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14/09/2023 | FRANCE | N°21BX03180

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 14 septembre 2023, 21BX03180


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... et M. B... D... ont demandé au tribunal administratif de la Réunion de condamner le Groupe hospitalier Sud Réunion (GHSR) à verser la somme

de 2 688 504 euros au premier dénommé et la somme de 90 000 euros au second, assorties des intérêts et de la capitalisation des intérêts, et de surseoir à statuer sur le préjudice économique de M. D....

Dans la même instance, la caisse générale de sécurité sociale de la Réunion

a demandé que le Groupe hospitalier Sud Réun

ion soit condamné à lui rembourser le montant des prestations servies à M.C..., soit la somme de 189 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... et M. B... D... ont demandé au tribunal administratif de la Réunion de condamner le Groupe hospitalier Sud Réunion (GHSR) à verser la somme

de 2 688 504 euros au premier dénommé et la somme de 90 000 euros au second, assorties des intérêts et de la capitalisation des intérêts, et de surseoir à statuer sur le préjudice économique de M. D....

Dans la même instance, la caisse générale de sécurité sociale de la Réunion

a demandé que le Groupe hospitalier Sud Réunion soit condamné à lui rembourser le montant des prestations servies à M.C..., soit la somme de 189 278,21 euros.

Par un jugement n° 1900096 du 25 mai 2021, le tribunal administratif de la Réunion a rejeté ces demandes et a mis à la charge de M. C... et de M. D... les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme de 2 920,10 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 21 juillet 2021 et 28 avril 2023, M. C... et M. D..., représentés par le cabinet Preziosi, Ceccaldi, Albenois, demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Réunion du 25 mai 2021 ;

2°) de condamner le GHSR ou l'ONIAM à verser les sommes de 3 062 493,60 euros à M. C... et la somme de 90 000 euros à M. D..., assorties des intérêts au taux légal à compter de la demande préalable et de la capitalisation des intérêts ;

3°) de surseoir à statuer sur le préjudice économique de M. D... ;

4°) de mettre à la charge de toute partie succombante la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.

Ils soutiennent que :

- une faute a été commise par l'hôpital dans l'organisation du service, en n'appliquant pas le plan cancer ; dès lors qu'un comité pluridisciplinaire, s'il avait été consulté, aurait pu privilégier le recours à une biopsie et à une chimiothérapie, l'exérèse pratiquée n'est pas de bonne pratique et n'est pas conforme aux données acquises de la science ; le choix de la thérapeutique employée a fait courir deux fois plus de risques au patient par rapport à la biopsie ; M. C... n'a pas été informé de l'existence d'une alternative et cette absence d'information est à l'origine d'une perte de chance qui peut être évaluée, selon l'expertise, à 50 % ;

- les critères pour obtenir la réparation des dommages consécutifs à une infection nosocomiale sont remplis : M. C... est atteint d'un déficit fonctionnel permanent de 80 % et l'expertise souligne que les remaniements infectieux secondaires à l'intervention participent aux séquelles actuelles qu'il présente; cette responsabilité peut être évaluée

à 50 % des dommages ;

- les frais divers comprennent les frais d'analyse et d'assistance lors de l'expertise, pour un montant total de 4 055 euros ;

- le besoin d'assistance par une tierce personne existait dès le retour à domicile,

à raison de cinq heures par jour, alors même que l'expertise n'a évalué ce besoin que pour

la période postérieure à la consolidation ; pendant la période du 28 septembre 2010

au 19 mai 2011, correspondant aux cures de chimiothérapie, le besoin a été de vingt-quatre heures sur vingt-quatre ; en tenant compte des jours d'hospitalisation, au nombre de 119, cela représente 2 760 heures ; à compter du 19 mai 2010, le besoin peut être évalué à douze heures par jour, soit un total de 10 344 heures ; sur la base d'un coût horaire de 24 euros, correspondant au tarif des prestataires d'aide à domicile, et en tenant compte du temps qui se sera écoulé jusqu'à la date prévisible de l'arrêt, le 26 septembre 2023, le préjudice peut être fixé à 1 366 560 euros ;

- le besoin d'assistance par une tierce personne, pour la période postérieure à la consolidation, peut être revu à la hausse par rapport à l'expertise et être évalué à 12 heures par jour ; sur la base du même coût horaire que pour la période passée et du taux de rente viagère pour un homme de 75 ans en 2023, le préjudice peut être fixé à 1 348 689,60 euros s'il s'agit d'un capital ; à défaut, le montant de la rente viagère s'élève à 26 280 euros par trimestre ; il n'y a pas lieu de déduire la prestation de compensation du handicap, M. C... n'en étant pas bénéficiaire ;

- il a été nécessaire de réaliser des travaux d'aménagement de la salle de bain pour un montant de 6 309 euros ;

- le déficit fonctionnel temporaire qui a duré 1 096 jours peut être évalué, sur la base de 30 euros par jour de déficit total, à la somme de 32 880 euros ;

- évaluées à 4,5 sur 7, les souffrances endurées représentent un préjudice

de 30 000 euros ;

- bien que non mentionné par l'expert, alors que celui-ci a retenu un préjudice esthétique permanent, M. C... a incontestablement subi un préjudice esthétique durant la période avant consolidation, dès lors qu'il n'y a pas eu de reconstruction de la voûte osseuse après l'intervention, qu'il est resté alité durant de nombreuses semaines et qu'il n'a pu marcher sans canne qu'à compter de février 2011 ; en retenant la même cotation que pour le préjudice esthétique définitif, ce préjudice peut être évalué à 2 000 euros ;

- le déficit fonctionnel permanent évalué à 80 % par l'expert peut être fixé

à 208 000 euros ;

- le préjudice esthétique définitif dû à une asymétrie du crâne avec aplatissement du côté droit peut être indemnisé à hauteur de 4 000 euros ;

- eu égard aux nombreuses activités que M. C... pratiquait auparavant et qu'il a dû arrêter, le préjudice d'agrément peut être fixé à 30 000 euros ;

- le préjudice sexuel peut être réparé par une indemnité de 30 000 euros ;

- eu égard à l'angoisse vécue durant la prise en charge de son compagnon et à la souffrance personnelle de voir l'état de santé de celui-ci se dégrader, le préjudice d'affection de M. D... peut être fixé à 30 000 euros ;

- en raison des bouleversements dans son mode de vie engendrés par l'accident médical, il est demandé 30 000 euros au titre du préjudice d'accompagnement

de M. D... ;

- le préjudice sexuel de ce dernier peut donner lieu à une indemnisation du même montant que celui de son époux, soit 30 000 euros ;

- en raison de l'accident médical de son compagnon, M. D... a dû cesser son activité professionnelle de gérant d'une société en mars 2011 ; le chiffrage du préjudice étant toujours en cours, il est demandé le sursis à statuer sur ce poste ;

- si la faute du centre hospitalier n'était pas reconnue, il conviendrait de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à indemniser M. C... dès lors que les séquelles résultent d'une infection nosocomiale lors de la deuxième cure de chimiothérapie et que le taux de déficit fonctionnel permanent est de 80 % ; cette infection doit être reconnue comme à l'origine de 50 % des séquelles.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 15 avril 2022 et 17 mai 2023, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par la SELARL Birot-Ravaut et associés, conclut, dans le dernier état de ses écritures, au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à sa mise hors de cause et, à titre infiniment subsidiaire, à la condamnation du GHSR à le garantir des condamnations

qui pourraient être mises à la charge de la solidarité nationale.

Il fait valoir que :

- alors qu'il a été appelé à la cause par le tribunal et qu'aucune demande n'avait été formulée à son encontre, les conclusions que les requérants présentent, pour la première fois, dans leur mémoire enregistré le 28 avril 2023, tendant à l'engagement de la solidarité nationale, sont tardives ;

- l'origine nosocomiale de l'infection n'est pas démontrée, M. C... étant rentré chez lui à plusieurs reprises durant son traitement ; à supposer qu'elle ait été contractée au sein de l'établissement, l'infection de la cicatrice fait partie des effets secondaires attendus ou prévisibles, de sorte qu'elle ne peut être qualifiée d'anormale ; elle n'est à l'origine d'aucun déficit temporaire permanent, l'état actuel de M. C... étant dû à un accident vasculaire cérébral, secondaire à l'intervention ;

- à titre subsidiaire, en cas de condamnation, les montants demandés

ne pourront qu'être revus à la baisse, et l'indemnisation devra tenir compte des éventuelles prestations perçues (prestation de compensation du handicap, allocation personnalisée d'autonomie) ; dans l'hypothèse d'une condamnation de l'ONIAM sur le fondement

de l'article L. 1142-1-1 du code de la santé publique, l'établissement hospitalier devra le garantir en application de l'article L. 1142-21 du même code ;

- le GHSR, en ne recourant pas à un comité pluridisciplinaire et en ne réalisant pas une simple biopsie de diagnostic avant d'envisager une exérèse large de la tumeur, n'a pas agi conformément aux règles de l'art et aux données acquises de la science ; l'hôpital n'a pas respecté l'obligation envers son patient de ne pas lui faire courir des risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté ; la faute ainsi commise est exclusive d'une indemnisation par la solidarité nationale ;

- le dommage présenté par M. C... ne remplit pas la condition d'anormalité ; dès lors qu'il ne pouvait se soustraire au traitement au regard du risque létal associé au lymphome, les conséquences du traitement ne peuvent être regardées comme notablement plus graves que celles auxquelles il aurait été exposé en l'absence d'intervention ; le risque de survenue de complications neurologiques est fréquent avec ce type de traitement, et le patient y était d'autant plus exposé au regard de son état initial qui nécessitait un traitement lourd et de la chirurgie large, qui a été pratiquée.

Par trois mémoires en défense, enregistrés les 23 janvier 2023, 18 avril 2023

et 24 mai 2023, le GHSR, représenté par le cabinet Le Prado, Gilbert, conclut au rejet de la requête, des conclusions de la caisse générale de sécurité sociale de la Réunion et de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Il fait valoir que :

- la responsabilité de l'établissement ne saurait être retenue, dès lors que M. C... est en rémission complète depuis l'intervention et que l'accident vasculaire cérébral dont il a été victime fait partie des effets secondaires attendus ou prévisibles du traitement ; l'affirmation de l'expert ; selon laquelle le cheminement thérapeutique aurait sans doute été différent si un comité thérapeutique pluridisciplinaire avait pu discuter de son cas, est contradictoire avec la reconnaissance de l'absence de faute dans le choix d'une chirurgie d'exérèse ; d'ailleurs, l'expert lui-même relève l'absence de littérature scientifique sur le fait qu'une biopsie présentait moins de risques de séquelles ;

- à supposer que la responsabilité de l'établissement soit retenue, le taux de perte de chance ne pourrait être que faible, de l'ordre de 10 % ;

- les demandes des requérants sont excessives ; le besoin d'assistance de M. C... pendant la période avant consolidation est sans lien avec la faute alléguée, puisqu'il en aurait eu besoin en tout état de cause, en raison de la gravité de sa maladie ; d'ailleurs, l'expert n'a pas reconnu un tel préjudice ; au demeurant, il conviendrait de déduire les prestations perçues qui ont pour objet la prise en charge de tels frais ;

- M. C... ne justifie pas de la nécessité de porter le besoin d'assistance d'une tierce personne après consolidation de cinq heures par jour, comme retenu par l'expert, à douze heures par jour ; il convient en outre de déduire les jours d'hospitalisation durant lesquels M. C... n'a pas eu besoin d'une telle assistance ; les prestations sociales ayant pour objet de prendre en charge de tels frais doivent également venir en déduction ;

- les factures produites ne permettent pas d'établir le caractère nécessaire et lié à l'état de santé des travaux d'aménagement réalisés dans le logement ;

- la demande au titre du déficit fonctionnel temporaire doit être réduite à de plus justes proportions, sur la base d'une indemnisation comprise entre 10 et 17 euros par jour d'incapacité totale ;

- la demande au titre des souffrances endurées ne peut être satisfaite qu'à hauteur

de 10 000 euros ;

- non retenu par l'expert, le préjudice esthétique temporaire ne peut être indemnisé ;

- l'évaluation du déficit fonctionnel permanent faite par l'expert est exagérée, comme l'a démontré le médecin conseil de l'établissement qui a précisé qu'il ne pouvait dépasser 60 % ; en outre, il convient de tenir compte de l'état antérieur du patient qui présentait déjà une épilepsie au moment de sa prise en charge ; seule l'hémiplégie spastique pourrait être retenue pour un taux de 45 % ; avant application du taux de perte de chance, le préjudice pourrait être évalué à 72 000 euros ; même avec un taux de 80 %, la demande est excessive et doit être ramenée à de plus justes proportions ;

- le préjudice esthétique permanent ne saurait dépasser 2 000 euros ;

- compte tenu de son âge, le préjudice d'agrément de M. C... ne saurait

dépasser 2 000 euros ;

- le préjudice sexuel ne peut qu'être inférieur à 5 000 euros ;

- la demande de M. D... au titre de son préjudice d'affection est excessive, une indemnisation de 15 000 euros étant généralement allouée en cas de décès d'un proche ;

- le préjudice d'accompagnement ne sera pas indemnisé, l'hospitalisation étant due non pas à la faute mais à la maladie ; à défaut, l'indemnisation doit être ramenée à de plus justes proportions ;

- la demande au titre du préjudice professionnel n'est pas justifiée dans son principe, alors que M. D... est âgé de 70 ans ; en outre, elle est contradictoire avec la demande au titre de l'assistance par une tierce personne ;

- les frais futurs de la caisse ne peuvent donner lieu qu'à un remboursement sur justificatifs, dans le cadre d'une rente annuelle qui ne saurait dépasser 1 308,94 euros ; le taux de perte de chance doit également être appliqué ;

- les conclusions indemnitaires, dont le montant a été revu à la hausse par rapport à la demande de première instance, sont, pour cette part majorée, des demandes nouvelles irrecevables ; la consolidation de l'état de santé de M. C... étant intervenue

le 26 septembre 2013, les requérants ne sont pas fondés à majorer leurs prétentions ;

- si une infection nosocomiale devait être retenue, seul l'ONIAM devrait être condamné à réparer les préjudices eu égard au taux de 80 % de déficit fonctionnel permanent dont demeure atteint M. C... ; en l'absence de faute de l'établissement, l'ONIAM n'est pas fondé à solliciter la garantie de toute condamnation prononcée à son encontre.

Par deux mémoires, enregistrés les 29 mars 2023 et 26 avril 2023, la caisse générale de sécurité sociale de la Réunion, représentée par la SCP Laydeker, Sammarcelli, Mousseau, demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Réunion

du 25 mai 2021, de condamner le GHSR à lui verser les sommes de 189 278,21 euros au titre de ses débours et de 1 162 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, et de mettre à sa charge la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- elle s'en rapporte à l'expertise s'agissant de la responsabilité du centre hospitalier qui n'a pas appliqué les préconisations du plan cancer ;

- la somme demandée correspond aux huit séjours en centre hospitalier ou au centre de rééducation fonctionnelle pour un montant total de 128 808,34 euros, auxquels s'ajoutent les frais futurs médicaux et paramédicaux, qui peuvent être évalués à la somme

de 60 469,87 euros ;

- elle n'est pas opposée à ce que l'indemnisation prenne la forme d'une rente annuelle, mais le montant de celle-ci devra être calculé au vu des tarifs applicables

à la Réunion, et non à partir de ceux de métropole.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Olivier Cotte,

- les conclusions de Mme Charlotte Isoard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Fort, représentant MM. C... et D..., celles

de Me Vitek représentant l'ONIAM, celles de Me Sammarcelli, représentant la caisse générale de sécurité sociale de la Réunion, et celles de Me Demailly, représentant le CHU de la Réunion.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., alors âgé de 63 ans, a consulté son médecin traitant en août 2010 pour une sensation de prurit du crâne qui a rapidement évolué vers une douleur céphalique pariétale droite avec, à la palpation, une tuméfaction modérée. Une imagerie par résonance magnétique (IRM) a montré une lésion en sablier intra et extra-crânien avec œdème cérébral. Constatant des crises convulsives partielles de la main gauche, le neuro-chirurgien qui l'a reçu au centre hospitalier universitaire (CHU) de la Réunion a programmé une intervention d'exérèse le 28 septembre 2010, après réalisation d'un scanner bilantiel thoraco-abdomino-pelvien qui a révélé des adénopathies médiastinales, des nodules pulmonaires bilatéraux multiples et des nodules péritonéaux. Après être sorti de l'hôpital le 12 octobre 2010, M. C... a été à nouveau hospitalisé six jours plus tard, en raison de l'apparition d'un ictère cutanéo-muqueux intense, de douleurs de l'hypocondre droit et d'un ganglion sous-auriculaire gauche. Face à l'altération de l'état général et à une dénutrition, le diagnostic de lymphome au stade le plus avancé a été confirmé, avec atteinte céphalique pariétale droite, thoracique et hépatique d'aggravation rapide. M. C... a alors été hospitalisé dans le service oncologie de l'hôpital à compter du 25 octobre 2010 et a suivi au total, jusqu'au 18 mai 2011, huit cures de chimiothérapie. Au cours de la deuxième cure, il a notamment été victime d'un accident ischémique sylvien superficiel droit et d'une surinfection de la voûte crânienne, opérée pour sepsis, ce qui conduira à la mise en place d'une antibiothérapie. En rémission complète de son lymphome, M. C... a conservé un syndrome pyramidal gauche spastique séquellaire, avec apraxie, des crises épileptiques et un état dépressif au long cours. Son état de santé a été considéré consolidé le 26 septembre 2013.

2. M. C... a saisi le juge des référés du tribunal administratif de la Réunion d'une demande d'expertise médicale. Après le dépôt du rapport le 8 février 2018, M. C... et son époux, M. D..., ont demandé au tribunal la condamnation du CHU de la Réunion à les indemniser des préjudices subis. Par un jugement du 25 mai 2021, le tribunal a rejeté les demandes de ces derniers, ainsi que la demande de la caisse générale de sécurité sociale de la Réunion tendant au remboursement de ses débours, en estimant qu'il n'y avait pas de lien de causalité entre la faute dans l'organisation du service et les préjudices invoqués, eu égard à la gravité de la maladie dont était atteint M. C.... Il a également mis à la charge des demandeurs les frais d'expertise. M. C... et M. D... relèvent appel de ce jugement et demandent, pour la première fois en appel, l'engagement de la solidarité nationale pour les dommages causés par une infection nosocomiale. La caisse générale

de sécurité sociale de la Réunion relève également appel du jugement.

Sur la responsabilité :

3. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I- Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère. / II- Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, (...) lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret. "

En ce qui concerne la responsabilité pour faute :

4. D'une part, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que le choix de recourir à une chirurgie d'exérèse afin d'enlever la tumeur était justifié par la gravité de la pathologie de M. C..., dont le pronostic était létal en l'absence de traitement, par l'examen clinique réalisé le 15 septembre 2010 lors duquel le neurochirurgien a constaté des crises convulsives partielles de la main gauche, et par les résultats des examens qui ont montré que la maladie était au stade IV, soit le plus élevé, avec atteinte viscérale. L'expert a également relevé que la réalisation de l'acte chirurgical n'était pas davantage fautive et que le traitement de chimiothérapie qui s'en est suivi, bien qu'à l'origine, avec la localisation de la tumeur et les effets de la chirurgie, des séquelles conservées par M. C..., a été conforme aux données acquises de la science et a permis la rémission du patient. Il ne retient donc pas de faute thérapeutique.

5. D'autre part, l'expert a constaté que le non-respect de la procédure prévue par le plan cancer 2003-2007 et l'article D. 6124-131 du code de la santé publique, qui prévoit la consultation d'un comité pluridisciplinaire regroupant chirurgiens, oncologues et radiothérapeutes à propos du projet thérapeutique et de tous les changements significatifs d'orientation thérapeutique, pouvait être qualifié de " faute stratégique ", en ce que n'avait pas pu être discuté le recours à une alternative consistant en une biopsie suivie d'une chimiothérapie, et que cela avait pu " éventuellement jouer un rôle dans les séquelles observées ". Toutefois, il résulte également de ce rapport d'expertise que les complications survenues sont conformes aux évènements attendus ou possibles d'une chimiothérapie aplasiante sur une zone d'importance physiologique critique. L'alternative évoquée comportant également un traitement par chimiothérapie, il n'est pas établi que les séquelles, qui résultent également de l'emplacement et du développement avancé de la lésion, auraient été moindres, d'autant que l'expert relève que le manquement à la procédure prévue par le plan cancer " paraît difficile à chiffrer " en raison notamment de l'absence de littérature médicale confortant son appréciation, qu'il reconnaît arbitraire, des meilleures chances de la biopsie avec chimiothérapie par rapport à l'exérèse totale. En outre, la circonstance, vérifiée a posteriori, que les métastases pulmonaires et hépatiques ont bien répondu à la chimiothérapie ne garantissait pas qu'il en aurait été de même sur la tumeur cérébrale. Dans ces conditions, alors que la procédure de concertation interdisciplinaire aurait également pu aboutir à retenir une exérèse large compte tenu de l'importance du risque létal, et au regard des termes prudents de l'expertise, qui ne peut citer aucune littérature médicale et reconnaît que

son appréciation de meilleures chances de survie sans séquelles est arbitraire, aucune perte

de chance d'échapper aux séquelles constatées ne peut être caractérisée du seul fait

de l'absence de réunion pluridisciplinaire, quand bien même cette absence méconnaissait l'article D. 6124-131 du code de la santé publique.

6. Enfin, l'article L. 1111-2 du code de la santé publique dispose que : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus ". Il résulte de ces dispositions que doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement

à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui, soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère

de risques graves, quelle que soit leur fréquence.

7. En cas de manquement à cette obligation d'information, si l'acte de diagnostic ou de soin entraîne pour le patient, y compris s'il a été réalisé conformément aux règles

de l'art, un dommage en lien avec la réalisation du risque qui n'a pas été porté à sa connaissance, la faute commise en ne procédant pas à cette information engage la responsabilité de l'établissement de santé à son égard, pour sa perte de chance de se soustraire à ce risque en renonçant à l'opération. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction, compte tenu de ce qu'était l'état de santé du patient et son évolution prévisible en l'absence de réalisation de l'acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu'il aurait fait, qu'informé de la nature et de l'importance de ce risque, il aurait consenti à l'acte en question.

8. Il n'est pas contesté que M. C... avait rédigé des directives anticipées

en évoquant les risques et les conséquences de sa maladie et des traitements envisagés,

et qu'il avait été informé des risques d'épilepsie post-exérèse. S'il soutient qu'il n'a pas été informé de l'existence d'une alternative consistant en une biopsie suivie d'une chimiothérapie, il résulte de ce qui a été dit aux points 4 et 5 que l'exérèse de la tumeur était justifiée par l'état d'avancement de la maladie, lui faisant encourir un risque létal à court terme en l'absence de traitement, et que les séquelles liées à la lésion, à l'accident vasculaire et au traitement de chimiothérapie, auraient pu être les mêmes en choisissant l'alternative. Dans ces conditions, il ressort de la comparaison des risques que M. C...,

s'il avait été informé, aurait néanmoins consenti à l'acte chirurgical d'exérèse. Dans ces conditions, il n'a pas été privé d'une chance de se soustraire aux complications qu'il présente à l'heure actuelle.

En ce qui concerne la responsabilité sans faute du fait d'une infection nosocomiale :

9. Aux termes de l'article L. 1142-1-1 du code de la santé publique : " (...) ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale : 1° Les dommages résultant d'infections nosocomiales dans les établissements, services ou organismes mentionnés au premier alinéa du I de l'article L. 1142-1 correspondant à un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à 25 % déterminé par référence au barème mentionné au II du même article, ainsi que les décès provoqués par ces infections nosocomiales (...) ". Doit être regardée comme présentant un caractère nosocomial au sens

du 1° de l'article L. 1142-1-1 du code de la santé publique une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d'un patient et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s'il est établi qu'elle a une autre origine que la prise en charge.

10. Il résulte du rapport d'expertise qu'alors qu'il bénéficiait de sa deuxième cure de chimiothérapie, M. C... a été hospitalisé en neurochirurgie du 22 décembre 2010

au 3 janvier 2011 pour un sepsis de la plastie crânienne, conséquence d'une infection des parties molles à Protéus Mirabilis, germe qualifié de " sauvage " provenant de l'intestin. La plastie en résine lui a été retirée et une antibiothérapie a été mise en place pour lutter contre une méningite bactérienne, avec un résultat positif. L'expert ne retient pas de manière certaine le caractère nosocomial de cette infection, au motif que le patient est sorti à plusieurs reprises de l'hôpital et qu'il ne peut être démontré que l'infection est survenue au cours ou au décours de sa prise en charge. Il ressort en outre du rapport d'expertise que cette infection est survenue quelques jours après que M. C... a été victime d'un accident ischémique qui s'est accompagné de vomissements. Dans ces conditions, il n'est pas établi que la méningite infectieuse qu'il a contractée serait la conséquence d'actes pratiqués dans le cadre de sa prise en charge ou de son séjour dans l'environnement hospitalier, et revêtirait par suite un caractère nosocomial au sens des dispositions précitées. Au demeurant, l'infection a été traitée avec succès et il ne résulte pas du rapport d'expertise que des séquelles identifiables seraient en lien certain avec cette méningite.

11. Il s'ensuit, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par l'ONIAM, tirée de la tardiveté des conclusions présentées à son encontre, que M. C... et M. D... ne sont pas fondés à demander la réparation des dommages qui auraient été causés par une infection nosocomiale.

Sur les conclusions de la caisse générale de sécurité sociale de la Réunion :

12. Eu égard à ce qui vient d'être dit sur l'absence d'engagement de la responsabilité du GHSR dans les dommages subis par M. C..., les conclusions présentées par la caisse générale de sécurité sociale de la Réunion tendant au remboursement de ses débours et au versement de l'indemnité forfaitaire de gestion ne peuvent être que rejetées.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... et M. D... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Réunion a rejeté leur demande. Les conclusions présentées par la caisse générale de sécurité sociale de la Réunion doivent également être rejetées. Par voie de conséquence, les conclusions d'appel en garantie présentées par l'ONIAM à l'encontre du GHSR sont sans objet.

Sur les frais liés au litige :

14. D'une part, aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " (...) Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. (...) ". Les requérants ne sont pas fondés à contester le jugement en tant qu'il a mis à leur charge définitive les dépens, leurs conclusions tendant à l'engagement de la responsabilité du GHSR ou de la solidarité nationale ayant été rejetées.

15. D'autre part, les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du GHSR ou de l'ONIAM, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, les sommes que M. C...

et M. D... d'une part et la caisse générale de sécurité sociale de la Réunion d'autre part, demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. C... et M. D... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la caisse générale de sécurité sociale de la Réunion sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C..., à M. B... D..., au Groupe hospitalier Sud Réunion, à la caisse générale de sécurité sociale de la Réunion et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Délibéré après l'audience du 29 août 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 septembre 2023.

Le rapporteur,

Olivier Cotte

La présidente,

Catherine Girault

La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21BX03180


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX03180
Date de la décision : 14/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: M. Olivier COTTE
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : SCP LAYDEKER SAMMARCELLI

Origine de la décision
Date de l'import : 17/09/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-09-14;21bx03180 ?
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