Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par une ordonnance n° 434986 du 4 janvier 2020, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué au tribunal administratif de la Martinique, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête, enregistrée le 20 décembre 2018 au greffe du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, présentée par la société Total Caraïbes.
Par cette requête, la société Total Caraïbes a demandé au tribunal d'annuler la décision du 28 juin 2018 par laquelle le ministre de la transition écologique et solidaire a procédé au retrait de la décision d'octroi du certificat d'économies d'énergie n° PR021116STAS788723203A0 à la société Unergia et a annulé le volume de kWh d'énergie finale cumulée et actualisée sur la durée de vie du produit (kWh cumac) correspondant sur le compte de la société Total Caraïbes, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux du 9 août 2018.
Par un jugement n° 2000092 du 4 février 2021, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 29 mars 2021, et un mémoire enregistré le 13 octobre 2022, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la société Total Caraïbes, représentée par l'AARPI Schmitt Avocats, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2000092 du tribunal administratif de la Martinique du 4 février 2021 ;
2°) d'annuler la décision du ministre de la transition écologique et solidaire du 28 juin 2018, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux du 9 août 2018 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de le condamner aux entiers dépens.
Elle soutient que :
- la décision du 28 juin 2018 est insuffisamment motivée quant à la nature de la fraude commise par la société Unergia ;
- elle est entachée d'une erreur de droit, le ministre de la transition écologique et solidaire ne pouvant légalement fonder sa décision sur les dispositions de l'article L. 241-2 du code des relations entre le public et l'administration ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 222-2 du code de l'énergie, le pouvoir de sanction dont dispose le ministre en application de ces dispositions étant limitativement énuméré et ne pouvant être exercé qu'à l'encontre du " premier détenteur " du certificat d'économies d'énergie ; en prononçant le retrait du volume de kWh cumac correspondant sur le compte du sous-acquéreur, le ministre a exercé à son encontre un pouvoir dont il ne disposait pas ;
- le retrait sur son compte d'un volume de kWh cumac équivalent au certificat d'économies d'énergie frauduleux lui cause un préjudice financier disproportionné.
Par un mémoire en défense enregistré le 4 octobre 2022, la ministre de la transition énergétique indique s'en remettre à la sagesse de la cour.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- l'avis n° 447326 rendu par le Conseil d'Etat le 24 février 2021.
Vu :
- le code de l'énergie ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Michaël Kauffmann,
- et les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Le 6 décembre 2016, la société Total Caraïbes a acquis un certificat d'économies d'énergie n° PR021116STAS788723203A0, représentant un volume de 130 800 000 kWh cumac auprès de la société BHC Energy, qui l'avait elle-même acquis le 15 novembre 2016 auprès de la société Unergia. A la suite de contrôles ayant mis en évidence l'existence d'une fraude commise par la société Unergia à l'occasion de l'obtention du certificat, le ministre de la transition écologique et solidaire, par une décision du 28 juin 2018, a retiré, sur le fondement de l'article L. 241-2 du code des relations entre le public et l'administration, la décision d'octroi du certificat d'économies d'énergie à cette société et a annulé, en conséquence, le volume de kWh cumac correspondant sur le compte de la société Total Caraïbes dans le registre national des certificats d'économies d'énergie. La société Total Caraïbes relève appel du jugement du 4 février 2021 par lequel le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux du 9 août 2018.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. D'une part, l'article L. 221-1 du code de l'énergie dispose que les personnes soumises à des obligations d'économies d'énergie peuvent se libérer de ces obligations soit en réalisant, directement ou indirectement, des économies d'énergie, soit en acquérant des certificats d'économies d'énergie. Aux termes de l'article L. 221-7 du même code : " Le ministre chargé de l'énergie ou, en son nom, un organisme habilité à cet effet peut délivrer des certificats d'économies d'énergie aux personnes éligibles lorsque leur action, additionnelle par rapport à leur activité habituelle, permet la réalisation d'économies d'énergie sur le territoire national d'un volume supérieur à un seuil fixé par arrêté du ministre chargé de l'énergie (...) ". Aux termes de l'article L. 221-8 du même code : " Les certificats d'économies d'énergie sont des biens meubles négociables, dont l'unité de compte est le kilowattheure d'énergie finale économisé. Ils peuvent être détenus, acquis ou cédés par toute personne mentionnée aux 1° à 6° de l'article L. 221-7 ou par toute autre personne morale (...) ". Selon l'article L. 221-10 du même code : " Les certificats d'économies d'énergie sont exclusivement matérialisés par leur inscription au registre national des certificats d'économies d'énergie, accessible au public et destiné à tenir la comptabilité des certificats obtenus, acquis ou restitués à l'Etat (...) ". L'article R. 221-22 précise que : " La demande de certificats d'économies d'énergie est adressée au ministre chargé de l'énergie. / (...) Tout demandeur de certificats d'économies d'énergie détient un compte auprès du registre national des certificats d'économies d'énergie (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 221-26 : " L'Etat peut, en application de l'article L. 221-10, charger un délégataire de la mission consistant à mettre en place et à tenir un registre national des certificats d'économies d'énergie, sur lequel sont consignées de manière informatisée et sécurisée toutes les opérations de délivrance, d'annulation ou de transaction portant sur des certificats d'économies d'énergie./ Cette mission comprend : / (...) 2° L'enregistrement de toutes les opérations correspondant à ces comptes afin de faire apparaître, en distinguant les certificats d'économies d'énergie obtenus pour des opérations réalisées au bénéfice des ménages en situation de précarité énergétique : / (...) c) L'annulation, sur instruction du ministre chargé de l'énergie, des certificats d'économies d'énergie figurant sur un compte (...) ".
3. L'article L. 222-1 du code de l'énergie dispose que : " Dans les conditions définies aux articles suivants, le ministre chargé de l'énergie peut sanctionner les manquements aux dispositions du chapitre Ier du présent titre ou aux dispositions réglementaires prises pour leur application. ". Aux termes de l'article L. 222-2 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " Le ministre met l'intéressé en demeure de se conformer à ses obligations dans un délai déterminé. (...) / Lorsque l'intéressé ne se conforme pas dans les délais fixés à cette mise en demeure, le ministre chargé de l'énergie peut : / 1° Prononcer à son encontre une sanction pécuniaire (...) ; / 2° Le priver de la possibilité d'obtenir des certificats d'économies d'énergie (...) ; / 3° Annuler des certificats d'économies d'énergie de l'intéressé, d'un volume égal à celui concerné par le manquement ; / 4° Suspendre ou rejeter les demandes de certificats d'économies d'énergie faites par l'intéressé. (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 222-8 du même code : " Le fait de se faire délivrer indûment, par quelque moyen frauduleux que ce soit, un certificat d'économies d'énergie est puni des peines prévues aux articles 441-6 et 441-10 du code pénal (...). / Les peines encourues par les personnes morales responsables de l'infraction définie au présent article sont celles prévues à l'article 441-12 du code pénal ".
4. D'autre part, selon l'article L. 241-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Par dérogation aux dispositions du présent titre, un acte administratif unilatéral obtenu par fraude peut être à tout moment abrogé ou retiré. ".
5. Il résulte des dispositions du code de l'énergie citées aux points 2 et 3 ci-dessus qu'en définissant, aux articles L. 222-2 et L. 222-8 du code de l'énergie, les sanctions administratives et pénales auxquelles s'expose l'auteur d'un manquement aux dispositions législatives et règlementaires relatives aux certificats d'économies d'énergie, le législateur a déterminé l'ensemble des conséquences légales susceptibles d'être tirées d'un tel manquement.
6. Par suite, lorsque le ministre chargé de l'énergie établit que des certificats d'économies d'énergie ont été obtenus de manière frauduleuse par leur premier détenteur, il peut prononcer à l'encontre de celui-ci, dans les conditions et selon la procédure prévues au code de l'énergie, les sanctions mentionnées à l'article L. 222-2 de ce code et notamment, en application du 3° de cet article, l'annulation des certificats d'économie d'énergie qu'il détient, pour un volume égal à celui concerné par la fraude. Mais ces dispositions particulières font obstacle à ce que le ministre puisse, indépendamment de leur mise en œuvre, prononcer le retrait de la décision d'octroi des certificats sur le fondement des dispositions générales de l'article L. 241-2 du code des relations entre le public et l'administration citées au point 3 et à ce qu'il procède à l'annulation de ces certificats en conséquence de ce retrait.
7. Il s'ensuit qu'en l'absence de toute disposition du code de l'énergie l'y habilitant, le ministre chargé de l'énergie ne peut, dans l'hypothèse où des certificats d'économie d'énergie acquis de manière frauduleuse par leur premier détenteur ont été cédés à un tiers, faire procéder à l'annulation des certificats litigieux dans le compte du nouveau détenteur.
8. Il en résulte, ainsi que le soutient l'appelante, qu'en procédant au retrait de la décision d'octroi du certificat d'économies d'énergie à la société Unergia sur le fondement des dispositions de l'article L. 241-2 du code des relations entre le public et l'administration en raison de la fraude commise par ce premier détenteur et à l'annulation, en conséquence, du volume de kWh cumac correspondant sur le compte de la société Total Caraïbes, le ministre de la transition écologique et solidaire a entaché sa décision d'erreur de droit.
9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que la société Total Caraïbes est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté ses conclusions à fin d'annulation. Ce jugement ainsi que la décision du 28 juin 2018 du ministre de la transition écologique et solidaire et sa décision implicite rejetant le recours gracieux de la société Total Caraïbes du 9 août 2018 doivent, par suite, être annulés.
Sur les frais liés au litige :
10. D'une part, aucun dépens n'ayant été exposé dans la présente instance, les conclusions de la société Total Caraïbes tendant à la condamnation de l'Etat aux entiers dépens ne peuvent qu'être rejetées.
11. D'autre part, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société Total Caraïbes d'une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2000092 du 4 février 2021 du tribunal administratif de la Martinique, ainsi que la décision du 28 juin 2018 du ministre de la transition écologique et solidaire et sa décision implicite rejetant le recours gracieux de la société Total Caraïbes du 9 août 2018 sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à la société Total Caraïbes une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Total Caraïbes est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Total Caraïbes et à la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Délibéré après l'audience du 27 juin 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,
M. Michaël Kauffmann, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 juillet 2023.
Le rapporteur,
Michaël KauffmannLa présidente,
Evelyne BalzamoLe greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne à la ministre de la transition énergétique en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 21BX01310