Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision implicite par laquelle la préfète de la Vienne a refusé d'abroger l'arrêté du 18 octobre 2020 lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai et prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.
Par une ordonnance n° 2100922 du 17 décembre 2021, le président de la 2ème chambre du tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande pour tardiveté.
Procédure devant la cour administrative d'appel :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 18 février et 26 octobre 2022, ainsi qu'un mémoire non communiqué, enregistré le 28 octobre 2022, M. B..., représenté par Me Lelong, demande à la cour :
1°) d'annuler cette ordonnance du président de la 2ème chambre du tribunal administratif de Poitiers du 17 décembre 2021 ;
2°) d'annuler la décision implicite par laquelle la préfète de la Vienne a rejeté sa demande du 8 décembre 2020 d'abrogation de l'arrêté du 18 octobre 2020 lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai et prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Vienne de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de dix jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à défaut, de procéder à un nouvel examen de sa demande et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros au profit de son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- c'est à tort que le premier juge a considéré sa demande manifestement irrecevable et l'a, pour ce motif, rejetée sur le fondement du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, des circonstances de fait nouvelles étant intervenues postérieurement à la décision initiale du 10 octobre 2020 ; il s'est marié et vit désormais avec son épouse ; il a, par ailleurs développé des liens privés familiaux intenses depuis son arrivée en France en septembre 2019 et démontre ainsi une intégration privée et familiale réelle ; il était fondé à solliciter l'abrogation de cette décision initiale sur le fondement des dispositions des articles L. 243-1 et L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration ;
- la décision que la préfète a refusé d'abroger a été prise le 18 octobre 2020 et non pas, comme retenu à tort par le premier juge, le 10 octobre 2018 ;
- l'arrêté du 18 octobre 2020 a été pris par une autorité incompétente ;
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
- elle est entachée d'erreurs de droit et de fait et d'erreur manifeste d'appréciation et porte atteinte au droit à sa vie privée en violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne des sauvegardes des droits de l'homme et des libertés fondamentales et méconnait cet article ainsi que les articles 4 et 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 dès lors qu'il est intégré à la société française au sein de laquelle il a développé des liens personnels et familiaux intenses, qu'il partage sa vie avec une ressortissante française, devenue son épouse, et que s'il n'a pas déposé de demande de titre de séjour dès son arrivée en France de façon irrégulière, c'est en raison des mauvais conseils qui lui ont été prodigués ; ayant toujours eu le souhait de venir vivre dans ce pays, il n'a pas eu d'autre solution que de s'y rendre sans y être autorisé ; il existe une présomption de vie commune entre époux ;
En ce qui concerne le refus d'octroi de délai de départ volontaire :
- cette décision méconnaît le 3° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il n'a pas déposé de demande de titre de séjour en raison des mauvais conseils qui lui ont été prodigués et qu'il ne présente aucun risque de soustraction à la mesure puisqu'il est assigné à résidence et qu'il lui est possible de solliciter, sur le fondement de l'accord franco-algérien, un visa de long séjour et un titre de séjour " vie privée et familiale " ;
En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans :
- elle porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale.
Par une décision du 24 mars 2022, M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle à hauteur de 25 %.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Claire Chauvet a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant algérien né le 16 novembre 1986, est entré irrégulièrement sur le territoire français en septembre 2019, selon ses déclarations. Par un arrêté du 18 octobre 2020, la préfète de la Vienne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans. M. B... relève appel de l'ordonnance du 17 décembre 2021 par laquelle le président de la 2ème chambre du tribunal administratif de Poitiers a rejeté, sur le fondement des dispositions de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, comme manifestement irrecevable, sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la préfète de la Vienne a rejeté sa demande du 10 décembre 2020 d'abroger ces mesures d'éloignement et d'interdiction de retour sur le territoire français.
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
2. La demande de M. B... adressée au tribunal administratif de Poitiers tendait à l'annulation du refus implicite d'abrogation de l'arrêté du 18 octobre 2020 en tant que la préfète de la Vienne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Dans ces conditions, en regardant la demande comme tendant à l'annulation du refus d'abrogation d'un arrêté du 10 octobre 2018, le président de la 2ème chambre du tribunal administratif de Poitiers s'est mépris sur les conclusions qui lui étaient soumises. Son ordonnance du 17 décembre 2021 doit donc être annulée et, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de se prononcer immédiatement, par la voie de l'évocation, sur la demande de M. B... devant le tribunal.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne le refus litigieux dans son ensemble :
3. Par un arrêté du 27 novembre 2020, régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture de la Vienne n° 86-2020-155 du 27 novembre 2020, la préfète de la Vienne a donné délégation à M. Emile Soumbo, secrétaire général de la préfecture, pour signer tous les actes dans la limite de ses attributions, au nombre desquels figure la police des étrangers. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté du 18 octobre 2020 doit être écarté.
En ce qui concerne le refus d'abrogation de la mesure d'éloignement :
4. D'une part, aux termes de l'article L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration : " (...) L'administration est tenue d'abroger expressément un acte non réglementaire non créateur de droits devenu illégal ou sans objet en raison de circonstances de droit ou de fait postérieures à son édiction, sauf à ce que l'illégalité ait cessé. ". Il appartient à tout intéressé de demander à l'autorité compétente de procéder à l'abrogation d'une décision illégale non réglementaire qui n'a pas créé de droits, si cette décision est devenue illégale à la suite de changements dans les circonstances de droit ou de fait postérieurs à son édiction. A cet égard, un étranger est recevable à demander l'annulation d'une décision refusant d'abroger une décision l'obligeant à quitter le territoire français sans qu'y fasse obstacle la circonstance que l'obligation de quitter le territoire français est assortie d'une interdiction de retour sur ce territoire.
5. Pour contester la décision refusant d'abroger la décision du 18 octobre 2020 de la préfète de la Vienne portant obligation de quitter le territoire français sans délai, M. B... se prévaut de son mariage, le 24 octobre 2020, avec une ressortissante française et produit, à cet égard, un certificat de célébration de mariage établi le 24 octobre 2020 par l'officier d'état civil de la mairie de Civray (Vienne) ainsi que la copie intégrale de l'acte de mariage également établie le 23 août 2022 par l'officier d'état civil de la mairie de Civray. L'intéressé justifie, dès lors, d'un changement dans les circonstances de fait postérieur à l'édiction de la décision qu'il attaque.
6. D'autre part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes des stipulations de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : / (...) 5) au ressortissant algérien, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus (...) ".
7. M. B... fait valoir qu'il est intégré à la société française et qu'il a rencontré, durant la période de confinement du printemps 2020, par l'intermédiaire des réseaux sociaux, une ressortissante française avec laquelle il entretient, depuis, une relation amoureuse et qu'il a épousée, comme dit précédemment, le 24 octobre 2020. Toutefois, outre que M. B... était présent en France depuis moins de dix-huit mois à la date de la décision contestée et qu'il séjourne de façon irrégulière, sa relation avec son épouse est récente et il n'apporte aucun élément de nature à établir une vie commune avant la célébration de leur mariage. Il ne justifie, par ailleurs, ni, malgré quelques actions de bénévolat, d'une insertion sociale particulière en France, ni y avoir tissé des liens personnels d'une particulière intensité et ne démontre pas être dépourvu de toutes attaches familiales en Algérie, où il a vécu jusqu'à l'âge de 33 ans. Par suite, eu égard aux conditions et à la durée du séjour en France de M. B..., et alors que la promesse d'embauche dont il se prévaut a été établie postérieurement à la décision contestée, cette décision n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Par suite, la préfète de la Vienne n'a méconnu ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni celles de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Elle n'a pas non plus méconnu, en tout état de cause, celles de l'article 4 du même accord.
En ce qui concerne le refus d'abrogation du refus d'octroi de délai de départ volontaire :
8. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa version en vigueur à la date de la décision attaquée : " II. L'étranger auquel il est fait obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de l'obligation de quitter le territoire français. (...). Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire : (...) 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / a) Si l'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ;(...). "
9. Pour refuser d'accorder un délai de départ volontaire à M. B..., la préfète de la Vienne, par sa décision du 18 octobre 2020, s'est fondée sur les dispositions citées au point précédent, et sur le fait que l'intéressé était arrivé de façon irrégulière en France et n'avait pas sollicité de titre de séjour. Ces motifs justifient à eux seuls le refus de départ volontaire et ne sont remis en cause ni par la circonstance que M. B... a épousé, postérieurement à cette décision, une ressortissante française, ni par celle qu'il n'y aurait, du fait de l'assignation à résidence dont il a fait l'objet, aucun risque qu'il se soustraie à l'obligation de résidence prise à son encontre. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
En ce qui concerne le refus d'abrogation de l'interdiction de retour sur le territoire français :
10. Compte tenu des circonstances exposées au point 7, le moyen tiré de l'atteinte disproportionnée, par la décision attaquée, au droit au respect de la vie privée et familiale de M. B... doit être écarté.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision implicite par laquelle la préfète de la Vienne a refusé d'abroger l'arrêté du 18 octobre 2020 lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai et prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
12. Le rejet des conclusions à fin d'annulation présentées par M. B... n'appelle aucune mesure particulière d'exécution. Par suite, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte ne peuvent être accueillies.
Sur les frais liés aux dépens :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme quelconque au bénéfice du conseil de M. B....
D E C I D E :
Article 1er : L'ordonnance n° 2100922 du 17 décembre 2021 du président de la 2ème chambre du tribunal administratif de Poitiers est annulée.
Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Poitiers et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de la Vienne.
Délibéré après l'audience du 10 mai 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, présidente,
Mme Claire Chauvet, présidente-assesseure,
Mme Nathalie Gay, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 juillet 2023.
La rapporteure,
Claire Chauvet
La présidente,
Elisabeth JayatLa greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 22BX00546