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19/09/2023 | FRANCE | N°21BX03618

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre, 19 septembre 2023, 21BX03618


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 7 septembre 2021 et 16 janvier 2023, la société à responsabilité limitée (SARL) Parc éolien de la Vallée du Haut Bac, représentée par Me Elfassi, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 7 juillet 2021 par lequel le préfet des Deux-Sèvres a rejeté sa demande d'autorisation environnementale relative à l'exploitation de trois éoliennes sur le territoire de la commune de Rom ;

2°) de délivrer l'autorisation sollicitée ;

3°) à titre subsidiaire, d'

enjoindre au préfet de délivrer l'autorisation sollicitée ou de réexaminer la demande dans un délai...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 7 septembre 2021 et 16 janvier 2023, la société à responsabilité limitée (SARL) Parc éolien de la Vallée du Haut Bac, représentée par Me Elfassi, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 7 juillet 2021 par lequel le préfet des Deux-Sèvres a rejeté sa demande d'autorisation environnementale relative à l'exploitation de trois éoliennes sur le territoire de la commune de Rom ;

2°) de délivrer l'autorisation sollicitée ;

3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de délivrer l'autorisation sollicitée ou de réexaminer la demande dans un délai de deux mois ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé ;

- le préfet a commis une erreur de droit en retenant que le fait que le projet soit situé en zone Natura 2000 fait nécessairement obstacle à la délivrance de l'autorisation ;

- le préfet a commis une erreur d'appréciation dès lors que le projet ne porte pas une atteinte telle à l'avifaune qu'il justifierait une décision de refus.

Par un mémoire enregistré le 7 novembre 2022, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 16 janvier 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 15 mars 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive n° 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages ;

- le code de l'environnement ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- l'arrêté du 29 octobre 2009 fixant la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Sébastien Ellie ;

- les conclusions de M. Stéphane Gueguein, rapporteur public ;

- et les observations de Me Durand représentant la société Parc éolien de la Vallée du Haut Bac.

Une note en délibéré présentée par Me Elfassi pour la société Parc éolien de la Vallée du Haut Bac a été enregistrée le 5 septembre 2023.

Considérant ce qui suit :

1. Le 19 décembre 2018, la SARL Parc éolien de la Vallée du Haut Bac a déposé une demande d'autorisation environnementale pour l'installation et l'exploitation d'un parc éolien composé de trois éoliennes de 150 mètres de hauteur en bout de pale et d'un poste de livraison, sur le territoire de la commune de Rom. Par un arrêté du 7 juillet 2021, le préfet des Deux-Sèvres a rejeté cette demande. La société Parc éolien de la Vallée du Haut Bac demande l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté attaqué :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".

3. Après avoir visé les textes applicables et notamment les articles pertinents du code de l'environnement et décrit le projet de parc éolien, le préfet a relevé que deux éoliennes se situent dans le site Natura 2000 " Plaine de la Mothe Saint-Héray - Lezay " (zone de protection spéciale au titre de la directive " Oiseaux "), et que la troisième est située à moins de 200 mètres de ce même site. Le préfet a également mentionné la présence de plusieurs espèces d'oiseaux protégés sur le site d'implantation du projet et dans la zone Natura 2000. En prenant en compte l'avis de l'autorité environnementale et la stratégie régionale de l'État pour le développement des énergies renouvelables en Nouvelle-Aquitaine, le préfet a indiqué que les mesures d'évitement et de réduction des impacts proposées par la société requérante n'étaient pas suffisantes pour réduire l'impact du projet à un niveau acceptable. Cette motivation est suffisante, contrairement à ce que soutient la société requérante, dès lors qu'elle permet de comprendre les éléments de droit et de fait sur lesquels la décision est fondée.

En ce qui concerne le moyen tiré de l'erreur de droit :

4. Aux termes de l'article L. 512-1 du code de l'environnement : " Sont soumises à autorisation les installations qui présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1. / L'autorisation, dénommée autorisation environnementale, est délivrée dans les conditions prévues au chapitre unique du titre VIII du livre Ier ". Aux termes de l'article L. 511-1 du même code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre (...), les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique (...) ". Aux termes de l'article L. 414-4 du code de l'environnement : " I. - Lorsqu'ils sont susceptibles d'affecter de manière significative un site Natura 2000 (...) doivent faire l'objet d'une évaluation de leurs incidences au regard des objectifs de conservation du site, dénommée ci-après " Évaluation des incidences Natura 2000 " : (...) 2° Les (...) projets d'activités, de travaux, d'aménagements, d'ouvrages ou d'installations (...) VI. - L'autorité chargée d'autoriser (...) s'oppose à tout (...) projet (...) si l'évaluation des incidences requise (...) se révèle insuffisante ou s'il en résulte que leur réalisation porterait atteinte aux objectifs de conservation (...). "

5. Il résulte de l'instruction que deux des trois éoliennes dont l'implantation est envisagée se situent au sein d'une zone Natura 2000 (zone de protection spéciale au titre de la directive " Oiseaux "), la troisième éolienne devant être implantée à proximité immédiate de cette zone. Celle-ci accueille en particulier le busard Saint-Martin, l'oedicnème criard et l'outarde canepetière. Pour rejeter la demande de la société requérante, le préfet ne s'est pas uniquement fondé sur le fait que le projet devait être partiellement implanté en zone Natura 2000, mais aussi sur le constat que des enjeux importants ont été relevés s'agissant de l'oedicnème criard et que certaines espèces telles que le busard cendré, le busard Saint-Martin et le milan noir présentent des niveaux de sensibilité élevés vis-à-vis de l'éolien. Le préfet a également relevé, dans son arrêté, que la zone concernée constitue dans le département des Deux-Sèvres l'une des quatre principales zones de survivance de l'outarde canepetière, en danger d'extinction. Il a ensuite retenu que l'étude d'impact n'est pas de nature à écarter tout doute raisonnable quant à l'absence d'effets préjudiciables du projet, tel qu'il est localisé. Le préfet a également entendu s'approprier l'avis de l'autorité environnementale selon lequel l'étude d'impact n'apporte pas d'éléments suffisants pour garantir une absence d'impact significatif sur les espèces d'intérêt patrimonial, en l'absence d'évitement de la zone Natura 2000. Le préfet a enfin considéré que les mesures d'évitement et de réduction des impacts proposées par la société requérante n'étaient pas suffisantes pour réduire l'impact du projet jusqu'à un niveau acceptable.

6. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que le préfet, qui a fait référence aux articles L. 511-1 et L. 414-4 précités du code de l'environnement, a entendu fonder sa décision non pas sur la seule localisation du projet en zone Natura 2000 mais sur les atteintes que comporte le projet aux intérêts visés à l'article L. 511-1 et à la zone Natura 2000. La société Parc éolien de la Vallée du Haut Bac n'est donc pas fondée à soutenir que le préfet des Deux-Sèvres aurait commis une erreur de droit en fondant sa décision de refus sur le seul fait que le projet est partiellement localisé en zone Natura 2000.

En ce qui concerne le moyen tiré de l'absence d'atteinte à l'avifaune :

7. Dans l'exercice de ses pouvoirs de police administrative en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement, il appartient à l'autorité administrative d'assortir l'autorisation d'exploiter délivrée en application de l'article L. 512-1 du code de l'environnement des prescriptions de nature à assurer la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du même code, en tenant compte des conditions d'installation et d'exploitation précisées par le pétitionnaire dans le dossier de demande, celles-ci comprenant notamment les engagements qu'il prend afin d'éviter, réduire et compenser les dangers ou inconvénients de son exploitation pour ces intérêts. Ce n'est que dans le cas où il estime, au vu d'une appréciation concrète de l'ensemble des caractéristiques de la situation qui lui est soumise et du projet pour lequel l'autorisation d'exploitation est sollicitée, que même l'édiction de prescriptions ne permet pas d'assurer la conformité de l'exploitation aux dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'environnement, qu'il ne peut légalement délivrer cette autorisation.

8. Il résulte par ailleurs des dispositions précitées de l'article L. 414-4 du code de l'environnement, éclairées par l'interprétation donnée par la Cour de Justice de l'Union Européenne sur les conditions d'application de la directive " Habitats " (11 avril 2013 C-258/11), que l'autorisation d'un projet entrant dans leur champ d'application ne peut être accordée qu'à la condition que les autorités compétentes, une fois identifiés tous les aspects de ce projet pouvant affecter les objectifs de conservation du site Natura 2000 concerné et compte tenu des meilleures connaissances scientifiques en la matière, aient acquis la certitude, au moment où elles autorisent le projet, qu'il est dépourvu d'effets préjudiciables durables à l'intégrité du site concerné. Il en est ainsi lorsqu'il ne subsiste aucun doute raisonnable d'un point de vue scientifique quant à l'absence de tels effets. Par ailleurs, il résulte de ces dispositions que, pour évaluer les incidences du projet sur l'état de conservation de ce site, il doit être tenu compte des mesures, prévues par le projet, de nature à supprimer ou réduire les effets dommageables de celui-ci sur le site en cause mais, en revanche, il n'y a pas lieu de tenir compte, à ce stade, des mesures compensatoires envisagées, le cas échéant, dans l'étude d'incidences.

9. Il résulte de l'instruction que le site d'implantation des éoliennes recouvre partiellement celui de la zone Natura 2000 " Plaine de la Mothe Saint-Héray - Lezay ". L'étude d'impact mentionne l'existence dans la zone de 15 espèces ayant justifié le classement Natura 2000, dont 7 atteignent des effectifs remarquables sur le site. L'œdicnème criard est présent sur le site d'implantation, ainsi que le busard cendré, le busard Saint-Martin, le milan noir, le milan royal, le faucon émerillon et la pie grièche écorcheur. Les enjeux liés à la migration de l'œdicnème criard sont qualifiés de faibles par l'étude d'impact, en l'absence de courant migratoire et du faible nombre d'oiseaux recensés. L'étude d'impact retient également que cette espèce n'est pas sensible aux éoliennes en fonctionnement (impact nul à faible) mais qu'il est sensible au dérangement en phase travaux pendant la période de nichage et est ainsi classé en enjeu modéré. L'étude d'impact indique également que les incidences du projet, composé de trois éoliennes uniquement, sont fortement réduites par l'implantation envisagée, à l'extrême est de la zone Natura 2000, à 300 mètres à l'est de la LGV Paris-Bordeaux laquelle a conduit à une concentration de l'avifaune à l'ouest de cette ligne. La société pétitionnaire prévoit en outre de faire intervenir un ornithologue avant le démarrage des travaux chargé de produire un rapport sur la situation de l'avifaune, communiqué à l'inspection des installations classées.

10. Il résulte cependant de l'instruction et notamment de l'étude d'impact et de l'avis de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) du 28 juin 2021 que le secteur d'implantation des éoliennes constitue toujours une zone d'habitat et de chasse fonctionnelle de plusieurs espèces vulnérables, en particulier le busard Saint-Martin et le faucon émerillon. La DREAL relève également sans qu'aucun élément de l'instruction ne permette de mettre en doute ces appréciations, que même à l'est de la ligne LGV, la zone présente encore un intérêt pour l'avifaune et que son attractivité pourrait être renforcée. En outre, les risques de collisions notamment pour les espèces susceptibles de chasser dans les cultures céréalières, telles que le busard Saint-Martin, ne sont pas négligeables alors que le projet ne prévoit pas de dispositif suffisant pour limiter ce risque. Le projet est ainsi de nature à aggraver l'effet repoussoir de la LGV dans un secteur qui accueille déjà de nombreux parcs éoliens tout autour du site Natura 2000, dont les effets cumulés présentent un risque d'impact notable sur les enjeux de préservation notamment par la réduction des possibilités de reconquête des territoires par l'avifaune observée autour du site. Enfin, si les travaux d'installation des éoliennes ne seront pas réalisés en période de reproduction et si les travaux de terrassement ne seront pas effectués durant la période du 1er mars au 31 juillet, le ministre fait valoir sans être contesté que l'œdicnème criard peut nicher sur un site jusqu'à fin octobre.

11. Il résulte de ce qui précède que le projet ne peut être regardé comme dépourvu d'effets préjudiciables durables à l'intégrité du site Natura 2000 concerné, de sorte que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le préfet a refusé de lui délivrer l'autorisation demandée. Elle n'est donc pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 7 juillet 2021 du préfet des Deux-Sèvres.

Sur les conclusions tendant à la délivrance d'une autorisation ou au prononcé d'une injonction :

12. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions présentées par la société Parc éolien de la Vallée du Haut Bac, n'implique ni la délivrance de l'autorisation sollicitée, ni qu'il soit enjoint au préfet compétent de délivrer cette autorisation ou de réexaminer la demande.

Sur les frais d'instance :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que demande la société Parc éolien de la Vallée du Haut Bac au titre des frais d'instance.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Parc éolien de la Vallée du Haut Bac est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Parc éolien de la Vallée du Haut Bac et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressé à la préfète des Deux-Sèvres.

Délibéré après l'audience du 29 août 2023 où siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, présidente,

M. Sébastien Ellie, premier conseiller,

Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 septembre 2023.

Le rapporteur,

Sébastien Ellie

La présidente,

Elisabeth Jayat

La greffière,

Marion Azam-Marche

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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N°21BX03618


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX03618
Date de la décision : 19/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: M. Sébastien ELLIE
Rapporteur public ?: M. GUEGUEIN
Avocat(s) : ELFASSI

Origine de la décision
Date de l'import : 24/09/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-09-19;21bx03618 ?
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