Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. F... E... a demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler la décision du 18 décembre 2018, par laquelle l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) a retiré la subvention qui lui avait été accordée le 6 mai 2013, d'un montant initial de 106 423 euros, réduite à 79 006 euros le 13 mars 2017, et lui a demandé de procéder au reversement de l'acompte d'un montant de 37 248 euros qui lui avait été versé le 26 septembre 2013, ainsi que le rejet du 7 novembre 2019 du recours hiérarchique qu'il a dirigé contre cette décision et de condamner l'Agence à l'indemniser des préjudices subis du fait de ces décisions.
Par un jugement n° 1900605 du 19 novembre 2020, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 15 avril 2021, M. E..., représenté par Me Laroche, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 19 novembre 2020 ;
2°) d'annuler la décision du 18 décembre 2018 de l'ANAH lui retirant la subvention et celle du 7 novembre 2019 rejetant son recours hiérarchique ;
3°) de mettre à la charge de l'ANAH le versement d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- sa requête est recevable ;
- le jugement est irrégulier dès lors qu'il est insuffisamment motivé en droit et qu'il a été considéré à tort par les premiers juges que sa situation ne relevait pas d'un cas de force majeure ;
- les décisions des 18 décembre 2018 et du 7 novembre 2019 ont été signées par une seule et même personne qui n'avait pas compétence pour ce faire ;
- la décision du 18 décembre 2018 est insuffisamment motivée au regard des exigences du code des relations entre le public et l'administration ;
- en ne prenant pas en compte la situation de force majeure à laquelle il était confronté, l'autorité administrative a commis une erreur de droit.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 novembre 2022, l'ANAH, représentée par Me Pouilhe, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de M. E... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la demande de première instance de M. E... était irrecevable dès lors qu'elle n'était pas motivée dans les conditions prévues par l'article R. 411-1 du code de justice administrative ; ses conclusions n'étaient pas dirigées contre la décision de reversement et contre le rejet du recours hiérarchique prononcé par la directrice générale, qui n'avait d'ailleurs pas encore été opposé ; l'intéressé sollicitait en réalité des premiers juges le versement d'un deuxième acompte sur la subvention accordée et sa revalorisation afin que l'inflation et la dégradation de l'immeuble soient prises en compte ;
- la requête d'appel est également irrecevable dès lors que les conclusions dirigées contre les décisions de l'ANAH des 18 décembre 2018 et 7 novembre 2019 sont nouvelles ;
- l'irrégularité invoquée du jugement attaqué ne peut être accueillie dès lors que ce jugement est suffisamment motivé et que l'erreur de droit soulevée relève de son bien-fondé ;
- les moyens de légalité externe dirigés contre les décisions attaquées sont irrecevables car non soulevés devant les premiers juges et ne sont pas fondés ;
- M. E... ne s'est pas trouvé confronté à un cas de force majeure qui aurait empêché les retraits de subvention en litige.
Par une décision du 18 février 2021, M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la construction et de l'habitation ;
- l'arrêté du 1er août 2014 portant approbation du règlement général de l'Agence nationale de l'habitat,
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- les conclusions de M. Gueguein, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Le 18 janvier 2012, M. F... E... a déposé une demande de subvention auprès de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat (ANAH) afin de réaliser des travaux de réhabilitation d'un immeuble destinés à la location, dont il est propriétaire au Lamentin (Martinique), comprenant quatre logements avant les travaux et sept après leur réalisation. Par une décision du 6 mai 2013, l'ANAH a fait droit à sa demande en lui accordant une subvention d'un montant de 106 423 euros. Le 26 septembre 2013, un acompte sur cette subvention, d'un montant de 37 248 euros, a été versé à M. E.... L'Agence a, le 13 mars 2017, réduit le montant de la subvention à 79 006 euros. Le 18 décembre 2018, l'ANAH a retiré la subvention accordée à M. E... et lui a demandé le reversement de l'acompte versé au motif que les justificatifs de fin de travaux n'avaient pas été transmis dans les délais expirant initialement au 6 mai 2016 et prorogés, le 16 juin suivant à la demande de l'intéressé, jusqu'au 6 mai 2018. Le recours hiérarchique qu'a dirigé M. E... contre cette décision le 28 janvier 2019 a été implicitement rejeté par une décision du 29 mars suivant, à laquelle s'est substitué un rejet explicite le 7 novembre 2019. M. E... relève appel du jugement du 19 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande par laquelle il doit être regardé comme ayant sollicité l'annulation des décisions du 18 décembre 2018 et du 7 novembre 2019.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. D'une part, aux termes de l'article R. 741-2 du code de justice administrative applicable aux jugements des tribunaux administratifs : " La décision mentionne (...) les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application. ".
3. Dans les motifs de son jugement le tribunal a cité les articles du code de la construction et de l'habitation et de l'arrêté du 1er aout 2014 portant approbation du règlement de l'Agence nationale de l'habitat dont il a fait application. Par suite, la seule circonstance que ces articles n'aient pas été mentionnés dans les visas du jugement n'est pas de nature à l'entacher d'irrégularité.
4. D'autre part, il ressort des énonciations du jugement attaqué que, pour statuer sur la demande de M. E..., les premiers juges, après avoir cité au point 2 du jugement le I de l'article R. 321-21 du code de la construction et de l'habitation et le II de l'article 14 du règlement général de l'Agence nationale de l'habitat, ont analysé au point 3 les conditions d'application de ces dispositions combinées puis, au point 4, en ont fait une application au cas d'espèce et, au point 5, ont répondu au moyen tiré des difficultés financières de l'intéressé. Par suite, le jugement énonçant les circonstances de droit et de fait au vu desquelles, au regard des dispositions légales en cause, la demande de M. E... a été rejetée, est suffisamment motivé, la circonstance que ses visas ne comportent pas les dispositions appliquées du code de la construction et de l'habitation et l'arrêté du 1er août 2014 portant approbation du règlement de l'Agence nationale de l'habitat étant, à cet égard, sans incidence.
5. Enfin, le moyen tiré de ce que le tribunal a considéré à tort que la situation de M. E... ne constituait pas un cas de force majeure relève du bien-fondé du jugement.
Sur la légalité des décisions attaquées :
6. En premier lieu, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision du 18 décembre 2018, soulevé pour la première fois en appel et qui n'est pas d'ordre public, relève de la légalité externe. Cette cause juridique est distincte de celle dont relèvent les moyens qui ont été soulevés par M. E... en première instance, tirés de ce que le retard pris dans l'exécution des travaux, objet de la demande de subvention, relèverait d'un cas de force majeure et de ce qu'il est confronté à des difficultés financières, qui se rattachent à sa légalité interne. Par suite, il y a lieu d'accueillir la fin de non-recevoir soulevée par l'ANAH à l'encontre de ce moyen.
7. En deuxième lieu, d'une part, par une décision du 18 septembre 2018, régulièrement publiée au recueil des actes administratifs de la préfecture, le préfet de la Martinique, en qualité de délégué de l'ANAH dans le département de la Martinique, a donné délégation de signature à Mme A... B..., cheffe du service logement et ville durable de la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement de Martinique, à l'effet de signer pour l'ensemble du département " tous actes (...) et documents administratifs relatifs à l'instruction des demandes de subvention, à l'attribution des subventions ou au rejet des demandes, au retrait, à l'annulation et le cas échéant au reversement des subventions aux bénéficiaires mentionnés aux I et II de l'article R. 321-12 du code de la construction et de l'habitation (...) ". D'autre part, la décision du 7 novembre 2019 a été signée, non pas comme le soutient M. E..., par Mme A... B..., mais par Mme D... G..., directrice générale de l'ANAH qui, en cette qualité, avait compétence pour rejeter le recours hiérarchique de M. E... sans avoir à justifier d'une délégation de compétence. Par suite, le moyen tiré de ce que les décisions contestées seraient entachées d'incompétence ne peut qu'être écarté.
8. En troisième lieu, aux termes des quatrième, cinquième et sixième alinéas du I de l'article R. 321-21 du code de la construction et de l'habitation : " Le retrait de l'aide versée par l'agence est prononcé et le reversement des sommes perçues exigé s'il s'avère que celle-ci a été obtenue à la suite de fausses déclarations ou de manœuvres frauduleuses. / Le retrait et le reversement total ou partiel peuvent également être prononcés en cas de non-respect des prescriptions de la présente section ou des conventions conclues en application des articles L. 321-4 et L. 321-8, ou de toute autre convention liée au bénéfice des aides de l'agence, selon les modalités fixées par le règlement général de l'agence. Ce règlement prévoit une procédure de communication préalable et des éléments de calcul sur le montant du reversement et son actualisation indexée sur l'évolution de l'indice de référence des loyers mentionné à l'article 17 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs. / Ces décisions sont prises à tout moment, avant ou après le versement du solde de la subvention ". Aux termes de l'article 14 du règlement général de l'ANAH : " (...) II. - L'achèvement des travaux doit être justifié par le bénéficiaire de la subvention sous peine de retrait de la décision d'octroi de la subvention et du remboursement des sommes déjà perçues, dans un délai de trois ans (...) à compter de la notification de la décision attributive de la subvention. / Sur demande motivée du bénéficiaire de la subvention, une prorogation de ces délais, de deux ans maximum, peut être accordée par le délégué de l'agence dans le département ou le délégataire, notamment lorsque des circonstances extérieures à la volonté du demandeur ont fait obstacle à la réalisation des travaux, telles que : / - un motif d'ordre familial ou de santé ; / - une défaillance d'entreprise ; / - des difficultés importantes d'exécution ". Enfin, aux termes de l'article 21 du même règlement : " En cas de non-respect des prescriptions relatives aux aides de l'ANAH (articles R. 321-12 à R. 321-21 du CCH, engagements conventionnels, présent règlement général...), la décision de subvention sera retirée et tout ou partie des sommes perçues devra être reversé, en application du I de l'article R. 321-21 du CCH et dans les conditions précisées au présent article (...) ".
9. Les subventions conditionnelles accordées par l'ANAH ne créent de droits au profit de leurs bénéficiaires que pour autant que ceux-ci justifient, après l'achèvement des travaux, que les conditions imposées lors de l'attribution de l'aide se trouvent effectivement réalisées. Si les bénéficiaires de ces subventions sont placés vis-à-vis de cet établissement public dans une situation réglementaire et non contractuelle, cette situation ne fait pas obstacle à ce que ces usagers puissent, le cas échéant, invoquer un cas de force majeure ayant rendu impossible l'exécution des engagements auxquels était subordonné le versement de l'aide financière de l'agence.
10. Il ressort des pièces du dossier que le délai de trois ans imparti à M. E..., pour réaliser les travaux projetés, expirant initialement au 6 mai 2016, a été, ainsi que dit au point 1, prorogé de deux années, par une décision du 16 juin 2016, jusqu'au 6 mai 2018. Si M. E..., qui ne conteste pas que les travaux n'étaient pas achevés à cette date, se prévaut de difficultés dans leur réalisation, et plus particulièrement, devant les premiers juges, des défaillances de deux entreprises qui ont abandonné le chantier sans avoir terminé les tâches qu'elles avaient commencées et facturées et du retrait du maître d'œuvre, ces difficultés se sont produites dans le courant de l'année 2014, ainsi qu'il ressort du compte-rendu de visite sur place effectuée par le représentant de la délégation locale de l'ANAH le 17 novembre 2014. Par suite, il disposait de plus de quatre années pour y remédier et il ne fait état d'aucune circonstance qui aurait fait obstacle à ce qu'il fasse procéder à la reprise du chantier dans ce délai. Dès lors, ces difficultés ne revêtent pas un caractère imprévisible, irrésistible et extérieur relevant de la force majeure qui aurait rendu impossible l'exécution des engagements auxquels était subordonné le versement de l'aide financière accordée par l'ANAH. Il en va de même des problèmes d'approvisionnement et des désordres de la construction, dont fait état le requérant, et dont il ne précise, au demeurant, pas la nature, et du défaut de versement d'un second acompte, alors, d'ailleurs qu'il n'établit pas remplir les conditions pour en bénéficier.
11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par l'ANAH à la demande de première instance de M. E..., que celui-ci n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'ANAH, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par M. E... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de ce dernier la somme demandée par l'ANAH au même titre.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de l'ANAH présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... E... et à l'Agence nationale de l'habitat.
Délibéré après l'audience du 10 mai 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, présidente,
Mme Claire Chauvet, présidente-assesseure,
Mme Nathalie Gay, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 juillet 2023.
La rapporteure,
Claire C...
La présidente,
Elisabeth Jayat
La greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne au ministre de la transition et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 21BX01638