dessus, il ne ressort pas des pièces du dossier d'élément sérieux de nature à justifier le maintien de Mme C... sur le territoire durant l'examen de son recours par la Cour nationale du droit d'asile. Par suite, c'est à bon droit que la présidente du tribunal administratif de Pau a rejeté la demande présentée par l'intéressée à ce titre.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

13. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du préfet du Gers du 6 octobre 2022, n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par Mme C... ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme à verser au conseil de Mme C... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de Mme C... tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire.

Article 2 : La requête de Mme C... est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet du Gers.

Délibéré après l'audience du 14 septembre 2023 à laquelle siégeaient :

M. Luc Derepas, président de la cour,

M. Jean-Claude Pauziès, président de la 1ère chambre,

Mme Kolia Gallier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 octobre 2023.

La rapporteure,

Kolia GallierLe président,

Luc Derepas

La greffière,

Marion Azam Marche

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 23BX00260 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23BX00260
Date de la décision : 05/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. DEREPAS
Rapporteur ?: Mme Kolia GALLIER
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL CERA
Avocat(s) : LESCARRET

Origine de la décision
Date de l'import : 15/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-10-05;23bx00260 ?
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